Car le projet de loi tel qu’il était initialement conçu, qui prévoyait la disparition des départements, emportait, pour le Savoyard que je suis, des conséquences que nous avons beaucoup de peine à imaginer et qui étaient, pour tout dire, insupportables !
La disparition des départements, c’était la fin de mille ans d’histoire, la fin de ce qui a fait l’autonomie de la Savoie, de ce qui a porté les projets de la Savoie, et pas seulement depuis les lois de décentralisation.
Le département, chez nous, n’est pas seulement l’héritier d’une histoire. Ce n’est pas l’occasion d’un repli identitaire. C’est une collectivité de modernité qui a porté tous les grands projets d’aménagement.
Je citerai Pierre de La Gontrie, qui a siégé ici même – « le baron rouge », comme il était surnommé en Savoie – créateur de la station de Courchevel, financée avec les impôts des Savoyards dans une Savoie en reconstruction.
Je citerai aussi Joseph Fontanet, à l’origine de l’aménagement de la vallée des Belleville, faisant, après Pierre de La Gontrie, de la Savoie la première destination touristique des sports d’hiver dans le monde et offrant ce cadeau à la République française.
Le département, c’est aussi la modernité des initiatives prises par Louis Besson pour le doter, avant même les lois de décentralisation, de structures d’autonomie. Depuis les lois de décentralisation, c’est l’appropriation de la totalité des compétences.
Je n’oublie pas que nous avions, avec Michel Barnier, invité François Mitterrand au conseil général pour lui dire notre adhésion à la démarche de la décentralisation. C’était quasiment un acte de rupture dans une France qui sortait à peine de l’élection présidentielle de 1981, une France dans laquelle le dialogue républicain n’avait rien à voir avec ce qu’il est aujourd’hui. (
Nous avons assumé toutes les compétences. Les départements savoyards ont créé les parcs d’activités, Archan, Savoie Technolac, Alpespace.
Ils ont porté les investissements dans les énergies nouvelles : 60 millions d’investissements sont allés dans l’Institut national de l’énergie solaire, aux côtés du Commissariat à l’énergie atomique.
Ils ont porté le développement des stations de sport d’hiver, mais aussi la solidarité entre les territoires de montagne. En effet, les bénéfices de Val Thorens, les bénéfices de Courchevel, sont réinvestis dans le développement des stations moyennes, ils sont réinvestis dans le renouvellement des clientèles, ils sont réinvestis dans l’accueil de classes de découverte. Ils permettent que des stations de niveaux différents pour des publics différents puissent toutes continuer à fonctionner.
Ce sont les départements qui ont porté le développement universitaire. Ils ont créé l’université de Savoie. Mes collègues de Haute-Savoie qui siègent ici le savent bien : cette université, qui rassemble 13 000 étudiants, est la première en France pour le nombre des échanges avec les universités étrangères par étudiant ; elle est aussi la première pour le nombre d’étudiants boursiers en proportion des effectifs. Cette université a permis l’accès aux jeunes à l’enseignement supérieur.
Ces départements ont-ils fait leur temps ?
Nous avons déposé une proposition de loi, avec l’ensemble des sénateurs haut-savoyards, comme avec six des huit députés savoyards, réunis autour d’Hervé Gaymard et de Christian Monteil. Transformée en amendements dans la discussion de ce texte, elle vise à créer une collectivité spécifique et à continuer à avoir un modèle de développement autonome. Ce modèle est justifié par les études de la DATAR, qui sont reprises avec beaucoup d’honnêteté dans la plaquette de l’Association des régions de France intitulée Dix propositions pour la réforme territoriale.
Que voit-on ? Les échanges, le caractère autonome de l’organisation économique de ce territoire, qui ne peut accepter d’être, demain, sous tutelle, qui ne peut accepter de voir les centres de décision partir et un SRADDT dire où l’on doit construire en montagne !
Nous nous sommes battus pendant quatre ans contre la directive territoriale d’aménagement des Alpes. Ce n’est pas pour avoir un document prescriptif au-dessus des SCOT, à côté des directives territoriales d’aménagement ! Ce n’est pas pour conserver dans la loi des prescriptions particulières de massif, jamais abrogées ! Alors, les SCOT au sommet de la pyramide, le PLU en bas ?…
Qu’en sera-t-il demain des compétences en matière de tourisme ? La région sera-t-elle le chef de file ? Le texte donne une primauté sans établir clairement les responsabilités.
Comment les deux départements qui portent 80 % du tourisme de la région Rhône-Alpes pourraient-ils accepter que la politique régionale du tourisme soit définie sans aucune concertation ? Ce n’est pas imaginable ! Or les outils de concertation prévus dans la loi ne sont pas suffisants.
Mes chers collègues, ce combat, nous ne le menons pas pour les seuls Savoyards, mais pour l’ensemble des territoires de montagne.
Madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, à l’occasion de précédentes lois de décentralisation – loi du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, dite « loi Pasqua » ; loi Raffarin ; loi du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire, dite « loi Voynet » –, nous avons construit, en concertation entre les acteurs économiques, les élus et les acteurs associatifs, des outils pour la montagne : les comités de massif, les schémas régionaux de massif, les conventions interrégionales de massifs.
Aucun de ces outils ne réapparaît dans le texte qui nous est présenté aujourd’hui !
Nous souhaitons également que les amendements déposés par les parlementaires qui sont membres de l’Association nationale des élus de la montagne, l’ANEM, soient repris et intégrés dans le texte, afin de nous prémunir contre la superposition des normes et des hiérarchies, et contre la complexification de la vie territoriale.
L’égalité suppose la respiration des territoires. L’efficacité de l’action et du développement économiques a besoin de la même respiration, mais aussi d’une adaptation des textes aux réalités de chaque territoire.
Ce n’est pas dans une France uniforme que nous gagnerons en efficacité et que nous ferons des économies, mais dans une France qui saura gérer ses différences. C’est ce que nous souhaitons voir dans ce texte.