Intervention de Jérôme Bignon

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 16 décembre 2014 : 1ère réunion
Ratification de l'amendement au protocole de kyoto du 11 décembre 1997 — Examen du rapport pour avis

Photo de Jérôme BignonJérôme Bignon, rapporteur pour avis :

L'actualité de ce texte ne pourrait pas être plus brûlante en effet, quelques jours seulement après l'exhortation de Ban Ki-moon. La question du réchauffement climatique se pose depuis une trentaine d'années. À l'incompréhension a succédé le doute, avant qu'un consensus scientifique se dégage sur la réalité du phénomène. La prise de conscience de l'urgence à agir est désormais collective et largement répandue dans la société civile. La conférence de Paris de l'année prochaine sera la vingt-et-unième conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, initiée à Rio en 1992. Les enjeux actuels sont remarquablement présentés dans la note de décryptage de Pierre Radanne, accessible sur Internet dans plusieurs langues et que nous diffuserons plus largement au Sénat. Je remercie le président Maurey de sa perspicacité : nous montrons l'utilité de la commission du développement durable en nous saisissant de ce texte.

Le protocole de Kyoto, signé en 1997, est entré en vigueur en 2005. C'est le premier accord mondial contraignant sur le climat, et le seul à ce jour. Il fixe des objectifs de limitation des émissions de gaz à effet de serre aux pays développés comme aux économies en transition, et marque le point de départ d'un processus itératif visant à renforcer les contraintes pesant sur 193 pays, éloignés tant par la géographie que par leur niveau de développement... Autant dire que la construction de la tour de Babel était plus aisée ! De manière originale, le protocole de Kyoto ouvre la possibilité aux États d'atteindre leurs objectifs en réduisant directement leurs émissions ou en finançant des projets verts à l'étranger grâce aux systèmes de mise en oeuvre conjointe et au mécanisme de développement propre. La France devait, entre 2008 et 2012, réduire ses émissions de 8 % par rapport à 1990.

Le bilan de la première période d'engagement 2008-2012 est mitigé. Les États-Unis, qui ont cédé à la Chine leur place de plus gros émetteur mondial, n'ont jamais ratifié le protocole de Kyoto ; le Canada s'en est retiré fin 2012 pour ne pas avoir à répondre du manquement à ses obligations. Au total, les États parties ont obtenu un résultat six fois meilleur que les objectifs de départ, mais seuls les pays d'Europe ont dépassé leurs objectifs, huit des 36 États concernés ayant dû recourir aux mécanismes de flexibilité pour se conformer à leurs engagements. Le respect du protocole de Kyoto résulte en vérité moins des adaptations apportées au mix énergétique que de la tertiarisation des économies des pays en développement. Au niveau mondial, entre 1990 et 2010, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 30 %. Elles ont progressé de 18,5 % au Canada et de 9,5 % aux États-Unis.

C'est le coeur du problème : le protocole de Kyoto, conçu pour établir les engagements de pays développés qui représentaient en 1997 plus de la moitié des émissions mondiales, ne reflète plus la réalité des contributions au réchauffement climatique. La défection des États-Unis a réduit la couverture de la première période d'engagement à 39 % des émissions totales ; la deuxième période d'engagement n'en couvre que 15 %.

Le principe de cette deuxième période a été adopté à la suite de la conférence de Copenhague, qui a marqué un certain recul de la mobilisation collective, en retenant une logique d'engagements volontaires individuels non contraignants. Il a été consacré par l'amendement de Doha, adopté en 2012 à l'initiative de l'Union européenne et à la demande des pays en développement, que nous devons à présent ratifier. Cette deuxième période prolonge l'application du protocole de Kyoto de 2013 à 2020 en fixant un objectif de réduction des émissions d'au moins 18 % par rapport aux niveaux de 1990. De plus, elle prend en compte un septième gaz à effet de serre : le trifluorure d'azote, ou NF3. Cet ajout est capital, puisque ce gaz, que l'on a cru bon de substituer aux hydrofluorocarbures après la signature de la convention de Vienne sur la protection de la couche d'ozone, a la caractéristique épouvantable d'être 17 000 fois plus émetteur de gaz à effet de serre que le CO2. Enfin, l'amendement de Doha introduit de la souplesse dans le dispositif en laissant à chaque partie la possibilité de se fixer des objectifs plus ambitieux.

