Nous sommes là dans un vrai et beau débat, monsieur Mélenchon.
Disons les choses très clairement : hier, je vous ai dit qu’il n’y avait pas la place, en France, pour le développement de l’individualisation des rapports ou du gré à gré dans le droit du travail, alors que cette tentation existe dans de nombreux pays.
Par rapport à cela, deux attitudes sont possibles. Soit on en reste à une loi qui régit tout et on ne verra pas que l’individualisation peut se développer, soit le rôle de la loi se limite à apporter des garanties générales et les accords collectifs fixent les garanties au plus près du terrain, pour éviter que les salariés ne tombent dans une logique d’individualisation qui, nous le savons bien, ne leur profitera pas.
Le droit du travail a toujours été un droit de rapports de forces, il s’est construit comme cela, vous en connaissez les différentes étapes. Or nous avons besoin, aujourd’hui, d’une nouvelle approche, associant la loi, qui apporte des garanties, et l’accord collectif, que je préférerai toujours à l’accord individuel.
Le débat a eu lieu au niveau européen, au sujet de la modification de la directive 2003/88/CE relative à l’aménagement du temps de travail. Regardons la situation objectivement : nous sommes aujourd’hui dans une situation d’enlisement total – c’est un vrai no man’s land, excusez-moi d’utiliser ce terme ici ! On peut travailler jusqu’à 78 heures hebdomadaires en Europe ! La nouvelle directive fixe la semaine de travail à 48 heures. Mais les pays qui le souhaitent peuvent recourir à la clause d’opting out, ou de non-participation, ce qui n’est pas notre culture.
Je voudrais vous démontrer que la loi, dans les termes de ce projet de loi, demeure la garante de la santé et de la sécurité au travail. Je l’ai dit hier à la tribune : les durées hebdomadaires de travail ne changent pas, la durée sur douze semaines ne change pas, le repos quotidien ne change pas, le repos hebdomadaire ne change pas. Il est important de maintenir ces principes, c’est l’essence même du droit du travail que d’apporter ces garanties.
En revanche – sur ce point, nous ne sommes pas d’accord –, je crois qu’il faut créer de nouveaux espaces de souplesse au plus près du terrain. Parce que je ne veux pas fermer les yeux sur ce qui pourrait se passer, je pense que ce sont les accords collectifs, avec les nouvelles règles de majorité des 30 % et 50 %, qui peuvent nous permettre de moderniser et d’adapter notre droit du travail, en ne rognant rien de ce à quoi nous tenons le plus, mais en permettant d’introduire la souplesse indispensable.
Monsieur Godefroy, lors de mon audition par la commission, vous avez ouvert le débat sur le bon niveau de négociation. Je pense, aujourd’hui, que l’accord d’entreprise doit prendre davantage de place ; vous disiez, quant à vous, qu’il fallait privilégier l’accord de branche. Nous y reviendrons dans le débat, car c’est un vrai débat – je serais même tenté de dire : un beau débat.
Monsieur Mélenchon, je ne voudrais pas vous compromettre, mais un point nous rassemble : je n’aime pas la pensée unique. À force de faire croire que nous serions d’accord sur tout, nous ouvrons des espaces à ceux qui ne croient pas à la même société : je ne veux pas de cela. Il vaut mieux assumer nos divergences et nos différences au grand jour, dans le respect mutuel, comme le dit Alain Gournac, plutôt que de faire croire à un consensus artificiel : la société française n’est pas comme cela.