Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, je vous prie d’excuser l’absence Mme Ségolène Royal qui est à Lima pour une conférence dont vous avez certainement toutes et tous entendu parler.
Je m’efforcerai de répondre en son nom à vos interrogations qui peuvent, comme beaucoup l’ont dit, apparaître légitimes. Légitimes, parce que la sécurité des sites industriels français est un impératif, comme nous le rappellent l’accident de Toulouse le 21 septembre 2001 ou, plus récemment, l’incendie dramatique de la raffinerie d’Amuay au Venezuela ou l’explosion meurtrière d’une usine de fabrication d’engrais à West au Texas.
La bonne maîtrise des risques inhérents à l’activité industrielle est également un facteur de compétitivité pour les entreprises, étroitement associé au maintien sur notre territoire d’activités à forte valeur ajoutée.
Le Gouvernement est bien entendu mobilisé sur ce sujet, afin d’assurer aux populations le meilleur niveau de sécurité et d’accompagner les industriels dans la mise en place des investissements, avec des modalités d’organisation adaptées.
Les plans de prévention des risques technologiques, les PPRT, sont des outils efficaces pour intégrer les sites industriels dans leur environnement. Comme cela a été rappelé, la loi du 30 juillet 2003 est née, après la catastrophe d’AZF, du constat de l’existence de situations héritées du passé : l’urbanisation s’était dangereusement rapprochée des sites industriels à risques. Au vu de la diversité des cas rencontrés, la responsabilité de cette proximité ne pouvait être imputée à un seul acteur, qu’il s’agisse de l’industriel, de la collectivité, des riverains ou de l’État. C’était un héritage partagé.
C’est pourquoi la loi de 2003 a entendu faire porter la charge des actions à mener de la manière la plus équilibrée possible, afin que chacun contribue à un objectif commun : améliorer la sécurité, en sachant bien entendu – plusieurs d’entre vous l’ont souligné – que l’on ne peut pas atteindre le risque zéro, car seul l’arrêt de toute activité industrielle permettrait – et encore… – de garantir l’absence totale de danger.
Les PPRT, élaborés pour les sites à plus hauts risques – les sites dits « SEVESO seuil haut » –, prévoient une palette de mesures. Certaines d’entre elles visent à protéger les riverains exposés aux risques : il s’agit, d'une part, de mesures foncières touchant à l’urbanisation existante, qui se composent d’expropriations, dans les zones à plus forts risques, et de droits à délaissement volontaire des biens, et, d'autre part, de travaux à mener sur les constructions existantes dans le voisinage des sites industriels pour en réduire la vulnérabilité. D’autres mesures visent à garantir un maintien du niveau de risque dans la durée : il s’agit de restrictions ou de règles relatives à l’urbanisation future autour des sites.
Aujourd'hui, – vous êtes nombreux à l’avoir relevé – sur les 407 PPRT à réaliser, plus des trois quarts – 313 –, dont de nombreux plans jugés très complexes, sont approuvés. Les PPRT restants sont maintenant en bonne voie, de sorte que la très grande majorité d’entre eux devraient être approuvés d’ici à la fin de l’année 2015. Cette progression démontre que, grâce aux améliorations législatives successives et à l’engagement des acteurs, le dispositif est maintenant largement applicable.
Pour autant, votre résolution pose des questions légitimes, qui concernent les obligations fixées aux industriels, les modalités de financement des mesures ou encore leur mise en œuvre opérationnelle. Je répondrai à ces questions de manière détaillée.
Je commencerai par l’obligation faite aux industriels de réduire les risques à la source. La réglementation relative aux installations classées repose sur le fait que les industriels, via la réalisation d’études de dangers, sont tenus de réduire autant que possible les risques à la source, par le recours aux meilleures techniques disponibles à un coût « économiquement acceptable ».
Madame Didier, je ne partage pas complètement votre analyse s'agissant du droit constitutionnel ou de l’adaptation au droit européen. Le principe de la réduction des risques à la source, qui repose sur la notion de comportement économiquement responsable, découle directement de principes constitutionnels, au même titre que le principe de précaution, qui est cité dans votre proposition de résolution. Il est notamment inscrit dans la définition du principe de prévention qui figure au tout premier article – l’article L. 110-1 – du code de l’environnement.
J’ajoute que l’évaluation du caractère « économiquement acceptable » des mesures de réduction du risque n’est nullement laissée à la seule appréciation de l’industriel : elle est soumise à l’expertise des services de l’État, qui en sont garants. Les obligations sont in fine prescrites par le préfet à l’industriel, et elles s’imposent à lui.
Contrairement à ce que j’ai entendu, cette phase est bien un prérequis à l’adoption d’un PPRT. Il n’est fait appel à des mesures foncières qu’en l’absence de solutions relevant de la responsabilité de l’industriel. Ce sont ainsi près de 2 000 études de dangers qui ont été instruites. Les investissements réalisés par les industriels pour la réduction du risque à la source ont été compris entre 200 millions et 300 millions d'euros par an – à leur seule charge – durant les premières années ayant suivi la promulgation de la loi.