Il entrera en vigueur le 90e jour suivant la date de réception, par les Nations unies, des instruments d'acceptation d'au moins trois quarts des parties. À ce jour, seulement 21 États sur 144 ont déjà transmis les leurs. L'Union européenne prépare l'adoption d'une décision traduisant l'engagement de l'Union européenne à ratifier l'amendement avant le 16 février 2015 et de faire en sorte que tous les instruments d'acceptation des États membres soient déposés simultanément à l'ONU. Lors de la conférence de Lima, Ban Ki-moon et Christiana Figueres, secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, ont appelé à une ratification rapide de l'amendement par tous les États parties. L'amendement de Doha fait ainsi la jonction avec le nouvel accord ambitieux et universel qui doit être conclu à la COP 21 à Paris en décembre 2015.

Un mot sur les négociations en cours. Un accord a été adopté de justesse ce week-end au Pérou, après 36 heures de prolongation de la conférence - Ronan Dantec et Louis Nègre y étaient. Les négociations ont achoppé sur deux points. D'abord, sur le principe de la différenciation, en vertu duquel les pays industrialisés, qui sont les principaux responsables du réchauffement, doivent aider les pays en développement à tenir leurs engagements. Les pays d'Afrique francophone, avec lesquels nous avons des échanges plus aisés, y insistent beaucoup. Or les pays développés restent réticents à contribuer au Fonds vert. Ce serait évidemment plus simple si le taux de croissance mondiale était de 5 % ; malheureusement, ce n'est pas le cas. Si l'accord de Lima rappelle le rôle des pays développés dans le soutien financier aux pays plus vulnérables, il reste muet sur la question du financement. Le principe de différenciation sera au coeur de la préparation de la conférence de Paris.

Deuxième pierre d'achoppement : les contributions nationales. L'idée de présenter de telles contributions au cours de l'année 2015 traduit la volonté de ne pas réitérer l'échec de Copenhague et de rompre avec la logique verticale du protocole de Kyoto. Le résultat de la conférence de Lima est en-deçà des attentes : les contributions que les États sont invités à communiquer seront finalement dépourvues d'informations obligatoires et n'afficheront que la progression par rapport à la situation actuelle. Leur examen par un tiers au cours de l'année 2015 a été envisagé, puis abandonné dans le document final de la conférence. Celui-ci évoque simplement un rapport de synthèse remis au secrétariat exécutif d'ici le 1er novembre 2015, et non plus au premier trimestre ou au premier semestre comme cela avait été envisagé, soit quelques semaines seulement avant la conférence de Paris...

L'accord de Lima reste vague sur les actions à mener d'ici 2020, date d'entrée en vigueur supposée de l'accord de Paris. Le paragraphe 17 ne fait qu'encourager les parties à mettre en oeuvre le présent amendement au protocole de Kyoto. Son annexe de 37 pages, qui constitue le brouillon de l'accord de Paris, est bonne tant dans son architecture que sur le fond ; mais des dizaines d'options restent ouvertes. Reste à obtenir sa validation par les États, paragraphe par paragraphe, selon la technique des crochets. Bref, Lima met en lumière l'écart entre l'état actuel des négociations et l'ambition d'un accord universel et juridiquement contraignant en 2015. Si la prise de conscience de la réalité du changement climatique est plus nette et mieux partagée qu'à Copenhague, notamment grâce au dernier rapport du GIEC, la crise économique a conduit à une réduction du soutien financier aux pays en développement. La mobilisation des sociétés civiles sera essentielle pour obtenir un accord ambitieux et équitable. Le slogan de la conférence de Lima, pon tu parte, ou « prends ta part », souligne l'importance de l'action individuelle.

Le temps ne joue pas en notre faveur, a souligné Ban Ki-moon. Les Français ont d'ailleurs été frappés par la météo fictive d'Evelyne Dhéliat annonçant une température de 42 degrés sur les plages niçoises en 2050... Inondations, sécheresses et événements climatiques extrêmes se multiplient en Europe, en Asie et aux États-Unis. Depuis Copenhague, où les erreurs tactiques des diplomates ont conduit à l'échec, la confiance a été quelque peu ébranlée. Espérons qu'elle soit restaurée à Paris où les problèmes financiers resteront incontournables. Résolument optimiste par nature, je veux y croire. Je souhaite bon vent aux négociateurs et vous propose d'émettre un avis favorable au projet de loi de ratification de l'amendement au protocole de Kyoto.

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