Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis déjà deux ans, le Gouvernement s’est lancé dans un vaste chantier de simplification du droit. Ce « choc de simplification », tel qu’annoncé par le Gouvernement, a notamment pour objectifs de permettre une meilleure lisibilité, intelligibilité et accessibilité des textes de loi, objectifs auxquels nous souscrivons évidemment totalement.
Cependant, le présent projet de loi, qui vise à moderniser et à simplifier le droit et les procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, ne répond que partiellement à une telle feuille de route.
Je rappellerai brièvement les objectifs, avant d’évoquer la méthode utilisée.
Le projet de loi balaie tous les thèmes, tous les sujets, sans grande cohérence. Reconnaissons qu’il est difficile d’établir un lien étroit entre l’action possessoire, à l’article 4, la communication par voie électronique en matière pénale, à l’article 8, et le régime juridique applicable aux voitures sans permis, à l’article 9 ter.
Bien que l’Assemblée nationale ait apporté quelques améliorations bienvenues, nous sommes toujours en présence d’un texte de qualité variable et au contenu hétérogène, bref d’un texte « fourre-tout ».
Mais, au-delà de la forme, c’est surtout, je crois, la méthode qui cristallise les critiques.
Alors qu’on participe actuellement à une importante réflexion sur l’amélioration de la qualité du travail parlementaire, le Gouvernement préfère une solution plutôt radicale : dessaisir le Parlement et légiférer lui-même.
Nous ne sommes évidemment pas favorables à ce procédé, quelle que soit la majorité qui l’utilise.
Guy Carcassonne, juriste bien connu, considérait l’« usage immodéré » des ordonnances « franchement inquiétant ». Analysant la valeur des textes ainsi adoptés, il se montrait particulièrement sévère, les jugeant « généralement […] défectueux ». Il ajoutait que « les malfaçons ne se révèlent qu’a posteriori, là où il se serait sans doute trouvé un parlementaire pour soulever, fut-ce ingénument, le problème qui ne s’est découvert qu’après, à l’occasion de contentieux multiples. » Tout est dit !
Le comble, c’est que le Gouvernement nous propose ici de recourir aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution dans des matières hautement symboliques. Quoi de plus symbolique en effet, pour le Parlement, que notre code civil ?
La réforme proposée, par son ampleur – cela représente près de 300 articles –, comme par ses répercussions éventuelles, est la plus ambitieuse depuis la création du code civil. Le droit des contrats est en passe d’être remanié de fond en comble au travers de cette réforme.
Peut-on raisonnablement envisager une telle réforme par voie d’ordonnance ? La réponse ne peut évidemment être que non ! Si encore on avait annexé les projets d’ordonnance au projet de loi… Mais ce n’est pas le cas.
Pour reprendre les mots très justes de notre rapporteur, « l’importance de l’enjeu semble exiger que le Parlement se saisisse de cette réforme, afin qu’un débat public puisse avoir lieu ». Oui, un débat public sur ces matières qui touchent le quotidien de nos concitoyens – c’est le code civil –, aussi bien dans leur vie privée que dans la vie des affaires, est indispensable ! À deux exceptions près, la réforme de la filiation en 2005 et celle du droit des sûretés en 2006, la règle a toujours été de réformer le droit civil par la loi.
Je tiens donc à saluer la position de principe affirmée par notre rapporteur, M. Thani Mohamed Soilihi, et soutenue par l’ensemble des membres de la commission des lois : la commission a toujours refusé les ordonnances dans certains domaines comme le droit civil ou le droit pénal et nous entendons bien continuer à appliquer cette doctrine.
Notre rapporteur nous a d’ailleurs détaillé les raisons de forme, que j’ai évoquées précédemment, mais également les raisons de fond qui justifient notre position : la réforme du droit des obligations pose des questions politiques majeures, que seul le Parlement peut trancher.
Comme nous l’avons fait en commission, nous soutiendrons donc en séance le rapporteur et le président de la commission qui n’ont pas hésité à rejeter plusieurs demandes d’habilitation du Gouvernement.
Nous soutenons aussi la suppression, par la commission des lois, des dispositions nouvelles relatives au statut des animaux. En effet, la rédaction retenue de ces mesures, sans grand lien d’ailleurs avec l’objet initial du projet de loi, loin d’être parfaite, soulève de réelles interrogations. Ses promoteurs estiment qu’il faut assurer une reconnaissance symbolique de la spécificité des animaux dans le code civil. Or ce type de consécration n’a pas sa place dans le code civil, qui n’a vocation à comporter que des dispositions normatives.
Il est en outre difficile d’évaluer l’incidence réelle de cet article 1er bis sur le droit en vigueur, et de s’assurer qu’il ne modifie pas le régime juridique applicable aux animaux, car il tend à supprimer, dans plusieurs articles du code civil, la référence à l’animal en tant que bien. Loin de simplifier et de clarifier le régime applicable aux animaux, les dispositions introduites complexifient un domaine déjà éclaté et pourraient en outre entraîner des conséquences économiques désastreuses – tout le monde voit de quoi je veux parler.
Nous appuyons aussi la démarche du rapporteur consistant à supprimer les demandes d’habilitation au profit de l’adoption directe des mesures envisagées, lorsque cela est possible. Cela démontre encore une fois que le recours aux ordonnances n’est pas, tant s’en faut, la garantie d’une modification plus rapide de notre droit.
Citons l’exemple de l’article 8 du projet de loi dans lequel la demande d’habilitation relative à la communication électronique en matière pénale a été remplacée par le dispositif envisagé par le ministère de la justice pour garantir les droits de chacun. C’est plus clair, plus rapide, plus respectueux du Parlement.
Même si nous ne sommes pas favorables à toutes les dispositions de ce texte, ni à son caractère fourre-tout, il nous paraît important, à ce stade, de soutenir la position de la commission des lois qui a préféré supprimer les demandes d’habilitation au profit de l’adoption directe des normes envisagées lorsque cela est possible.
C'est la raison pour laquelle nous voterons ce projet de loi en espérant que le Gouvernement, mais aussi nos collègues députés entendront le message que nous leur adressons : permettre au Parlement d’exercer pleinement et sereinement sa mission.