Intervention de Rachida Dati

Réunion du 30 novembre 2007 à 10h45
Loi de finances pour 2008 — Justice

Rachida Dati, garde des sceaux :

La justice est également plus humaine quand elle garantit la dignité des personnes détenues.

Cette volonté, vous l'avez exprimée. Ainsi, la loi du 30 octobre 2007 a institué un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, auquel vous avez accordé hier 2, 5 millions d'euros de crédits.

Le projet de loi pénitentiaire redéfinira le rôle des prisons. Il améliorera les conditions de prise en charge des détenus. Le 19 novembre dernier, le comité d'orientation restreint m'a remis sont rapport définitif, qui comporte 120 propositions.

Certaines concernent le régime de l'incarcération, ainsi que les droits et devoirs des détenus. Les autres s'attachent à améliorer les conditions de travail des personnels de l'administration pénitentiaire. Elles sont actuellement examinées par les services du ministère.

Un projet de loi est en cours d'élaboration. Je souhaite que vous puissiez l'examiner au cours du premier semestre de l'année 2008.

J'ai entendu les remarques de M. Lecerf sur les limites de la prise en charge psychiatrique dans les prisons. Nous examinerons ce sujet dans le cadre de la future loi pénitentiaire.

Pour répondre à votre question, monsieur Détraigne, cette réforme s'appuiera sur une étude d'impact. Vous avez raison de le rappeler, la mise en oeuvre des lois doit se faire dans de meilleures conditions. Il nous faut plus systématiquement réaliser des études d'impact.

Dans le projet de budget pour 2008, il est prévu la création de 1 100 postes supplémentaires dans l'administration pénitentiaire. C'est un effort tout à fait significatif. Il s'accompagne d'un renforcement de la sécurité des personnels. J'ai signé, le 12 septembre dernier, une convention avec les représentants des exploitants d'hélicoptères. Ce partenariat devrait permettre de réduire le nombre d'évasions par voie aérienne. Parallèlement, des travaux de sécurisation continueront à être réalisés dans les établissements pénitentiaires.

Je précise, s'agissant de ces créations de poste, que l'administration pénitentiaire comprend non seulement le personnel affecté aux établissements pénitentiaires, autrement dit les surveillants, mais aussi les services d'insertion et de probation.

Il n'est pas prévu de transférer à la justice les missions d'escorte et de garde des détenus dans les hôpitaux. Le Président de la République l'a indiqué hier devant les forces de police et de gendarmerie. Ces missions font peser des charges importantes sur ces services, il faut en avoir conscience et tout faire pour les alléger. Une véritable réflexion doit être conduite. Je pense, par exemple, au recours à la visioconférence. Cette technologie limite les déplacements et les escortes. Ce n'est que l'une des pistes qui sont actuellement examinées.

En 2008, sept nouveaux établissements ouvriront leurs portes. Trois d'entre eux seront des établissements pour mineurs.

M. Lecerf a appelé mon attention sur la nécessité de préserver des crédits d'entretien pour l'administration pénitentiaire. Je fais mienne cette préoccupation, tout en notant que cela n'a pas toujours été une priorité. C'est souvent, en effet, l'un des premiers postes budgétaires sacrifiés, mais les choses sont en train de changer. Entre 2003 et 2006, la moyenne des crédits d'entretien a été deux fois et demie supérieure à celle de la période 1999-2002. Ce n'est pas suffisant, mais l'effort sera poursuivi.

Monsieur Alfonsi, compte tenu de l'ouverture de ces établissements, vous m'avez interrogée sur l'opportunité de fermer davantage de quartiers pour mineurs. Dans un premier temps, il est nécessaire de conserver ces quartiers pour mineurs afin d'assurer un maillage territorial. Il est également important que les mineurs puissent rester proches de leurs familles ; c'est aussi un facteur de réinsertion.

Créer des places en détention ne réglera pas tout, vous avez raison de le rappeler. Nous devons mettre en oeuvre une politique ambitieuse d'aménagement des peines. C'est un outil qui facilite la réinsertion et qui limite la récidive.

À l'heure actuelle, seulement 10 % des personnes condamnées bénéficient d'un aménagement de peine. Ce n'est pas suffisant. Le décret que j'ai pris le 16 novembre dernier permet d'aller beaucoup plus loin. Il facilite les aménagements de peine et assouplit le régime des permissions de sortir pour favoriser les démarches de logement et d'emploi. Désormais, le juge de l'application des peines pourra déléguer à l'administration pénitentiaire les permissions de sortir, par exemple pour un rendez-vous à l'ANPE ou à la mission locale. Il ne sera plus nécessaire d'attendre une audience avec le juge.

