Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe CRC a déposé cette proposition de résolution afin de demander un moratoire et une refonte de la réglementation encadrant les plans de prévention des risques technologiques.
Plus de dix ans après l’adoption de la loi dite « loi Bachelot » sur la réduction des risques, son bilan d’application n’est pas à la hauteur des enjeux de sûreté sur les sites industriels à hauts risques, pour les riverains comme pour les salariés.
À ce titre, une circulaire de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, publiée le 30 avril 2013, constatait que seulement « un peu plus de la moitié » des PPRT avaient été approuvés. La ministre avait alors décidé, à juste titre, de lancer un plan de mobilisation nationale avec un objectif chiffré : 75 % des PPRT devraient être approuvés d’ici à la fin de 2013 et 95 % à la fin de 2014. Au 1er août 2014, 76 % des plans ont été approuvés. C’est mieux mais il y a encore beaucoup à faire.
Selon le rapport pour avis sur le programme 181 de la mission « Écologie » dans le projet de loi de finances pour 2015, d’une part, les crédits ouverts à l’action « Prévention des risques technologiques et des pollutions » sont en baisse de plus de 30 % pour les autorisations d’engagement, d’autre part, l’objectif du Gouvernement est désormais d’atteindre les 95 % de plans approuvés à la fin de l’année 2015. On perd un an, mais ce n’est pas encore dramatique.
Au-delà de la mauvaise application de la loi et des blocages souvent dus, il faut bien le dire, aux manœuvres dilatoires de certains industriels, de nombreuses voix se sont élevées, du côté tant des riverains que des élus locaux ou des associations de défense de l’environnement, pour alerter les autorités et dénoncer les conditions d’élaboration des PPRT et leurs conséquences pour la vie de nos concitoyens.
C’est ce débat de fond que nous souhaitions porter devant notre assemblée. Ma collègue et amie la sénatrice Marie-France Beaufils a détaillé plusieurs défaillances de la réglementation qui nous conduisent à demander ce moratoire.
Pour ma part, je centrerai mon intervention sur la question des mesures de sûreté des installations. Comme vous le savez, la réalisation par l’exploitant d’une étude de dangers constitue un élément essentiel de la réglementation de la prévention du risque industriel.
Exigée par l’article L. 512 du code de l’environnement, elle doit justifier, selon les modalités prévues à l’article R. 512-9, que le site doit atteindre, « dans des conditions économiquement acceptables, un niveau de risque aussi bas que possible, compte tenu de l’état des connaissances et des pratiques et de la vulnérabilité de l’environnement de l’installation. »
La notion d’« économiquement acceptable » nous semble restreindre la réduction des dangers à la source puisque les industriels peuvent l’invoquer pour refuser les modifications lourdes nécessaires parfois pour réduire effectivement les dommages potentiels encourus.
Pourtant, au-delà de la mise en danger des personnes, si l’accident survient, les coûts sont souvent bien plus importants. L’argument économique ne devrait donc pas entrer en ligne de compte.
C’est dans la même logique, dans la loi relative au renforcement de la protection de l’environnement de 1995, que contrairement à la définition du principe de précaution retenue dans la déclaration de Rio de 1992, le législateur français avait utilisé cette mention.
Ainsi, il précisait que « l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable ; le principe d’action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. » La formulation « économiquement acceptable » est employée à deux reprises.
La France a ainsi ajouté à la définition de Rio les notions de réaction proportionnée et de coût économiquement acceptable.
Ensuite, la notion d’« économiquement acceptable » semble incompatible avec les lois constitutionnelles et européennes. Ainsi, lorsque le Parlement réuni en Congrès a inscrit dans la Constitution la charte de l’environnement, installant par là même le principe de précaution au niveau le plus élevé de la hiérarchie des normes juridiques, il n’était alors pas question de limites économiques.
L’article 5 énonce très précisément que « lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »
Ces réserves de compatibilité que nous formulons à l’égard de la législation nationale relative aux PPRT valent également pour le droit européen. Nous avons ajouté dans le droit français la notion « économiquement acceptable », qui n’était pas dans la définition de Rio et qui ne sera pas dans le droit européen.
En effet, à compter du 1er juin 2015, de nouvelles exigences seront applicables à certaines activités industrielles, de stockage, d’exploitation de transport, détaillées à l’article 2 de la directive, afin de prévenir et de mieux gérer les accidents majeurs impliquant des produits chimiques dangereux.
Or, au titre des « obligations générales de l’exploitant » mentionnées à l’article 5 de la directive, il est précisé que « les États membres veillent à ce que l’exploitant soit tenu de prendre toutes les mesures qui s’imposent pour prévenir les accidents majeurs et pour en limiter les conséquences pour la santé humaine et l’environnement. »
Quant à la définition de la « politique de prévention des accidents majeurs », on peut lire à l’article 8 : « La politique de prévention des accidents majeurs est conçue pour assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement. Elle est proportionnée aux dangers liés aux accidents majeurs. Elle inclut les objectifs globaux et les principes d’action de l’exploitant, le rôle et la responsabilité de la direction, ainsi que l’engagement d’améliorer en permanence la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs et d’assurer un niveau de protection élevé. » C’est vraiment le seul objectif. Il n’est jamais fait mention de la limite exprimée dans la loi française par le recours au principe d’« économiquement acceptable ».
Dans le cadre d’échanges mondialisés où la concurrence libre et non faussée est la règle économique, la question se pose légitimement de savoir si le législateur n’a pas été tenté d’introduire cette notion d’« économiquement acceptable » pour protéger les industriels au détriment des particuliers et des salariés.
Il serait donc souhaitable de revoir notre législation. Les acteurs industriels ne doivent plus être juge et partie si nous voulons renforcer encore le niveau de protection, en particulier la prévention des accidents majeurs sur les sites industriels à hauts risques.
Venant d’un département dans lequel les conséquences sociales et environnementales de dizaines d’années d’exploitation minière se font encore sentir – en tant que maire de Trieux, vous êtes également bien placé pour en avoir conscience, monsieur le secrétaire d’État –, je sais combien les populations sont souvent délaissées alors même qu’elles sont lourdement impactées par les activités industrielles passées ou présentes.
C’est dans ce sens que nous vous demandons d’adopter cette proposition de résolution afin de revoir la réglementation relative aux plans de prévention des risques technologiques en tenant compte de l’expérience dans chaque territoire. §