La question n’est pas tant celle du rythme de l’ajustement, mais celle de sa crédibilité et de sa pérennité. Met-on en œuvre un ajustement qui permette de rétablir durablement nos finances publiques et la compétitivité de notre pays ? Je ne le pense pas.
La mise en œuvre des mesures complémentaires pour 2015 aurait, à cet égard, mérité de reposer sur des mesures d’économie traduisant une volonté de réforme plutôt qu’une amélioration bricolée du solde, consistant notamment à augmenter la pression fiscale sur les banques et les grandes surfaces parce que ces acteurs seraient des cibles politiquement faciles.
La Commission européenne – cela mérite que je la cite – a considéré que « les efforts visant à poursuivre l’amélioration de la viabilité des finances publiques, la simplification du système fiscal et l’assouplissement du marché du travail pourraient être intensifiés » et que la France avait « accompli des progrès limités ». Ce sont les termes mêmes de la Commission, qui a également estimé que le projet de budget de la France présentait « un risque de non-conformité avec les dispositions du pacte de stabilité et de croissance ». Elle a indiqué qu’elle « réexaminera[it] au début du mois de mars 2015 […] sa position sur les obligations qui incombent à la France ».
Pierre Moscovici a insisté pour que ce délai de quatre mois « ne soit pas du temps perdu, mais du temps utilisé pour avancer et affirmer l’impact des réformes ». Peut-être en saurons-nous davantage demain, puisque le Premier ministre devrait présenter le calendrier des réformes pour les deux années à venir ? Je souhaite en tout cas que le Gouvernement puisse répondre à la légitime préoccupation de nos partenaires européens quant à la situation économique et budgétaire de notre pays.
Les conclusions des premières revues de dépenses prévues par le projet de loi de programmation des finances publiques et attendues pour le 1er mars prochain pourraient d’ailleurs contribuer à documenter un certain nombre d’engagements. Au cours de ces prochains débats, monsieur le secrétaire d’État, peut-être pourrez-vous nous préciser les thèmes sur lesquels l’administration a sans aucun doute déjà commencé à travailler ?
Dans sa dimension budgétaire, le projet de loi de finances rectificative de fin d’année permet d’avoir un premier aperçu de l’exécution de la loi de finances de l’année, même s’il existe encore quelques marges d’incertitude. Mais ce projet entérine d’abord un nouveau dérapage du déficit de l’État, qui atteindra 88, 2 milliards d’euros à la fin de l’année 2014, soit 4, 3 milliards d’euros de plus que ce qui était prévu dans la loi de finances rectificative du 8 août.
Le texte qui nous est soumis met en exergue des points importants.
S’agissant des dépenses, celles-ci devraient, cette année encore, être tenues. Cependant, un examen détaillé des arbitrages de fin de gestion montre la difficulté d’un tel exercice en l’absence de réformes permettant de contenir le dynamisme de certaines dépenses, notamment celles de rémunération des personnels et celles dites de « guichet », comme l’aide médicale de l’État ou l’hébergement d’urgence.
S’agissant des recettes fiscales, le projet de loi de finances rectificative entérine une nouvelle baisse de celles-ci de plus de 10 milliards d’euros, tant par rapport à la loi de finances initiale que par rapport à l’exécution 2013.
Sur le premier point, celui des dépenses, il convient d’examiner les mouvements de crédits proposés par le collectif conjointement avec ceux opérés par le décret d’avance, dont la commission des finances a été saisie pour avis ; son rapport a été publié il y a quelques jours. Ce décret d’avance est désormais un outil traditionnel de pilotage de la fin de gestion, qui vise à ouvrir les crédits correspondant aux dépenses les plus urgentes, en particulier les dépenses de personnel.
Que constate-t-on ? Ces mouvements sont plus importants que par le passé et les dépenses qui dérapent, en dehors du cas particulier des OPEX, sont pour l’essentiel les dépenses de rémunération et les dépenses d’intervention correspondant aux dispositifs de guichet. Cela montre une tension accrue sur l’exécution du fait du dynamisme des dépenses obligatoires dont le financement repose, notamment, sur des crédits initialement destinés à l’équipement des forces armées et à la recherche et l’enseignement supérieur.
C’est ainsi que l’évolution de la masse salariale, hors opérations extérieures, nécessite une ouverture de crédits de 540 millions d’euros, concentrés sur le ministère de l’éducation nationale et le ministère de la défense. Cela confirme le diagnostic selon lequel, à effectifs constants, la masse salariale ne peut être contenue. Ce constat plaide en faveur des mesures que la majorité sénatoriale a adoptées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015 relatives aux effectifs, à l’avancement des fonctionnaires ou aux jours de carence.
Aussi ce projet de loi de finances rectificative nous montre-t-il que le Gouvernement arrive certes à maîtriser la dépense de l’État, mais en subissant la dynamique de certaines d’entre elles, là où il conviendrait, au contraire, de les maîtriser pour dégager des ressources au profit, notamment, de l’investissement.
S’agissant des recettes fiscales, qui enregistrent plus de 10 milliards d’euros de moins-values, leur évolution est difficile à analyser, car elle résulte de l’addition de comportements individuels. Toutefois, des tendances de fond sont sans doute à l’œuvre : je pense notamment aux nouveaux modes de consommation, qui échappent en tout ou en partie à l’impôt, ou aux développements de la fraude, notamment de la fraude à la TVA sur internet. Nous aurons à revenir sur ces sujets, parce que nous disposons encore de marges de progrès importantes. Je pense également à la fuite d’un certain nombre de cerveaux ou de talents, accomplis ou en devenir.
Les moins-values considérables constatées cette année s’expliquent sans doute par la conjoncture économique dégradée, mais aussi par l’échec d’une politique d’ajustement par la fiscalité qui s’est montrée excessive et a très probablement encouragé des comportements d’évitement, qu’il s’agisse de fraude, d’évasion et d’optimisation fiscales ou tout simplement de « désincitation » à produire des richesses. Ces évolutions doivent, en tout état de cause, nous conduire à nous interroger collectivement : nous ne pouvons pas nous contenter d’attendre le retour de la croissance ! Il faut se poser la question de l’évolution des comportements, en particulier des consommateurs ; en effet, si nous ne prenons pas garde à l’effritement d’un certain nombre d’assiettes fiscales dès aujourd’hui, nous pourrions être tentés, comme le Gouvernement le fait pour la taxe sur les surfaces commerciales, de chercher à compenser ces phénomènes par une augmentation des taux des impôts existants, au lieu de réfléchir à une évolution de leurs assiettes fiscales.
Évidemment, nous ne pouvons pas nous réjouir de ces déconvenues, qui montrent à la fois la faible capacité de notre pays à produire de la richesse et les résultats limités de la stratégie d’ajustement du Gouvernement. Nous ne considérons pas que la réponse apportée aux exigences de l’Union européenne pour le redressement de nos finances publiques et de notre compétitivité soit adaptée à l’ampleur des enjeux.
Pour conclure, je souhaite rappeler que la commission des finances a décidé de proposer au Sénat d’adopter le projet de loi de finances rectificative, bien sûr modifié par les amendements qu’elle va présenter.