Aujourd'hui, 2 307 personnes sont placées sous bracelet électronique, 1 724 personnes sont en semi-liberté et 800 personnes en placements extérieurs.

L'effort pour développer les aménagements de peine se poursuivra en 2008. Le budget du ministère de la justice consacrera 5, 4 millions d'euros au financement des bracelets électroniques, fixes ou mobiles ; 3 000 bracelets seront donc disponibles dès 2008.

Comme M. Lecerf, je souhaite développer la libération conditionnelle. Au cours du premier semestre de l'année 2007, je le dis notamment à l'intention de M. Sueur, le nombre de libérations conditionnelles a augmenté de 6 %.

Le taux d'aménagement des peines a donc augmenté de plus de 38 % en un an, ce qui est sans précédent.

Enfin, 1 million d'euros sera destiné au financement des associations qui accueillent des détenus et les accompagnent tout au long de leur aménagement de peine. En leur offrant un logement et un travail, elles augmentent considérablement les chances de réinsertion.

C'est par ces moyens que la justice deviendra plus humaine pour nos concitoyens.

La justice doit également veiller à la sécurité des Français, c'est même sa mission essentielle. Elle doit faire preuve d'autorité et de réactivité quand la situation l'impose.

Mardi dernier, à la suite des événements survenus dans le Val-d'Oise, j'ai demandé aux procureurs de la République de faire preuve de fermeté. Quarante-deux personnes impliquées dans des faits de violences et de dégradations ont déjà été déférées ; vingt et une personnes ont été jugées en comparution immédiate et treize peines d'emprisonnement ferme avec mandat de dépôt à l'audience ont été prononcées.

J'ai également demandé aux parquets d'assurer une information complète et immédiate des victimes. Il est nécessaire de les informer sur leurs droits et sur les suites judiciaires données.

Ces violences ne sont pas acceptables et la justice doit y répondre fermement.

Cette fermeté, nous l'avons manifestée aussi dans la lutte contre la récidive. Vous avez voté la loi du 10 août 2007. Sur son fondement, près de 2 500 décisions ont été rendues à ce jour. Cette loi respecte le pouvoir d'appréciation des juges et le principe d'individualisation des peines. Il n'y a pas d'automaticité de la sanction pénale, il y a seulement la volonté de sanctionner plus sévèrement et plus systématiquement ceux qui multiplient des actes de délinquance.

Chacun est responsable de ses actes. C'est aussi vrai pour les mineurs. J'ai posé un principe clair : « une infraction, une réponse. ». Il ne faut pas que la délinquance des mineurs s'installe. Les mineurs ne doivent pas avoir le sentiment d'être à l'abri de la justice. Entre les mois de juillet et d'octobre, les jugements de mineurs sur présentation immédiate ont augmenté de 30 %.

Le projet de budget améliore la prise en charge des mineurs délinquants. Elle sera plus rapide et plus efficace.

Les centres éducatifs fermés sont une réponse adaptée. Il est vrai, monsieur du Luart, qu'ils ont un coût, mais celui-ci ne tardera pas à se stabiliser. Il convient également de prendre en compte les résultats de ce dispositif : 61 % des mineurs qui en sortent ne récidivent pas. Les centres fermés permettent aux mineurs de réfléchir aux actes qu'ils ont commis. Ils leur donnent la possibilité de suivre un programme scolaire ou d'effectuer une formation. Ils offrent aux jeunes une nouvelle chance. Ils leur donnent les moyens d'affronter plus sereinement l'avenir.

Ainsi, dix nouveaux centres éducatifs fermés ouvriront en 2008. Nous en aurons donc au total quarante-trois d'ici à la fin de l'année 2008.

Par ailleurs, cinq centres à dimension pédopsychiatrique seront également opérationnels. Ils permettront de renforcer l'accompagnement des mineurs en difficultés. Ils ont vocation à accueillir des jeunes de toute la France, monsieur Alfonsi, pour une prise en charge adaptée.

La protection judiciaire de la jeunesse bénéficiera de 100 emplois supplémentaires en 2008. Ils seront destinés à l'encadrement des centres éducatifs fermés et des établissements pénitentiaires pour mineurs. Ils contribueront à améliorer le travail éducatif et à diversifier les prises en charges. C'est un point extrêmement important.

Pour les personnels comme pour les justiciables, nous renforçons la sécurité des palais de justice. Nous avons tous en tête les drames de Metz et de Laon du mois de juin dernier. Ils ne doivent pas se reproduire. Cet été, j'ai débloqué 20 millions d'euros de crédits qui avaient été gelés. Grâce au plan de sécurisation, 209 juridictions ont maintenant un portique de sécurité et 92 % des équipes de surveillance sont aujourd'hui en place. L'effort sera poursuivi en 2008 ; nous y consacrerons 39 millions d'euros.

