Séance en hémicycle du 27 janvier 2015 à 21h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • logement
  • précarité
  • saisonnier
  • tourisme

La séance

Source

La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

L’ordre du jour appelle la désignation des 21 membres de la commission d’enquête sur le fonctionnement du service public de l’éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l’exercice de leur profession, créée à l’initiative du groupe UMP, en application de son droit de tirage.

En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 11 de notre règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

L’ordre du jour appelle le débat sur la situation des travailleurs saisonniers dans notre pays, organisé à la demande du groupe CRC.

La parole est à Mme Annie David, orateur du groupe auteur de la demande.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger, mes chers collègues, dans un contexte économique où de plus en plus de familles rencontrent des difficultés pour répondre à leurs besoins élémentaires et tandis que le nombre de salariés privés d’emploi ne cesse de progresser, les conditions de travail des salariés se dégradent et leurs moyens pour se défendre se réduisent.

S’il en va ainsi pour l’ensemble du salariat, ce constat est encore accentué pour les saisonniers, les employeurs les soumettant à une plus grande précarité.

L’enjeu de notre débat de ce soir est donc de taille : en réfléchissant aux moyens de « déprécariser » les travailleurs saisonniers, nous luttons contre un mouvement global qui remet en cause les acquis sociaux de l’ensemble des salariés. C’est d’autant plus vrai que le travail saisonnier touche des salariés toujours plus nombreux et s’étend à des secteurs toujours plus divers, du tourisme à l’agroalimentaire.

L’image traditionnelle du saisonnier est celle d’un jeune recherchant une expérience professionnelle, un tremplin vers un emploi plus stable. Or, aujourd'hui, on en est loin. La précarisation de la société a fait évoluer la « physionomie » du saisonnier. Dorénavant, sont saisonniers non seulement des jeunes souhaitant financer leurs études ou, tout simplement, subvenir à leurs besoins, mais aussi des retraités, poussés par la nécessité de compléter leurs pensions, des seniors licenciés juste avant la retraite ou encore des femmes exclues du marché de l’emploi. Les uns et les autres se tournent vers ces contrats précaires et ces métiers difficiles.

Les travailleurs migrants sont également embauchés pour les saisons, principalement dans le secteur agroalimentaire, où leurs conditions de vie et de travail sont déplorables.

Si le travail saisonnier recouvre une telle diversité, c’est aussi parce qu’il n’en existe pas de définition législative. En droit, seules des circulaires encadrent l’activité saisonnière, habituellement définie comme l’exécution de tâches normalement appelées à se répéter chaque année, à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs.

Il n’y a donc pas de définition légale du travail saisonnier, pas plus qu’il n’y a de comptabilisation officielle du nombre de saisonniers. Pour autant, on estime que la France compte 2 millions de travailleurs saisonniers, dont près de 900 000 dans le secteur du tourisme. D’après les chiffres de Pôle emploi, l’activité saisonnière représentait, en 2014, près de 40 % des besoins en main-d’œuvre.

Sous l’impulsion de notre collègue Michelle Demessine, alors secrétaire d’État au tourisme, Anicet Le Pors avait réalisé, en 1999, un rapport sur la situation sociale et professionnelle des travailleurs saisonniers du tourisme. À la suite de sa publication, de nombreux chantiers furent lancés pour améliorer les conditions de vie et de travail des saisonniers. Pourtant, parmi les 31 propositions formulées par Anicet Le Pors, nombreuses sont celles qui demeurent d’actualité, faute d’avoir été mises en œuvre.

Si, pour la première fois, Michelle Demessine a permis de braquer la lumière sur la situation des travailleurs saisonniers, les nombreux rapports successifs qui ont été élaborés sur le sujet relèvent la situation de précarité dans laquelle se trouvent les saisonniers, les carences en matière de droits, la nécessité de renforcer les protections juridiques et d’améliorer les conditions de vie de ceux-ci.

En témoignent l’enquête réalisée, en 2007, par la Jeunesse ouvrière chrétienne sur les contrats de travail des jeunes travailleurs, le rapport Vannson sur l’emploi en montagne, le rapport du Médiateur de la République publié en 2011 à la suite de mon interpellation, la mission assurée par M. Nogué sur le travail saisonnier et, plus récemment, l’organisation du Forum social des saisonniers, qui s’est déroulé à Chambéry et au cours duquel a été rappelée l’actualité des propositions d’Anicet Le Pors.

Depuis que j’ai été élue sénatrice, à trois reprises, j’ai alerté différents gouvernements sur la situation des travailleurs saisonniers, car il s’agit d’une problématique particulièrement prégnante dans mon département. Je l’ai fait parce que je suis convaincue qu’il est du devoir du législateur et du Gouvernement de mettre enfin en œuvre les propositions formulées dans les différents rapports visés.

La question du travail saisonnier constitue, du reste, un enjeu économique majeur pour l’ensemble de nos territoires. L’industrie du tourisme, qui représente une manne financière, recourt largement au travail saisonnier. Au-delà de cette considération, c’est une grande partie du territoire qui, sans la vitalité de ces salariés qui offrent leur disponibilité et apportent leurs compétences dans des secteurs où ils sont indispensables, serait un désert économique et social. J’ajoute que, bien souvent, ces salariés permettent de valoriser le patrimoine de nos régions et de préserver nombre de nos savoir-faire traditionnels.

C’est pourquoi les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen souhaitent affirmer ce soir avec force la nécessité d’améliorer les conditions de travail et de vie des saisonniers et, surtout, proposer collectivement des mesures d’application immédiate.

D’ailleurs, les débats qui ont eu lieu au niveau européen témoignent de l’importance du sujet et de la nécessité d’agir pour que les droits des travailleurs saisonniers soient connus, défendus et effectivement appliqués.

Tout d’abord, les caractéristiques mêmes de l’activité – mobilité géographique, travail temporaire – réduisent trop souvent la possibilité pour les saisonniers d’être informés sur leurs droits : droit de se réunir ou de se syndiquer pour se défendre, par exemple.

Ensuite, on constate de nombreuses infractions au code du travail s’agissant de l’activité saisonnière : le travail illégal est répandu ; les normes de sécurité ne sont pas toujours respectées, pas plus que ne le sont les conditions d’emploi, notamment pour ce qui concerne l’amplitude horaire, entre bien d’autres aspects.

Face à ces dérives, les moyens consacrés par l’inspection du travail, déjà insuffisants, sont en baisse. Ainsi, quand le nombre de salariés peut être multiplié par 10 durant la saison, le nombre d’inspecteurs du travail reste, lui, stable.

S’il est si important de défendre les droits des saisonniers, c’est parce que ces derniers subissent aujourd’hui une triple précarité : statutaire, fonctionnelle et sociale.

En premier lieu, la précarité est statutaire en raison de l’absence de définition juridique de ce type de contrat dans le code du travail.

Les saisonniers sont embauchés en contrat à durée déterminée saisonnier.

Je rappelle que, selon le ministère du travail, le travail saisonnier recouvre l’ensemble les travaux qui sont normalement appelés à se répéter chaque année, à date à peu près fixe, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs, et qui sont effectués pour le compte d’une entreprise dont l’activité obéit aux mêmes variations.

La Cour de cassation, quant à elle, a précisé, en 1999, que la distinction entre le travail saisonnier et l’accroissement d’activité repose sur le caractère régulier, prévisible et cyclique de l’activité ou du travail.

Pourquoi ne pas introduire cette définition dans le code du travail ? Ce serait déjà une première avancée.

Appliquer une clause de reconduction donnant au salarié la priorité de retrouver, lors de la saison suivante, le poste qu’il occupait constituerait une deuxième avancée. Ce n’est aujourd’hui qu’une simple option, qui doit expressément être prévue dans la convention ou l’accord collectif de travail pour être appliquée.

Alors même qu’elle permet à l’employeur d’embaucher des personnes ayant déjà de l’expérience, la clause de reconduction n’est pas utilisée de manière systématique. Le principe de reconductibilité du contrat de travail saisonnier doit être affirmé ! Voilà une mesure que nous pourrions collectivement décider de mettre en œuvre.

Ou alors, décidons ensemble de corriger une inégalité de traitement avec les salariés en CDD en octroyant aussi aux saisonniers la prime de précarité. En effet, cette prime a pour objet de compenser la précarité d’un CDD qui ne se prolonge pas en CDI. Or tel est bien le cas d’un contrat saisonnier. Outre qu’il garantirait l’égalité de traitement entre les salariés, le versement de la prime de précarité aux saisonniers permettrait de mettre un terme au recours abusif aux contrats saisonniers.

En effet, nous constatons que certains secteurs, notamment la grande distribution, recourent à ce type de contrat en lieu et place d’un CDD pour surcroît d’activité. Cette utilisation abusive permet en outre aux employeurs de bénéficier d’exonérations de cotisations patronales.

En deuxième lieu, la précarité est fonctionnelle au quotidien.

Les conditions de travail des saisonniers sont souvent jugées très difficiles par les saisonniers eux-mêmes, ce qui explique, pour partie, la rotation des travailleurs d’une saison à une autre. La précarité des saisonniers est essentiellement due au manque de reconnaissance de leurs qualifications. Selon le rapport Nogué, 80 % des emplois à pourvoir dans le tourisme sont de premier niveau de qualification. Ce niveau de formation paraît en contradiction avec les attentes du secteur, nombreuses notamment en matière d’apprentissage des langues étrangères.

L’objectif de construction de parcours professionnels pour les saisonniers, notamment en favorisant la pluriactivité, suppose également de mener une réflexion sur les compétences que ces salariés doivent pouvoir valoriser dans un autre emploi. À cet effet, le développement des certificats de qualification professionnelle transversale peut représenter un moyen d’aider les saisonniers à acquérir des qualifications qu’ils pourront utiliser et voir reconnues dans différents secteurs d’activité.

Un autre moyen de valoriser les emplois saisonniers est un meilleur accès à la formation pour tous. De plus, cela participerait au développement d’une offre de services touristiques de haut niveau et contribuerait à garantir une meilleure insertion professionnelle aux saisonniers, donc à réduire leur précarité.

C’est pourquoi il convient de faciliter le financement et l’accès des saisonniers du tourisme à la formation en dehors de la saison touristique, tout en encourageant la formation biqualifiante à travers les dispositifs de reconnaissance des acquis professionnels et de qualification-métier. Des outils existent déjà, mais sont sous-utilisés, tels les séjours à l’étranger financés par le programme européen Leonardo entre le ministère du travail et les CFA, les centres de formation d’apprentis, qui permettent à de nombreux étudiants de niveau minimum bac+2 de partir faire un stage dans une entreprise étrangère pour une durée maximale d’un an, tout en bénéficiant d’une bourse de 90 euros par semaine ou d’un forfait mensuel de 305 euros, ainsi que du remboursement du trajet.

L’amélioration du niveau de qualification des saisonniers passe également, dans les lycées professionnels, par des cours de langues étrangères

Un autre aspect de ce parcours professionnel est la prise en compte de l’ancienneté des saisonniers.

La prise en considération de l’ensemble de ces éléments permettrait de reconnaître « le droit à la carrière » de ces salariés.

En troisième et dernier lieu, les saisonniers subissent une précarité sociale, avec des conditions de vie fortement dégradées en raison notamment de problèmes de logement, de transport, de santé, mais aussi de garde d’enfants.

Le dispositif d’intervention publique en faveur du logement est inadapté au cas des saisonniers du tourisme. La difficulté rencontrée par nombre d’entre eux pour accéder à un logement décent résulte de la confrontation entre, d’une part, un marché local du logement où l’offre est à la fois très chère et souvent insuffisante et, d'autre part, une situation sociale et professionnelle précaire. Les conditions de caution et de préavis exigées par les bailleurs privés constituent autant de barrières infranchissables.

Encourager la mise à disposition de logements par l’employeur suppose, au préalable, que soient apportées les garanties d’une utilisation du logement conforme à sa destination et que le versement de l’aide soit subordonné à la mise à disposition de logements de qualité.

Anicet Le Pors avait proposé d’exonérer de taxes locales et de TVA les travaux engagés par les employeurs pour aménager les chambres destinées à leurs saisonniers, sur le modèle du dispositif concernant l’acquisition par les employeurs de dortoirs ou de baraques mobiles destinés au logement de leurs salariés. Il ne serait pas illogique d’étendre ce dispositif aux travailleurs saisonniers.

Les conditions de vie des saisonniers sont perturbées par des horaires de travail souvent en décalage avec les horaires de famille, entraînant un équilibre entre vie privée et vie professionnelle très complexe. Il faut y ajouter une mobilité inhérente aux variations des saisons qui pose des difficultés pour les familles lors des saisons, mais également pour l’insertion dans l’environnement local.

Le travail saisonnier a également des conséquences sur la santé en raison d’une forte intensité et de la soumission répétée à des horaires décalés, d’autant que l’accès aux soins est souvent difficile sur les sites où les saisonniers travaillent.

Les problèmes de garde d’enfants constituent un obstacle qui peut être majeur pour les jeunes parents susceptibles de postuler à des contrats saisonniers, d’autant que les horaires de travail et leur amplitude sont parfois incompatibles avec les plages d’ouverture des structures de garde des jeunes enfants.

Notre volonté, après avoir rappelé le contexte et la situation des travailleurs saisonniers en France, est d’apporter des changements concrets pour ces femmes et ces hommes qui, je le répète, sont indispensables à notre économie, tant touristique qu’agricole, mais qui vivent pourtant dans une grande précarité, sans aucune reconnaissance de leur travail.

Du point de vue de la méthode, nous sommes convaincus qu’un rapport ou une commission supplémentaire pour dresser le constat ne sont absolument pas utiles. En revanche, il nous apparaît nécessaire de rechercher des solutions par la voie du dialogue social. À cet égard, le secteur est défavorisé par la diversité des organisations professionnelles et une faible représentation syndicale des travailleurs, d’où découle une difficulté d’implantation des organisations syndicales. En ce qui concerne notre responsabilité politique, il nous revient de créer les conditions les plus favorables au dialogue social et, en particulier, à l’amélioration des institutions représentatives du personnel.

Au-delà de ce dialogue social, de nombreuses mesures législatives et réglementaires nouvelles sont indispensables pour améliorer réellement les conditions de vie et de travail des saisonniers.