En complément, les PPRT peuvent prévoir d’autres mesures de réduction du risque, allant au-delà des exigences réglementaires – un déplacement d’installation, par exemple –, lorsque leur mise en œuvre est moins coûteuse que les mesures foncières qu’elles permettent d’éviter. Le processus d’élaboration des PPRT ne fait donc pas obstacle à la responsabilité première de l’industriel de maîtriser ses risques.
J’entends également vos interrogations, légitimes, là aussi, concernant les modalités de financement des PPRT. Ces modalités, inscrites dans la loi de 2003, reflètent la responsabilité partagée des acteurs, que j’ai évoquée au début de mon propos.
Pour les mesures foncières ou les mesures supplémentaires de réduction du risque à la source – ce sont les mesures les plus lourdes, puisque leur montant total est estimé à un peu plus de 1 milliard d'euros –, la loi prévoit un financement tripartite entre les exploitants à l’origine du risque, les collectivités locales percevant la contribution économique territoriale des sites industriels et l’État.
Pour les travaux sur les constructions existantes dans le voisinage, les particuliers peuvent – vous l’avez souligné – bénéficier d’un crédit d’impôt représentant 40 % du montant des travaux, ainsi que de contributions des industriels et des collectivités représentant chacune 25 % de ce montant. Cela porte l’aide à 90 % du montant des travaux, dans une limite de 20 000 euros, qui est suffisante dans la très grande majorité des cas pour mettre en sécurité un logement non couvert par une mesure foncière.
Ces modalités de financement, ajustées plusieurs fois depuis 2003 – vous vous en souvenez certainement, et le secrétaire d’État au budget que je suis s’en souvient également –, sont équilibrées. C’est l’accompagnement des travaux qui doit nous mobiliser.
J’entends aussi dire que le cas particulier des entreprises riveraines justifie des aménagements complémentaires. Les premiers cas de mise en œuvre des PPRT ont effectivement révélé – cela a été rappelé à juste titre – des difficultés d’application pour les entreprises riveraines des sites à risques. Les mesures foncières d’expropriation et de délaissement et les prescriptions de travaux peuvent mettre les entreprises en difficulté, et ne constituent pas toujours la meilleure façon de mettre les salariés en sécurité ; ce point a été évoqué à raison par certains d’entre vous.
Une disposition habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance en ce sens est incluse dans le projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises, en cours d’examen par le Parlement. Il s’agit, d'une part, de permettre, pour les entreprises riveraines, la mise en œuvre de mesures alternatives aux mesures d’expropriation et de délaissement. Le mode de financement jusqu’à présent réservé aux mesures foncières serait maintenu dans la limite du montant des mesures foncières évitées ; c’est un dispositif classique. Cette souplesse permettra de trouver des solutions moins chères que les mesures foncières, ce qui profitera aux collectivités, à l’État et à l’industriel à l’origine du risque. Il s’agit, d'autre part, d’assouplir les obligations de travaux de renforcement des locaux des entreprises riveraines, afin de permettre le recours à d’autres méthodes de protection des salariés, par exemple via des mesures organisationnelles.
Vous avez également émis des interrogations légitimes concernant l’accompagnement de la mise en œuvre des PPRT. Le projet de résolution souligne à juste titre que l’accompagnement des acteurs dans la mise en œuvre des PPRT est un enjeu fondamental. Le Gouvernement partage ce point de vue, même s’il ne lui semble pas pour autant nécessaire de prendre des dispositions législatives ou réglementaires additionnelles, et il s’emploie à organiser une mise en œuvre structurée des PPRT, en particulier pour la réalisation des travaux de renforcement chez les particuliers ; 30 000 logements sont potentiellement concernés.
Un programme de formation des artisans amenés à conduire les diagnostics préalables et un référentiel pour la réalisation des travaux sont opérationnels depuis l’été 2013. En outre, le Gouvernement expérimente actuellement, sur sept plateformes industrielles, un dispositif d’accompagnement collectif des riverains par des opérateurs du logement dans chacune des étapes nécessaires à la réalisation des travaux. Ce dispositif sera généralisé en lien avec l’Agence nationale de l’habitat.
Enfin, le ministère de l’écologie organisera dès 2015 un accompagnement des collectivités chargées de la mise en œuvre des mesures foncières.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, le Gouvernement n’est pas favorable à cette proposition de résolution. Le dispositif issu d’améliorations législatives successives apparaît désormais équilibré et applicable, même s’il a rencontré – c’est bien compréhensible – des difficultés de mise en œuvre les premières années. Le remettre en cause aboutirait à retarder la mise en sécurité des riverains et pourrait fragiliser l’activité économique du pays.
En conséquence, le Gouvernement estime que les forces de l’ensemble des acteurs doivent désormais être employées à la mise en œuvre effective des plans, dans une démarche d’accompagnement des riverains et des collectivités.