Intervention de Guy Fischer

Réunion du 18 juillet 2008 à 10h00
Démocratie sociale et temps de travail — Article 16

Photo de Guy FischerGuy Fischer :

Avant toute chose, je voudrais féliciter nos collègues députés, particulièrement ceux de gauche, naturellement, grâce à qui les dispositions initialement contenues dans le III de cet article ont été supprimées.

En effet, votre projet initial, monsieur le ministre, prévoyait, comme vous l’avez partiellement fait avec votre seconde loi sur le pouvoir d’achat, le rachat et la monétisation des repos compensateurs.

Cela mérite d’être souligné, il aura fallu toute la mobilisation de la gauche et celle des partenaires sociaux, pour que vous soyez contraint au recul. Mais nous sommes vigilants, car nous ne savons que trop combien certains de nos collègues sénateurs et sénatrices, membres du groupe UMP, pourraient être tentés de réintroduire ces dispositions.

Cet article 16 est une pièce majeure dans le puzzle gouvernemental. Tout débute par votre slogan, le fameux « Travailler plus pour gagner plus ». S’ensuit votre série d’attaques sans précédent contre les 35 heures, accusées de tous les maux : plomber l’économie, peser sur le travail, affecter le pouvoir d’achat des Français. Remarquez bien que, ce faisant, vous utilisez les 35 heures comme un véritable écran de fumée, qui permet au Gouvernement de ne pas répondre devant les Français des effets de sa politique libérale. Enfin, voici ce projet de loi.

Avec l’article 16, vous entendez permettre à tous les salariés de dépasser le contingent annuel d’heures supplémentaires, le faisant passer de 220 à 235 heures, pour une rémunération qui ne pourra pas être inférieure à celle qui était anciennement perçue. Je vous remercie de cette précision, mais reconnaissez que c’est tout de même la moindre des choses !

Vous le savez, notre mécontentement, celui des partenaires sociaux et des Français est grand !

Monsieur le ministre, vous avez trahi les partenaires sociaux. Si deux organisations syndicales avaient donné leur accord à cette position commune, c’est précisément parce que les conditions d’utilisation et d’extension du contingent annuel d’heures supplémentaires étaient très encadrées. Il était initialement convenu que ces dérogations devaient être exceptionnelles et que l’employeur ne pourrait y recourir qu’avec l’approbation des organisations syndicales ayant obtenu au moins 50 % des suffrages exprimés lors des précédentes élections. Et encore fallait-il que ce fût à titre expérimental.

C’est sur cette base et, surtout, sur la reconnaissance de l’accord majoritaire, que la CGT et la CFDT avaient signé votre position commune, qui n’a pas réussi à devenir, en raison du manque de signataires, un accord national interprofessionnel. C’est sans doute cela qui vous a conduit, monsieur le ministre, à retirer vos engagements et, une fois encore, à minorer la portée de la parole de l’État.

Que reste-t-il aujourd’hui de cette position commune ? Un goût amer de trahison ! De l’« accord majoritaire », il ne subsiste plus que le nom. Vous avez substitué au taux de 50 % celui de 30 %. Vous avez généralisé la possibilité d’extension des heures supplémentaires.

Ce faisant, vous avez réussi l’exploit de mécontenter les signataires de votre position commune et de rassembler des milliers de manifestants contre les attaques portées aux 35 heures, vous avez courroucé la Confédération générale des cadres et, élément notable, même Mme Parisot, la patronne des patrons, s’est plainte de cette méthode de gouvernement, craignant, sans doute à raison, que demain, plus aucune organisation syndicale n’accepte de signer un accord.

Mais vous avez également profité de cette trahison à l’encontre des partenaires sociaux pour imposer le renversement de la hiérarchie des normes, contraire aux valeurs républicaines qui sont les nôtres et à l’histoire sociale de notre pays.

Pour la première fois, une règle individuelle sera plus importante qu’une règle collective. Ce qui primera dès demain, si votre projet de loi est adopté, ce sera non plus la loi, la convention collective ou l’accord de branche, mais bel et bien l’accord individuel, de gré à gré. Les accords de branches deviennent, à la lecture de cet article, des supplétifs en cas d’absence d’accord individuel ; les conventions collectives en sont réduites à devenir une simple option.

Avec ce projet de loi, vous contournez les principes fondamentaux de notre République. Nous avons ici une mission importante : faire la loi, et ce ne peut être un acte anodin. C’est une grande responsabilité et je voudrais, avant que nous n’entamions nos débats sur cet article, vous rappeler les mots de Montesquieu, extraits de ses Cahiers : « Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi ; mais elle doit être loi parce qu’elle est juste ».

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