La première d’entre elles consisterait à faire sortir le contrat saisonnier d’un particularisme qui n’est pas justifié et à le faire rentrer dans le droit commun. Nous pensons en effet que, si le contrat saisonnier est un contrat comme les autres, les ruptures d’égalité entre les travailleurs seront en grande partie résolues et le recours abusif à ce type de contrat par certaines entreprises se tarira.

Dès lors, la clause de reconduction des contrats de travail d’une saison à l’autre doit devenir systématique. Cette clause existe déjà dans plusieurs collectivités du secteur du tourisme. Il s’agirait d’une incitation pour les employeurs, qui auraient désormais le choix entre le paiement de la prime de précarité ou la reprise des saisonniers d’une année sur l’autre.

Par ailleurs, les contrats saisonniers doivent bénéficier de la même fiscalité que les autres contrats à durée déterminée. Cela passe par la suppression du dispositif d’exonération des cotisations patronales pour les travailleurs occasionnels et les demandeurs d’emploi. Je vous rappelle que ce dispositif, mis en place à des fins de compétitivité et présenté comme un moyen de lutter contre le travail illégal, représentait 450 millions d’euros dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014. La solution n’est pas le dumping fiscal et social ; elle réside dans l’instauration d’une régulation au niveau européen.

D’autres mesures, pas seulement législatives, peuvent améliorer rapidement les conditions de vie des saisonniers. Je pense notamment à la pérennisation des maisons des saisonniers et à leur extension sur l’ensemble du territoire ; la création de ces maisons était une des mesures contenues dans le rapport d’Anicet Le Pors et elle a été mise en œuvre. Je mentionnerai également l’institution d’une aide à la mobilité domicile-travail, en lien avec les services de Pôle emploi et les collectivités territoriales, ou encore l’amélioration de la protection médicale des saisonniers, par le renforcement de l’efficacité de la médecine du travail auprès des travailleurs saisonniers et la possibilité de recourir à la médecine libérale lorsque la visite au médecin du travail est impossible. Autre proposition qui pourrait être facilement mise en œuvre : l’élargissement des possibilités de garde des enfants durant la saisonnalité.

Toutes ces actions menées auprès des saisonniers doivent s’accompagner d’un travail de recensement de la population concernée, pour mieux répondre à ses besoins. À ce titre, la question de la création d’un observatoire de l’emploi touristique, ou plus globalement de l’emploi saisonnier, reste d’actualité.

Cependant, comme je l’ai dit en introduction, la mise en œuvre de ces mesures ne saurait par ailleurs être effective sans un renforcement des moyens de l’inspection du travail.

Mes chers collègues, monsieur le secrétaire d’État, l’ensemble de ces éléments doivent inspirer notre réflexion de ce soir. En tout cas, ils inspirent les membres de notre groupe dans leur travail quotidien. Nous, élus communistes, menons de longue date un combat contre la précarité où qu’elle se situe et pour que les salariés soient représentés et fassent valoir leurs droits. Ce combat fait partie intégrante de celui que nous menons pour une société qui place l’humain en son cœur et qui redonne tout son sens au travail.

Pour cela, il faut savoir écouter les travailleurs. C’est la raison pour laquelle je vous invite d’ores et déjà, mes chers collègues, à participer au colloque que nous organiserons avec différents acteurs du monde du travail saisonnier, notamment la Caisse centrale d’action sociale du personnel de l’énergie, la CCAS, le Forum social des saisonniers, ou encore des associations de salariés saisonniers, les 1er avril et 2 avril, au Sénat. Cette rencontre donnera l’occasion à ces femmes et à ces hommes indispensables à notre économie touristique de faire entendre leur voix et de faire valoir leurs droits.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne Émery-Dumas

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le sujet de débat qui nous est proposé par le groupe CRC est très vaste.

Qui sont les travailleurs saisonniers ?

On estime qu’ils sont au nombre d’environ 1 300 000 chaque année. La plupart sont employés dans l’agriculture, dans l’hôtellerie-restauration et dans des activités liées au tourisme et aux périodes de vacances scolaires.

Dans l’agriculture, par exemple, on observe que les personnes qui se présentent pour effectuer les travaux de cueillette ou de vendange ne sont plus, depuis déjà de nombreuses années, des jeunes qui veulent gagner un peu d’argent pour financer leurs vacances, mais des chômeurs de longue durée et des personnes en situation de précarité.

Et de quels travailleurs saisonniers parle-t-on ? S’agit-il de saisonniers de nationalité française, de ressortissants de l’Union européenne en situation de travailleurs détachés, ou de ressortissants extraeuropéens ?

On estime que, dans le secteur agricole, le nombre de salariés détachés d’États récemment membres de l’Union européenne a grimpé de 1 000 % entre 2004 et 2012.

Quel est leur contrat de travail ? Sont-ils sous contrat de travail saisonnier, avec ou non une clause de renouvellement triennal ? Certains salariés qui devraient être employés sous CDD ne sont-ils pas abusivement sous contrat saisonnier afin que leur employeur soit frauduleusement dispensé de leur verser la prime de précarité ?

Certains peuvent aussi être sous contrat à durée indéterminée intermittent, comme de nombreux saisonniers du thermalisme, en application d’un accord d’octobre 2014. C’est également le cas, dans mon département, des salariées d’une entreprise de fabrication de fixations de ski, qui ne travaillent que six mois dans l’année.

Quelles sont les conditions de logement et de transport de ces salariés ? Le droit à la formation est-il respecté ? Bénéficient-ils d’une surveillance médicale appropriée ? Parviennent-ils à remplir les conditions pour obtenir le remboursement des frais de santé ? En effet, le remboursement des soins et la perception d’indemnités journalières nécessitent des justificatifs que de nombreux saisonniers ont du mal à produire, a fortiori s’ils sont étrangers.

Quels seront les droits à pension de retraite de salariés qui auront été saisonniers durant vingt ans ou trente ans ? Parviendront-ils même à bénéficier de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’ASPA, s’ils ne résident plus sur le territoire national ?

Quel est, enfin, le nombre de travailleurs saisonniers étrangers, soit qui repartent dans leur pays, soit qui restent en France et alimentent un triste vivier de journaliers clandestins exploités ?

Manifestement, le sujet est protéiforme et complexe, tant en pratique que sur le plan juridique. Bien entendu, le droit du travail français s’applique à toutes ces catégories, dès lors que le travail est effectué sur le territoire national. Il n’en demeure pas moins que la justice est régulièrement saisie des conditions de travail et de logement scandaleuses infligées à des travailleurs saisonniers, surtout étrangers, et donc jugés moins à même de se défendre par leurs employeurs.

À travers ces quelques observations, on voit bien que les difficultés des saisonniers sont nombreuses et que celles que rencontrent les saisonniers d’origine étrangère sont encore plus lourdes, appelant par conséquent un traitement spécifique.

Il est donc nécessaire que l’inspection du travail puisse exercer pleinement son rôle en effectuant des contrôles inopinés et assez nombreux dans les secteurs qui emploient des saisonniers en nombre. La réforme en cours de l’inspection du travail doit le permettre.

Sur le plan législatif, nous avons, en juin 2014, adopté la loi visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale, qui renforce les contrôles et les sanctions contre les entreprises qui recourent de manière abusive à des travailleurs détachés. À la suite du rapport de notre collègue Éric Bocquet, ce texte, que j’ai eu l’honneur de rapporter devant le Sénat, est issu d’une proposition de loi socialiste de Gilles Savary. Il a traduit en droit français, par anticipation, le compromis européen qui avait été trouvé pour renforcer la directive « travailleurs détachés » de 1996, objet de nombreuses fraudes. Nous avons donc accompli un premier pas important.

Je rappelle en quelques mots les principales mesures de ce texte. Il étend l’obligation de vigilance de l’entreprise traitant avec un prestataire de services établi hors de France, en lui imposant de vérifier le dépôt de la déclaration de détachement auprès des services de l’inspection du travail. Il instaure la responsabilité solidaire du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage pour le paiement des salaires des employés des sous-traitants. Il ouvre au juge la possibilité d’inscrire sur une « liste noire » les entreprises et les prestataires de services condamnés à 45 000 euros d’amende au moins pour travail illégal. Enfin, il autorise les associations, les syndicats professionnels et les syndicats de salariés à se constituer partie civile.

Il nous faut maintenant aller plus loin, particulièrement en ce qui concerne les travailleurs étrangers saisonniers non ressortissants de l’Union européenne.

La France dispose, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 2006, de la carte de séjour temporaire, ou CST, portant la mention « travailleur saisonnier », destinée aux étrangers titulaires d’un contrat de travail saisonnier qui s’engagent à maintenir leur résidence habituelle hors de France. La loi a mis en place ce titre de séjour là où il n’y en avait généralement pas : souvent, le contrat de travail en tenait lieu. Il est valable trois ans, mais ne permet à son titulaire de séjourner en France que pendant la période des travaux saisonniers et au maximum six mois sur douze.

Le contrat de travail proposé doit être supérieur à trois mois pour obtenir la CST « travailleur saisonnier ». De son côté, l’employeur est censé fournir la preuve de sa recherche infructueuse de candidat sur le marché du travail en France. Des attestations lui sont alors fournies par Pôle emploi.

L’obtention de ce titre ne suffit cependant pas à préserver l’ensemble des droits sociaux : en effet, l’obligation de retour dans le pays d’origine peut faire obstacle au bénéfice de l’assurance maladie. Les droits à la retraite sont aussi difficiles à reconstituer le moment venu.

À l’échelon communautaire, le Parlement européen a adopté, le 5 février 2014, la première directive de l’Union européenne relative à l’emploi de travailleurs étrangers saisonniers non ressortissants de l’Union. Le Conseil a adopté le texte le 17 février et il doit maintenant être transposé dans les deux ans et demi par les États membres. Il aura tout de même fallu quatre ans pour parvenir à un accord !

La question qui se pose aujourd’hui à nous, en tant que législateur, est celle de la transposition et de ses termes.

Que dit cette directive ?

Pour entrer sur le territoire de l’Union européenne en vue d’y occuper un emploi saisonnier, plusieurs documents devront être présentés : un contrat de travail valable et une offre d’emploi ferme, précisant notamment le lieu de travail, la durée d’emploi, la rémunération et le nombre d’heures de travail hebdomadaire ou mensuel. La preuve qu’une demande d’assurance maladie a été présentée ou que cette assurance a été souscrite devra être apportée.

Il faudra également justifier de la fourniture d’un logement adéquat, c’est-à-dire assurant à la personne des conditions de vie décentes. Si le logement est procuré par l’employeur, celui-ci ne pourra exiger un loyer excessif par rapport au revenu du travailleur et à la qualité du logement. Le loyer ne pourra plus être automatiquement déduit du salaire du travailleur, et c’est là un point particulièrement important.

Les États membres devront mettre ces informations à la disposition des travailleurs étrangers de manière facilement accessible. En France, la délivrance de la CST « travailleur saisonnier » devra donc être accompagnée d’informations écrites sur ces éléments.

Les États membres devront fixer la durée maximale de séjour, qui pourra être comprise entre cinq et neuf mois sur douze mois. Durant cette période, le travailleur saisonnier pourra bénéficier d’une prolongation de séjour afin de travailler soit avec le même employeur soit avec un autre. Pour les séjours d’une durée inférieure à trois mois, les États membres seront tenus de délivrer un visa donnant aussi au travailleur saisonnier le droit d’exercer l’activité professionnelle pour laquelle il a été admis.

Le travailleur saisonnier étranger bénéficiera des mêmes droits que les ressortissants du pays d’accueil en matière d’âge minimum de travail, de salaire, d’horaires, de congé, de santé et sécurité, de licenciement, de droit de grève et d’activités syndicales.

Les États membres devront mettre en place des mécanismes de contrôle efficaces, en se fondant sur une analyse des risques. Cette exigence va dans le sens que j’indiquais sur le renforcement des contrôles dans certains secteurs et chez certains employeurs, ce qui implique un renforcement des moyens que nous ne cessons, au demeurant, de demander à tous les gouvernements.

La directive exige aussi des sanctions effectives et dissuasives contre les employeurs contrevenants.

En cas de manquement par un sous-traitant, le contractant principal et tout sous-traitant intermédiaire pourront être tenus solidairement responsables de l’indemnisation due aux travailleurs. Ce point est évidemment fondamental puisque les saisonniers étrangers arrivent en France par l’intermédiaire d’agences d’intérim installées dans plusieurs pays.

Il importe donc que cette directive soit transposée rapidement dans notre droit. Cela ne nous dispense pas, bien entendu, d’une réflexion sur les améliorations possibles dans notre pays.

Il nous faut notamment nous inspirer des accords collectifs et des actions de prévention mises en place dans différentes branches et sur divers territoires en direction des travailleurs saisonniers ; je pense notamment à la création de groupements d’employeurs dans les parcs de loisirs ou les stations de tourisme. L’ancienneté après plusieurs saisons peut également être prise en compte.

Les contrats de professionnalisation peuvent être utilisés pour permettre à des saisonniers d’obtenir une deuxième qualification pour les intersaisons. D’une façon générale, outre que la formation des travailleurs saisonniers est un droit qui n’est pratiquement jamais respecté, elle est une nécessité pour la qualité de nos productions et de nos services.

Sur la question majeure du logement, la rénovation et la construction de foyers-logements proches des lieux de travail peuvent faire l’objet de conventions avec les bailleurs sociaux.

Ce ne sont là que quelques exemples destinés à alimenter et notre réflexion et nos initiatives.

En toute hypothèse, nous ne pouvons tolérer plus longtemps dans notre pays des traitements indignes, tels qu’on peut malheureusement en constater. On a beaucoup affirmé ces derniers temps, et à juste titre, que la France était le pays des droits de l’homme : cela nous oblige tous, mais tout particulièrement nous, en tant que législateurs, à donner à ces formules un contenu réel !

Le groupe socialiste, qui accueille avec beaucoup d’intérêt l’initiative de ce débat prise par nos collègues du groupe CRC, prendra à nouveau toute sa part à l’amélioration des conditions de vie et de travail des travailleurs saisonniers. §

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, qu’est-ce qu’un travailleur saisonnier ? Notre code du travail n’apporte pas de réponse précise à cette question. Et je ne parle pas du statut du travailleur saisonnier étranger !

