Intervention de Jean-Bernard Lévy

Commission des affaires économiques — Réunion du 14 janvier 2015 : 1ère réunion
Transition énergétique pour la croissance verte — Audition de M. Jean-Bernard Lévy président-directeur général d'electricité de france

Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d'EDF :

Je vous remercie de la confiance que vous m'avez manifestée et suis heureux de revenir vers vous après ma nomination.

Dans la transition énergétique, enjeu crucial pour notre pays, EDF doit et va jouer un rôle majeur. Premier acteur de l'énergie et du marché de l'électricité, nous disposons de technologies et de savoir-faire qui peuvent être mis à profit, notamment dans le domaine des énergies renouvelables et en matière d'efficacité énergétique. Après avoir rappelé l'apport d'EDF dans la situation énergétique actuelle de la France, je tenterai de vous montrer en quoi, face à l'enjeu de la transition énergétique, l'entreprise peut être un atout majeur. Je m'attacherai également à souligner combien, au-delà de son activité industrielle et commerciale, EDF est consciente de son rôle sociétal et de sa place dans les grands équilibres du pays.

EDF, face aux grands enjeux énergétiques tels que la réduction des émissions de CO2, apporte déjà une contribution positive. L'un des objectifs fixés par le projet de loi est de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2050. Chacun admet que le réchauffement climatique est devenu incontestable. La multiplication de phénomènes météorologiques extrêmes pose problème : les tempêtes dites exceptionnelles provoquent des dégâts sur le réseau de distribution et mobilisent nos équipes.

L'année 2015, au cours de laquelle se tiendra la COP 21, sera l'occasion de souligner notre rôle d'éclaireur dans la décarbonation de nos sociétés. La France ne produit que 5 tonnes de CO2 par habitant, contre 9 tonnes en Allemagne et 7 tonnes en moyenne européenne. EDF contribue largement à cette performance : nous ne rejetons que 35 grammes de CO2 par kilowatt/heure (KWh) produit, quand nos voisins européens en rejettent dix fois plus. La France fait donc déjà figure de pionnière en Europe - ce qui ne veut pas dire que des efforts ne restent pas à faire, notamment dans le bâtiment et les transports.

L'enjeu est aussi économique et social. Le prix de l'énergie est un facteur de compétitivité majeur. L'article premier du texte, qui fixe à la politique énergétique l'objectif de maintien d'un prix de l'énergie compétitif et attractif au plan international, montre qu'il est essentiel de préserver la compétitivité de la France. Les énergies fossiles sont importées, nous en subissons les fluctuations. Mais grâce à des choix politiques et à certaines performances industrielles, le prix de l'électricité en France, de 35 % inférieur à la moyenne européenne et de 40 % si l'on exclut la France qui fait baisser la moyenne, reste beaucoup plus stable. La ministre -si j'en crois ses propos d'hier- ne me démentira pas, le choix du nucléaire, il y a quarante ans, nous a donné un avantage durable et le programme que nous avons devant nous pour allonger la durée de vie de nos centrales, outre qu'il améliorera la sûreté, jouera un rôle majeur dans la maitrise du prix de l'électricité en France.

Un mot sur la sécurité de l'approvisionnement, enjeu économique et de souveraineté. Grâce à notre politique électrique, nous sommes peu dépendants de nos importations. La facture gazière et pétrolière de la France est de 60 milliards d'euros, soit à peu près l'équivalent du déficit de notre balance des paiements. C'est en agissant sur les usages carbonés dans le bâtiment et les transports que l'on réduira notre dépendance aux énergies fossiles.

