Ce sujet est trop important pour prendre des décisions à la légère. Par ailleurs, il fait l’objet, et c’est normal, de nombreux commentaires ; il nous appartient de les reprendre point par point, afin de corriger ce qui ne nous semble pas justifié et, peut-être, de faire connaître les difficultés que nous rencontrons.
Tout d’abord, contrairement à une idée reçue, le Gouvernement ne fixe pas le prix de vente du tabac. Il se contente de publier la liste des prix, qui résulte de deux composantes : le prix pratiqué par les fabricants, additionné au montant de la fiscalité. En publiant ces prix, qui s’imposent à tous les buralistes, nous nous assurons que ne s’installe pas une concurrence entre buralistes, avec des tarifs différents dans notre pays d’une ville à l’autre, d’un détaillant à l’autre.
On a toujours l’impression que le Gouvernement, en l’occurrence votre serviteur, puisque cela relève de ma compétence, signe un arrêté fixant les prix du tabac ! Or qui fixe les prix fournisseurs ? Ce sont les fabricants, et c’est tout ! Ils nous communiquent, à cette époque de l’année d’ailleurs, leurs intentions de prix pour les périodes à venir. Ils sont attentifs à la fiscalité et adaptent parfois leurs tarifs à son niveau. S’agissant souvent de sociétés multinationales, cela leur permet de décider d’être plus présents sur tel ou tel marché avec tel ou tel type de produits – à vrai dire, tout cela me dépasse.
Qui fixe, par ailleurs, la fiscalité ? C’est vous, mesdames, messieurs les parlementaires. Enfin, ce sera vous si vous adoptez cet article !
Vous assumiez ce rôle avant de voter un mécanisme reproduisant année après année un niveau de taxe appuyé sur une part fixe tenant compte de l’évolution des prix par rapport à l’année précédente, à laquelle s’ajoute une sorte de part proportionnelle destinée à éviter des effets de dumping sur des produits à faible coût, qui risqueraient de faire entrer des populations, notamment jeunes, dans le tabagisme.
Le mécanisme actuellement en vigueur conduirait donc, si nous ne faisions rien, à augmenter le paquet de cigarettes de quelque 20 à 30 centimes, en raison de l’augmentation mécanique de la fiscalité. Je ne peux pas être plus précis, car il s’agit ensuite de la marge de manœuvre des fournisseurs. Leur seule limite est cette interdiction, qui s’impose à tous, de vendre à perte. Elle est d’ailleurs très difficile à contrôler.
Qu’est-ce que le Gouvernement vous propose ? Nous entendons définir une façon plus simple, plus lisible et peut-être plus adaptable, de déterminer le poids de la fiscalité.
Actuellement – c’est un premier pas –, nous vous demandons de fixer, sur notre proposition, une fiscalité qui s’exprime en fonction non plus des prix de l’année précédente, mais du niveau que vous souhaitez – que nous souhaitons – appliquer.
Notre proposition figure en deux endroits de ce texte. Tout d’abord, le principe est le suivant : nous proposons de fixer le prix en euros pour mille cigarettes, au lieu de le calculer en référence aux prix suivant les classes de tabac de l’année précédente, selon un mécanisme auquel même un agrégé de mathématiques ne peut pas comprendre grand-chose…
Un peu plus loin dans le texte, nous vous soumettons un niveau de fiscalité. Pour l’année 2015, c’est strictement le même niveau qu’en 2014, mais converti en euros par mille cigarettes. Certains nous accusent de faire ainsi un cadeau aux fabricants. Or ce n’est pas le cas : nous ne modifions pas le niveau de fiscalité de 2015 par rapport à celui de 2014. D’autres affirment que l’État va perdre de l’argent. Néanmoins, cela dépend du volume des ventes légales dans le pays !
Monsieur le rapporteur général, vous l’avez rappelé, et j’aurais dû commencer par-là, la fiscalité française est de loin la plus lourde des pays d’Europe continentale. J’habite à côté du Luxembourg, certains d’entre vous sont voisins de l’Espagne, de la Belgique ou d’Andorre. Or au Luxembourg, le paquet d’une marque célèbre de cigarettes coûte 5 euros, contre 7 euros en France. Comme vous l’imaginez, aucun buraliste ne peut vivre de son métier dans un rayon de cent kilomètres autour de la frontière.