Selon le site internet du ministère du travail, « le travail saisonnier se caractérise par l’exécution de tâches normalement appelées à se répéter chaque année, à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons – récolte, cueillette – ou des modes de vie collectifs – tourisme. Cette variation d’activité doit être indépendante de la volonté de l’employeur. »

Cette définition nous éclaire sur un aspect majeur : une activité qui se répète chaque année, de manière régulière. C’est la différence fondamentale avec l’intérim, qui est une façon de travailler non régulière, temporaire.

Faute de statistiques sur les saisonniers, on ne connaît pas aujourd’hui leur nombre exact dans notre pays. Cependant, en regardant les besoins de main-d’œuvre de Pôle emploi, on peut noter plusieurs tendances.

D’abord, les saisonniers se retrouvent dans de grands secteurs : l’agriculture – qui emploie 91 % de saisonniers –, l’hébergement-restauration – 62 % –, l’agroalimentaire – 53 % – et le commerce de détail – 44 %.

Ensuite, les recrutements saisonniers ont surtout lieu dans les petites structures : 60, 4 % des projets de recrutement saisonnier concernent des entreprises de zéro salarié et 46, 7 % de ces projets, des entreprises qui comptent un à quatre salariés.

Enfin, la part des projets de recrutement liés à une activité saisonnière est en hausse en 2014 et s’établit à 39, 2 % des prévisions d’embauche, contre 35, 8 % seulement en 2013. Cela correspond à 667 000 embauches potentielles.

Comme je le disais, il n’existe pas de statut de saisonnier dans le code du travail. Certains considèrent que c’est un point positif, car créer un statut spécifique pourrait enfermer ces salariés dans la précarité. On peut aussi estimer, à l’inverse, qu’une reconnaissance juridique permettrait aux pouvoirs publics de mieux encadrer les pratiques, de définir des règles et de limiter les abus.

Les contrats saisonniers sont, pour la plupart, des contrats à durée déterminée. Cependant, à la différence des autres CDD, ils n’ouvrent pas le droit à la prime de précarité. Il en résulte deux conséquences directes : une injustice évidente entre les salariés ; une incitation donnée à certains employeurs peu scrupuleux d’utiliser ce type de contrat dès lors qu’un pic d’activité intervient, alors qu’un contrat de droit commun serait justifié.

Il faut également souligner que les conditions de logement sont parfois difficiles. Dans bien des cas, c’est l’employeur qui se charge de loger les saisonniers. Or les activités saisonnières ont souvent lieu dans des zones où le logement est en tension. De plus, dans l’hôtellerie, par exemple, c’est aussi un outil de travail. Les employeurs sont ainsi tentés d’accueillir de la clientèle plutôt que de loger leurs employés, ce qui pousse à la faute en reléguant les salariés dans des logements de qualité moindre, voire indigne.

Notre droit prévoit certes des obligations légales de salubrité et de surface minimale pour les logements mis à disposition. Toutefois, pour être respectées, ces règles doivent s’accompagner d’une surveillance continue de la part de l’inspection du travail.

Notons aussi que la représentation syndicale des saisonniers est très limitée, ceux-ci n’étant pas toujours en situation d’emploi lorsque ont lieu les rencontres, les incitations à adhérer et, surtout, les élections professionnelles.

Le but de mon intervention n’est pas de contester la nécessité de ce type de travail. Vendanges, sports d’hiver, vacances d’été, centres de vacances : toutes ces activités sont, par définition, saisonnières et ne peuvent créer des emplois stables tout au long de l’année. En revanche, il faut explorer toutes les pistes pour assurer des droits suffisants aux saisonniers, afin de leur permettre de faire face aux variations d’activité et, surtout, à la précarité.

À ce titre, le Défenseur des droits a fait, en 2011, plusieurs propositions qui mériteraient d’être étudiées.

Il conviendrait, tout d’abord, de définir précisément le travail saisonnier dans le code du travail pour en renforcer l’encadrement juridique, prendre en compte les situations des salariés concernés et empêcher les employeurs de recourir à ce type de contrat lorsque cela ne se justifie pas.

Le Défenseur des droits nous invite ensuite à réfléchir aux moyens d’améliorer la stabilité d’emploi de ces salariés. Cela peut passer par un cadre normatif incitatif visant à favoriser une reconduction plus systématique des contrats d’une saison sur l’autre.

Enfin, il est proposé d’accorder aux travailleurs saisonniers l’indemnité de fin de contrat dont bénéficient tous les autres salariés employés en contrat à durée déterminée. Inexistante pour les contrats de travail saisonniers ne comportant pas de clause de reconduction ou lorsque cette reconduction n’est pas respectée par l’employeur, cette indemnité manquante est une vraie injustice !

Au-delà de ces propositions, on peut également réfléchir à la question du logement, en prévoyant, par exemple, une prime spécifique, en plus du salaire. Et, dans le cas où l’employeur se charge de l’hébergement, pourquoi ne pas lui demander de remplir une déclaration préalable adressée à l’inspection du travail dans le but de faciliter à celle-ci les contrôles ?

En conclusion, je tiens à remercier le groupe communiste, républicain et citoyen d’avoir proposé ce débat important. Il montre qu’il est aujourd'hui nécessaire de légiférer pour mettre un terme à la précarité des saisonniers et à leur usage opportuniste.

Monsieur le secrétaire d'État, vous avez entendu de la bouche des trois premières oratrices des propositions somme toute assez convergentes. Nous vous encourageons à prendre la plume pour rédiger de nouveaux textes ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Le Scouarnec

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre assemblée se penche ce soir avec raison sur la situation des travailleurs saisonniers. Ces salariés de l’ombre représentent un peu plus de 2 millions de nos concitoyens, tous secteurs confondus.

L’apport économique du travail saisonnier est souvent ignoré ou, en tout cas, sous-estimé : dans le Pays d’Auray, en Morbihan – vous me permettrez de parler d’un territoire que je connais bien ! §–, il représente près de 20 % de l’emploi et même, à une certaine saison, 40 % des nouvelles offres de Pôle emploi, pour un bassin de population de 90 000 habitants répartis sur vingt-huit communes.

Il en est de même dans de très nombreux territoires, de la montagne au littoral en passant par la campagne, mais aussi dans nos villes. Il ne faut surtout pas oublier non plus la grande région parisienne, première pourvoyeuse d’emplois saisonniers !

Le visage du travail saisonnier est méconnu à double titre : il est occulté, d’une part, parce que la définition même de ce type de contrat est floue selon les instances compétentes. Il est mystérieux, d’autre part, car l’exercice des missions des travailleurs saisonniers peut, dans certains cas, s’exercer hors du droit.

Le résultat de cette somme d’imprécisions est une grande précarité pour ces travailleurs, dont la physionomie a bien changé depuis les années soixante-dix. Ce type de contrat ne concerne plus uniquement des jeunes, mais aussi des personnes plus âgées et avancées dans leur parcours professionnel. Il n’y a pas d’âge pour faire partie des travailleurs saisonniers !

Ceux-ci sont des salariés précaires, par définition, puisque leurs contrats sont des contrats à durée déterminée dits « par nature », c’est-à-dire sans prime de précarité.

Jusqu’en 2011, leurs allocations chômage étaient minorées de 25 % par rapport aux autres allocataires ; un jugement a alors mis fin à cette iniquité.

Il reste que le travail saisonnier se caractérise par une précarité à grande échelle ! Si rien n’est fait, le contrat saisonnier sera le siphon qui entraînera tous les autres contrats vers le bas !

Il faut également souligner la mauvaise situation des salariés saisonniers en matière d’hygiène et de sécurité. La fréquence et la gravité des accidents du travail, des conditions de vie déplorables faute de pouvoir se loger décemment, l’accès aux soins de santé compliqué pendant les saisons : autant de phénomènes sous-estimés parce que la forte mobilité de l’emploi et la grande diversité des lieux de travail rendent très difficiles le suivi des saisonniers et la traçabilité de leur exposition aux risques professionnels.

Il est nécessaire d’actionner plusieurs leviers pour faire reculer la précarisation sociale et professionnelle liée à leurs conditions de travail et aux conditions spécifiques de l’exercice de leurs métiers.

Depuis la loi Montagne de 1985, les initiatives gouvernementales se sont succédé, produisant peu d’avancées. Rapports, recommandations braquant les projecteurs sur le sujet ne manquent pas : les 31 propositions d’Anicet Le Pors, le rapport Halls-French et Simon, en 2003, la mission de François Vansson, en 2011, le rapport de François Nogué en 2013. Que de consultations, de commissions, de rapports, de préconisations pour n’aboutir à aucune mesure efficace, correspondant à l’objectif affiché !

Pourtant, le cœur des dispositions qui contribueraient à s’attaquer à cette précarité massive est connu : il serait efficace, par exemple, d’instituer une clause de reconduction des contrats pour les saisonniers fidélisés. Cela sécuriserait leur parcours et favoriserait leur liberté d’action, limiterait la course à l’emploi, aiderait à construire un parcours de formation et leur permettrait, bien sûr, d’être moins angoissés et d’accéder à une vie plus sereine, plus normale, avec d’autres perspectives que la peur du lendemain.

Concernant le logement des saisonniers, premier critère de précarisation, sa garantie doit reposer sur la triple responsabilité du législateur, des collectivités et des employeurs. Confrontés à de graves difficultés, les élus du pays d’Auray, dont j’étais, ont su créer un foyer pour les jeunes travailleurs et une auberge de jeunesse avec des logements dédiés aux travailleurs saisonniers.

Il est également nécessaire d’agir en ce qui concerne les transports. Faire se déplacer des centaines de milliers de salariés à travers toute la France en laissant le coût des trajets à leur charge est scandaleux ! De plus, bien souvent, l’éloignement géographique et le coût des déplacements causent de vrais soucis familiaux : les enfants en souffrent. Cela ne contribue pas à une vie familiale harmonieuse.

Dès sa nomination, le ministre des finances a confié à un groupe de parlementaires la mission « d’apporter des solutions durables à une situation qui n’a que trop duré ».

À la légitime indignation doivent succéder des mesures !

Face au chômage de masse, l’emploi saisonnier peut constituer une chance et une richesse pour nos territoires, à condition qu’il ne se développe pas au détriment des droits sociaux et professionnels.

De plus, la concurrence des travailleurs détachés est féroce dans les secteurs concernés. Ces « sous-contrats de travail » sont dangereux, d’abord pour les travailleurs étrangers eux-mêmes, lesquels, déjà pauvres, se retrouvent sans droits ni protection, mais également pour nos salariés, qui subissent de plein fouet cette concurrence déloyale liée au dumping social. Comme le préconise le Conseil économique et social européen, il faut que l’Europe fasse des progrès en matière d’harmonisation sociale.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Le Scouarnec

L’isolement des saisonniers constitue leur point faible. C’est l’un des nœuds qu’il convient de desserrer pour faire progresser les droits et la protection de ces salariés, qui doivent vivre douze mois sur douze, ainsi que leurs familles.

Devant ce constat, notre responsabilité est de faire de la saisonnalité un levier et non plus un problème. La saisonnalité ne doit plus être considérée comme un frein, mais comme une ressource.

Dans l’industrie du tourisme, 900 000 travailleurs sont employés sous contrat saisonnier. N’oublions pas que la France est le premier pays visité au monde et que la manne du tourisme représente 145 milliards d’euros. Nous devons donc être les premiers et les meilleurs pour résoudre cette question sociale.

Dans nos territoires, des actions innovantes sont menées. Retournons en Bretagne, dans ce pays d’Auray que je connais par cœur – ceux qui ne le connaissent peuvent venir l’été prochain !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Le Scouarnec

Les travailleurs saisonniers ont vu leurs métiers se transformer. Leur exercice nécessite notamment des formations adaptées aux exigences de ces évolutions. Une initiative novatrice a été lancée en Bretagne dans le secteur de l’hôtellerie de plein air, avec la mise en place d’une formation originale à destination des professionnels, faisant alterner des cours pratiques et théoriques sur trois ans, et dont la finalité est l’obtention d’un diplôme mais surtout d’un contrat à durée indéterminée. Ce dispositif pérennise la main-d’œuvre en la qualifiant, tout en permettant à nos territoires, à nos entreprises et à nos salariés d’envisager un développement économique durable.

Une autre avancée s’est concrétisée en zone de montagne, grâce aux missions locales et aux maisons de l’emploi, qui ont su construire des « ponts » avec le littoral.

Dans mon pays d’Auray, encore lui, l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l’AFPA, le réseau d’employeurs, la mission locale, Pôle Emploi et le conseil régional de Bretagne ont mis en œuvre une formation d’une durée de deux mois et demi permettant aux stagiaires issus de la restauration de sécuriser leurs projets professionnels entre la mer, en été, et la montagne, en hiver.

Puisque la clef de cette sécurisation est l’alternance, ces travailleurs saisonniers ont du travail neuf mois sur douze – ce n’est pas encore assez, mais c’est tout de même mieux qu’auparavant ! – et reviennent le plus souvent chez leur employeur d’origine. Ainsi, de 2008 à 2011, on dénombrait dans le secteur d’Auray, ville de 13 000 habitants, plus de 35 employeurs partenaires, 247 placements réalisés, 517 saisonniers reçus et 615 mises en relation avec l’employeur. Cette expérience mériterait d’être poursuivie et élargie au niveau national.

D’autres territoires ont pu mettre en œuvre des expériences originales, qui mériteraient, elles aussi, d’être connues et reconnues. Leur recensement permettrait d’élaborer un projet de contrat novateur et adapté pour l’ensemble des régions de France.

Vous le comprenez, ces exemples de l’Ouest démontrent que la pluralité et la saisonnalité ont un impact sur les trajectoires professionnelles. L’emploi saisonnier est une composante des parcours professionnels, et non pas une anomalie. Il est aussi une composante incontournable du marché de l’emploi et représente des enjeux économiques pour nos territoires. Son rôle est fondamental dans de nombreux secteurs d’activités.

Les propositions d’Anicet Le Pors, évoquées précédemment, sont encore et toujours d’actualité, bien qu’elles aient été faites voilà quinze ans.