Madame Borvo Cohen-Seat, vous avez déploré la privatisation de la sécurité. Je vous rappelle qu'une partie de cette surveillance est assurée par les réservistes de l'administration pénitentiaire.

Les chefs de cour et de juridiction jouent un rôle essentiel dans la mise en oeuvre de ce plan. Vous avez souhaité, monsieur Détraigne, leur donner davantage d'autonomie dans la gestion de leurs crédits. Cela a été le cas pour la sécurisation des juridictions. Les chefs de cour et de juridiction disposent donc d'une marge de manoeuvre. Ils peuvent l'estimer insuffisante, mais nous ne sommes qu'au début de l'application de la LOLF.

Pour protéger les Français, il est également essentiel de prévoir des mesures de sûreté contre les pédophiles et les délinquants dangereux en fin de peine.

C'est l'objet du projet de loi que j'ai présenté mercredi en conseil des ministres. Il concerne les personnes qui, condamnées à au moins quinze ans de réclusion pour des crimes commis sur des mineurs, sont toujours reconnues comme dangereuses en fin de peine. Elles pourront être placées dans des centres fermés, où elles bénéficieront d'une prise en charge médicale. Le bien-fondé du placement sera réexaminé chaque année.

Le second volet de ce projet de loi concerne les irresponsables pénaux pour troubles mentaux. Il s'agit de mieux prendre en compte les victimes. La procédure judiciaire ne s'achèvera plus par un « non-lieu ». Ce terme est mal vécu par les familles des victimes. Il donne l'impression que les faits n'ont jamais eu lieu. Désormais, une audience publique sera tenue si les victimes le souhaitent. Les juges pourront ordonner des mesures de sûreté, comme l'interdiction de rencontrer les victimes.

Ce projet de loi est inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale du 18 décembre prochain.

Comme vous l'avez souligné, monsieur du Luart, la justice est en pleine mutation et ses principes fondamentaux évoluent pour mieux s'adapter aux attentes de notre société. La justice doit gagner en fermeté, mais aussi en efficacité. Pour cela, nous devons moderniser l'organisation territoriale de la justice.

Le Parlement a voté la loi du 5 mars 2007 instaurant la collégialité de l'instruction. La collégialité est une réponse au drame d'Outreau. Cette affaire a montré que la solitude du juge pouvait être dangereuse. Il faut que les magistrats puissent échanger entre eux et que les plus expérimentés puissent conseiller ceux qui prennent leurs fonctions.

C'est pourquoi la loi du 5 mars 2007 a prévu en son article 6 que, « dans certains tribunaux de grande instance, les juges d'instruction sont regroupés au sein d'un pôle de l'instruction ». Le Parlement a confié au Gouvernement le soin de fixer par décret la liste des tribunaux concernés.

Il ne peut pas y avoir de pôle de l'instruction dans tous les départements, c'est la loi qui l'indique. Ces pôles seront installés dans les tribunaux de grande instance ayant une activité suffisante pour trois juges d'instruction, ce qui suppose nécessairement une réflexion territoriale. Nous avons recherché un équilibre pour chaque région.

Notre carte judiciaire date de 1958, elle n'a donc pas été modifiée depuis cinquante ans. Chacun connaît les difficultés de fonctionnement qu'elle engendre. Chacun comprend que l'on ne peut pas continuer à disperser nos moyens au sein de 1 200 juridictions, sur 800 sites. Cette réforme est une nécessité, comme l'a très justement souligné M. Pierre Fauchon, dont j'ai beaucoup apprécié la démonstration.

La nouvelle carte judiciaire dessine une justice renforcée, dans l'intérêt des justiciables. J'ai entendu vos interrogations, monsieur Détraigne, madame Borvo Cohen-Seat, et je puis vous assurer que la future implantation des tribunaux correspondra aux réalités démographiques, sociales et économiques de notre territoire. Elle améliorera la qualité et l'efficacité de la réponse judiciaire, comme l'attendent les Français.

La réforme de la carte judiciaire n'a été ni mécanique, ni partisane, ni comptable.

Pour les tribunaux de grande instance, nous avons recherché les meilleurs équilibres locaux. Un tiers des départements en métropole continueront à compter au moins deux tribunaux de grande instance.

Par ailleurs, 176 tribunaux d'instance sur 462 seront regroupés, soit 38 % d'entre eux. Nous n'avons pas créé de « désert judiciaire » puisque nous ne supprimons aucun poste : nous en regroupons et nous en créons.

La proximité de 2007 ne correspond pas à la proximité de 1958.

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