Intervention de Claudine Lepage

Réunion du 18 décembre 2014 à 14h45
Adaptations au droit de l'union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel — Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Claudine LepageClaudine Lepage :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis de la transposition des trois directives qui nous retient aujourd’hui.

Ces trois textes ne présentent aucun lien entre eux, si ce n’est de relever, tous, de votre compétence, madame la ministre, car ils visent à régler des situations concernant, d’une part, les acteurs du monde de la musique et les auteurs d’œuvres de l’esprit et, d’autre part, les biens publics. Ils ont néanmoins tous les trois pour objectifs d’améliorer des situations particulières, de reconnaître des droits supplémentaires et de lutter contre les importations illicites de trésors nationaux au sein de l’Union européenne.

La première directive aborde le sujet des droits voisins, toujours délicat, car interférant avec le droit d’auteur.

On le sait, les artistes-interprètes constituent les parents pauvres du secteur en termes de juste rémunération pour exploitation de leurs prestations ; ils constituent la catégorie de titulaires de droits voisins la moins bien rémunérée.

Je ne peux donc que me réjouir de l’allongement, par la directive que nous transposons, de la durée de protection de leurs droits patrimoniaux et de leur alignement sur celles post mortem dont bénéficient les ayants droit des auteurs.

Outre le fait que nous sommes en retard dans la transposition de cette directive et que ce retard prolongé risque de coûter très cher à la France, il est grand temps de prendre en considération plusieurs facteurs justifiant l’allongement de la durée de protection des artistes-interprètes et des producteurs de disques.

D’abord, il ne me semble pas inutile de rappeler que les artistes-interprètes jouent un rôle primordial dans l’accès à l’œuvre d’un auteur et dans son succès ; sans interprétation, l’œuvre musicale est vouée à tomber dans l’oubli et, dans ce cas, son auteur aura peu de chance de toucher une quelconque rémunération au titre du droit d’auteur.

L’allongement de l’espérance de vie entraîne, par ailleurs, une extinction de plus en plus fréquente des droits patrimoniaux du vivant des artistes-interprètes, à un moment où ces derniers n’ont généralement plus d’activité professionnelle et des revenus décroissants. Nombreux sont les artistes qui se retrouvent dans une situation de grand dénuement à un âge avancé. On peut souhaiter que l’allongement de la durée des droits patrimoniaux permette aux titulaires de droits voisins concernés de percevoir des revenus durant l’intégralité de leur vie.

L’extinction de leurs droits rend également leurs titulaires, et plus particulièrement les artistes-interprètes, très démunis face à des usages discutables de leurs prestations qui peuvent porter atteinte à leur œuvre ou à leur nom, sans qu’ils ne puissent plus contester les utilisations qui en sont faites.

Ces arguments valent aussi pour les autres catégories de titulaires de droits voisins, tels les producteurs de disques. L’extension de la durée de protection va surtout leur fournir des recettes supplémentaires provenant de la vente de musique en magasin et en ligne. Cet allongement de durée de droits devrait aider notamment les producteurs à s’adapter aux mutations rapides du marché et à favoriser des investissements supplémentaires pour faire émerger de nouveaux talents.

Enfin, l’allongement de la durée des droits voisins devrait permettre d’en limiter les distorsions de concurrence dues aux différences de durée de protection entre les États importateurs de musique et ceux qui en sont exportateurs. Je rappelle – même si cela dépasse le champ de la directive – que l’Europe est encore éloignée des États-Unis sur la question de la durée de protection des droits des producteurs de phonogrammes qui, outre-Atlantique, est de quatre-vingt-quinze ans.

J’en viens aux œuvres orphelines, une cause qui tient particulièrement au cœur des sénateurs du groupe socialiste.

C’est par un amendement des sénateurs socialistes qu’avait été introduite, dans le code de la propriété intellectuelle, la définition de l’œuvre orpheline, lors des débats qui devaient conduire à l’adoption de la loi du 1°mars 2012 relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle.

Désormais, l’article L. 113-10 de ce code dispose que : « L’œuvre orpheline est une œuvre protégée et divulguée, dont le titulaire des droits ne peut pas être identifié ou retrouvé, malgré des recherches diligentes, avérées et sérieuses.

« Lorsqu’une œuvre a plus d’un titulaire de droits et que l’un de ces titulaires a été identifié et retrouvé, elle n’est pas considérée comme orpheline ».

Je me réjouis que le présent projet de loi ne touche pas à cet article, sinon pour en préciser la portée. Nous avions souhaité calquer la rédaction de cet article sur celle de la directive, et je m’en félicite ! La CMP nous avait d’ailleurs donné raison, préférant notre définition à celle que proposaient alternativement les députés.