Si, à l'image de nos grands voisins, nous devions compter sur des centrales au charbon ou au gaz, notre économie s'en ressentirait durement. EDF, avec son parc majoritairement hydraulique et nucléaire, fournit à la France une énergie décarbonée et compétitive. Grâce à ses montagnes, à ses fleuves, notre pays est doté d'un important potentiel. Nous souhaitons que soient favorisées les mesures qui permettront d'engager à court terme des investissements pour atteindre une puissance hydraulique supérieure. Ces capacités accrues seront utiles pour faire face, sans recourir aux énergies carbonées, à l'intermittence des énergies renouvelables - solaire et éolienne. Quant au nucléaire, ses coûts de production sont plus compétitifs que ceux des autres technologies : 55 euros par mégawatt/heure (MWh). Or, l'âge moyen de notre parc est de 30 ans. Je suis confiant dans la capacité d'EDF, avec nos grands partenaires, à en prolonger en toute sécurité la durée jusqu'à 50 ans voire 60 ans. Soulignons que les grands électriciens américains ont déjà obtenu pour la plupart des autorisations d'exploitation à 60 ans, et l'on parle même d'aller au-delà. Grâce au programme industriel très ambitieux du grand carénage, nous pourrons rénover et améliorer la sûreté de nos centrales, pour un coût de 55 milliards pour l'ensemble du parc à l'horizon 2025, ce qui représente un doublement de l'investissement courant de maintenance. Cet effort sera créateur d'emplois, il irriguera toute la filière et bénéficiera à de nombreux acteurs industriels ainsi qu'à des centaines de PME sur tout le territoire. Prolonger la durée du parc contribuera à maitriser nos émissions de gaz à effet de serre et à préserver la compétitivité exceptionnelle du prix du KWh en France.

Au-delà de l'hydraulique et du nucléaire, EDF est également engagé, avec sa filiale EDF énergies nouvelles, dans les énergies renouvelables. Nous sommes devenus le premier développeur d'énergie renouvelable électrique en France. Notre parc éolien atteint une puissance de 850 MW, les installations en construction y ajouteront 200 MW, et nous avons déposé des demandes de permis pour 300 MW supplémentaires. Nous avons remporté trois des quatre premiers appels d'offre sur l'éolien off shore. Une nouvelle filière est créée et la première usine Alstom a été inaugurée par le Premier ministre, à Saint-Nazaire. En matière d'énergie solaire, notre parc, d'une puissance de 210 MW, fait de nous le premier acteur du secteur en France. Nous avons inauguré, la semaine dernière, en Guyane, une centrale solaire dotée d'une technologie innovante de stockage.

Cet engagement dans les énergies renouvelables ne va pas sans contraintes. Les coûts de développement restent élevés : 200 euros le MWh pour l'éolien off shore, 250 euros le MWh pour le solaire réparti. Au vu des coûts de développement, nous devons investir avec mesure et attendre le retour d'expérience des premières installations pour amorcer une filière économiquement viable.

Le soutien aux énergies renouvelables est évalué par la Commission de régulation de l'énergie à 4 milliards d'euros en 2015, soit les deux tiers des charges de service public couvertes par la contribution au service public de l'électricité (CSPE). Le poids de la CSPE devient lourd, atteignant une croissance à deux chiffres : 100 milliards d'euros au total pèsent sur la facture d'ici à 2025, dont 60 % dus au surcoût des seules installations déjà en service. Il peut devenir problématique de faire ainsi peser l'effort en faveur des énergies renouvelables sur les consommateurs d'électricité, et c'est pourquoi nous suggérons de mettre à l'étude un dispositif de financement du soutien aux énergies renouvelables plus diversifié, qui ne pèse pas sur les seuls consommateurs d'électricité.

En matière de consommation, EDF souhaite également apporter sa contribution. Engager la transition énergétique, c'est aussi améliorer l'efficacité énergétique et faire évoluer les comportements. Mais aller vers une consommation décarbonée suppose aussi que, lorsque de nouvelles normes sont édictées, le seul critère retenu ne soit pas le KWh, mais aussi celui du CO2, faute de quoi l'on produit des effets pervers. La réglementation thermique 2012 (RT 2012) a ainsi conduit à l'élimination des solutions électriques, y compris les plus performantes comme celles qui sont basées sur les pompes à chaleur, au profit de solutions fossiles, fioul ou gaz, dont la part est passée, dans les logements collectifs nouvellement construits, de moins de 30 % en 2009 à près de 80 % en 2014. Nous insistons donc sur la nécessité de prendre en compte, dans les paramètres de la réglementation thermique, les émissions de CO2. Et cela non seulement dans la construction, mais également dans la rénovation des bâtiments : le projet de loi fixe une obligation de rénovation avant 2030 des bâtiments les moins performants, mais toujours sans prendre en compte le critère du CO2 - notion qui n'est pourtant pas inédite puisque les logements mis à la vente ou à la location prévoient un étiquetage exprimé également en CO2.