Pour acheter des cigarettes au Luxembourg, les gens viennent même des Vosges ! J’ai ainsi assisté à un contrôle de la douane durant lequel des habitants de ce département ont été arrêtés. Ils ont admis partir le week-end remplir leur coffre de tabac, pour toute la famille.
Aussi, plus nous augmentons la fiscalité, moins les recettes rentrent. Les études des buralistes estiment le commerce illégal à 25 % du total, entre le marché noir et les achats frontaliers ou par correspondance, notamment sur internet. J’ignore si ce chiffre est exact, mais nous perdons entre 50 millions d’euros et 100 millions d’euros par an, malgré les hausses de taxes. En 2014, les recettes ont baissé de 100 millions d’euros par rapport à 2013. Certes, sur une douzaine de milliards d’euros, cela ne représente pas un effondrement, mais il s'agit pour le moins d’un plafonnement. Or la fiscalité pour 2014 avait été augmentée par rapport à 2013.
En poursuivant l’augmentation, nous nous exposons probablement à un phénomène identique, auquel s’ajoute la croissance de la cigarette électronique, d’autant que certaines personnes, peut-être, n’entrent pas dans la dépendance au tabac, ce dont il faut nous féliciter. Pour toutes ces raisons, les recettes plafonnent, pour le moins, voire commencent à baisser.
En parallèle, nous estimons faire preuve de responsabilité en mettant l’accent sur une politique de santé, dont vous avez sans doute entendu les échos, comme moi-même à mon domicile personnel et Marisol Touraine à sa permanence électorale. La mise en place du paquet neutre, en particulier, fait hurler les buralistes.
Responsable, également, est l’interdiction de l’achat sur internet, que nous mettons en œuvre. Aujourd’hui, seule la vente est prohibée. Nous y ajoutons l’achat, de manière à augmenter la pression. Ces dispositions permettront de mieux contrôler les échanges sur internet.
Cela ne suffira sans doute pas, mais nous avons déjà commencé à travailler avec les sociétés de livraison de colis. En me rendant avec les services des douanes dans un centre de tri postal, j’ai constaté que nous disposions en effet de moyens de détection, de chiens et d’autres dispositifs que je ne détaillerai pas devant vous, grâce auxquels nos agents sont capables de repérer de tels achats. Ils surveillent également la provenance, la forme des envois et bien sûr la présence d’adresses qu’ils connaissent, entre autres.
Cette politique nous paraît équilibrée et vise à préserver les objectifs de santé, dont Marisol Touraine s’est fait la représentante, quand j’essaie, pour ma part, d’entretenir des relations avec le réseau des buralistes pour permettre leur maintien en milieu rural. Nous travaillons avec eux sur certains aspects de cette question, même si ce n’est manifestement pas simple, actuellement.
En 2015, nous proposons donc de maintenir le même niveau de fiscalité. Cette mesure profitera-t-elle aux fabricants ? Je ne vois pas pourquoi ce serait le cas. Fera-t-elle perdre de l’argent à l’État ? Je ne sais pas.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous ai décrit la situation telle qu’elle est aujourd’hui. Une autre simulation fondée sur des chiffres de 2012, de 2011 ou de je ne sais quand pourrait toujours être établie, mais je ne vois pas en quoi elle améliorerait votre information.
Pardonnez-moi d’avoir été si long, monsieur le président. Entre le lobby du tabac et celui des antitabac, j’ai lu beaucoup de déclarations, voire d’accusations de la part des uns et des autres.
J’ai été attaqué, ce qui n’est pas un problème, mais certains de vos collègues l’ont été également, au sujet de récentes séances à l’Assemblée nationale. Il était temps de m’exprimer d’une manière claire sur ce sujet difficile qui mêle politique de santé, politique fiscale, politique du réseau des buralistes, avec ses dimensions sociales, et j’ajouterais volontiers politique des fabricants, même si les acteurs nationaux se réduisent comme peau de chagrin.
La proposition qui vous est faite et que certains interprètent dans un sens selon moi excessif me paraît donc équilibrée. Aussi, le Gouvernement demande le retrait de ces amendements identiques, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.