Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 30 novembre 2007 à 10h45
Loi de finances pour 2008 — Justice

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Vous en tirez les conclusions que vous voulez !

Le fond et la forme finissent donc toujours par se rejoindre. Nombreux sont ceux qui plaidaient pour une réorganisation des juridictions en fonction des contentieux, souhaitaient le maintien des juridictions de proximité que sont les tribunaux d'instance et la concentration des contentieux plus complexes ou techniques nécessitant de véritables spécialités juridiques.

C'est d'ailleurs le point de vue que j'ai moi-même défendu, et ce tant dans cet hémicycle qu'à l'occasion de la dernière élection présidentielle. Au demeurant, pendant la campagne, certains membres de la majorité parlementaire, qui soutenaient alors un certain candidat, affirmaient qu'ils n'accepteraient jamais une modification de la carte judiciaire. Ils ont quelque peu changé d'avis depuis...

Madame la ministre, comme cela a été souligné à juste titre, votre réforme consiste à supprimer les juridictions de proximité, à commencer par les tribunaux d'instance, qui en sont l'illustration la plus évidente. Pourtant, nul ne peut nier que ces instances fonctionnent bien. Et si le critère de l'activité judiciaire, auquel M. le rapporteur spécial faisait référence, paraît simple a priori, il ne l'est pas dans les faits.

Mes chers collègues, nombre d'entre vous évoquent souvent, et en n'importe quelle occasion, la nécessité d'utiliser des « moyens modernes ». Honnêtement, traiter le surendettement des affaires familiales par vidéoconférence me paraît complètement surréaliste ! C'est méconnaître la situation concrète, précisément, de la justice de proximité.

En outre, cette réforme ne tient absolument pas compte de la réalité du territoire.

À cet égard, force est de constater que la question de l'aménagement du territoire n'est pas du tout prise en considération. Au nom de la réduction des dépenses publiques, la suppression de nombreux services publics autres que les tribunaux est également envisagée. À l'évidence, voilà un sujet qui mériterait au moins une réflexion d'ensemble.

Après la suppression de trésoreries, de bureaux de poste, de brigades de gendarmerie et, à présent, de tribunaux de proximité, on peut désormais s'attendre à la fermeture de sous-préfectures ou à la disparition de la moitié des brigades de gendarmerie qui existent encore. En clair, c'est la mort des services publics locaux qui est programmée !

Telle n'est pas notre vision du service public. D'ailleurs, comme la situation des territoires où ces suppressions ont déjà eu lieu en témoigne, de telles décisions ne sont pas très positives - c'est le moins que l'on puisse dire - pour le fonctionnement de notre société...

De surcroît, la réforme envisagée est particulièrement onéreuse. Certes, elle est destinée à réaliser des économies. Mais, en réalité, compte tenu de son étalement sur trois ans, elle aura un coût très élevé. En effet, elle va occasionner des dépenses liées au parc immobilier et des dépenses de nature sociale.

Madame la ministre, le 14 novembre dernier, lors de votre audition en commission, vous avez évoqué un programme immobilier portant sur un montant total de 800 millions d'euros sur six ans, hors projet relatif au tribunal de grande instance de Paris. J'ignore s'il s'agit du chiffre qu'il faudra retenir, sachant que nombre de tribunaux occupent aujourd'hui des locaux mis gratuitement à leur disposition par les collectivités locales.

Bientôt, il vous faudra acquérir ou louer de nouveaux bâtiments susceptibles de rassembler les juridictions qui auront été absorbées. À ce sujet, un emprunt est-il réellement envisagé auprès de la Caisse des dépôts et consignations ? Si c'était le cas, cela aurait évidemment un coût pour l'État.

Par ailleurs, la réforme aura également un coût élevé du point de vue des dépenses sociales. En effet, il faudra attribuer des indemnités de déménagement ou d'éloignement aux magistrats et aux fonctionnaires qui seront mutés. Mais, il ne faut surtout pas l'oublier, ce sont les justiciables qui en subiront véritablement les conséquences financières. En effet, ils devront parcourir une plus grande distance, ce qui leur créera des frais de déplacement. Au demeurant, ce sont précisément les plus modestes de nos concitoyens qui sont concernés par les contentieux traités dans les tribunaux de proximité.

Il est inquiétant de constater, et M. le rapporteur spécial le faisait remarquer, que le coût total de la réforme ne peut pas être évalué définitivement.

Je m'interroge également sur le fait que la réforme s'accompagne de mesures coûteuses et, parfois, incohérentes. Je pense notamment aux dépenses - tout de même 20 millions d'euros - engagées pour la sécurité des tribunaux, afin d'installer des portiques de sécurité et de recruter des vigiles, et ce dans des juridictions qui vont être fermées !

