Ce deuxième titre du projet de loi est d’une nature profondément différente du premier car il touche aux principes mêmes de l’ordre public social. Le premier titre aborde les relations entre les protagonistes de ce qu’il est convenu d’appeler la démocratie sociale. Le second titre traite de la façon dont va s’organiser la hiérarchie des règles du rapport social.
C’est une rupture très profonde que nos concitoyens ne perçoivent pas forcément, j’en conviens, et à laquelle le débat public n’a pas accordé toute l’importance qu’elle mérite.
Notre collègue Alain Gournac a parfaitement raison de dire que le thème du temps de travail – et, plus généralement, de l’ordre public social – a été très présent dans la campagne pour l’élection présidentielle. C’est exact et personne ne peut prétendre avoir été pris au dépourvu.
Une élection a eu lieu, mais la démocratie ne s’interrompt pas pour autant. Il est de notre devoir de dire à présent ce qui va changer, même si nous savons que nous parlons en plein été, dans l’indifférence médiatique et un certain état d’épuisement de l’intérêt public.
L’ordre public social peut s’organiser de deux manières.
La première est en vigueur en Europe du nord et nourrit les aspirations de beaucoup des protagonistes en France : elle repose sur une relation contractuelle pure et simple entre, d’un côté, les employeurs et, de l’autre, les salariés pris en tant qu’individus. Vous avez d’ailleurs toujours ces mots à la bouche : flexibilité, individualisation, personnalisation… Cette vision de l’organisation sociale aboutit à un résultat qu’on nous jette souvent à la figure : le taux de syndicalisation observé dans les pays d’Europe du nord. Mais on oublie toujours de rappeler que les non-syndiqués, du côté patronal comme du côté des salariés, ne bénéficient pas des avantages de la négociation, si bien que, en quelque sorte, c’est un droit privé contractuel qui définit, finalement, l’intérêt général du pays.
Le deuxième mode d’organisation envisageable est l’ordre public social républicain, fondé sur l’intérêt général. Pour l’illustrer, je reprendrai – parce qu’elle emploie nos mots à nous, gens de gauche – la formule de Jaurès, selon laquelle la Révolution a fait du Français un roi dans la cité et l’a laissé serf dans l’entreprise. L’expression est forte et dit bien ce qu’elle veut dire : l’œuvre historique du socialisme consiste à faire en sorte que le salarié soit de nouveau citoyen dans l’entreprise.
Je ne dis pas que nous ayons tous à partager ce point de vue, mais j’essaie d’éclairer cette autre version de l’ordre public social où « entre le faible et le fort, le riche et le pauvre, c’est la liberté qui opprime », selon la formule indépassable de Lacordaire.