S'agissant de la maîtrise des consommations, la question de l'effacement est un vrai sujet. Sachant que les consommations de pointe sont fort couteuses, il est bon de prévoir des mécanismes incitant à l'effacement, afin de les lisser. Nous souhaitons que le projet de loi retienne les solutions les plus équitables pour tous les acteurs. EDF pratique déjà largement les contrats avec clause d'effacement rémunéré auprès des professionnels, qui les apprécient. S'agissant des ménages cependant, le client doit conserver le choix entre effacement tarifaire et offre d'un opérateur tiers. Soyons attentifs à ne pas mettre en place un mécanisme de subvention exagéré en faveur de ces opérateurs d'effacement, qui créerait une rente inutile et dont le financement pèsera, in fine, sur le consommateur.

EDF est le premier producteur d'économies d'énergie en France. Ses obligations annuelles se comptent en térawatt/heure (TWh). Elles passeront de 46 TWh à 59 TWh par an, soit une augmentation de près de 30%. C'est là un vrai challenge. Cela suppose un effort accru sur les opérations d'isolement, de changement de systèmes de chauffage. L'arrivée de Dalkia dans le groupe EDF nous permettra d'étendre notre offre de services énergétique et de remplir efficacement ces obligations.

J'en viens aux projets électriques et énergétiques des collectivités territoriales. Je sais combien le Sénat est attentif à ce sujet. Nous entendons valoriser le potentiel en énergies renouvelables dans sa dimension locale, en particulier en matière de chaleur - biomasse ou géothermie -, aider au développement de transports décarbonés, d'écoquartiers, concourir à l'amélioration de l'efficacité énergétique des bâtiments. Nos équipes de recherche et développement sont au travail. Nous faisons appel aux technologies numériques, appelées à jouer un rôle majeur en matière d'efficacité énergétique. Nous travaillons avec des start up via notre fond de capital risque Electranova Capital. Une start up de Haute-Savoie fabrique ainsi une génération avancée de composites d'isolement en bois.

Quelques mots, pour finir, du rôle sociétal d'EDF. C'est là une dimension très ancrée dans notre identité. Nous conduisons une politique de filières industrielles de long terme. Nous avons réuni, dans un récent forum, les PME innovantes. C'est tout un tissu de PME que nous irriguons, grâce à nos investissements que, malgré la crise économique, nous n'avons pas réduits : 10,8 milliards en 2013, ce qui fait de nous le premier investisseur en France, avec les effets d'entrainement que cela suscite. Nous marquons aussi, en matière d'emploi, notre confiance dans l'avenir. Nous recrutons, à hauteur de 6 000 embauches par an au cours des dernières années, pour préparer notamment le renouvellement des générations d'opérateurs dans le nucléaire. Ce sont également 5 000 jeunes en alternance que nous accueillons chaque année.

La crise économique pèse sur le tissu social. Nous en mesurons les effets sur nos clients les plus fragiles et nous employons à les accompagner. Nous menons aussi une action préventive, en ciblant les logements nécessitant une rénovation. Nous avons noué de nombreux partenariats avec les bailleurs sociaux et les collectivités locales. Nous participons, à hauteur de 30 millions d'euros par an, au programme Habiter mieux de l'Agence nationale de l'habitat.

J'en viens aux tarifs sociaux. Le tarif dit de première nécessité, qui bénéficiait à 600 000 ménages en 2010, concerne aujourd'hui 2,6 millions de ménages, soit quatre fois plus. Or, le projet de loi entend lui substituer, à compter de fin 2016, un chèque énergie. Pour nous, les tarifs sociaux méritent d'être maintenus, le chèque énergie n'ayant qu'une vocation complémentaire. Nous craignons qu'abandonner la réduction automatique au profit d'un chèque à renvoyer ne décourage les personnes les plus fragiles, moins bien informées, et que le lien entre ces personnes et EDF ne se distende. Dans le traitement de la précarité, nous visons l'efficacité. Le chèque énergie est utile, mais seulement en complément. Nous plaidons pour que le système actuel ne soit pas abandonné.

La transition énergétique est une opportunité pour EDF. Elle fixe un cap. Nous nous inscrivons d'ores et déjà dans cette logique : énergies décarbonées, lutte contre le réchauffement climatique. Nous attendons beaucoup de l'exercice de programmation pluriannuelle, utile pour optimiser les investissements des acteurs. Mais nous souhaitons aussi que l'entreprise conserve des objectifs de performance qui lui laissent des marges de manoeuvre pour améliorer son efficacité. N'oublions pas qu'EDF est aussi une grande entreprise de service public.

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