Intervention de Christian Favier

Réunion du 16 décembre 2014 à 14h30
Nouvelle organisation territoriale de la république — Discussion générale

Photo de Christian FavierChristian Favier :

Nos institutions locales vont se transformer en outils au service de la concurrence entre les territoires, et les politiques publiques en marchandises.

Dans le même temps, le principe d’égalité des territoires, cher à la gauche, se dilue, celui de fraternité a toujours autant de mal à s’affirmer et les libertés locales sont toujours plus encadrées.

Dans une société de plus en plus inégalitaire se met en place une nouvelle organisation de l’action publique à son image, fondée sur les inégalités entre les territoires, où toute ambition pour les réduire a été de fait abandonnée.

Alors que les tenants de la pensée libérale ne cessent de clamer, contre toute réalité, qu’il faudrait plus de riches pour qu’il y ait moins de pauvres, nous sommes appelés, à partir de ce même précepte, à créer des institutions locales « riches », pour qu’il y ait prétendument moins de territoires « pauvres ». Or chacun sait qu’en nous éloignant d’un aménagement du territoire équilibré et harmonieux, construit dans la proximité, nous allons, au contraire, renforcer les poches de pauvreté en dehors et au sein de ces territoires dits plus favorisés que les autres.

C’est dans ce contexte que nous venons de terminer nos débats sur les nouveaux périmètres de nos super-régions et que nous entamons la discussion sur le projet de nouvelle organisation territoriale de la République. Seulement, depuis plusieurs mois, l’absence de lisibilité de cette réforme de nos institutions locales est sans cesse renforcée par des prises de position changeantes du Gouvernement. Ainsi, madame la ministre, après le discours du Premier ministre laissant entendre que la fin des conseils départementaux n’était plus d’actualité, vous avez déclaré devant notre commission : « La suppression des départements suppose la majorité nécessaire à une révision constitutionnelle. Nous avons cinq ans pour élaborer une solution ». Pour vous, l’objectif de suppression des départements demeure donc.

Une chose est sûre, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui, dans sa version gouvernementale, organise bel et bien l’évaporation des départements, préconisée par la commission Balladur en son temps. Dans ces circonstances, nous nous félicitons que la commission des lois ait rejeté à la quasi-unanimité les articles qui prévoyaient de déshabiller les départements au profit des régions, tout en regrettant qu’elle n’ait pas fait de même complètement pour les transferts de compétences des départements vers les métropoles. Il est dommage qu’elle soit restée au milieu du gué dans sa défense de l’échelon départemental.

Par ailleurs, en renforçant la compétence économique des régions, objectif que nous pouvons entendre et même approuver, le Sénat s’apprête à remettre en cause le principe de libre administration pour les communes et les départements en les plaçant sous la tutelle des régions, mais la nouvelle majorité sénatoriale de droite n’a malheureusement pas l’exclusivité du double langage.

Ainsi, le Gouvernement a fait adopter en décembre dernier, avec la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, ou loi MAPTAM, le rétablissement de la compétence générale, pour les régions et les départements. Vous disiez alors, madame la ministre, qu’il s’agissait là d’un « marqueur de gauche » et d’un engagement décentralisateur. Comment comprendre que vous proposiez aujourd’hui de leur retirer cette compétence générale ? Devons-nous en conclure que, désormais, le Gouvernement recherche des « marqueurs de droite » et un engagement recentralisateur ?

Toujours dans la loi MAPTAM, vous décidez de nommer les régions chef de file du développement économique. Cette loi n’est pas encore appliquée que vous revenez sur cette mesure et transformez, dans le projet de loi NOTRe, les régions en collectivités « responsables » du développement économique, concept juridique inexistant, non prévu dans notre Constitution.

On a parfois l’impression d’une navigation à vue, même si l’on doit reconnaître que vous gardez le cap : concentrer les pouvoirs locaux entre les mains de grandes intercommunalités, organiser l’évaporation des communes et des départements, renforcer les compétences régionales, réduire la libre administration des collectivités territoriales, tenter de les hiérarchiser, réduire leurs ressources et mettre sous contrôle leurs dépenses. C’est parce que l’ensemble de ces ingrédients sont tous contenus dans le projet de loi que nous le contestons, comme nous avons rejeté les précédents qui étaient de la même veine.

Nous aussi, nous gardons le cap. Nous continuons d’affirmer que le « millefeuille » est une grossière affabulation, que l’avenir appartient aux communes, aux départements et aux régions, travaillant avec un État stratège garant de l’égalité des citoyens.

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