Les travailleurs saisonniers attendent des gestes forts de la part du Gouvernement. Ils n’ont que trop attendu ! Mais peut-être peuvent-ils espérer quelques mesures nouvelles permettant d’améliorer leurs conditions de travail et de sécuriser leurs contrats ? §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier nos collègues du groupe CRC de nous donner l’occasion de débattre de cette question importante, en particulier dans le contexte de crise économique et sociale que nous connaissons.

Le diagnostic est connu et partagé : la situation des travailleurs saisonniers dans notre pays n’est pas satisfaisante, ainsi que de très nombreux rapports l’ont fait ressortir. En 1999 déjà, Anicet Le Pors, dont le nom est souvent cité ce soir, avait rédigé un rapport tendant à améliorer la situation professionnelle et sociale des travailleurs saisonniers du tourisme. Il pointait alors la précarité de ces emplois, qui ne bénéficient pas d’une bonne image : synonymes d’horaires de travail épuisants et de conditions de vie difficiles, ils ne permettent pas de se projeter dans de véritables perspectives de carrières.

Depuis, la situation a bien peu évolué. Force est de constater que le secteur du tourisme, particulièrement dynamique pour l’emploi, cache une bien triste réalité : la précarité des travailleurs saisonniers.

Alors que la France occupe une place très importante dans le tourisme mondial, il convient de rappeler que les travailleurs saisonniers ont un rôle stratégique. Par la qualité de leur travail, ils sont en effet les garants du dynamisme de la filière et de l’attractivité de nos territoires.

Ces travailleurs, de plus en plus nombreux, n’exercent d’ailleurs pas uniquement dans l’industrie du tourisme ou le monde agricole ; ils interviennent aussi dans d’autres secteurs, comme la grande distribution ou la fonction publique, lesquels, avouons-le, dépendent assez peu des saisons ! §

Je l’ai dit, la situation des travailleurs saisonniers est particulièrement précaire. Lors du troisième Forum social des saisonniers, qui s’est tenu en novembre dernier à Chambéry, la profession a dénoncé à nouveau leurs conditions de travail et formulé des propositions qui doivent nous amener à réfléchir à un véritable statut du salarié saisonnier.

Améliorer la situation des travailleurs saisonniers suppose que l’on agisse à différents niveaux pour atténuer cette précarité.

Chaque année, les saisonniers rencontrent des difficultés pour se loger et se rendre sur leur lieu de travail. La pénurie de logements à bon marché est un problème récurrent, qui peut faire obstacle à l’obtention d’un emploi ou entraîner des conditions de vie difficiles.

Du fait de la cherté des loyers, les saisonniers sont souvent contraints de vivre dans des logements de fortune, inadaptés, ou de résider loin de leur lieu de travail, ce qui implique un allongement sensible de leur temps de trajet. Chacun de nous a en mémoire le drame de La Clusaz : en janvier 2013, deux jeunes saisonniers ont trouvé la mort dans l’incendie de leur camion. De telles catastrophes ne sont pas tolérables !

Garantir des conditions satisfaisantes d’accueil et d’environnement professionnel passe également par une amélioration des transports. Dans ce domaine, il faut bien reconnaître que rien n’est fait pour faciliter les trajets des travailleurs saisonniers. En outre, les temps de transport peuvent être très longs dans certaines régions touristiques, notamment à la montagne, où le relief et les intempéries s’ajoutent à la densité du trafic pour rendre les conditions de circulation particulièrement difficiles.

Surtout, la précarité de ces professions résulte de la nature du contrat de travail. Les saisonniers ne bénéficient ni de la prime de précarité, contrairement aux autres salariés sous contrat à durée déterminée, ni de la reconduction de leur contrat. C’est pourtant l’une des principales revendications des salariés de ce secteur.

Lors des débats sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, nous avions été plusieurs dans cet hémicycle et à l’Assemblée nationale – je pense notamment à mon collègue député Joël Giraud – à demander la mise en place de la reconduction automatique du contrat : en cas de non-respect de la clause de reconduction par l’employeur, celui-ci devrait verser au salarié une prime de « non-reconduction », équivalente à la prime de précarité des CDD non saisonniers. L’employeur aurait toutefois la possibilité de ne pas respecter cette clause en cas de motifs réels et sérieux.

Une telle disposition permettrait d’atténuer la précarité dans laquelle se trouvent ces salariés. Malheureusement, le Gouvernement avait à l’époque rejeté cette proposition, au motif de la création d’un groupe de travail sur ce sujet.

Mon groupe avait également proposé de recourir à des CDI intermittents, en l’absence d’accord collectif dans les régions touristiques. Il s’agissait de mettre en place un nouveau droit optionnel permettant une meilleure sécurisation du contrat sur le long terme.

Là encore, le Gouvernement n’a pas donné de suite favorable à notre proposition. En effet, la loi relative à la sécurisation de l’emploi a mis en place, à l’article 24, les contrats intermittents à titre expérimental, dans trois secteurs bien spécifiques : les chocolatiers, la formation et le commerce des articles de sport. Il nous a donc été demandé de laisser cette expérimentation aller à son terme et d’en tirer les conséquences avant d’envisager son extension.

Le Gouvernement devait transmettre au Parlement un rapport d’évaluation de l’expérimentation avant le 31 décembre 2014, mais il semble que celui-ci n’ait pas encore été publié. Monsieur le secrétaire d’État, avez-vous des précisions à nous apporter sur ce point ?

En novembre 2013, le groupe de travail présidé par François Nogué a rendu son rapport intitulé « Le tourisme, filière d’avenir », dans lequel il présente un plan de mobilisation national en faveur de l’emploi dans le secteur du tourisme. Ce plan comprend vingt et un leviers d’actions, dont quatre répondent à l’idée majeure selon laquelle il est nécessaire de consolider et de « déprécariser » l’emploi saisonnier.

Si l’auteur de ce rapport invite à développer le contrat de travail intermittent pour les travailleurs saisonniers employés en CDI par deux employeurs, il envisage également la possibilité d’un contrat saisonnier assorti d’une clause de reconduction obligatoire.

Michel Sapin et Sylvia Pinel ont réaffirmé leur détermination à faire de ce rapport un levier d’action immédiat et un socle de réflexion pour l’avenir. Ils ont également souhaité le lancement d’un groupe de travail sur l’emploi et la formation dans le cadre des Assises du tourisme.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire quelles suites le Gouvernement compte donner au rapport Nogué ?

Enfin, je voudrais me faire le porte-parole de mon collègue Guillaume Arnell en vous transportant dans le cadre enchanteur et paradisiaque de Saint-Martin

Exclamations sur certaines travées.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Le marché de l’emploi dans l’île de Saint-Martin se caractérise par une forte saisonnalité. C’est encore une illustration de « l’envers du décor ». Le secteur du tourisme est principalement concerné : dopé par la défiscalisation dès les années quatre-vingt, il constitue l’un des piliers de l’économie saint-martinoise. Il regroupe de nombreuses activités, parmi lesquelles les branches de l’hôtellerie et de la restauration, qui emploient près de 1 500 salariés.

Dans ce contexte, aggravé par un fort taux de chômage, Saint-Martin rencontre deux problèmes majeurs : tout d’abord, les Saint-Martinois sans emploi sont confrontés à la concurrence des travailleurs ne résidant pas sur l’île à l’année ; par ailleurs, des saisonniers inscrits au chômage à la suite d’une saison effectuée en métropole viennent exercent une activité non déclarée le temps d’une saison sur l’île, ce qui ne manque pas de créer des difficultés.

La situation des travailleurs saisonniers méritait bien un débat. Merci encore au groupe CRC d’avoir proposé son inscription à l’ordre du jour. Les membres du groupe du RDSE sont heureux d’y participer et d’apporter leur contribution à la réflexion. §

Debut de section - PermalienPhoto de Loïc Hervé

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la situation des travailleurs saisonniers dans notre pays est très clairement problématique. C’est pourquoi je remercie nos collègues du groupe CRC d’avoir inscrit cette question à l’ordre du jour de la Haute Assemblée, ce qui nous permet d’engager ce débat.

Il convient de relever un paradoxe : alors que le travail saisonnier est devenu un élément incontournable de notre économie, les pouvoirs publics n’ont pas accompagné cette évolution majeure de notre marché du travail.

Oui, le travail saisonnier est aujourd’hui un atout clef de l’économie française.

L’Association des lieux d’accueil des travailleurs saisonniers, l’ALATRAS, estime à 1, 6 million le nombre de travailleurs saisonniers et pluriactifs sur les quelque 29 millions d’actifs que compte la France. Le travail saisonnier représenterait donc plus de 5 % de l’emploi français. À l’heure où plus personne ne croit à l’inversion de la courbe du chômage, ce chiffre mérite d’être pris sérieusement en considération.

L’emploi saisonnier s’est, bien sûr, énormément développé avec le tourisme. Il recouvre les professionnels mobiles, ayant fait une école hôtelière ou des études de tourisme, les pluriactifs locaux et les jeunes à la recherche d’un premier emploi ou d’un emploi occasionnel.

La France demeurant la première destination touristique du monde, nous ne pouvons négliger ce phénomène.

Dans mon département de Haute-Savoie, par exemple, où les sports d’hiver occupent une place prépondérante dans l’activité économique, le travail saisonnier constitue un véritable poumon.

Le poids économique de l’emploi saisonnier dépasse d’ailleurs le seul secteur du tourisme. En effet, la saisonnalité est protéiforme et il ne faut pas négliger le travail saisonnier induit, avec les activités d’animation et de services à la personne. Le travail saisonnier occupe également une place centrale dans l’agriculture, ainsi que l’évoquera notre collègue Claude Kern tout à l’heure.

Pourtant, plus le travail saisonnier se développe, plus la situation des travailleurs saisonniers, dont nous avons si vitalement besoin, semble se dégrader.

À la suite de notre collègue Jean-Claude Requier, je rappellerai la mort de deux saisonniers dans l’incendie de leur caravane, sur le parking d’une station de mon département, au début de l’année 2013. Ce drame a tragiquement braqué les feux de l’actualité sur la question du logement des travailleurs saisonniers. Mais cette question, pour fondamentale qu’elle soit, ne représente, hélas, que l’un des aspects du problème.

Pour le dire de façon schématique, le problème est qu’il n’existe pas de statut du travailleur saisonnier. Une forme particulière d’emploi, induite par l’évolution de l’activité économique, s’est développée sans que notre droit en accompagne l’essor. Aussi, alors que nombre de travailleurs saisonniers construisent, année après année, une vie professionnelle d’une grande stabilité, leur statut juridique et social demeure placé sous le sceau de la précarité.

La question du logement est d’autant plus prégnante qu’elle doit être rapprochée de l’impossibilité dans laquelle sont les travailleurs saisonniers d’obtenir un prêt bancaire, compte tenu de l’instabilité apparente de leur vie professionnelle.

Debut de section - PermalienPhoto de Loïc Hervé

La question de la pérennisation des contrats saisonniers est tout aussi lancinante. Dans la loi Montagne de 1985, le chapitre IV prévoyait des décrets d’application pour faciliter la pluriactivité et la reconduction des contrats saisonniers. Près de trente ans après, la situation n’a pas évolué.

Quid de la formation ? Le compte formation professionnelle semble totalement inadapté à la situation des travailleurs saisonniers. In fine, les employeurs, qui ne trouvent plus de travailleurs suffisamment qualifiés, en sont réduits à se tourner vers la main-d’œuvre étrangère. Idem en matière de pénibilité : les dispositions législatives sont tout aussi inadaptées, dans la mesure où elles prennent en compte des seuils annuels pour ouvrir d’éventuels droits à un départ anticipé à la retraite. Enfin, l’obligation d’avoir une mutuelle professionnelle oblige les saisonniers à gérer plusieurs contrats qu’ils doivent régulièrement résilier.

On le voit, les lois sociales, même les plus récentes, ne prennent pas en compte la multiactivité et le cumul de contrats.

Face à l’absence de statut juridique et social du saisonnier, employeurs et collectivités ont cependant tenté de réagir. Les exemples en sont nombreux. Pour ma part, je n’ai pas à aller chercher bien loin. Dans mon département, des stations de sports d’hiver ont acheté des immeubles pour y aménager des appartements à destination des saisonniers.

Par ailleurs, les maisons des saisonniers, les espaces saisonniers ou maisons de la saisonnalité se sont multipliés. Saisonniers et employeurs peuvent s’y informer sur toutes les questions liées à la recherche d’emploi, de logement et à la vie dans les stations.

On peut encore citer le partenariat entre les communes de bord de mer, qui prévoit un échange de saisonniers, le Forum des saisonniers organisé depuis douze ans à Saint-Lary-Soulan, l’ouverture d’un guichet initiative pluriactivité emploi, ainsi que la mise en place de Perennitas, un logiciel de gestion de la saisonnalité et de la pluriactivité sur un territoire donné.

On ne peut que saluer ces initiatives. Elles ont toutefois leurs limites : elles ne peuvent complètement remédier à l’absence de statut du travailleur saisonnier.

Ce statut, il appartient aux partenaires sociaux et au législateur de le mettre urgemment en place. De nombreux rapports sont là pour les inspirer : celui d’Hervé Gaymard en 1994, celui d’Anicet Le Pors en 1999, d’Alain Simon en 2003, de François Vannson en 2011 ou, le dernier en date, celui de la mission conduite par François Nogué au mois de novembre 2013. Ces rapports formulent des propositions très concrètes.

L’heure n’est plus aux rapports. Les travailleurs saisonniers attendent qu’une impulsion politique soit donnée.

Monsieur le secrétaire d'État, entendez-vous demander aux partenaires sociaux d’aboutir à un résultat sur ce sujet, quitte à intervenir ensuite sur le plan législatif en cas d’échec des négociations ou, au contraire, pour pérenniser les accords dans la loi ?

L’une des principales demandes des travailleurs saisonniers est la clause de reconduction automatique de leurs contrats.

Debut de section - PermalienPhoto de Loïc Hervé

M. Loïc Hervé. Cette question pourrait être prioritairement examinée.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – Mme Catherine Génisson applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Monsieur le secrétaire d’État, vous vous êtes rendu dans la Marne il y a quelques jours. Comme j’étais pris par la session du conseil général, je n’ai pu vous accueillir, mais j’ai suivi de très près votre déplacement. Vous avez pu constater que la viticulture était une économie florissante, qui pesait fortement dans la balance commerciale extérieure – quelque 4, 5 milliards d’euros –, mais qui, dans le même temps, connaissait des problèmes. Comme d’autres secteurs, en effet, elle est confrontée aux conséquences de la crise.

