Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, tout le monde a encore en mémoire les trop nombreux drames industriels de ces dernières décennies qui ont coûté la vie à des milliers de personnes à travers le monde. Bophal, en Inde, c’était il y a trente ans…
Force est de constater que ce phénomène n’est malheureusement pas encore éradiqué, puisque l’usine chimique ayant explosé en Argentine le 7 novembre dernier a fait plusieurs blessés. D’autres accidents ont eu lieu plus récemment encore, comme en Belgique ou en Allemagne, la semaine dernière.
En France, les plans de prévention des risques technologiques, les PPRT, ont été introduits par la loi, dite « Bachelot » ou loi « Risques », du 30 juillet 2003, à la suite de la terrible catastrophe survenue dans l’usine AZF de Toulouse, en septembre 2001.
Comme cela a été rappelé, parce que c’est leur objet même, ces plans constituent un outil de maîtrise de l’urbanisation autour des établissements industriels à haut risque, qualifiés de « Seveso seuil haut ». Leur finalité est de délimiter des périmètres d’exposition aux risques et de protéger les riverains en agissant non seulement sur la maîtrise de l’urbanisation future, mais aussi sur l’urbanisation existante autour des installations classées AS, ou autorisation avec servitudes.
Au 1er août 2014, 406 PPRT ont été prescrits et 311 approuvés. Ainsi, sur les 407 bassins industriels et plus de 800 communes concernés, 99 % des PPRT prévus sont désormais prescrits et 76 % approuvés.
Si je prends l’exemple de ma région – la Haute-Normandie –, sur les quatorze PPRT, tous sont prescrits et, depuis décembre 2012, six ont été approuvés.
Certes, les premiers cas de mise en œuvre ont révélé des difficultés d’application pour un certain nombre de raisons, parmi lesquelles une concertation insuffisante, collectivités locales, entreprises riveraines et habitants concernés ayant été écartés.
De plus, l’instruction des PPRT est très longue ; en effet, les documents techniques sont nombreux et d’une grande complexité, sans compter le manque d’expertise de l’ensemble des acteurs. Tous ces obstacles ont posé d’indéniables difficultés dans la mise en œuvre de ces plans.
À ces complications générales s’ajoutent des problématiques territoriales qui ralentissent davantage encore leur mise en place. Ainsi, un PPRT peut entraver un projet structurant pour une collectivité du fait de contraintes d’urbanisme imposées. Et on peut regretter un manque d’accompagnement des élus dans certains cas.
Ces retards pris laissent dans l’expectative l’ensemble des forces en présence, en particulier les entreprises riveraines, dont le risque de délocalisation fait peser sur les zones industrielles un phénomène de paupérisation.
En outre, les propriétaires riverains ne peuvent pas accepter de supporter seuls la charge des travaux prescrits sur leurs habitations. Cette charge est jugée très lourde par des habitants qui sont déjà souvent confrontés à des difficultés sociales. Ils rappellent que si le risque existe, ils n’en sont pas responsables et que les conséquences doivent être assumées par les industriels.
À l’énoncé de ces difficultés, la proposition émise par le groupe CRC relative à un moratoire sur la mise en œuvre des PPRT peut paraître légitime, mais elle ne prend pas en compte les nombreuses améliorations introduites depuis 2013 et qui vont permettre d’accélérer la mise en œuvre des PPRT.
Il est intéressant précisément de rappeler les différentes mesures que prescrivent ces plans.
Premièrement, des mesures foncières qui se concentrent sur l’urbanisation existante la plus exposée et pouvant imposer à une collectivité d’acquérir un terrain, dans des périmètres définis.
Deuxièmement, des mesures supplémentaires de réduction du risque à la source sur les sites industriels, plus drastiques que les exigences réglementaires.
Troisièmement, des travaux de renforcement à mener sur les constructions voisines existantes.
Quatrièmement, des restrictions ou des règles sur l’urbanisme futur et les aménagements structurants à proximité du site.
Concernant le financement de ces mesures, je rappelle que les deux premières font l’objet d’un financement tripartite, réparti par convention entre les exploitants des sites industriels, les collectivités territoriales et l’État.
De même, s’agissant des travaux obligatoires, il est à noter que, désormais, la loi prévoit également un financement tripartite au bénéfice des riverains, ce qui n’était pas le cas auparavant, puisqu’ils étaient financés exclusivement par les propriétaires des biens.
Ces mesures ont été saluées comme d’autres, par exemple en Seine-Maritime, où les associations de riverains, en particulier au Havre, approuvent le principe de l’accord AMARIS-UIC-UFIP, qui impose une participation minimale en deux parts égales, entre les industriels à l’origine des risques et les collectivités percevant tout ou partie de la contribution éco-territoriale dans le périmètre couvert par le plan. Ces contributions doivent assurer un financement de 50 %.