Un petit regret, cependant : le champ de la directive – et donc le droit français désormais – n’appréhende, au titre des œuvres orphelines qui seront désormais protégées, ni les photos, ni les images fixes, pourtant souvent accompagnées de la mention « DR », pour « droits réservés ». Par l’insertion de ces deux lettres, l’utilisateur d’une œuvre photographique pourra continuer à la reproduire sans respecter ni le droit moral - maîtrise des conditions de cession de l’œuvre - ni les droits patrimoniaux de l’auteur – absence de négociation sur des contreparties pour la reproduction de l’œuvre.

L’exception « bibliothèques », qui figurait à l’article L. 134-8 du code de la propriété intellectuelle – grâce, une nouvelle fois, à un amendement déposé par les sénateurs socialistes à la même loi du 1er mars 2012 – et autorisait les bibliothèques à exploiter gratuitement, sous certaines conditions, sur support numérique, les livres indisponibles figurant dans leurs fonds, est reprise par le projet de loi, mais déplacée dans le nouvel article L. 135-2 du code de la propriété intellectuelle. L’exception sera même élargie aux musées, services d’archives, institutions procédant au dépôt légal d’archives cinématographiques ou sonores et aux établissements d’enseignement.

Cet accès facilité aux œuvres pour de nombreux publics ne peut que nous réjouir.

J’en viens à la dernière directive, qui prévoit la restitution des trésors nationaux sortis illicitement d’un État membre.

Ce texte permettra de résoudre d’éventuels contentieux entre États membres concernant des biens anciens de leurs collections, rapportés dans des conditions parfois douteuses de leur lieu de création ou de conservation initial.

Il nous est arrivé par le passé de légiférer pour déclasser un bien d’une collection de musée, un trésor national, à ce titre inaliénable, afin de pouvoir le restituer à son état d’origine. Certes, il s’agissait de biens dont l’origine était extracommunautaire

Ainsi, le vote de la loi du 6 mars 2002 a autorisé la restitution des restes de la « Vénus hottentote » à l’Afrique du Sud. Il s’agissait d’un bien d’une collection publique du musée de l’Homme présentant donc un caractère inaliénable. La loi a permis le déclassement de ce bien afin qu’il puisse sortir du territoire français et être rendu à l’Afrique du Sud.

En 2009, sur l’initiative de Mme Catherine Morin-Desailly, aujourd’hui présidente de la commission de la culture, nous nous étions également saisis d’un texte, devenu la loi du 18 mai 2010, visant à déclasser une tête humaine maorie tatouée, momifiée et conservée en dépôt depuis 1875 dans les collections du muséum municipal d’histoire naturelle, d’ethnographie et de préhistoire de Rouen, afin de pouvoir la restituer à la Nouvelle-Zélande.

Quant à la directive que nous transposons ce jour, elle visait plus particulièrement les marbres du Parthénon, volés au début du XIXe siècle par Lord Elgin, alors ambassadeur à Constantinople, et conservés depuis au British Museum...

Soulignons que, pour ce qui a trait aux biens français, les œuvres « rapportées » par Napoléon de ses campagnes, appartenaient à des États non membres de l’Union européenne et ne rentreront donc pas dans le champ d’application du texte transposé.

Les trésors nationaux qui pourraient être concernés par le champ de la future loi sont ceux qui ont été acquis illicitement par la France et les autres États membres. En aucun cas les collections de peintures et de sculptures acquises régulièrement pour des collections royales ne seront concernées.

La plupart des cours européennes, depuis la Renaissance, envoyaient partout dans les autres cours d’Europe des émissaires chargés de repérer les artistes les meilleurs, de leur acheter des œuvres ou de leur passer des commandes, pour le compte du souverain, voire de les débaucher.

Ce mercato des plus grands artistes – un mercato avant l’heure- a permis la perméabilité des différentes écoles d’art, dès la Renaissance et leur enrichissement mutuel par apprentissage d’autres techniques.

Pour en revenir au sujet qui nous occupe, tous les artistes attirés en France par François Ier, tels les peintres maniéristes de Florence – le Rosso ou le Primatice – ou Léonard de Vinci, ont permis à notre pays de se constituer les bases de ses collections royales, devenues ensuite les collections nationales des musées de notre pays. Ces biens, acquis tout à fait licitement par la France, ne sont aucunement appelés à être restitués sur la base de la directive que nous transposons.

Je me réjouis que les trois textes que nous examinons cet après-midi procèdent à des avancées dans le secteur culturel et artistique, en permettant de régler des questions parfois épineuses, notamment sur le plan diplomatique, et des situations individuelles injustes.

Les sénateurs socialistes apporteront leur entier soutien au projet de loi de transposition.

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