Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 22 janvier 2015 à 9h30
Simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures — Adoption en nouvelle lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous voilà de nouveau réunis pour évoquer la question des ordonnances.

Je tiens à féliciter M. le rapporteur, Thani Mohamed Soilihi, qui a fourni une argumentation très étoffée pour justifier la suppression de l’article 3. Si cet article était rétabli – et il le sera certainement par l'Assemblée nationale –, pratiquement un cinquième du code civil pourrait être réformé par voie d’ordonnance, ce qui serait sans précédent.

La commission des lois, au-delà des alternances, a toujours défendu la même position à cet égard. Nous estimons que les ordonnances sont justifiées dans un certain nombre de circonstances, et nous avons d’ailleurs approuvé certaines habilitations à légiférer par ordonnance qui figurent dans le présent texte. Néanmoins, le juriste que vous êtes, monsieur le secrétaire d'État, sait bien l’importance du code civil. Nous siégeons ici sous le regard de Portalis, et nous voulons pouvoir continuer à discuter des questions relevant du code civil.

D'ailleurs, M. le rapporteur a cité un exemple tout à fait remarquable justifiant notre position : l’un des éminents professeurs de droit auditionnés par la commission nous a alertés sur le fait que l’ordonnance en cause supprimait benoîtement l’article du code civil qui constitue le meilleur rempart contre la diffusion du phénomène des subprimes en France. Ce point mérite que l’on s’y intéresse.

Monsieur le secrétaire d'État, le fait que les six groupes du Sénat envoient tous un orateur à cette tribune pour marquer leur désaccord avec ce texte devrait quand même faire réfléchir le Gouvernement, qui a la maîtrise d’une partie importante de l’ordre du jour : comme l’a démontré M. le rapporteur, nous aurions pu consacrer quelques jours à l’examen d’un projet de loi relatif au droit des obligations et des contrats, question dont tout le monde sait qu’elle est loin d’être mineure. Vous avez vous-même déclaré qu’elle était très importante pour la vie économique de notre pays.

Je n’insiste pas davantage sur ce sujet. En effet, nous en avons déjà longuement débattu avec Mme Christiane Taubira. C’est, du reste, le seul et unique point sur lequel nous ayons eu un différend, alors que nous sommes si souvent tombés d’accord sur d’importantes réformes relatives à la justice.

En outre, je ne voudrais pas vous retarder, monsieur le secrétaire d'État : je sais que vous devez vous rendre à l’Assemblée nationale pour l’examen de la proposition de loi visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat, texte qui émane du Sénat – Mme Jacqueline Gourault et moi-même en sommes les auteurs. Je rappelle que la Haute Assemblée l’a examiné en deuxième lecture puis adopté voilà de nombreux mois. En première lecture, son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale avait aussi pris du temps… Il ne porte pourtant pas sur un sujet mineur !

Pour terminer, je veux évoquer le droit funéraire. En effet, monsieur le secrétaire d'État, l’article 9 du projet de loi marque, sur ce point, une avancée absolument essentielle.

En 1993, alors que j’étais secrétaire d'État, j’ai présenté devant le Parlement un projet de loi – Mme Catherine Tasca s’en souvient – qui avait pour objet de rompre avec le monopole des pompes funèbres et donc de mettre en œuvre le pluralisme à l’égard des opérateurs funéraires. J’avais eu l’idée de prévoir, dans ce texte, la création de devis types. On m’avait alors fait valoir que ceux-ci relevaient du domaine réglementaire et qu’ils seraient de toute manière créés un jour ou l’autre. De longues années ont passé, et il m’a bien fallu constater que les devis types n’existent toujours pas !

Or il est essentiel que les instances publiques et la loi protègent les familles, particulièrement vulnérables quand elles sont endeuillées. À cet égard, la question du coût des obsèques n’est pas mineure. Au contraire, elle mérite qu’on lui porte une grande considération.

Après bien des efforts, nous sommes parvenus à consacrer, dans la loi de 2008 – je veux rappeler le travail préalable à l’examen de ce texte que Jean-René Lecerf, auteur du rapport relatif à celui-ci, et moi-même avions alors réalisé –, des devis modèles. De quoi s’agit-il ? Tout opérateur de pompes funèbres habilité doit déposer, chaque année, dans un certain nombre de mairies, un devis respectant les termes d’un arrêté publié par le ministère de l’intérieur.

Tous les opérateurs diront qu’ils délivrent déjà des devis. Certes, mais qui lira des devis de quarante pages écrits en petits caractères le jour ou le lendemain d’un décès et les comparera ? Personne !

Par conséquent, il est important que le ministère de l’intérieur définisse une liste de prestations et consacre l’obligation, pour les entreprises, les associations, les régies, les sociétés d’économie mixte concernées, d’indiquer, dans ces devis modèles, le montant de ces prestations l’année considérée. Les comparaisons s’en trouvent facilitées pour les prestations définies. Au demeurant, les devis modèles n’empêchent absolument pas les entreprises de faire d’autres propositions – au reste, elles ne s’en privent pas !

Je dois le dire, le combat fut long et difficile pour parvenir à cette évolution, un certain nombre d’entreprises s’y étant constamment opposées. Mais, comme je l’ai toujours indiqué à leurs représentants, notamment devant leurs congrès, ces entreprises ont tout à gagner à la transparence, que nous devons aux familles.

Dans les vingt-quatre heures qui suivent un décès, les familles doivent prendre de nombreuses décisions. À cet égard, il est important qu’elles puissent disposer de l’information nécessaire.

Toutefois, la rédaction de la loi de 2008, qui prévoyait que les devis fournis pouvaient être consultés par le maire et, par conséquent, que les familles pouvaient obtenir des informations auprès de la mairie, a été contestée. Du fait de l’utilisation du verbe « pouvoir » – ce point a donné lieu à de nombreux débats, y compris sur les plateaux de télévision –, la délivrance des informations a été interprétée par certaines personnes comme une faculté, et non comme une obligation.

L’article 9 du présent texte, qui a été voté conforme par l’Assemblée nationale, ce dont je remercie les députés, dispose que toute entreprise habilitée a l’obligation de déposer des devis types respectant le modèle qui a été publié par le ministère de l’intérieur dans un arrêté du 23 août 2010, de telle manière que, dans toutes les mairies des communes visées à l’article 9 – autrement dit celles où les entreprises ont leur siège social ou un établissement secondaire, ainsi que celles de plus de 5 000 habitants –, l’information, qui pourra figurer sur le site internet de la mairie, soit à disposition des familles.

Ainsi, nous protégeons enfin les familles dans une période particulièrement difficile et douloureuse pour elles.

Je vous prie, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, de m’excuser d’avoir été un peu long sur ce sujet non négligeable, mais il concerne une question de société, puisque, malheureusement, toutes les familles de ce pays y sont, un jour ou l’autre, confrontées.

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