Cet ensemble de dispositions a été complété en avril 2013 par le plan Batho, à la suite de l’incident survenu dans la périphérie de Rouen, dans l’usine Lubrizol, et qui facilite aussi l’accélération nécessaire de l’approbation des PPRT, en mobilisant les moyens de l’État.
Je pense ici à la mise en place d’une force d’intervention rapide, la FIR, à la suite de cet incident, tout du moins qualifié comme tel par les autorités et l’entreprise Lubrizol ; au recensement des cas « d’incommodités » via les études de dangers ; enfin, à une meilleure organisation de la communication et de l’information.
Ces trois dispositifs avaient fait cruellement défaut, en particulier auprès des élus.
Pour l’avoir vécu dans ma commune en tant que maire, nous n’avons pas pu prendre les mesures qui auraient dû s’imposer en matière d’information auprès des populations. Ces dispositifs s’inscrivent donc dans une stratégie qui impose aux industriels et à toutes les parties prenantes des partenariats et une mutualisation des ressources.
Ce plan permet, également, le développement économique des plateformes industrielles soumises à PPRT. Il s’agit ici d’accroître l’attractivité de ces zones en permettant l’implantation d’activités industrielles nouvelles.
Une autre évolution à laquelle il faut faire référence concerne la circulaire du 25 juin 2013 relative au traitement des plateformes économiques.
En effet, cette circulaire recommande, notamment, au préfet de « réserver un traitement spécifique aux entreprises qui disposent d’une culture du risque technologique ».
Il faut noter aussi une évolution récente ; en effet, la loi dite « DADUE » du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable contient plusieurs avancées majeures.
Elle dispose que les propriétaires riverains peuvent bénéficier d’un droit de délaissement automatique, et ainsi mettre en demeure les collectivités de procéder à l’acquisition de leurs biens, dans un délai de six ans.
Quant au coût de démolition des biens, en cas d’expropriation, par exemple, qui auparavant était à la seule charge des collectivités, il est désormais intégré dans la convention tripartite de financement des mesures foncières. Le financement des travaux à la charge des propriétaires d’habitations voisines des sites industriels devient aussi tripartite.
De plus, il faut se féliciter de la simplification, pour les communes, de la procédure d’enquête publique, en cas d’expropriation.
Force est de constater que cette dernière loi contribue à l’amélioration du dispositif d’accompagnement des riverains, lesquels, à partir de 2015, pourront également bénéficier d’aides de l’ANAH. Ainsi, les travaux engagés dans le cadre de la mise en œuvre des PPRT pourront s’accompagner de rénovations permettant, surtout, de réaliser des économies d’énergie.
Enfin, une dernière amélioration notable dans la mise en œuvre de ces plans peut être relevée au travers du très récent projet de loi relatif à la vie des entreprises.
En effet, dans le cadre de l’examen de ce projet de loi, le 4 novembre 2014, le Sénat a adopté un amendement déposé par le Gouvernement, relatif aux PPRT.
Cet amendement non seulement vise à adapter les dispositions de ces plans aux activités économiques, mais autorise également le Gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions afin d’assouplir la mise en œuvre des PPRT. Il est habilité à « préciser, clarifier et adapter les dispositions [relatives à ce PPRT] afin d’améliorer et de simplifier l’élaboration, la mise en œuvre et la révision ou modification des plans de prévention des risques technologiques ».
Je veux rappeler que le groupe CRC du Sénat a voté ici même cet amendement !
Pour conclure, je ne nie pas le fait que la mise en œuvre des PPRT a été compliquée et complexe, et ce d’autant plus que certaines problématiques sont humainement et économiquement difficiles.
Pour autant, il serait malvenu d’occulter les évolutions passées – certaines sont récentes – et à venir, qui ont, depuis la loi de 2003, comme je l’ai expliqué, fait évoluer considérablement la mise en œuvre des PPRT.
Ainsi, un moratoire ne se justifie pas alors que plus de dix ans se sont écoulés depuis que des collectivités locales se sont engagées. Une telle décision porterait au contraire un préjudice grave non seulement aux communes qui sont confrontées au gel de leurs projets d’aménagement et de développement, aux riverains dont certains attendent la finalisation de la procédure d’expropriation afin de pouvoir partir, mais également aux industriels. Enfin, cela aurait des conséquences économiques néfastes pour les zones concernées.
Il faut plutôt continuer à mener une réflexion centrée sur la cohabitation entre les entreprises à haut risque et les habitants et mettre en œuvre la loi dans une démarche d’accompagnement sur le terrain.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste ne votera pas cette proposition de résolution relative à un moratoire sur la mise en œuvre des plans de prévention des risques technologiques.