Je pense que l’on a dû vous faire part d’un certain nombre de difficultés, notamment celles qui concernent les emplois saisonniers, régulièrement sollicités, en particulier au moment des vendanges.

Au fil du temps – c’est encore plus vrai pour ces dernières années –, les charges sociales ont considérablement augmenté, ce qui commence à peser lourdement sur la viticulture et à mettre en péril un certain nombre d’actions traditionnelles dans le vignoble de champagne ou dans d’autres vignobles.

Qui plus est, la concurrence internationale est particulièrement âpre et les normes de plus en plus contraignantes. Si l’on veut une viticulture raisonnée, encore faut-il conserver les traditions, notamment faire en sorte que l’on puisse assurer des vendanges manuelles et non pas se résoudre à des vendanges à la machine, comme cela peut se faire dans un certain nombre de vignobles.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Oui, madame David, les vendanges se font à la main, en Champagne !

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

M. René-Paul Savary. C’est particulièrement noble. C’est une technique traditionnelle qui suppose une sélection des raisins et qui contribue à la notoriété de ce vin au prestige mondial, qui fait pétiller les yeux lorsque l’on en parle !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Mme Cécile Cukierman. Et aussi lorsqu’on en boit !

Rires.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

C’est une carte de visite extraordinaire !

Au moment des vendanges, le nombre d’emplois créés se révèle particulièrement significatif. De fait, nos concitoyens ne manquent pas de s’interroger, lorsqu’ils voient des vendangeurs venus de l’étranger remplacer cette main-d’œuvre, alors que le taux de chômage est singulièrement élevé, dans ce bassin comme ailleurs.

Il convient d’adresser des signaux à cette profession, qui connaît des difficultés importantes. Il ne faudrait pas que ce coût social supplémentaire conduise les viticulteurs à utiliser d’autres pratiques pour amasser des raisins, notamment la machine à vendanger. C’est la raison pour laquelle nous devons être particulièrement attentifs.

Nous voulons toujours moderniser les pratiques culturales, faire en sorte d’aller vers une viticulture raisonnée. Pourtant, les contraintes sont là, et la remise en cause des contrats vendanges, récemment, pose un certain problème. Jusqu’à présent, une exonération partielle des cotisations sociales visait plus de 8 % du salaire des vendangeurs. La suppression de ce dispositif pèse lourdement sur ces derniers. C’est la raison pour laquelle je souhaitais attirer votre attention sur ce point.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Quand on voit le prix de certaines maisons de champagne, on a peine à le croire !

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Les bénéfices des maisons de champagne sont tout à fait importants, vous avez raison de le signaler, ma chère collègue. Ils permettent d’ailleurs à ces maisons, sur la base des conventions collectives signées depuis un certain nombre d’années, de rémunérer des travailleurs saisonniers ou des travailleurs employés à temps plein au-dessus du SMIC, alors même que ces entreprises ne sont pas du tout concernées par le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

En conséquence, quand on prétend que, dans un certain nombre de secteurs, le CICE a apporté aux entreprises des avantages et que l’on pourrait donc, en contrepartie, revenir sur des exonérations de cotisations sociales, on se trompe. C’est inexact, car ce ne sont pas les mêmes qui sont concernés.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Vive la Champagne ! C’est une grande région.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Oui, cher collègue, il est important de continuer à tirer vers le haut, si nous voulons un modèle économique et un modèle social qui tiennent la route et qui soient des facteurs de croissance dans des territoires comme les nôtres, régulièrement mis à mal par d’autres interventions.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Lorsque le vendangeur a soixante euros ou quatre-vingts euros en moins dans la poche – c’est une somme, lorsque l’on travaille entre une semaine et quinze jours en période de vendanges ! –, on pourrait imaginer que l’employeur compense cette perte par une prime versée à son salarié. Toutefois, le montant des charges patronales est alors multiplié par trois, ce qui n’incite pas l’employeur à combler le manque à gagner !

Pour bien mesurer la situation, il n’est qu’à se pencher sur les chiffres. Ainsi, monsieur le secrétaire d’État, quelque 125 376 vendangeurs pour l’AOC Champagne ont été soumis à ces problèmes liés au contrat vendange, notamment l’absence d’exonération de charges patronales.

Pour une semaine de travail, les charges patronales d’un cueilleur qui est payé 9, 43 euros de l’heure…

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

M. René-Paul Savary. … sont passées de 68 euros en 2012 à 112 euros en 2013. L’écart est encore plus important pour les pressureurs – après avoir cueilli, il faut bien pressurer !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Ne serait-ce que, pour les vendanges, cela fait une augmentation des cotisations de six millions d’euros à l’échelle de la Champagne, pour huit à dix jours de vendanges.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Or il est inutile de rappeler que les charges sont déjà très importantes. Pour un seul saisonnier à la taille, les charges patronales sont passées de 75 euros en 2012 à 632 euros en 2013. Cela représente donc un coût supplémentaire particulièrement important ; il fallait le souligner.

Par ailleurs, en tant que président de conseil général, je suis frappé de voir que si peu de bénéficiaires du RSA font les vendanges. La raison en est que le dispositif atteint vite ses limites. Même si l’on note quelques mesures encourageant à cumuler le revenu de solidarité et le revenu du travail, elles ne sont pas suffisamment incitatives.

En effet, les bénéficiaires du RSA sont ensuite pénalisés et un certain nombre de leurs droits sont remis en cause et réduits en raison de ce travail supplémentaire. Ainsi, ce public n’est pas incité à aller vers ce travail qui lui procurerait pourtant un revenu complémentaire.

À l’occasion de ce débat sur le travail saisonnier, je tenais à signaler cette situation, qui touche non seulement des personnes, mais également des secteurs d’activité importants. §

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens moi aussi à remercier le groupe CRC d’avoir inscrit ce débat sur les travailleurs saisonniers à l’ordre du jour de nos travaux.

Les quelques recherches que j’ai pu mener m’ont montré que ce sujet n’était que trop rarement abordé au Parlement. Cela a été souligné, la dernière occasion d’évoquer cette problématique remonte au projet de loi de finances, avec la fameuse question des contrats vendanges. Selon moi, d’ailleurs, la question avait été abordée davantage du point de vue des employeurs que de celui des salariés.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Cette différence de visibilité des travailleurs saisonniers dans nos débats, par rapport à d’autres salariés plus proches des relais traditionnels, s’explique assez facilement. C’est pourquoi je suis heureux que nous puissions aujourd’hui accorder à ces travailleurs toute l’attention qu’ils méritent.

Aujourd’hui, de 1, 5 million à 2 millions de personnes seraient concernées chaque année par un emploi saisonnier, une pratique utilisée majoritairement dans les secteurs agricole et touristique. Les limites de ce statut sont connues : à la différence du CDD, le salarié saisonnier n’a pas droit à la prime de précarité de 10 % à la fin de l’exécution de son contrat.

Les travailleurs saisonniers sont soumis à de nombreux inconvénients et risques professionnels. Outre la précarité inhérente à cette nature d’emplois, ils ne bénéficient pas des formations auxquelles ils pourraient prétendre, subissent un rythme effréné et des horaires décalés et notablement excessifs au regard de la loi, une fatigue et un stress particulièrement nuisibles.

Les principales infractions relevées concernent la sous-déclaration des heures de travail.

Les conditions de transport et de logement sont elles aussi délicates ; cela a été dit, mais je le répète. Nous avons tous en mémoire la mort des deux jeunes saisonniers brulés vifs, évoqués à l’instant par nos collègues.

Pour apporter des réponses durables à ces situations de précarité, quelques solutions existent. Je pense notamment aux groupements d’employeurs, car ce système, véritable exemple de mutualisation, a démontré son efficience.

Dans mon département de l’Hérault, l’emploi saisonnier est majoritairement concentré dans la branche agricole et dans la branche tourisme, qui représentent à elles seules, selon Pôle emploi en Languedoc-Rousillon, près de 24 % des emplois proposés dans le département.

Pour faciliter la création d’emplois durables, différentes actions ont été menées afin de repérer les besoins des entreprises ou des collectivités, d’identifier les complémentarités d’activités entre filières, branches et territoires, et de mener des actions de formation ciblées auprès des publics demandeurs d’emplois pour faire coïncider les compétences et les besoins des entreprises.

Ces actions de structuration de l’emploi saisonnier ont mis en évidence la nécessité de faire coopérer les entreprises en facilitant le partage d’emplois et de compétences pour sécuriser les parcours professionnels et faciliter la création d’emplois pérennes.

Dans l’Hérault, cette solution est l’une des mieux adaptées à l’évolution et à l’amélioration des conditions de l’emploi saisonnier. Elle a donné des résultats probants depuis sa mise en place dans les années deux mille. Près de 148 groupements d’employeurs actifs, dont 70 % de groupements agricoles, ont vu le jour à la suite des actions menées sur les territoires. Au total, 1 500 emplois ont ainsi été créés.

En 2010, à la suite d’un constat de déficit de compétences, la profession agricole a souhaité accompagner la création d’un GEIQ, un groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification, spécifique aux métiers de la vigne et du vin. Après quatre années d’activités, soixante personnes ont été formées dans le département de l’Hérault, pour cinquante-cinq entreprises adhérentes. Au total, quelque 90 % d’entre elles ont ensuite trouvé un emploi pérenne.

Aujourd’hui, quatre GEIQ sont présents dans l’Hérault. Ils concernent des secteurs très divers : l’agriculture, le bâtiment, l’hôtellerie de plein air et les services à la personne.

Il s’agit d’un exemple concret de réponse au problème de précarité lié à l’emploi saisonnier. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous m’indiquer si vous avez des pistes pour favoriser l’émergence de tels groupements d’employeurs, notamment des aides au démarrage, lesquelles permettraient d’accompagner des emplois qualifiés, qui sont aussi l’une des composantes des groupements d’employeurs ?

Pour revenir au contexte national, comment aborder enfin la question des travailleurs saisonniers sans évoquer les travailleurs venant de pays hors Union européenne ?

Si la situation des travailleurs saisonniers ressortissants de l’Union européenne n’est pas satisfaisante, celle des ressortissants de pays tiers est le plus souvent marquée par le dumping salarial et social, ainsi que par des règles de droit ouvertement bafouées. Sur l’initiative des organisations syndicales, de nombreux exemples d’horaires, de conditions de travail et de logement indignes sont portés chaque année à la connaissance du public et donnent lieu à contentieux.

À cela s’ajoutent les sociétés de service européennes qui, via des contrats de prestations de services, offrent une main-d’œuvre étrangère en toute légalité, à des tarifs défiant toute concurrence – onze euros de l’heure –, sans aucune formalité : pas de bulletin de salaire, pas de déclaration à l’URSSAF, pas de cotisations sociales, une prestation payable sur facture. Les salariés peuvent être nourris et logés par le prestataire, qui retient parfois une partie de leur salaire. Dans la majorité des cas, les règles ne sont pas respectées, notamment en ce qui concerne le taux horaire. C’est scandaleux.

Dans l’Hérault, certains agriculteurs font appel à ces sociétés pour diverses raisons. Il est d’abord très difficile, compte tenu de la pénibilité des tâches et de la flexibilité des horaires – le week-end ou les jours fériés par exemple – de trouver des salariés. Ces sociétés épargnent aux agriculteurs les lourdeurs administratives. Ils n’ont en effet qu’une facture de prestation de services à payer. Cela doit nous conduire à nous interroger fortement sur ces emplois, qui n’alimentent pas la solidarité nationale et qui n’offrent aucune perspective durable aux travailleurs souvent venus de pays d’Amérique latine.

Une directive sur ce sujet a été adoptée par le Parlement européen le 5 février 2014, qui doit obligatoirement être transposée dans les deux ans et demi. Je suis évidemment impatient de voir la traduction dans les faits de cette initiative européenne.

Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous indiquer les principaux changements attendus par la transposition de cette directive ? J’attends notamment des précisions sur les moyens de contrôle prévus et les sanctions envisagées.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Kern

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier à mon tour nos collègues du groupe CRC d’avoir consacré ce temps de débat à la situation des travailleurs saisonniers.

En tant que frontalier, j’ai choisi de cibler mon intervention sur l’emploi saisonnier agricole et sur les distorsions de concurrence existant entre la France et l’Allemagne, ce qui ne vous surprendra pas.

Depuis quinze ans, les surfaces cultivées en légumes, à l’exception des légumes secs, ont diminué de 30 % en France. Durant la même période, elles ont augmenté de 30 % en Allemagne et aux Pays-Bas. Ce mouvement est particulièrement marqué sur certains produits comme les carottes, les oignons, les asperges et les fraises.

Nous le savons tous, mes chers collègues, la principale explication de ce mouvement réside dans les coûts de production, inférieurs dans les pays voisins, notamment pour la main-d’œuvre saisonnière, mais aussi au niveau des autres intrants – les plants, les produits phytosanitaires.

Pour les productions spécialisées, particulièrement les cultures légumières, de nombreuses opérations, surtout les travaux de récolte, ne sont pas mécanisables. De fait, les charges de main-d’œuvre représentent une part importante des coûts de production, de 30 % à 70 %. Aussi le retard dans l’harmonisation sociale européenne crée-t-il de profondes disparités.

La mise en place d’un salaire minimum en Allemagne au 1er janvier 2015 est une première étape vers la convergence, mais la distorsion reste encore importante. En effet, la branche agricole en Allemagne bénéficie pour la mise en place du salaire minimum de mesures transitoires, qui lui permettent d’appliquer un montant inférieur pendant trois ans.

Durant cette période, les employeurs agricoles allemands bénéficieront également d’une exonération totale de charges pour les contrats inférieurs à soixante-dix jours. Les producteurs allemands pourront déduire le gîte et le couvert sur les bulletins de salaire en appliquant des barèmes définis par la loi.

En France, le salaire minimum s’applique à tous les salariés, quel que soit le secteur d’activité, et il est fixé à 9, 61 euros par heure. Les employeurs agricoles de salariés occasionnels bénéficient d’exonérations de charges patronales pour l’emploi de travailleurs occasionnels et de demandeurs d’emploi. Ce dispositif permet d’abaisser les cotisations patronales à environ 7, 63 %, dans la limite de 119 jours par salarié et par an.

