Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il semble plutôt contradictoire de militer pour la protection des populations contre les dangers induits par l’activité industrielle et, en même temps, de proposer un moratoire de la mise en œuvre des plans de prévention des risques technologiques censés précisément apporter ladite protection.
Cependant, à y regarder de plus près, la contradiction est moins évidente. La question est en effet de savoir si les PPRT, tels qu’ils sont théoriquement conçus et réellement mis en œuvre, atteignent leurs objectifs. Pour m’être intéressé de plus près aux PPRN, les plans de prévention des risques naturels, aux PPRI, les plans de prévention des risques d’inondation, et aux PPRIF, les plans de prévention des risques d’incendies de forêt, je constate que leur conception et leur mise en œuvre posent le même type de problèmes que ceux qui sont soulevés en matière de risques dits « technologiques » – en réalité, ce sont plutôt des risques industriels.
Dans tous les cas, on fait deux constats.
Premièrement, la mise en œuvre d’une procédure laborieuse et conflictuelle à l’origine de retards importants dans l’application des plans de prévention. Ainsi, nous dit-on, seuls 225 PPRT prescrits ont-ils été approuvés, ce qui d’ailleurs ne signifie pas acceptés et encore moins mis en œuvre.
Deuxièmement, des plans de financement complexes, pour ne pas dire hasardeux.
Dans tous les cas, les principaux intéressés, les collectivités et la population, ne sont associés ni à la définition des risques et des méthodes permettant de les mesurer, ni à l’élaboration de la carte des aléas.
Dans le cas des PPRN, cela relève uniquement de l’administration ou plutôt de ses cabinets sous-traitants. Aucune information n’est fournie sur les principes de fabrication des modèles qui serviront aux simulations.
S’agissant des PPRT, c’est l’exploitant lui-même, sous la surveillance de l’administration – on respire ! –, qui est chargé de l’étude de dangers. Avouez que l’on doit pouvoir trouver mieux en matière de garantie d’objectivité. Mais cela pose aussi la question de l’obsolescence de la capacité de l’État dans ses missions d’expertise.
C’est une fois que la carte des risques, dans un cas, l’étude de dangers, dans l’autre, est achevée, une fois donc que la messe est dite, que débute la concertation puis l’approbation. Je dis bien : une fois que la messe est dite car il est clair que les mesures de protection à prendre découlent directement de l’évaluation des risques et de leur localisation.
Ce qui, d’ailleurs, – et ce n’est pas le moindre des paradoxes – conduit à cet étrange échange de risques contre des droits à construire ou des réductions de niveau de protection à quoi se réduit en général la concertation. Il y a de quoi en être quelque peu surpris.
Pas étonnant que cette concertation prenne l’apparence d’un dialogue de sourds sur fond de conflit. Pas étonnant que la procédure patine et s’éternise.
La seule manière d’en sortir, à mon avis, c’est que collectivités locales et représentants des personnes directement intéressées soient associés, avec leurs experts, à la définition et la mesure des risques ainsi qu’à l’élaboration de leur traduction cartographique. C’est d’ailleurs, si j’ai bien compris, ce que proposent les auteurs de la proposition de résolution.
L’accord peut plus facilement se faire sur des éléments objectifs et cet accord réalisé, l’approbation du plan sera plus facile à obtenir.
Je constate cependant que l’administration n’est absolument pas disposée à accepter cette démarche. Seuls les savants, même d’une science incertaine, et la bureaucratie céleste sont habilités à dire ce qu’il convient de voir et de penser. J’en ai fait l’expérience en déposant une proposition de loi sur la prévention des inondations qui n’a pu être votée en première lecture au Sénat qu’une fois expurgée des dispositions que je viens d’évoquer. Proposition de loi qui, je viens de le rappeler à M. le secrétaire d’État tout à l’heure, attend depuis un an d’être inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Mais l’actualité montre qu’il n’y a pas le feu au lac.
J’en viens à la question du financement, qui, dans les deux cas, pose problème.
Sur ce point, une amélioration essentielle a été apportée par la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM », avec l’institution possible d’une taxe pour financer les politiques de prévention de l’inondation.
S’agissant de la prévention des risques technologiques, la complexité des montages financiers et le fait qu’une part de la charge revient aux riverains – comme dans l’ancien système pour le risque inondation – impose à l’évidence des mesures nouvelles. Ce serait la garantie d’une exécution effective dans des délais raisonnables des mesures de protection légitimement imposées par le PPRT.
En tout cas, mon intime conviction est qu’il faut changer la façon de poser la question du risque si l’on veut avoir une chance de lui apporter une réponse pérenne partout où le problème se pose. Il faut élargir la question de la protection à celle de l’aménagement d’un territoire pour permettre à celui-ci de continuer à vivre et se développer en maîtrisant les effets du risque.
Toutes les questions soulevées par les auteurs de la proposition de résolution sont pertinentes. Qu’un moratoire soit la réponse, même provisoire, je suis loin d’en être convaincu. Je crois nécessaire et urgent de faire évoluer la législation dans le sens indiqué quel que soit le type de risque concerné. Plus on sera à pousser dans cette direction, plus on aura de chance d’aboutir.
Tel est le sens de mon abstention et de celle de mon groupe sur cette proposition.