C'est un grand honneur de me présenter devant vous comme candidat pour siéger au Conseil supérieur de la magistrature, dont le rôle est essentiel pour assurer la séparation et l'équilibre des pouvoirs, mais aussi pour promouvoir la qualité de la justice, tant par une gestion des ressources humaines adaptée aux mutations contemporaines que par une action préventive, déontologique et, si nécessaire, disciplinaire.
À soixante et un ans, j'ai eu la chance de mener deux carrières professionnelles : après des études de droit à Nantes et à Rennes, j'ai préparé un doctorat d'État, je suis devenu avocat à Nantes en 1980, rejoignant le cabinet de Danielle Frétin et Dominique Raimbourg en 1981. J'ai soutenu en 1982 sous la présidence du doyen Jean Carbonnier ma thèse d'État, intitulée Droit et discipline de production et de commercialisation en agriculture. Puis le métier d'avocat m'a happé : je suis devenu un praticien, ajoutant à ma spécialisation en droit économique une autre en droit pénal, tant au service des victimes que des mis en cause. Élu en 1985 membre du conseil de l'ordre et devenu, à la demande de mon bâtonnier, secrétaire général, fonction qui n'était pas à l'époque professionnalisée comme elle l'est aujourd'hui, j'ai pu apprécier les vertus de la délibération collective.
En 1995, ayant été encouragé par des universitaires nantais et après qualification du conseil national des universités (CNU), j'ai été recruté à Nantes comme maître de conférences : le seul reproche que je faisais au métier d'avocat était de rendre difficile la prise de distance et le temps de la réflexion. Jusqu'à 2000, j'ai mené de front les deux métiers ; mais il m'était difficile de maintenir, en même temps, une activité soutenue de recherche, avec celle, saturée d'urgences, de l'avocat pénaliste. Choix très atypique, j'ai donc sollicité, en bonne intelligence avec mes associés, l'honorariat. J'ai consacré mes recherches à un seul objet d'études, la justice pénale : commentaires de décisions, essais, mais surtout encadrement de recherches pluridisciplinaires avec des juristes, des sociologues, des politistes, des spécialistes du budget de la justice ; ainsi, entre 2008 et 2013, j'ai coordonné un travail de recherche, bénéficiant du soutien de l'Agence nationale de la recherche (ANR), sur la réponse pénale, fondé sur une étude de terrain dans cinq juridictions, comportant des entretiens avec des magistrats mais aussi avec des élus locaux ou des policiers. Ce travail a retenu l'attention de l'inspection générale des services et de certaines directions du ministère.
Pour avoir dirigé l'institut d'études judiciaires, j'ai été amené à réfléchir aux trajectoires des étudiants en droit vers la magistrature, ainsi qu'aux questions de parité, aux différents niveaux du corps, ou de contraction des origines sociales. J'ai réalisé de nombreuses interventions à l'École nationale de la magistrature (ENM), comme dans un récent cycle de formations pour les premiers présidents et procureurs généraux. En 2010, à la demande du ministère des affaires étrangères, j'ai participé à l'évaluation de l'aide apportée par la France à la formation des magistrats dans certains pays ; mes missions au Niger et à Madagascar furent instructives : on apprend ainsi souvent sur nos propres institutions en observant celles des autres.
Mon intérêt pour la magistrature s'est accru du fait de ma participation à diverses instances de réflexion : groupe réuni par le professeur Cadiet en 2011 ayant publié un rapport intitulé Pour une administration au service de la justice ; comité d'organisation de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive présidé par Mme Nicole Maestracci ; commission sur l'évolution du ministère public présidé par M. Jean-Louis Nadal ; groupe de travail restreint de la direction des affaires criminelles et des grâces sur les rapports de politique pénale ; colloque sur la justice au XXIème siècle. J'ai eu le privilège d'être entendu régulièrement depuis dix ans par les commissions des lois du Sénat et de l'Assemblée nationale ou des parlementaires. Universitaire libre de sa réflexion, j'ai pu observer sur mon écran d'ordinateur, mais aussi sur le terrain et dans des groupes de réflexion les évolutions de la justice ; j'ai participé à leurs délibérations et, en conséquence, parfois changé d'avis.
Siéger au Conseil supérieur de la magistrature dans les quatre années à venir serait une lourde responsabilité qui exige d'investir son énergie à son service et à celui des valeurs d'impartialité, d'intégrité et de dignité, qui s'imposent non seulement aux magistrats, mais aussi à ses membres. Nombreux sont ceux qui lui souhaitent plus d'indépendance, d'autonomie et de pouvoir, dans la gestion des nominations et des carrières, à commencer par celles du parquet ; les métamorphoses du Conseil supérieur de la magistrature ne sont pas achevées. Les travaux de la conférence internationale à l'occasion de son 130ème anniversaire montrent que tout peut être débattu : sa composition, ses pouvoirs, ses modes de saisine, les relations avec l'ENM et même le pouvoir de gestion des juridictions, voire, pour certains, sa mutation en un Conseil supérieur de justice. Sur toutes ces questions, la Représentation nationale est maître du jeu.
Une autre tâche attend le prochain Conseil : dans le champ actuel de ses compétences, il devra mener à bien certaines évolutions sans modification législative ou constitutionnelle. La qualité de ses travaux et décisions est et sera sa meilleure contribution à ces évolutions. Ses rapports d'activité donnent une idée précise de ce qui peut être fait : poursuite du dialogue avec la direction des services judiciaires, amélioration processuelles des enquêtes disciplinaires, accès du CSM à l'ensemble des études et statistiques de la Chancellerie et de l'inspection générale dans ses missions d'audit. Autant de chantiers repérés par le dernier rapport d'activité et sur lesquels le CSM peut mener un dialogue constructif. L'amélioration constante de ses méthodes concrètes d'appréciation des qualités requises pour diriger les juridictions n'est pas qu'un objectif figurant parmi les indicateurs de performance de la loi de finances. Le défaut d'attractivité de certaines fonctions, notamment au parquet, la manière d'appliquer les règles à la mobilité, l'évolution des dispositions ouvertes par la dernière réforme permettant aux justiciables de se plaindre des magistrats - une bonne chose, mais le CSM ne doit pas devenir le défouloir de toutes les colères des justiciables, y compris les moins fondées. Le Conseil doit aussi évaluer sa propre action et mener une réflexion déontologique.
Si, par ma connaissance de l'institution judiciaire acquise par les quatre points modestes d'observation que j'ai occupés - comme avocat, comme universitaire, comme chercheur et en divers lieux du débat public - je puis participer à la réflexion et à l'action du Conseil et servir ainsi la République et l'indépendance de la justice, je serais très heureux et très honoré.