Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le sujet de débat qui nous est proposé par le groupe CRC est très vaste.
Qui sont les travailleurs saisonniers ?
On estime qu’ils sont au nombre d’environ 1 300 000 chaque année. La plupart sont employés dans l’agriculture, dans l’hôtellerie-restauration et dans des activités liées au tourisme et aux périodes de vacances scolaires.
Dans l’agriculture, par exemple, on observe que les personnes qui se présentent pour effectuer les travaux de cueillette ou de vendange ne sont plus, depuis déjà de nombreuses années, des jeunes qui veulent gagner un peu d’argent pour financer leurs vacances, mais des chômeurs de longue durée et des personnes en situation de précarité.
Et de quels travailleurs saisonniers parle-t-on ? S’agit-il de saisonniers de nationalité française, de ressortissants de l’Union européenne en situation de travailleurs détachés, ou de ressortissants extraeuropéens ?
On estime que, dans le secteur agricole, le nombre de salariés détachés d’États récemment membres de l’Union européenne a grimpé de 1 000 % entre 2004 et 2012.
Quel est leur contrat de travail ? Sont-ils sous contrat de travail saisonnier, avec ou non une clause de renouvellement triennal ? Certains salariés qui devraient être employés sous CDD ne sont-ils pas abusivement sous contrat saisonnier afin que leur employeur soit frauduleusement dispensé de leur verser la prime de précarité ?
Certains peuvent aussi être sous contrat à durée indéterminée intermittent, comme de nombreux saisonniers du thermalisme, en application d’un accord d’octobre 2014. C’est également le cas, dans mon département, des salariées d’une entreprise de fabrication de fixations de ski, qui ne travaillent que six mois dans l’année.
Quelles sont les conditions de logement et de transport de ces salariés ? Le droit à la formation est-il respecté ? Bénéficient-ils d’une surveillance médicale appropriée ? Parviennent-ils à remplir les conditions pour obtenir le remboursement des frais de santé ? En effet, le remboursement des soins et la perception d’indemnités journalières nécessitent des justificatifs que de nombreux saisonniers ont du mal à produire, a fortiori s’ils sont étrangers.
Quels seront les droits à pension de retraite de salariés qui auront été saisonniers durant vingt ans ou trente ans ? Parviendront-ils même à bénéficier de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’ASPA, s’ils ne résident plus sur le territoire national ?
Quel est, enfin, le nombre de travailleurs saisonniers étrangers, soit qui repartent dans leur pays, soit qui restent en France et alimentent un triste vivier de journaliers clandestins exploités ?
Manifestement, le sujet est protéiforme et complexe, tant en pratique que sur le plan juridique. Bien entendu, le droit du travail français s’applique à toutes ces catégories, dès lors que le travail est effectué sur le territoire national. Il n’en demeure pas moins que la justice est régulièrement saisie des conditions de travail et de logement scandaleuses infligées à des travailleurs saisonniers, surtout étrangers, et donc jugés moins à même de se défendre par leurs employeurs.
À travers ces quelques observations, on voit bien que les difficultés des saisonniers sont nombreuses et que celles que rencontrent les saisonniers d’origine étrangère sont encore plus lourdes, appelant par conséquent un traitement spécifique.
Il est donc nécessaire que l’inspection du travail puisse exercer pleinement son rôle en effectuant des contrôles inopinés et assez nombreux dans les secteurs qui emploient des saisonniers en nombre. La réforme en cours de l’inspection du travail doit le permettre.
Sur le plan législatif, nous avons, en juin 2014, adopté la loi visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale, qui renforce les contrôles et les sanctions contre les entreprises qui recourent de manière abusive à des travailleurs détachés. À la suite du rapport de notre collègue Éric Bocquet, ce texte, que j’ai eu l’honneur de rapporter devant le Sénat, est issu d’une proposition de loi socialiste de Gilles Savary. Il a traduit en droit français, par anticipation, le compromis européen qui avait été trouvé pour renforcer la directive « travailleurs détachés » de 1996, objet de nombreuses fraudes. Nous avons donc accompli un premier pas important.
Je rappelle en quelques mots les principales mesures de ce texte. Il étend l’obligation de vigilance de l’entreprise traitant avec un prestataire de services établi hors de France, en lui imposant de vérifier le dépôt de la déclaration de détachement auprès des services de l’inspection du travail. Il instaure la responsabilité solidaire du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage pour le paiement des salaires des employés des sous-traitants. Il ouvre au juge la possibilité d’inscrire sur une « liste noire » les entreprises et les prestataires de services condamnés à 45 000 euros d’amende au moins pour travail illégal. Enfin, il autorise les associations, les syndicats professionnels et les syndicats de salariés à se constituer partie civile.
Il nous faut maintenant aller plus loin, particulièrement en ce qui concerne les travailleurs étrangers saisonniers non ressortissants de l’Union européenne.
La France dispose, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 2006, de la carte de séjour temporaire, ou CST, portant la mention « travailleur saisonnier », destinée aux étrangers titulaires d’un contrat de travail saisonnier qui s’engagent à maintenir leur résidence habituelle hors de France. La loi a mis en place ce titre de séjour là où il n’y en avait généralement pas : souvent, le contrat de travail en tenait lieu. Il est valable trois ans, mais ne permet à son titulaire de séjourner en France que pendant la période des travaux saisonniers et au maximum six mois sur douze.