Seuls les salaires inférieurs à 1, 25 SMIC bénéficient d’un taux de cotisations patronales à 7, 63 %. Entre 1, 25 SMIC et 1, 5 SMIC, l’exonération est dégressive et le taux de charges est donc plus élevé. À 1, 5 SMIC – antérieurement, c’était trois SMIC –, l’employeur n’aura plus aucun allègement de charges. Son taux de charges est alors supérieur à 40 %.

Malgré la complexité de ce dispositif d’exonération – nul ici ne me contredira –, il est important d’en assurer le maintien, pour ne pas amplifier les distorsions que subissent les producteurs français.

Les employeurs français peuvent également déduire de leur déclaration d’imposition quelque 6 % du montant des salaires inférieurs à 2, 5 SMIC versés. Mais cette déduction n’intervient qu’au moment de la déclaration fiscale, ce qui crée des décalages importants pour bénéficier de la réduction, alors que l’allégement de cotisations est immédiat.

Enfin, en plus du coût de la main-d’œuvre, les entreprises agricoles françaises souffrent d’un manque de flexibilité dû à un code du travail trop rigide, ce qui tend à les pénaliser et facilite le développement des pays voisins, dont la politique sociale est plus souple.

En Allemagne, il n’y a pas de durée maximum du travail, contrairement à ce qui existe en la France, où elle est limitée à quarante-huit heures par semaine, sauf dérogation. Les heures supplémentaires ne sont comptabilisées qu’à partir de soixante heures de travail hebdomadaires, contre trente-cinq à trente-neuf heures, selon les cas, en France. Aucune différence n’est faite entre les jours de la semaine et le dimanche, contrairement à ce qui est pratiqué dans notre pays.

Depuis le 1er janvier, les employeurs français doivent mettre en place un compte personnel de prévention de la pénibilité pour tous les salariés dont le contrat est supérieur à un mois. Je suis favorable à cette mesure, mais je m’interroge, là encore, sur la complexité du système.

En effet, non seulement ce nouveau dispositif crée deux nouvelles cotisations patronales, mais il représente une charge administrative supplémentaire pour les employeurs, qui doivent recenser, entre autres, le nombre d’heures durant lesquelles le salarié est exposé à l’un des facteurs de risque recensés.

Or il est important, et même vital, pour les entreprises françaises de ne pas ajouter de nouvelles contraintes à celles, nombreuses, qui existent déjà dans le droit du travail français.

Monsieur le secrétaire d’État, que comptez-vous faire en ce sens ? Quelles mesures entendez-vous mettre en œuvre avec vos collègues européens afin de mettre fin aux distorsions de concurrence intracommunautaires qui plombent le tissu agricole français ?

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat sur le travail saisonnier, voulu par nos collègues du groupe CRC, vient à point nommé au lendemain de la publication par l’ACOSS, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, du nombre de contrats à durée déterminée et de contrats à durée déterminés conclus au cours du quatrième trimestre 2014.

On apprend que moins de trois millions de CDI ont été signés en 2014 dans notre pays, soit le total le plus bas jamais atteint depuis 2009. Les embauches en CDD de plus d’un mois ont quant à elles rebondi en 2014 et permettent à l’ensemble de ces contrats d’être stables d’une année sur l’autre.

Il faut bien entendu en conclure que le marché du travail continue de se précariser – ce n’est pas un scoop –, que nous avons là une nouvelle preuve, s’il en fallait une, de l’attentisme et du manque de confiance des employeurs et que la crise perdure – là non plus, ce n’est pas un scoop.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Selon les dernières données de l’ACOSS, le rebond des CDD de plus d’un mois a été porté quasi exclusivement par les petites entreprises de moins de vingt salariés, précisément celles qui embauchent des travailleurs saisonniers.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

On peut aussi en déduire, pour notre débat de ce jour, que les travailleurs saisonniers, qui bénéficient d’un contrat de travail à durée déterminée conclu pour la durée de la saison liée à l’activité, peuvent jouer un rôle de plus en plus important dans la bataille de l’emploi. Il est donc juste, monsieur le secrétaire d’État, d’examiner les contours de ces emplois.

Ainsi, il est essentiel de constater tout d’abord que le recours au travail saisonnier permet chaque année à nombre d’entreprises, dans les secteurs qui ont été indiqués tout à l’heure, de compléter leurs effectifs pendant les périodes hautes.

Les emplois proposés sont plus particulièrement adaptés à des personnes ayant des difficultés à trouver du travail et à de jeunes travailleurs souvent étudiants pour certains ou en recherche de professionnalisation pour d’autres. Ces emplois leur offrent souvent, outre une rémunération, une expérience variée et riche dans le monde du travail, certes souvent sans formation, comme cela a été dit.

Ce type de contrat, par sa souplesse, est sans nul doute, et il faut s’en souvenir, un outil de gestion des ressources humaines adapté et régulièrement utilisé par quantité d’entreprises dans des secteurs bien déterminés.

Quant au travailleur saisonnier lui-même, faute de disposer du CDI qu’il recherche souvent, il bénéficiera avec ce contrat de l’essentiel des règles applicables à tout contrat de travail, à l’exception de la mensualisation de sa rémunération et, comparativement aux CDD classiques, de l’indemnité de précarité.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Bien entendu, le salaire minimum interprofessionnel de croissance ou le salaire minimum de branche s’applique et, dans l’agriculture, les employeurs bénéficient de charges patronales pour l’emploi de travailleurs occasionnels ramenées à 7, 63 %, dans la limite de 119 jours par salarié et par an et pour tout salaire inférieur à 1, 25 SMIC.

Pour autant, mes chers collègues, peut-on en déduire que le travail saisonnier dans notre pays est à la hauteur des besoins, comparativement à la situation qui prévaut dans d’autres pays de l’Union européenne ? Permettez-moi, en qualité de parlementaire alsacien – le second qui s’exprime ce soir –, donc issu d’une région frontalière avec l’Allemagne, d’émettre quelques doutes.

J’en veux pour preuve, par exemple, que depuis quinze ans les surfaces cultivées en légumes dans l’agriculture ont diminué de 30 % chez nous alors qu’elles augmentaient de 30 % en Allemagne. Comment l’expliquer ? La principale explication, Claude Kern l’a dit avant moi, réside à n’en pas douter dans les coûts de production, inférieurs de beaucoup dans les pays voisins.

Ainsi, il existe en Allemagne un régime spécifique d’emplois de courte durée, liés à une activité exercée au cours de l’année sur une durée inférieure à trois mois ou à soixante-dix jours ouvrables. Les travailleurs saisonniers sont naturellement visés par cette réglementation, qui exonère totalement de charges sociales ces emplois de courte durée.

Même si, dans ce pays, un SMIC est devenu obligatoire à compter du 1er janvier de cette année – vous le savez, mes chers collègues, il est de 8, 50 euros l’heure, contre 9, 61 euros chez nous –, l’employeur est autorisé à prélever de ce salaire minimum les dépenses exposées pour les repas et le logement…

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Dans l’agriculture, il est même prévu de déroger au salaire minimum et d’adapter le salaire de manière progressive jusqu’en 2017… De quoi parle-t-on donc, avec ce SMIC ?

Toutes ces différences font que nos entreprises qui recourent au travail saisonnier souffrent d’un différentiel important de compétitivité avec leurs voisins européens. Il ne faut pas le nier, et il convient donc de tout faire, monsieur le secrétaire d'État, pour réduire cet écart de compétitivité, ou, au moins, pour ne pas l’augmenter. Ainsi, le dispositif de réduction des charges patronales dans l’agriculture doit être maintenu, cela va sans dire.

Toutefois, il est surtout indispensable, je le répète, de hâter le processus d’harmonisation sociale européenne ou au moins d’aboutir à une plus grande convergence entre les pays de l’Union.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

J’ai déjà eu l’occasion de le dire à cette même tribune : je dénonce le dumping social causé notamment par la réglementation sur les travailleurs détachés.

Une première avancée à cet égard peut être relevée dans l’adoption par le Parlement européen, le 5 février 2014, d’une directive de l’Union relative à l’emploi de travailleurs saisonniers venant de pays tiers. Celle-ci fixe les conditions d’entrée du travailleur, impose une durée maximale de séjour et contient des garanties en matière de salaire, de conditions de travail et même de logement décent.

Ce texte devra absolument être transposé en droit interne par les pays membres le plus rapidement possible, même si nous disposons d’un délai de deux ans et demi.

En conclusion, et à l’issue de ce débat dont je voudrais de nouveau remercier le groupe CRC d’avoir pris l’initiative, je voudrais redire, monsieur le secrétaire d'État, tout l’intérêt qu’il y a – faute de grives, on mange des merles – à développer le nombre de contrats saisonniers dans notre pays, de contrats à durée déterminée, puisque nous n’avons plus assez de contrats à durée indéterminée.

Sans constituer naturellement la panacée, ce contrat saisonnier s’inscrit fortement dans le cadre de la lutte contre le chômage. Pour cela, il est indispensable que le gouvernement propose des mesures nationales adéquates. Néanmoins, il doit aussi prendre toute sa place dans le débat européen, afin que soit, enfin, mise en place cette harmonisation sociale qui, je l’espère, redonnera à notre pays la compétitivité qu’il a perdue.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Montaugé

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la France doit, d’ici au 17 août 2016, transposer la directive de l’Union européenne sur le travail saisonnier des non-ressortissants européens.

Notre débat d’aujourd’hui nous permet de faire l’analyse du fonctionnement du marché du travail saisonnier dans notre pays, quelles que soient les origines des travailleurs concernés et des secteurs économiques employeurs. Mon département, le Gers, qui est agricole et touristique, est particulièrement concerné par le travail saisonnier.

Ce débat est bienvenu, et je salue ses initiateurs, nos collègues du groupe CRC. Il sera utile si nous posons ensemble des orientations d’amélioration pouvant être intégrées dans la législation de notre droit du travail, sans nuire aucunement aux secteurs économiques concernés, et même avec pour conséquence de renforcer leur compétitivité.

Bien que l’emploi saisonnier concerne en France quelque deux millions de personnes travaillant principalement dans l’agriculture et le tourisme, il n’existe pas de définition législative du contrat saisonnier.

Le droit du travail saisonnier résulte de sources différentes – circulaires, accords collectifs et jurisprudence. Si les contrats qui en résultent trouvent leur fondement dans ces différentes sources, la réalité des conditions d’emplois des travailleurs saisonniers s’en écarte souvent sur des points fondamentaux, comme la durée du travail, les horaires décalés – notamment excessifs –, les conditions de travail, d’hygiène et de sécurité.

Aux infractions constatées en matière de minoration des heures de travail déclarées s’ajoutent des conditions de transport et de logement qui sont parfois sanctionnées au civil, voire au pénal. L’opprobre n’est pas à jeter sur tous les employeurs, mais les infractions sont nombreuses, trop fréquentes.

Le statut actuel des saisonniers a aussi intrinsèquement des incidences dans le domaine de la retraite. Vingt, parfois trente ans de cotisations aboutissent souvent au minimum vieillesse. Des accords collectifs, sectoriels ou géographiques, permettent parfois de prévenir ces risques de précarisation. Certains d’entre eux prévoient des conditions de réembauche, tiennent compte de l’ancienneté sur plusieurs saisons, facilitent l’accès au logement, à la formation, envisagent la construction de foyers-logements permettant de loger correctement tout en limitant les durées et les coûts de transport.

Ces accords ont le mérite d’exister, mais ils ne concernent pas l’ensemble des travailleurs saisonniers. Prenant appui sur les bonnes pratiques qu’ils instaurent et après analyse fine de leurs effets réels, notre législation du travail pourrait être utilement adaptée pour couvrir l’ensemble des travailleurs concernés.

Pour ce qui est des travailleurs venant de pays tiers, la situation est encore plus difficile, puisqu’elle se caractérise très souvent par du dumping salarial et des règles de droit bafouées. Henri Cabanel vient d’en parler, chiffres éloquents à l’appui. Pour les travailleurs clandestins, c’est encore pis, puisqu’ils peuvent être réduits en esclavage par les trafiquants de main-d’œuvre.

Pour prévenir des situations indignes, la France s’est dotée en juin 2006 d’une loi créant une carte de séjour temporaire attribuée sous conditions aux étrangers titulaires d’un contrat de travail saisonnier. Dans ce cadre, obligation leur est faite de quitter la France après les périodes de travail autorisé.

Dans le même esprit et au terme d’un long processus de négociation entre états membres et Commission, l’Union européenne s’est dotée, le 17 février 2014, d’une directive relative à l’emploi saisonnier des travailleurs non ressortissants de l’Union européenne. Et si nous considérons que cette directive, fondée sur une approche positive de l’immigration régulière, constitue un progrès, nous appelons aussi l’Union européenne à analyser et à prendre en compte dans ses politiques les raisons qui poussent les travailleurs hors Union européenne à quitter leur pays.

L’un des enjeux de cette directive était de préserver les conditions de travail au niveau européen. Elle fait obligation à l’employeur de fournir des pièces – contrat, offre d’emploi ferme détaillée précise, demande et souscription d’assurance maladie, logement adéquat fourni – et aux États d’informer les travailleurs sur les informations devant leur être fournies. Elle nous amènera aussi à préciser la durée maximale de séjour, actuellement de six mois, tout en rappelant la nécessité de tenir compte de la situation de l’emploi local.

Le principe d’accès au droit du pays d’accueil sera rappelé. L’exigence de coût de loyer proportionné au revenu sera intégrée, et le loyer ne sera pas ou ne devra pas être déduit du salaire. Les états membres devront mettre en œuvre des mécanismes de contrôle fondés sur une analyse des risques propres à chaque secteur économique concerné.

La question des sous-traitants et de leurs organisations parfois complexes et opaques devra appeler notre vigilance à l’occasion de cette transposition.

Parce qu’elle doit permettre de conjuguer progrès social, en diminuant la précarité, et réponse aux besoins du marché du travail saisonnier, la transcription de cette directive doit être saisie comme le moyen d’améliorer et de compléter les dispositions de la loi du 27 juillet 2006.