Au demeurant, nous regrettons les choix qui ont été faits en termes de privatisation de la sécurité des tribunaux. Désormais, la surveillance de ces établissements sera assurée non pas par des fonctionnaires de police, mais par des vigiles travaillant pour des sociétés privées. Nous déplorons également que les mesures d'accueil du public soient, elles, totalement oubliées.

En outre, les salariés ne seront pas non plus épargnés : en décidant de supprimer 63 conseils de prud'hommes, le Gouvernement n'a pas manqué l'occasion de remettre en cause leur droit à se défendre.

Madame la ministre, il n'est pas trop tard pour abandonner votre réforme de la carte judiciaire dans sa version actuelle et pour organiser des états généraux de la justice, ainsi que le réclament de nombreux professionnels.

De surcroît, même si la réforme de la carte judiciaire relève du domaine réglementaire, la mise en oeuvre d'une réorganisation aussi importante de la justice de notre pays impliquerait à tout le moins que le Parlement soit saisi.

D'une manière plus générale, si l'augmentation des crédits de la mission « Justice », à hauteur de 4, 5 %, est indiscutable, elle masque sans doute à la fois le manque de moyens dont notre système judiciaire souffre, notamment par comparaison avec les autres pays européens - d'ordinaire, vous aimez bien les prendre en modèles, madame la ministre, mes chers collègues - et certains des choix qui sont opérés dans ce budget.

Ce sont les crédits affectés au programme « Administration pénitentiaire » qui connaissent la plus forte progression, en l'occurrence 6, 4 %. Mais pour quoi faire, sinon pour augmenter encore et toujours le nombre de places de prison, dans un mouvement qui n'aura évidemment jamais de fin sans toutefois permettre l'encellulement individuel du fait de l'augmentation constante de la population carcérale !

Surtout, je ne vois dans ce projet de budget aucune mesure destinée à améliorer les conditions de détention.

D'ailleurs, madame la ministre, en 2005, j'avais interpellé votre prédécesseur sur des points à la fois précis et modestes, mais qui font le quotidien des prisons, à savoir les postes de télévision dans les cellules ou le prix des produits disponibles au titre de la « cantine ». Il m'avait été répondu que la Chancellerie envisageait la gratuité des téléviseurs et s'apprêtait à mettre en place une mission chargée de réfléchir au mode d'organisation le plus efficace. J'aimerais savoir si cela fera partie des dépenses prévues dans le programme « Administration pénitentiaire ».

Par ailleurs, même si les crédits consacrés à la justice judiciaire sont en augmentation, celle-ci n'est toujours pas en capacité de faire face à sa crise actuelle. Et aux retards actuels s'ajoutent les effets des départs à la retraite, qui, tout comme l'an dernier, ne seront pas rattrapés cette année.

Les objectifs en termes de créations d'emploi de la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice ne sont pas non plus atteints, puisque leur taux de réalisation est de 76 % pour les magistrats et de seulement 32, 6 % pour les fonctionnaires.

S'agissant du programme « Protection judiciaire de la jeunesse », la philosophie est la même que celle guidant le programme « Administration pénitentiaire ». La priorité a été accordée aux mesures d'enfermement, ce qui n'est pas nouveau, et les créations d'emplois permettront, entre autres, d'assurer le fonctionnement à pleine capacité des sept établissements pénitentiaires pour mineurs prévus par la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice.

De tels choix sont-ils vraiment étonnants après l'adoption de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance et de la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, qui ont instauré des peines plancher, et avant la discussion de futures lois qui auront certainement pour objet d'ajouter de nouvelles mesures d'enfermement ?

Enfin, permettez-moi d'exprimer ma très vive inquiétude s'agissant du programme « Accès au droit et à la justice », dont les crédits baissent de 2 % par rapport à la loi de finances pour 2007. Alors que la dotation consacrée à l'action « Aide juridictionnelle » avait fait l'objet d'une légère, mais néanmoins réelle, revalorisation l'an dernier, je suis au regret de constater qu'elle diminue de 2, 7 % cette année.

Je suis encore plus inquiète du fait de l'annonce de l'instauration d'éventuelles « franchises juridictionnelles ». Cela a été souligné, nous sommes résolument contre la politique qui consiste à accorder toujours plus d'exonérations de charges aux plus riches et à créer toujours plus de franchises pour les plus pauvres. Cela, nous ne pouvons vraiment pas le cautionner !

Pour toutes ces raisons, je voterai, ainsi que les membres de mon groupe, contre les crédits de la mission « Justice ».

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