Le contrat de travail proposé doit être supérieur à trois mois pour obtenir la CST « travailleur saisonnier ». De son côté, l’employeur est censé fournir la preuve de sa recherche infructueuse de candidat sur le marché du travail en France. Des attestations lui sont alors fournies par Pôle emploi.
L’obtention de ce titre ne suffit cependant pas à préserver l’ensemble des droits sociaux : en effet, l’obligation de retour dans le pays d’origine peut faire obstacle au bénéfice de l’assurance maladie. Les droits à la retraite sont aussi difficiles à reconstituer le moment venu.
À l’échelon communautaire, le Parlement européen a adopté, le 5 février 2014, la première directive de l’Union européenne relative à l’emploi de travailleurs étrangers saisonniers non ressortissants de l’Union. Le Conseil a adopté le texte le 17 février et il doit maintenant être transposé dans les deux ans et demi par les États membres. Il aura tout de même fallu quatre ans pour parvenir à un accord !
La question qui se pose aujourd’hui à nous, en tant que législateur, est celle de la transposition et de ses termes.
Que dit cette directive ?
Pour entrer sur le territoire de l’Union européenne en vue d’y occuper un emploi saisonnier, plusieurs documents devront être présentés : un contrat de travail valable et une offre d’emploi ferme, précisant notamment le lieu de travail, la durée d’emploi, la rémunération et le nombre d’heures de travail hebdomadaire ou mensuel. La preuve qu’une demande d’assurance maladie a été présentée ou que cette assurance a été souscrite devra être apportée.
Il faudra également justifier de la fourniture d’un logement adéquat, c’est-à-dire assurant à la personne des conditions de vie décentes. Si le logement est procuré par l’employeur, celui-ci ne pourra exiger un loyer excessif par rapport au revenu du travailleur et à la qualité du logement. Le loyer ne pourra plus être automatiquement déduit du salaire du travailleur, et c’est là un point particulièrement important.
Les États membres devront mettre ces informations à la disposition des travailleurs étrangers de manière facilement accessible. En France, la délivrance de la CST « travailleur saisonnier » devra donc être accompagnée d’informations écrites sur ces éléments.
Les États membres devront fixer la durée maximale de séjour, qui pourra être comprise entre cinq et neuf mois sur douze mois. Durant cette période, le travailleur saisonnier pourra bénéficier d’une prolongation de séjour afin de travailler soit avec le même employeur soit avec un autre. Pour les séjours d’une durée inférieure à trois mois, les États membres seront tenus de délivrer un visa donnant aussi au travailleur saisonnier le droit d’exercer l’activité professionnelle pour laquelle il a été admis.
Le travailleur saisonnier étranger bénéficiera des mêmes droits que les ressortissants du pays d’accueil en matière d’âge minimum de travail, de salaire, d’horaires, de congé, de santé et sécurité, de licenciement, de droit de grève et d’activités syndicales.
Les États membres devront mettre en place des mécanismes de contrôle efficaces, en se fondant sur une analyse des risques. Cette exigence va dans le sens que j’indiquais sur le renforcement des contrôles dans certains secteurs et chez certains employeurs, ce qui implique un renforcement des moyens que nous ne cessons, au demeurant, de demander à tous les gouvernements.
La directive exige aussi des sanctions effectives et dissuasives contre les employeurs contrevenants.
En cas de manquement par un sous-traitant, le contractant principal et tout sous-traitant intermédiaire pourront être tenus solidairement responsables de l’indemnisation due aux travailleurs. Ce point est évidemment fondamental puisque les saisonniers étrangers arrivent en France par l’intermédiaire d’agences d’intérim installées dans plusieurs pays.
Il importe donc que cette directive soit transposée rapidement dans notre droit. Cela ne nous dispense pas, bien entendu, d’une réflexion sur les améliorations possibles dans notre pays.
Il nous faut notamment nous inspirer des accords collectifs et des actions de prévention mises en place dans différentes branches et sur divers territoires en direction des travailleurs saisonniers ; je pense notamment à la création de groupements d’employeurs dans les parcs de loisirs ou les stations de tourisme. L’ancienneté après plusieurs saisons peut également être prise en compte.
Les contrats de professionnalisation peuvent être utilisés pour permettre à des saisonniers d’obtenir une deuxième qualification pour les intersaisons. D’une façon générale, outre que la formation des travailleurs saisonniers est un droit qui n’est pratiquement jamais respecté, elle est une nécessité pour la qualité de nos productions et de nos services.
Sur la question majeure du logement, la rénovation et la construction de foyers-logements proches des lieux de travail peuvent faire l’objet de conventions avec les bailleurs sociaux.
Ce ne sont là que quelques exemples destinés à alimenter et notre réflexion et nos initiatives.
En toute hypothèse, nous ne pouvons tolérer plus longtemps dans notre pays des traitements indignes, tels qu’on peut malheureusement en constater. On a beaucoup affirmé ces derniers temps, et à juste titre, que la France était le pays des droits de l’homme : cela nous oblige tous, mais tout particulièrement nous, en tant que législateurs, à donner à ces formules un contenu réel !
Le groupe socialiste, qui accueille avec beaucoup d’intérêt l’initiative de ce débat prise par nos collègues du groupe CRC, prendra à nouveau toute sa part à l’amélioration des conditions de vie et de travail des travailleurs saisonniers. §