Pour aller dans ce sens, je propose que nous tenions aussi compte des recommandations du Médiateur de la République, qui, en 2011, appelait à une définition légale du contrat de travail saisonnier précisant les circonstances autorisant le recours à ce type de contrat, qui sont fixées par la jurisprudence. Il en appelait aussi à la mise en place dans la loi de principes de reconduction des contrats et de versement de l’indemnité de fin de contrat prévue dans le droit commun pour les contrats à durée déterminée, lorsqu’il n’y a pas reconduction, prévue ou effective.

Plus personnellement, je souhaite que pour des secteurs comme celui du tourisme, par exemple, à échelle territoriale adaptée, notamment pour les territoires ruraux dont l’activité à un caractère saisonnier très marqué, nous facilitions la mise en place de groupements d’employeurs saisonniers.

Vous nous direz, monsieur le secrétaire d'État, si des dispositifs novateurs vous paraissent opportuns pour soutenir les saisonniers, et ce quels que soient les secteurs concernés. La transposition de la directive elle-même nous permettra d’intégrer utilement ces remarques dans notre législation.

Tel est le travail qui nous attend. Il en résultera, j’en suis sûr, un progrès dans l’égalité des droits des travailleurs contribuant de manière saisonnière à la prospérité de notre pays.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Savin

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je n’oublierai pas de remercier à mon tour nos collègues du groupe CRC, qui sont à l’origine de ce débat concernant des milliers de salariés.

La question des travailleurs saisonniers compte parmi les préoccupations récurrentes d’une partie des salariés du département de l’Isère où je suis élu. Le travail saisonnier en région Rhône-Alpes emploie environ 35 000 personnes dans le secteur du tourisme, et le département de l’Isère recrute ce type de personnel pendant les deux saisons, l’été, bien sûr, et l’hiver.

Les travailleurs concernés par ces contrats sont jeunes – trente-cinq ans en moyenne – et adoptent, pour la plupart, cette forme d’emploi pendant plusieurs années consécutives. Ce choix est malheureusement souvent dicté par la nécessité : près de 83 % des saisonniers souhaiteraient voir leur situation professionnelle changer dans les années à venir.

À cette situation professionnelle, s’ajoutent des conditions de vie difficiles. Je veux bien sûr parler du logement. À cet égard, nombre de nos collègues ont déjà évoqué ces situations inacceptables, mais que l’on rencontre encore beaucoup trop souvent : des travailleurs saisonniers logés dans des appartements à la limite de l’insalubrité, certains mêmes dormants dans leur véhicule, soit à cause d’une absence de logement décent, soit en raison du coût trop élevé des logements qui leur sont proposés. Ces situations, nous en sommes tous conscients, ne peuvent perdurer.

Concernant leur situation professionnelle, ces travailleurs, qui alternent souvent emplois à durée déterminée saisonniers pendant la période touristique et CDD classiques le reste de l’année, se trouvent dans une situation d’instabilité professionnelle qui ne leur permet pas de se projeter dans l’avenir. Vous connaissez les difficultés rencontrées par un jeune souhaitant par exemple contacter un emprunt pour acheter un bien immobilier alors qu’il n’est pas employé en CDI.

Ce manque de stabilité représente également un frein pour les employeurs saisonniers, qui ont le plus grand mal à fidéliser leur main-d’œuvre. Ils pointent d’ailleurs régulièrement le manque de qualification du personnel recruté et l’incapacité à leur assurer une formation rentable sur le long terme par l’entreprise. Je pense par exemple à un exploitant de remontées mécaniques, qui souhaiterait pouvoir fidéliser son personnel saisonnier, une fois que celui-ci s’est familiarisé avec le fonctionnement et l’entretien de ses infrastructures bien particulières.

Ainsi, au-delà du caractère nécessairement limité du contrat saisonnier, qui ne couvre par définition que quelques mois dans l’année, des efforts doivent être accomplis pour améliorer son attractivité, en direction tant des personnels que des employeurs ; des efforts qui doivent permettre à nos petites entreprises, à nos artisans et agriculteurs installés dans nos territoires de montagne d'assurer la pérennité de leur activité, mais aussi à tous leurs salariés, notamment aux plus jeunes d'entre eux, de vivre et travailler dans nos massifs.

Voilà quelques années, le dispositif du CDI intermittent a été mis en place pour répondre à cet impératif. Ce contrat était destiné à pourvoir des postes spécifiques dans le cadre d’une activité à forte saisonnalité, par l’alternance de périodes travaillées et non travaillées. Il s’agissait de présenter une solution de rechange à la succession de contrats précaires et de fidéliser les personnels en leur apportant une stabilité d’emploi.

Il faut aujourd’hui constater, monsieur le secrétaire d'État, que ce CDI intermittent n’a trouvé que peu d’applications dans le secteur du tourisme, notamment parce que la possibilité de conclure ces contrats suppose l’existence d’un accord collectif. Or les entreprises du secteur n’atteignent généralement pas la taille minimale pour négocier ces accords. Je pense notamment aux artisans, agriculteurs et petites entreprises de moins de dix salariés, qui sont peu représentés dans les instances professionnelles.

La loi relative à la sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 a ouvert à titre expérimental le droit pour l’employeur de conclure, sans accord collectif, des CDI intermittents dans les entreprises de moins de cinquante salariés, dans trois secteurs du travail saisonnier. Un rapport d’évaluation de cette expérimentation devait être élaboré par le Gouvernement avant le 31 décembre 2014. Il n’est, à ma connaissance, pas encore disponible.

Aujourd’hui, de nombreux personnels et employeurs saisonniers rencontrent toujours les mêmes difficultés, les uns à envisager leur avenir, les autres à trouver du personnel compétent et fiable. Je me réjouis, encore une fois, de la tenue d’un débat sur ce sujet et je souhaite qu’il puisse déboucher sur des propositions concrètes et lisibles susceptibles d’améliorer les conditions de vie et de travail de ces salariés.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de François Commeinhes

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à saluer l’initiative du groupe CRC, tant cette question de la situation des travailleurs saisonniers dans notre pays est capitale, a fortiori dans les zones littorales et le département de l’Hérault, que j’ai l’honneur de représenter dans cet hémicycle, avec mon collègue Henri Cabanel.

L’emploi saisonnier est une caractéristique du secteur agricole. Si cette forme d’emploi constitue parfois une manière d’instabilité pour ceux qui en vivent, elle n’en demeure pas moins une dimension indissociable de cette activité, une réponse à la saisonnalité des conditions de production, expression des métiers du vivant.

La part de l’emploi saisonnier a augmenté pour permettre à de nombreuses exploitations de répondre aux défis majeurs de la société d’aujourd’hui. En cela, l’emploi saisonnier prend tout son sens en lien avec l’exigence d’adaptation de l’agriculture aux enjeux de la société.

C’est pourquoi je tâcherai d’exprimer ici les difficultés rencontrées sur la question du logement des travailleurs saisonniers, plus précisément des employés agricoles. Certes, le maire d’une commune touristique que je suis sait à quel point la question de l’habitat des actifs saisonniers est pour l’hôtellerie, la restauration et l’ensemble des professions affectées par l’activité touristique un enjeu majeur. Il s’agit toutefois d’une question globale, et traiter l’accueil des travailleurs saisonniers agricoles ne peut qu’avoir un effet vertueux et une action de levier sur l’ensemble du secteur.

Les exploitants agricoles sont, dans leur grande majorité, conscients de l’importance de la qualité des logements proposés aux saisonniers qu’ils recrutent. En effet, il suffit de dialoguer avec eux pour connaître la difficulté d’employer des travailleurs locaux, cette main-d’œuvre faisant souvent défaut.

Si les discours contre la réglementation peuvent apparaître souvent revendicatifs, ils ne sont pas pour autant négatifs, chacun ayant conscience de l’intérêt pour tous de proposer des hébergements confortables.

Aujourd’hui, c’est un fait, les normes standardisées imposées aux agriculteurs peuvent représenter un véritable frein à l’activité agricole. Certes, il est difficile de créer une cohérence entre des impératifs sociaux, relevant des droits de la personne dans le cas des saisonniers, et les nécessités économiques d’un secteur d’activité, l’agriculture, auquel la société demande des prestations de plus en plus diverses – son but n’est plus simplement de nourrir la population, mais aussi, entre autres objectifs, d’entretenir le paysage.

Il est alors temps de prendre conscience que l’emploi saisonnier et, directement, les normes fixées pour le logement saisonnier jouent un rôle dans la capacité des exploitations à se maintenir et à assurer leurs diverses fonctions pour la société.

Nous avons ici débattu, lors du projet de loi de finances, du maintien de la spécificité du contrat « vendanges ». Dans toutes les régions viticoles, particulièrement en Languedoc, l’équation est simple : pas de vendanges ni de cueillettes sans le renfort de 800 000 salariés ! À cela, les agriculteurs peuvent ajouter que, sans vendanges ni cueillettes, point d’agriculture performante au niveau local et européen, ni d'ailleurs de champagne en Champagne !

Sur la question du logement des travailleurs saisonniers, l’agriculture en zone littorale est soumise à de très fortes pressions – urbanisme, périmètres de protection réglementaire comme les zones naturelles d’intérêt écologique et faunistique, les ZNIEFF, ou les plans de prévention du risque inondation, les PPRI. Parmi ces pressions, la loi Littoral contraint, nous le savons, la constructibilité en zone agricole, qu’il s’agisse de bâtiments de stockage ou, dans le cas précis qui nous occupe, de logements pour les travailleurs saisonniers.

La loi Littoral distingue plusieurs types de zones : la « bande des cent mètres », les « espaces proches du rivage », les « espaces remarquables », ainsi que les coupures d’urbanisation. Deux dérogations sont prévues : tout d’abord, les « hameaux nouveaux intégrés à l’environnement » ; ensuite, une construction isolée est possible si l’activité agricole est jugée incompatible avec le voisinage.

Ces contraintes réglementaires freinent grandement les agriculteurs dans les adaptations nécessaires de leur outil de travail et remettent aujourd’hui de facto en question l’économie agricole dans ces zones littorales. La difficulté essentielle réside donc dans l’impossibilité de répondre aux besoins des exploitations pour loger leur main-d’œuvre face à une réglementation clairement inadaptée à la réalité de ces territoires.

La création ou l’extension de hameaux nouveaux intégrés à l’environnement, autorisée par la loi Littoral, ne peut constituer une réponse pleinement adaptée à la demande des agriculteurs. En effet, l’extension de ces hameaux est limitée, la création « en dur » ne correspond pas aux besoins temporaires de logements et la construction de ces hameaux nécessite un portage financier que ni les collectivités ni les professionnels ne sont aptes à supporter.

Permettez-moi, mes chers collègues, monsieur le secrétaire d’État, de profiter de ce débat pour appeler à une nécessaire évolution de la loi Littoral, afin de répondre aux besoins de logements saisonniers des agriculteurs.

Parmi les évolutions, il serait souhaitable – nombre d’acteurs du secteur et d’élus héraultais ont travaillé sérieusement sur cette question – d’autoriser la création de hameaux nouveaux intégrés à l’environnement à vocation agricole.

Il s’agirait d’autoriser la construction de ces logements sur un zonage A dédié, de réfléchir à la nécessité de mettre en place un habitat léger, de répondre à un projet collectif et d’assurer une implication forte des collectivités, garantes des équilibres locaux, par la prise d’arrêtés municipaux régissant la période d’ouverture de ces logements saisonniers, la mise en sécurité des sites et l’adoption d’une charte entre la collectivité, la chambre d’agriculture et les agriculteurs usagers.

Pour la profession, il est nécessaire de permettre aux structures agricoles de continuer à exister et de garantir leur mission d’entretien des paysages, de maintien d’une activité primaire et d’accomplissement d’un dynamisme au service de l’économie locale et de l’emploi.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Cyril Pellevat

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le travail saisonnier est un sujet important pour mon département, la Haute-Savoie, et je remercie donc le groupe CRC de son initiative. Il concerne, par exemple, nos maraîchers, nos horticulteurs, nos viticulteurs, nos artisans et notre secteur très dynamique du tourisme. Après Paris, la Haute-Savoie est le premier département touristique de France, avec une double saisonnalité, été comme hiver : 652 000 lits, 35 millions de nuitées, 22 000 emplois saisonniers à l’année.

C’est un secteur prospère, regroupant une grande diversité d’activités : métiers de l’accueil et de l’information, de l’animation du sport, de la restauration et de l’hébergement.

Les nombreux emplois créés sont des emplois temporaires, qui suivent les rythmes imposés par le caractère saisonnier de la plupart des activités touristiques. En hiver, dans nos stations de montagne, les contrats courent de novembre à mars ; en été, de mai à septembre. La grande majorité de ces contrats concernent le secteur de l’hôtellerie et de la restauration, avec des problèmes variés selon leurs spécificités.

Ce type de travail touche une population jeune – moins de 31 ans pour les saisonniers d’hiver et moins de 27 ans pour les saisonniers d’été –, qui doit accepter une grande mobilité géographique et professionnelle, avec des salaires compris entre 11 euros et 13 euros bruts de l’heure.

Selon une enquête de la CFDT, « les avis des saisonniers quant aux attentes vis-à-vis de leur emploi et ainsi quant à la précarité de leurs situations sont partagés. Pour certaines personnes la saisonnalité résulte d’un choix, pour d’autres elle est subie ».

Les entreprises qui les emploient, souvent familiales, sont très attentives à ce personnel, essentiel à la vie de leur activité. Si l’on doit parler du travail saisonnier, il faut aussi aborder les problèmes des entreprises qui les recrutent, et entendre leurs difficultés.

Ainsi, elles doivent faire face à un fort turn-over, qui rend le recrutement sur le moyen et le long terme difficile, et à d’importants enjeux en termes de formation des personnes au fonctionnement de leur entreprise. De nombreux employeurs seraient prêts à annualiser leurs saisonniers pour garantir un emploi plus stable, mais font face à de trop lourdes charges patronales.

Certains évoquent également les aléas du temps. Le changement climatique, que l’année 2014, la plus chaude depuis près d’un siècle, a pu confirmer, entraîne aussi des problèmes d’organisation au quotidien. Pour exemple, je veux citer les entreprises de loisir de plein air en été : cinq jours de mauvais temps, succédant à sept jours de temps mitigé, sont très difficiles à gérer en termes de personnel. Il faudrait inventer une nouvelle façon de travailler, en phase avec ces nouvelles contraintes climatiques.

