Quels réseaux numériques à la fin 2020 ? C'est la date à laquelle le mandat que je sollicite s'achèvera. La France est un grand pays d'infrastructures, comme le montrent les différents classements internationaux, auxquels les pouvoirs publics se montrent attentifs - ils ont ainsi réactivé le Conseil stratégique de l'attractivité et se sont proclamés pro-business. Ses réseaux électrique, autoroutier, ferroviaire ou de télécommunication font la force de notre pays. Les infrastructures numériques ont une importance particulière car elles sont le socle de la transformation numérique, à la fois sociale et économique, que nous sommes appelés à vivre. Déjà, l'accès à l'information, à la culture, et même le débat démocratique, se sont profondément transformés.
Pour réussir cette évolution, il nous faut respecter cette devise : compétitivité, accessibilité et neutralité. Les acteurs économiques qui réalisent les réseaux de télécommunications - investisseurs publics ou privés, équipementiers, sous-traitants - ont besoin d'un environnement compétitif. Gendarme du secteur des télécoms, l'Arcep devra manifester aussi de l'empathie. L'accessibilité constitue une exigence forte : il est nécessaire que tous nos concitoyens aient accès à ces réseaux, dont l'usage devient si indispensable qu'il s'agira bientôt d'un droit essentiel. En assurant une connectivité très ouverte, nous garantirons que n'importe quelle start-up puisse se lancer sur internet, que n'importe quel point de vue puisse s'y exprimer. La neutralité sera l'une des valeurs principales d'internet, qui est bien commun ouvert à tous. À cet égard, je rends hommage à son dernier président en date, M. Jean-Ludovic Silicani, qui a su mobiliser l'Arcep très tôt sur ce thème.
Nous arrivons à la fin d'un cycle de régulation, dix-huit ans après la création de l'Arcep. La concurrence a été instaurée pour les téléphones fixes, et le dégroupage a assuré un développement compétitif du haut débit. Il y a désormais quatre opérateurs de téléphonie mobile, dont les bases d'abonnés et les infrastructures sont considérables, même si ces dernières sont parfois encore en construction. Saluons ce bilan positif de l'ouverture à la concurrence décidée en 1997.
L'étape suivante sera de donner un nouveau souffle à la régulation, en terminant le travail engagé - l'effervescence du secteur ne doit pas entraver les investissements - et en préparant l'avenir de manière à remettre les télécoms au coeur de la grande histoire du numérique. À cet effet, l'Arcep devra fixer clairement un cap : le régulateur n'est pas simplement un arbitre. La direction à suivre sera l'investissement dans le très haut débit fixe et mobile, tout en accompagnant le secteur postal qui connaît une mutation profonde, du fait de l'affaiblissement brutal, exogène, de son activité de courrier. Voilà à quoi sert un régulateur indépendant : il est le gardien du long terme, face à des autorités publiques ou à des opérateurs privés soumis à des échéances plus courtes. Pour exercer son rôle, l'Autorité a besoin d'un consensus politique.
L'Arcep devra ensuite entraîner les acteurs. La concurrence représente un instrument très puissant de stimulation du secteur. Sa formidable dynamique doit s'exercer de manière équitable. Le renforcement des indicateurs de couverture et de qualité éclairera les consommateurs et récompensera les opérateurs qui auront investi. Il faudra donner suite à l'avis de l'Autorité de la concurrence sur l'itinérance et la mutualisation.
Au-delà de la concurrence, il faut accepter d'intervenir pour structurer le marché par de grands projets lancés par la puissance publique, comme le plan France très haut débit ou la bande des 700 MHz. Si le collège de l'Arcep en est d'accord, nous nous préoccuperons de la « trappe à débit », en coordonnant mieux la tarification des réseaux de cuivre à haut débit et celle des réseaux à très haut débit, afin d'assurer de bonnes incitations lors du passage du premier au second.
Le gendarme des télécoms agitera le bâton aussi bien que la carotte, si la neutralité d'internet n'est pas assez respectée : la manière dont les réseaux sont interconnectés est discriminatoire et les géants d'internet profitent de la situation aux dépens de plus petits opérateurs.
Quoiqu'indépendante, l'Arcep n'est pas un électron libre. Elle devra coopérer avec les acteurs de la filière. Je souhaite qu'elle réalise chaque année un bilan de l'impact de sa régulation sur ceux-ci. Elle coopérera aussi avec les autres AAI, comme l'Autorité de la concurrence ou le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), ainsi qu'avec les collectivités territoriales, qui sont des acteurs structurants.
L'Arcep fait partie de l'État ; aussi doit-elle être à l'écoute des priorités de la nation. Sans être aux ordres - elle est la gardienne du long terme -, il convient qu'elle articule son action avec les grands projets fixés par les pouvoirs publics. À cet égard, travailler avec le Parlement, dont émanent des commissions spécialisées, telle la commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques (CSSPPCE), est un bon moyen de construire les consensus transpartisans dont nous avons besoin.
Ne nous enfermons pas dans une vision statique des télécommunications. Ce qui se limite aujourd'hui aux téléphones ou aux ordinateurs concernera demain des milliards d'objets connectés, que nos start-up contribuent à inventer. Les réseaux de télécommunications seront un enjeu de souveraineté : déjà, les États ont parfois du mal à y faire respecter leurs règles.
J'aurai à coeur, enfin, d'être présent sur les enjeux européens, puisque c'est à ce niveau que la régulation de demain s'élabore. Régulation, territoires, numérique, Europe : ces mots résument à la fois mon parcours et un projet respectueux du caractère collégial de l'Arcep.