Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 16 décembre 2014 à 14h30
Nouvelle organisation territoriale de la république — Discussion générale

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Plus de millefeuille, mais un pudding, et une machine bureaucratique autobloquante !

De fait, mes chers collègues, la suppression de la clause de compétence générale des collectivités territoriales a pour contrepartie l’obligation de désigner des attributaires pour toutes les compétences, même celles que l’on ne peut pas imaginer aujourd’hui, et d’admettre l’existence de compétences partagées, quelque forme qu’elles prennent : sous-traitance, ou délégation, comme l’on dit, coopération, ne serait-ce que financière, ou contractualisation, à travers des conventions territoriales d’exercice partagé – entre autres possibilités. Bonjour la simplification et l’efficacité du service public !

Cette suppression a aussi pour contrepartie la multiplication de plans et de schémas destinés à coordonner ce que l’intérêt local ne peut plus organiser naturellement : des plans et des schémas en principe co-élaborés, mais qui s’imposeront aux exécutants, parfois sans engagement financier du décideur. Créer des compétences exclusives et les faire financer par d’autres, cela est certes habile, mais c’est l’échec garanti !

Attribuer à la région une compétence exclusive en matière économique, c’est, comme Gérard Collomb l’a fait remarquer en commission des lois la semaine dernière, empêcher les métropoles d’être des moteurs économiques et d’innovation, alors que c’est pour cela qu’elles ont été créées.

Permettez-moi de le citer : « Le schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire prescrit mais nous laisse le soin de financer ce qu’il a décidé ! Il est facile de décider si cela ne coûte rien... Quand chacun y sera allé de sa mesure, comment les villes feront-elles pour suivre ? Avec quels moyens ? L’Association des maires de grandes villes et celle des communautés urbaines de France sont hostiles à ce texte, qui va à l’encontre de la loi MAPTAM. »

Le nombre des amendements déposés sur le présent projet de loi est le signe de cette inquiétude générale. Avec des compétences d’attribution, qui aura la responsabilité de garantir l’approvisionnement du territoire en eau, d’assurer l’ingénierie publique, de subventionner l’Institut du droit local alsacien-mosellan et la brigade verte d’Alsace-Moselle, voire les sociétés de sauvetage en mer ? Encore ne sont-ce là que quelques-uns des problèmes soulevés par les auteurs des amendements.

En vérité, toute lacune dans la liste des attributaires sera une occasion de conflit avec une tutelle en général plus sensible à la lettre des textes qu’à leur esprit.

Ces observations faites, je reconnais volontiers l’effort de réécriture méritoire accompli par les rapporteurs. En effet, le texte de la commission rend sa viabilité à un département que le projet gouvernemental réduisait à un rôle de financeur – une sorte de « CAF bis ». La suppression de l’obligation de constituer des intercommunalités de 20 000 habitants ainsi que celle de la mise à l’amende des collectivités territoriales pour manquement aux obligations européennes sont aussi à mettre à l’actif de la commission.

Malheureusement, la logique du projet gouvernemental n’a pas changé. Or, même si le Gouvernement ne manque pas une occasion de prétendre le contraire, cette logique n’est pas celle de la décentralisation, qui est politique : donner le pouvoir aux élus et, en dynamisant la démocratie locale, améliorer la gestion des collectivités territoriales et rendre l’action de celles-ci plus efficace.

Rien à voir avec l’inspiration du présent projet de loi, qui renoue avec la logique managériale de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales. Celles-ci étant conçues comme des entreprises en lutte sur un champ concurrentiel, il convient de stimuler leur compétitivité par la concentration et la spécialisation. D’où la recherche sans fin de la bonne distribution des compétences selon les échelons territoriaux, ainsi que la volonté d’éradiquer toutes les structures qui, à l’instar des syndicats ou des pays, débordent du schéma. D’où, aussi, la volonté de débarrasser les plus performantes des collectivités territoriales de la charge des territoires moins productifs ; c’est le sens, selon moi, de la mise sur orbite des métropoles.

Sans se demander ce que signifie « compétitivité » pour un territoire, on entreprend de réorganiser la division du travail au sein de l’usine administrative pour la rendre plus performante, et ainsi, dit-on, augmenter la compétitivité du pays, favoriser le retour de la croissance, développer les solidarités et assurer la transition écologique ; telle est la propagande officielle !

Comment la nouvelle répartition des tâches au sein de l’administration territoriale, l’augmentation de la taille des régions et la disparition des départements amélioreront-elles la balance commerciale de la France et doperont-elles son taux de croissance, tout en développant la solidarité entre les concitoyens et en refroidissant la planète ? Mystère !

À la vérité, c’est une affaire de foi, car, depuis sept ans que les réformes se succèdent, aucun résultat n’a été obtenu, sinon la montée du chômage, le creusement des inégalités, la stagnation économique, la persistance, puis l’aggravation des déficits publics et l’approfondissement de la crise sociale et politique.

Mes chers collègues, ce n’est certainement pas ce projet de loi, même amendé, qui inversera ce processus mortifère. C’est pourquoi je ne le soutiendrai pas !

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