Intervention de Cécile Cukierman

Réunion du 16 décembre 2014 à 14h30
Nouvelle organisation territoriale de la république — Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Cécile CukiermanCécile Cukierman :

Où seront l’intelligence et l’innovation territoriales dans de grosses intercommunalités, où, de fait – principe de réalité oblige –, les décisions seront plus éloignées des territoires et des femmes et des hommes qui y vivent et y travaillent ?

Affirmer la compétitivité des territoires, c’est les hiérarchiser ; c’est affirmer qu’il y a des premiers et des derniers.

Or les critères de la compétitivité sont incompatibles avec une organisation territoriale garante pour l’ensemble des territoires de solidarité et de développement.

Pendant longtemps, les territoires ruraux ont été perçus comme des territoires de handicap. Et s’il s’agit de changer de paradigme et de valoriser ce que l’on appelle dans le Massif central leurs « aménités », il ne faut pas oublier que ce sont ces territoires, les femmes et les hommes qui y vivent, qui demeurent les plus fragiles dans un monde de compétition et d’affirmation de la loi du marché.

Je prendrai un exemple : le numérique. Nous connaissons cette problématique : les opérateurs privés développent la fibre dans les zones les plus urbanisées, le long des axes routiers, car, économiquement, c’est pour eux ce qu’il y a de plus rentable, en raison tant du nombre de clients potentiels que de l’utilisation d’infrastructures existantes ou en cours de réalisation. Dès lors, plus on s’éloigne des centres denses, métropolitains, ou des grandes infrastructures de transport, plus l’accès au très haut débit soulève de problèmes. Et même si le numérique n’est pas l’alpha et l’oméga du devenir de ces territoires, nous savons tous que l’accessibilité à cet outil peut contribuer à leur développement ou, à l’inverse, que son absence peut provoquer leur déclin.

À travers cet exemple, c’est bien la question des services publics qui est posée, et non pas simplement celle des services aux publics. Services publics, car ce sont eux qui, en leur, sein intègrent la péréquation de leur coût et assurent un accès égal à toutes et tous. Or dans le texte est entériné le remplacement des services publics par les services aux publics. Ce mot supplémentaire de trois lettres en dit long sur l’organisation de demain.

Avec le présent projet de loi, c’est l’idée même de service public qui est en péril. Cependant, comme, dans son propos, Mme Lebranchu a uniquement parlé de « services publics », je ne doute pas que les amendements déposés par mon groupe visant à supprimer l’article défini « aux » recueilleront un avis favorable.

Nous le savons toutes et tous, ce n’est pas le secteur privé qui, demain, va permettre l’installation de populations dans nos villages, ce n’est pas lui non plus qui va aider l’artisan ou la petite entreprise à s’y installer et à y rester. Ce sont les collectivités, l’État.

Je sais que vous essayerez, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, de vous justifier en affirmant que rien dans ce projet de loi ne l’empêche, et pourtant ! Suppression de la clause de compétence générale des régions et des départements, continuation de l’application de la loi MAPTAM, qui hiérarchise les territoires, poursuite dans l’esprit, malgré les modifications apportées par le Sénat, de la concentration des intercommunalités, des syndicats intercommunaux – c’est sûr, il sera plus juteux pour des opérateurs privés de gérer un gros syndicat des eaux et cette situation sera plus simple que la diversité actuelle, même si nous sommes tous reliés à l’eau.

Alors une seule question se pose : si ces territoires se vident, qui, demain, les occupera et les entretiendra ? Ils ne sont pas à mettre sous cloche ; ce sont non pas des réserves d’Indiens, mais des lieux de vie et d’innovation qui participent à la réussite de la France.

Avec ce texte, le sentiment d’abandon ressenti par les collectivités et les populations rurales va certainement s’accentuer, la démocratie de proximité et le lien social qui se crée autour des associations, des écoles, des bénévoles et des élus locaux vont se fragiliser. Ainsi, si nous sommes favorables au changement de la République, nous sommes opposés au bradage de nos territoires et à leur vente à la découpe.

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