La magistrature vient de connaître une époque étrange : en son sein même, des voix en sont venues à préconiser la fin de l'unité du corps. Ce mouvement est en recul, ou du moins il est plus minoritaire qu'on ne pouvait le penser. L'attachement à l'unité du corps y a été très fortement rappelé. Elle ne me semble pas problématique ; même si des aspects peuvent être précisés sur le passage du siège au parquet, c'est un héritage de notre histoire : des procureurs recrutés d'une autre manière présenteraient sans doute plus d'inconvénients que la situation actuelle.
Dès lors, la question du statut du parquet se pose, en raison des positions de la Cour européenne des droits de l'homme. La loi du 25 juillet 2013 a inscrit dans le code de procédure pénale l'impartialité des magistrats du parquet. Sur l'indépendance, je suis, moi aussi, favorable à ce que la réforme aille jusqu'au bout, en alignant la nomination et le régime disciplinaire des magistrats du parquet sur ceux du siège. Cela ne résoudra pas tout : le parquet n'en restera pas moins une partie poursuivante, qui ne pourra pas être le seul garant ni le garant principal des libertés individuelles, mais seulement un « garant en première ligne », pour des atteintes relativement limitées, et non pas des atteintes lourdes, comme des durées de garde à vue prolongées, qui relèvent d'un juge. Mais nous pourrions trouver un équilibre et pérenniser le système français de ministère public, en assurant une certaine sérénité.
Monsieur Lecerf, j'ai lu comme vous ces sondages d'opinion : les citoyens qui font l'expérience d'être jurés d'assises disent y arriver pleins de « y'a qu'à » et de « faut qu'on », mais en sortir avec l'idée qu'il est difficile de rendre la justice. C'est pourquoi je suis un très chaud partisan des jurys populaires d'assises, qui nous ont évité un divorce profond avec l'opinion publique sur les affaires graves. Il y a beaucoup à faire : la saisine par les citoyens est une bonne chose, mais il faut que les citoyens et leurs conseils comprennent mieux ce droit. En effet, près des trois quarts des saisines depuis la réforme ont été déclarées irrecevables. La loi nouvelle met du temps à s'acclimater.
Une autre saisine disciplinaire me semble aussi importante : celle des chefs de cour, qui ne peuvent pas se voiler la face lorsque, dans des débats informels avec les bâtonniers, il leur revient aux oreilles qu'un magistrat pose des difficultés - pas forcément graves, le plus souvent liées à un comportement problématique en audience. Le Conseil supérieur de la magistrature ne doit pas être mis à l'écart de ces réalités.
Dans certaines facultés de droit, nous, universitaires, avons eu tendance à penser à tort que l'excellence devait conduire à des carrières universitaires. Non ! Les bons élèves peuvent aussi devenir magistrats. Les instituts d'études judiciaires (IEJ) n'ont pas toujours reçu les moyens adaptés à la préparation du concours de l'ENM - et c'est un euphémisme ! Ne surévaluons pas la part des anciens étudiants de sciences politiques, qui ne sont que 25 %, et qui ont, selon les chefs de cours qui les accueillent, des qualités intellectuelles excellentes et des faiblesses techniques qu'ils rattrapent relativement vite. Quant aux anciens étudiants de facultés de droit, ils présentent des faiblesses en culture générale.
Dès lors, comme les IEJ ne les y préparent pas véritablement, ces étudiants viennent à Paris s'inscrire dans un IEJ ou dans une préparation privée. Cela coûte cher : d'excellents candidats renoncent à s'inscrire pour des raisons financières. Il y a donc un manque. Le service public de l'université doit assurer la préparation au concours de l'ENM. Il est choquant que les candidats soient contraints de passer par une prépa privée, dont les cours sont d'ailleurs assurés par des enseignants de ces mêmes universités.
Quant aux résultats du concours, ils sont le reflet de la première année de droit où un tiers des étudiants sont des garçons et deux tiers sont des filles. Les universités doivent expliquer ce qu'est le métier de magistrat. Je constate que mes étudiants de première année ont des représentations fausses à cet égard. La parité, c'est aussi la question du plafond de verre. Peu de femmes accèdent aux plus hautes fonctions de la magistrature. Il faut travailler sur les deux fronts. La parité absolue n'a pas de sens, mais il faut éviter les déséquilibres trop lourds. L'attractivité des postes au parquet est liée à ces questions. Il s'agit de fonctions dures à assumer pour des femmes qui ont des contraintes familiales. Nous devons réfléchir à ces sujets. C'est l'une des tâches du CSM.