Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens, en préambule, à saluer avec beaucoup de sincérité, ce à maints égards, le travail remarquable des rapporteurs de la commission des lois et des rapporteurs pour avis qui, tous, ont permis d’améliorer le texte initial.
Madame la ministre, vous aviez un rêve : vous affichiez une louable volonté d’adapter l’architecture territoriale de notre pays aux enjeux et défis que État et collectivités doivent relever ensemble, autrement dit, nous. Vous deviez construire un projet d’espérance, de confiance, d’efficacité et garant de l’équilibre territorial.
Hélas, votre ambition, dont nous pouvions partager les objectifs, s’est échouée sur une démarche chaotique et confuse, dans laquelle les textes se succèdent sans mise en perspective, comme un catalogue de pièces détachées.
Qu’on en juge un peu : vous avez inventé les métropoles, renié puis ressuscité les départements ; vous avez sacralisé la grande ville, en oubliant les moyennes et petites villes, véritables ressorts de la vitalité de nombre de nos territoires ; vous avez inventé l’hyper-ruralité, mais vous oubliez les territoires interstitiels et périurbains ; enfin, vous engagez, concomitamment à l’examen du projet de loi NOTRe, la révision des missions de l’État. Quelle logique singulière !
N’aurait-il pas été plus cohérent d’attendre les conclusions de cette revue des missions de l’État, afin de pouvoir les prendre en considération dans le texte que vous nous soumettez aujourd’hui ?
L’incohérence intensifie la défiance et l’incompréhension des élus locaux, soumis à des annonces successives, parfois contradictoires et souvent brutales. Or, vous le dites vous-même, c’est de confiance entre l’État et les collectivités, partenaires de la réussite de l’action publique, dont nous avons besoin.
Vouloir un pays décentralisé, c’est accepter la diversité des territoires, concevoir des lois qui libèrent les initiatives et les énergies, permettre aux territoires d’innover et de s’adapter. La loi ne doit ni corseter ni formater. Elle doit juste rendre possible.
À ce sujet, je concentrerai mes propos sur le bloc communal.
Madame la ministre, votre proposition au sujet de l’intercommunalité est une négation de la diversité territoriale et une marque violente de défiance à l’égard des élus locaux.
S’il est essentiel d’encourager l’intercommunalité, le formatage de l’efficacité basé uniquement sur un seuil quantitatif relève d’un concept hors sol, renversant et inacceptable. Un seuil d’autant plus absurde que, aujourd’hui, 70 % des intercommunalités sont en deçà de celui qui a été fixé.
Les élus locaux, objet de tant de critiques et de défiance, ont fait la preuve de leur capacité à s’engager dans des démarches de regroupement et de mutualisation. N’est-ce pas l’Association des maires de France qui, par l’intermédiaire de son ancien président, Jacques Pélissard, a proposé la création de communes fortes, capables d’agir, conjuguant librement leurs forces au sein de communes nouvelles ?
L’intercommunalité, madame la ministre, est une nécessité ; elle seule peut garantir aujourd’hui l’efficacité de l’action locale. Mais elle doit demeurer l’émanation de la commune et fonctionner sur le principe de subsidiarité. Dès lors, l’organisation intercommunale et ses compétences doivent résulter d’un projet de territoire fédérateur, voulu et défini par les élus locaux, et non d’un diktat de l’État.
La précipitation avec laquelle vous conduisez ce troisième volet de la réforme territoriale est désastreuse et hasardeuse.
À cet égard, les principales organisations représentatives des collectivités – AMF, ADF et ARF – ayant répondu positivement à l’excellente initiative du président du Sénat de créer une conférence des collectivités territoriales, ont, d’une voix commune, exprimé leurs attentes pour plus de confiance, plus de responsabilité, plus de liberté, à un moment où la France a besoin d’encourager l’initiative et de rapprocher les décisions publiques du citoyen.
Chacun dans cet hémicycle souhaite la réussite de notre pays, mais nous sommes nombreux à douter et à craindre.
À douter, madame la ministre, car aucune étude d’impact, aucune expérimentation ne permettent d’affirmer que votre réforme apportera plus d’efficacité.
À douter encore, car rien n’augure que votre réforme, comme vous l’avez tant annoncé, sera génératrice d’économies.
À craindre, enfin, une longue paralysie de l’action locale, notamment sur le plan de l’investissement, du fait de tous ces bouleversements qui chahutent profondément et sans discontinuer les collectivités locales. Les effets de cette paralysie risquent d’être terribles pour l’investissement public et l’emploi.
En conclusion, madame la ministre, vous l’avez bien compris, nous sommes fort dubitatifs à l’égard de votre projet et de sa réussite, et nous regrettons une occasion gâchée.
Siégeant au sein de la Haute Assemblée représentant les collectivités, nous osons souhaiter et croire que vous serez attentive aux évolutions qui seront proposées, car elles résultent de réflexions non partisanes, partagées par de nombreuses associations d’élus. §