Intervention de Sylvie Robert

Réunion du 16 décembre 2014 à 14h30
Nouvelle organisation territoriale de la république — Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Sylvie RobertSylvie Robert :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de citer quelques extraits de l’appel contre l’effritement du réseau culturel, lancé la semaine dernière par de nombreux acteurs du secteur. Ils reflètent une inquiétude objective concernant l’avenir de la politique culturelle en France.

« Une conjonction d’éléments peut faire disparaître la culture à grande vitesse s’il n’y a pas un sursaut. » « C’est tout le réseau issu de la décentralisation qui est menacé d’effondrement. » « Un peu partout, les budgets de la culture sont la première victime des restrictions budgétaires ».

Si nous voulons éviter, en tant que parlementaires de la République et élus locaux, la fragilisation du secteur, il devient impérieux de refondre le pacte culturel entre l’État et les collectivités territoriales et de rappeler la responsabilité des uns et des autres. En effet, depuis les lois Defferre, mais plus encore depuis le Conseil national de la Résistance, la politique publique de la culture et des arts de notre pays a constitué un modèle exceptionnellement singulier en Europe, caractérisé par l’intervention conjointe des collectivités territoriales et de l’État, par la multiplicité des acteurs, tant déconcentrés que décentralisés. Grâce à la libre intervention de chacun, fondée sur une véritable volonté politique, l’action publique de la culture a favorisé l’émergence et la pérennisation de projets culturels qui ont structuré les territoires et animé la vie des hommes.

Il est d’ailleurs amusant de constater que l’idée même de culture, qui implique la liberté de penser le monde pour en faire jaillir une création unique, a fortement influencé la politique territoriale culturelle française.

Pour autant, ce nouvel acte de décentralisation, dont le projet de loi présentement examiné est la traduction, a une logique toute différente, celle de la clarification par bloc de compétences, sauf, je l’ai dit, pour la culture, le sport et le tourisme. À la suppression de la clause générale de compétence pour les régions et les départements doit correspondre une vision ordonnée et moderne de l’organisation territoriale, gage de rationalisation et de lisibilité.

Le Gouvernement montre par ce texte son ambition pour les territoires, ce après la loi MAPTAM, qui consacrait le devenir des futures métropoles de notre pays et proposait les outils de la gouvernance publique, manifestant ainsi sa confiance non seulement dans l’intelligence territoriale, mais aussi dans la différenciation territoriale.

La décentralisation doit s’adapter à la société d’aujourd’hui. Ce projet de loi n’est aucunement un reniement de celle qui a été imaginée au XXe siècle ; il n’en est que le prolongement actualisé. Comme les pères fondateurs de cette politique libératrice, nous devons édifier ensemble et à partir des pierres posées par ces premiers architectes la décentralisation du XXIe siècle, fondée sur des valeurs d’égalité et de solidarité.

Cependant, la modernité ne peut être aveuglée par l’idéologie du « changement pour le changement ». La réussite du modèle culturel et sportif français est une réalité. Elle nous conduit à le confirmer et à définir, en conséquence, la culture et le sport comme des compétences partagées entre les collectivités territoriales. C’est tout l’objet de l’article 28 – il aurait pu également embrasser la vie associative dans son ensemble – de ce projet de loi, et nous nous en félicitons.

Car nous savons que c’est grâce à la multiplicité et à la diversité des interventions publiques, modèle unique en Europe, que notre pays se trouve ainsi maillé d’équipements culturels et sportifs.

Toutefois, dans un contexte de contrainte budgétaire et dès lors que certaines collectivités territoriales auront des compétences obligatoires, il convient impérativement de veiller à ce que la culture et le sport, compétences partagées, je le répète, ne deviennent pas des compétences résiduelles, voire optionnelles. Ces compétences ne peuvent dépendre ni du reliquat budgétaire à disposition des collectivités ni de l’appétence personnelle des élus pour ces domaines caractéristiques de l’expression du corps et de l’esprit.

Il s’agirait d’une funeste palinodie pour les mouvements culturel et sportif et, par-delà, d’une atteinte insupportable au rayonnement de la France et à la qualité de vie de nos concitoyens.

À ce titre, il est fondamental de rappeler que, par ses arbitrages et ses décisions, chaque collectivité a une responsabilité majeure dans le développement ou, a contrario, l’absence de développement culturel et sportif de son territoire. On peut malheureusement le constater dans certaines villes et collectivités ; cela se ressent fortement

C’est pourquoi nous proposerons que chaque niveau de collectivité territoriale contribue financièrement au développement de l’art et de la culture à l’échelle de son territoire. En effet, soyons honnêtes, la participation de nature financière est la seule marque d’un véritable engagement. L’engagement est élégant lorsqu’il est habillé de mots ; il devient beau lorsqu’il se couvre de faits. §

Parallèlement, nous avons déposé plusieurs amendements, dans une optique constructive, afin d’améliorer la gouvernance territoriale, que l’État se doit d’accompagner et de soutenir ardemment, quant à l’exercice des compétences partagées. C’est toute la philosophie de ce texte et de nos propositions.

Je défends notamment des schémas territoriaux de développement culturel et de développement sportif – dans ce dernier domaine, cela se fait déjà –, non prescriptifs. Ils pourront être élaborés dans le cadre des conférences territoriales de l’action publique. Ce sera un gage de meilleure organisation de l’action publique, adaptée aux spécificités territoriales.

De la même manière, mes chers collègues, il faut se souvenir que la décentralisation culturelle ne s’est jamais construite contre l’État. Au contraire, le dialogue entre les services déconcentrés de l’État et les collectivités territoriales a été propice à l’avènement de nombreux projets culturels, désormais parfaitement intégrés au paysage national.

Mais d’un État qui se veut encore trop prescripteur, nous devons tendre vers un État partenaire, garant d’un égal accès à la culture pour toutes et tous, singulièrement pour les plus jeunes, et sur tous les territoires. Aussi l’étape future devra-t-elle être l’adaptation des missions de l’État à la nouvelle organisation territoriale.

Pour terminer, je me permets d’en revenir à l’appel contre l’effritement du réseau culturel selon lequel il faut que la culture – cela vaut également pour le sport – ait une place particulière dans la future loi de réforme territoriale et que l’État garantisse son maintien et son développement partout sur le territoire, ainsi que la création.

À titre personnel, je suis convaincue que la liberté est inhérente à l’idée de culture, donc à la politique publique de la culture. Selon les écrits si intelligents de Jean Grenier, philosophe ami de Louis Guilloux, il n’y a pas de culture sans liberté de la culture, il n’y a pas de culture de la pensée sans liberté de pensée. Les collectivités territoriales doivent continuer à être libres d’agir pour la culture, afin d’« offrir aux gens, comme le disait Jean Vilar, ce qu’ils ne savent pas encore qu’ils désirent ». §

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