Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Réunion du 18 juillet 2008 à 10h00
Démocratie sociale et temps de travail — Article 15 bis

Photo de Jean-Luc MélenchonJean-Luc Mélenchon :

Donc, l’ordre public social républicain repose sur une hiérarchie des normes : primo la loi, secundo la convention collective, qui peut être meilleure que la loi, et tertio l’accord d’entreprise, qui peut être meilleur que la convention collective.

Il n’est pas possible de procéder dans l’autre sens parce qu’on part de l’idée qu’il existe un intérêt général. C’est tellement vrai que les Français, par exemple, font aussi de leur ministre du travail le ministre de la santé au travail car ils considèrent qu’il porte l’intérêt général de la société, ce qui suppose que la société défende un intérêt propre, différent de l’intérêt d’une entreprise en particulier et même de la décision individuelle du travailleur.

Cet intérêt général ne se limite pas seulement au bon fonctionnement de l’entreprise : l’investissement réalisé par la société dans la formation du travailleur, dans l’autorisation d’implanter l’entreprise, dans les moyens mis à sa disposition, tout cela procède de l’intérêt général et donne des droits à la société sur l’entreprise en particulier.

Partir de l’intérêt général, telle est la logique républicaine, et c’est cette logique que nous sommes en train de renverser !

Il y a peut-être là matière à un débat, mais il faut l’assumer. Sinon, on ne comprend pas de quoi l’on parle et nos concitoyens sont frustrés de la noblesse du débat politique qui consiste à confronter des vues différentes. Peut-être sera-t-il avéré, à long terme, que les uns ont raison et les autres tort – j’ai la faiblesse de penser que nous aurons raison sur le long terme. Mais ne fuyons pas ce vrai débat, ne jouons pas la partie absurde que nous voyons jouer dans certains pays anglo-saxons et qui a des répercussions en France, cette fameuse « triangulation » qui consiste à s’attribuer les mots de la partie adverse pour les subvertir, si bien qu’à la fin plus personne ne sait plus de quoi l’on parle ni quels sont les points de vue en présence !

Voilà l’objet du débat : dorénavant, un droit particulier s’inscrira à la place de la loi, qui fixe – on comprend que certains y soient hostiles – pour tout le monde et de la même manière – ce dont nous sommes partisans – les mêmes droits pour tous, étant entendu que la loi fonde sa légitimité dans le fait que, décidée par tous, elle s’applique à tous. Ce droit particulier résultera de la négociation de gré à gré : certains pensent qu’elle est meilleure, d’essence supérieure et plus souple que la loi votée par tous et pour tous ; nous pensons le contraire.

Nous le pensons car les questions qui vont être traitées de gré à gré entre l’employeur et l’employé ne sont pas des questions particulières, elles relèvent de l’intérêt général.

La santé d’un travailleur ne lui appartient pas, elle appartient aussi à la société ! C’est pourquoi on a imposé les cotisations sociales. Au xixe siècle, cotisait qui voulait : de bons patrons, qu’on qualifiait de paternalistes, avaient la vertu d’instaurer des cotisations dans leur entreprise pour que les vieux salariés touchent une retraite. Cela faisait une grande différence : mon arrière-grand-père a travaillé jusqu’à soixante-quinze ans et son patron a bien voulu lui verser une paie pour les huit mois de vie qui lui restaient ! L’existence des cotisations changeait tout, mais c’est le patron qui en décidait.

La loi est venue dire : « Maintenant, content ou pas, tout le monde cotise ! » Un travailleur pourrait prétexter qu’il va très bien, qu’il n’a besoin de rien et qu’il ne voit pas pourquoi il paierait pour les autres – on entend parfois de tels propos – mais la loi lui dit : « Tu le feras quand même, parce que la santé de l’autre t’intéresse, t’implique et te concerne ! Tu n’as pas le droit de ne penser qu’à toi ! » Notez bien que j’engage la querelle contre mon propre camp, de manière à ne pas mettre trop vite sur la table le personnage du patron qui s’en moque et ne s’occupe que de son rendement !

Je ne parle que des travailleurs. Dans leur intérêt, notre intérêt est que la loi fixe la règle. Nous ne sommes pas d’accord pour qu’ils signent à titre individuel des contrats par lesquels ils acceptent de faire de l’opting out, de sortir de la règle générale, de faire des centaines d’heures de travail, de mettre leur vie en péril. Nous ne l’acceptons pas, même s’ils sont d’accord, parce que l’intérêt général est plus fort que l’intérêt particulier !

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