Certains entrepreneurs souhaitent ainsi une évolution du code du travail vers plus de souplesse, bien évidemment dans un système « gagnant-gagnant » pour l’employeur et pour l’employé.

On ne peut pas parler de travail saisonnier sans évoquer également le logement, qui reste un maillon faible, comme partout sur notre territoire d’ailleurs… Pour mémoire, la Fondation Abbé Pierre estime à 3, 5 millions le nombre de mal-logés en France, et la mise en chantier de logements neufs est passée sous le seuil symbolique des 300 000 logements, selon les chiffres du ministère du logement de décembre 2014. On s’éloigne donc encore un peu plus des 500 000 logements neufs par an censés correspondre aux besoins minimaux du pays.

Si certains saisonniers sont hébergés ou habitent la région, la situation reste précaire pour les autres, employés de la restauration et des services, de l’agriculture ou du bâtiment.

Cette situation a pu conduire à des drames, comme dans mon département, le 3 janvier 2013, avec la mort d’un jeune couple dans l’incendie de son camion, qui a été rappelée par de nombreux intervenants. Des actions très concrètes et des mesures ont été prises par la préfecture de la Haute-Savoie, laquelle a engagé, avec l’ensemble des élus concernés et des collectivités, une réflexion et des mesures pour l’accueil des saisonniers : réutilisation des bâtiments vacants, mobilisation du potentiel de logements touristiques déqualifiés, ouverture des campings.

De nombreux dispositifs ont été mis en place pour les saisonniers et sont encore à développer. Je voudrais citer le plan régional de la saisonnalité du conseil régional de Rhône-Alpes, engagé en 2006 en lien avec l’INSEE, mais aussi le remarquable guide de la saisonnalité, édité par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, la DIRECCTE, en collaboration avec le conseil général de Haute-Savoie et les collectivités territoriales. Ce guide, qui recense toutes les informations utiles pour les saisonniers, mérite d’être généralisé. Les élus de Haute-Savoie se tiennent d’ailleurs à votre disposition pour faire partager leur expérience.

Aussi, je souhaiterais savoir, monsieur le secrétaire d’État, quelles initiatives vous comptez prendre concernant les différentes questions que je viens d’évoquer : la précarité, la formation, le droit du travail, les charges patronales et le logement.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

Debut de section - Permalien
Matthias Fekl

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, qui n’a pu être présent ce soir. Soyez toutefois assurés qu’il suit la question de très près, et nous avons d’ailleurs encore eu l’occasion d’échanger sur ces thèmes aujourd’hui même.

Je tiens ensuite à saluer l’initiative du groupe communiste républicain et citoyens et à remercier Mme la sénatrice Annie David.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Le Scouarnec

M. Michel Le Scouarnec. Nous faisons l’unanimité ce soir… C’est rare !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Matthias Fekl, secrétaire d'État

Notre débat porte en effet sur un thème essentiel et complexe, dont les différentes interventions ont amplement montré les multiples enjeux.

Il concerne de nombreux salariés, souvent dans des situations très précaires, et dont les droits, qu’il s’agisse des conditions de travail, la formation, le logement ou la protection sociale, ne sont pas toujours connus et respectés – c’est bien le moins que l’on puisse dire. Ce sont souvent des salariés en situation de fragilité, des salariés exposés.

Vous avez eu raison de rappeler également la situation des saisonniers étrangers, qu’ils soient ou non originaires de l’Union européenne. Leur situation doit elle aussi retenir toute notre attention, dans la mesure où ils travaillent, eux aussi, dans des conditions parfois très difficiles, et même indignes, pour reprendre un terme utilisé par plusieurs intervenants.

Le travail saisonnier est une modalité d’emploi qui touche particulièrement nos territoires, car des secteurs comme l’agriculture ou le tourisme ont, et auront toujours, besoin de travailleurs saisonniers pour fonctionner dans de bonnes conditions.

C’est un sujet auquel le Gouvernement est très attentif ; j’y veille personnellement, en tant que secrétaire d'État chargé notamment de la promotion du tourisme, bien sûr, mais aussi en tant qu’élu du Lot-et-Garonne, un territoire rural, agricole, dont l’économie, très diversifiée, est concernée par les problèmes liés à la saisonnalité.

Je suis très attentif à la situation et aux difficultés de notre agriculture et de notre tourisme, ainsi que des salariés qui travaillent dans ces secteurs. Ce débat doit nous permettre – et cela a été le cas – de faire le point sur la situation concrète des travailleurs saisonniers, et surtout de dégager des pistes d’amélioration. Un travail interministériel sera nécessaire ; je relaierai l’ensemble des débats de ce soir auprès de tous mes collègues concernés au Gouvernement.

Nombre d’entre vous ont souligné l’absence de statut légal des saisonniers. C’est vrai : il n’existe pas à proprement parler de statut légal du saisonnier. La définition du travail saisonnier résulte aujourd'hui de la compilation de plusieurs sources, notamment de circulaires, d’accords collectifs de travail et de la jurisprudence, qui a précisé un certain nombre de points.

Aux termes de la circulaire du 30 octobre 1990, qui a déjà été évoquée, sont considérés comme ayant un caractère saisonnier « les travaux qui sont normalement appelés à se répéter chaque année à date à peu près fixe en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs, et qui sont effectués pour le compte d’une entreprise dont l’activité obéit aux mêmes variations ».

On rencontre des travailleurs saisonniers notamment dans le monde agricole, où ils sont généralement employés pour les récoltes et les vendanges, mais aussi dans l’industrie touristique, où ils servent à faire face à l’afflux de clients dans la restauration, l’hôtellerie ou les équipements sportifs et de loisirs pendant les périodes les plus intensives.

On estime entre 1, 3 et 1, 5 million le nombre de travailleurs saisonniers et pluriactifs, mais il n’existe pas réellement d’indicateurs plus précis à l’échelle nationale. Aucune donnée ne nous permet d’avoir une image totalement exacte de la situation, mais je peux vous indiquer quelques chiffres : environ 800 000 contrats saisonniers agricoles sont recensés par le ministère de l’agriculture, et environ 700 000 contrats saisonniers touristiques par le secrétariat d’État au tourisme. L’amélioration de notre connaissance de ces réalités est d'ailleurs une piste d’amélioration importante ; nous devons nous engager dans cette voie.

Ce que nous savons tous, c’est que les travailleurs saisonniers sont particulièrement touchés par la crise. De surcroît, ils ont un accès moindre à la formation professionnelle et rencontrent des difficultés spécifiques de logement et des problèmes d’accès aux soins ; nombre d’entre vous l’ont souligné.

En un mot, les travailleurs saisonniers sont souvent en situation de précarité, et même de grande précarité. Par ailleurs, depuis plusieurs années, de plus en plus de seniors et de demandeurs d’emploi se tournent vers un travail saisonnier.

De nombreuses initiatives, portées ou accompagnées par les services déconcentrés de l’État sur le terrain ou impulsées par les partenaires sociaux, notamment dans le cadre des accords de branches, ont été prises ces dernières années pour essayer de sécuriser le parcours professionnel des travailleurs saisonniers. Les collectivités locales jouent également un rôle très important ; nul besoin de le souligner devant la Haute Assemblée, puisque vous êtes nombreux à essayer d’apporter des solutions dans vos collectivités.

Plusieurs rapports récents, mais aussi d’autres plus anciens, contiennent des préconisations pour améliorer les conditions de vie et de travail des saisonniers, notamment en diffusant les initiatives locales fructueuses, qui restent trop souvent isolées, alors qu’elles requièrent une meilleure coordination entre l’État, les régions, les territoires et l’ensemble des parties concernées.

Parmi les rapports récents, on peut mentionner celui du député François Vannson sur le développement des emplois dans les territoires de montagne, publié en novembre 2011, le rapport de François Nogué sur le développement de l’emploi dans le tourisme, publié en 2013, ou encore le rapport du Conseil économique, social et environnemental sur la saisonnalité dans les filières agricoles, halieutiques et agroalimentaires, publié en septembre 2014. D’autres rapports de référence ont été cités ; ils sont plus anciens, mais, malheureusement, nombre de leurs préconisations demeurent d’actualité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, si vous le permettez, je vous propose de faire tout d'abord, le point sur l’existant et sur les différentes initiatives et propositions, afin de répondre de mon mieux aux différentes interventions.

Tout le monde est d'accord sur un point : la situation des saisonniers doit être améliorée. Le Gouvernement souhaite privilégier, chaque fois que c’est possible, la négociation, l’engagement et l’initiative des partenaires sociaux.

Les travailleurs saisonniers expriment deux attentes en particulier. Ils souhaitent d'abord que la précarité de leur emploi leur ouvre droit à des compensations. Le rapport Nogué contient des propositions en ce sens ; elles ont été rappelées. Certaines d’entre elles doivent encore être expertisées, mais elles sont toutes très intéressantes.

Nous souhaitons prioritairement que les partenaires sociaux puissent travailler sur ces questions. Certaines branches ont d'ores et déjà réalisé des avancées dans le cadre de conventions collectives. C’est le cas notamment des domaines skiables. Cela prouve que nous disposons de propositions opérationnelles qui constituent des pistes intéressantes.

La seconde attente des travailleurs saisonniers est la possibilité d’accéder à des formes alternatives d’emploi leur permettant, par exemple, d’être embauchés en CDI.

Le recours au CDI intermittent a fait l’objet d’une expérimentation dans le cadre de la loi du 14 juin 2014 relative à la sécurisation de l’emploi. Deux secteurs sont concernés : le commerce des articles de sport et des équipements de loisirs, qui emploie 54 400 salariés, et les détaillants et détaillants fabricants de confiserie, chocolaterie et biscuiterie, qui emploient 10 100 salariés.

Sur la base du bilan de cette expérimentation, François Rebsamen engagera une concertation avec les partenaires sociaux, afin de déterminer si un changement législatif s’impose ou s’il est préférable de laisser à la négociation collective le soin d’améliorer, branche par branche, la situation contractuelle des saisonniers.

Le recours à un tiers employeur, qui permet à un saisonnier de travailler dans plusieurs entreprises au cours de la même année, est également une piste de travail très importante ; nombre d’entre vous l’ont souligné à juste titre en s’appuyant sur des exemples de terrain.

La loi permet, par exemple, la mise à disposition de salariés liés à un groupement d’employeurs par un contrat de travail, qui peut être un CDI, dans les structures adhérentes au groupement.

Les groupements d’employeurs fêtent leurs trente ans. Il s’agit d’une des voies les plus intéressantes, car c’est un moyen pour un salarié à temps partiel ou saisonnier de disposer d’un emploi à temps plein ou s’approchant d’un temps plein. Le Gouvernement souhaite favoriser leur développement et, si nécessaire, lever les freins à leur croissance. Le ministère du travail conduit d'ailleurs une réflexion sur ce sujet, sous l’égide de François Rebsamen.

Des coopératives d’activités et d’entrepreneurs ou des entreprises de travail en temps partagé peuvent également être utilisées. C’est vers ce type de solutions que nous souhaitons voir plus fréquemment s’orienter les employeurs, parce qu’elles sécurisent les salariés et leur garantissent un meilleur accès à la formation professionnelle, tout en offrant aux employeurs une solution pragmatique, ayant fait la preuve de son efficacité.

Nous devons également renforcer et faciliter l’accès à la formation des saisonniers, qui est aujourd'hui très insuffisant. Dans certaines branches, les partenaires sociaux sont porteurs d’initiatives tout à fait intéressantes, qu’il faut encourager, évaluer et, lorsque le succès a été au rendez-vous, diffuser.

Le droit à un crédit d’heures de formation pour les saisonniers est financé par l’organisme paritaire collecteur agréé, l’OPCA, des industries hôtelières. Il s’agit d’un crédit de 21 heures de formation sur l’année civile. Pour en bénéficier, il faut justifier d’une saison d’une durée minimale de deux mois dans l’hôtellerie-restauration au cours des cinq dernières années. Depuis 2008, plus de 3 000 saisonniers ont pu en bénéficier.

L’accès à des formations qualifiantes est expérimenté dans le cadre de l’accord de la branche hôtellerie de plein air du 18 janvier 2012, qui permet d’alterner les périodes travaillées et les heures de formation sur cinq ans. Le dispositif est expérimenté dans plusieurs régions. Les formations débouchent sur l’acquisition de différentes certifications professionnelles, qui peuvent ensuite être utilisées par les salariés.

Notons que les actions de formations dédiées aux saisonniers sont souvent soutenues par les régions et par l’État. Ce soutien doit perdurer chaque fois qu’il a démontré son utilité pour faciliter la qualification des saisonniers.

Les nouveaux droits ouverts par la réforme de la formation professionnelle du 5 mars 2014, qui a fait suite à l’accord national interprofessionnel de décembre 2013, méritent également d’être soulignés dans la mesure où ils peuvent répondre à certains besoins des saisonniers.

Je pense en particulier au compte personnel de formation, que peut ouvrir, depuis le 1er janvier dernier, toute personne âgée d’au moins seize ans, qu’elle soit en emploi, à la recherche d’un emploi ou accompagnée dans un projet d’orientation et d’insertion professionnelle. Les heures de formation inscrites sur le compte demeurent acquises en cas de changement de situation professionnelle ou de perte d’emploi du bénéficiaire. Il s’agit d’une avancée tout à fait significative, réalisée par la négociation, puis par la loi ; le ministre du travail a déjà eu l’occasion d’y insister.

Enfin, l’amélioration de la situation des saisonniers doit être globale. Elle doit intégrer les nombreux enjeux évoqués au cours de ce débat. Concernant l’accueil, il existe aujourd'hui des structures, les maisons des saisonniers, qui ont fait leurs preuves pour faciliter l’information et l’accès au droit et répondre à des questions très concrètes : quelles sont les aides à la mobilité ? Où loger le temps de la saison ? Où déclarer son médecin traitant ? À qui s’adresser pour une formation ? Autant de questions qui rythment la vie quotidienne de nombreux saisonniers.

Il existe une trentaine de maisons de saisonniers, principalement en montagne et sur le littoral. Souvent créées sur l’initiative de communes ou d’intercommunalités et fédérées au sein de l’Association des lieux d’accueil des travailleurs saisonniers, ces structures rencontrent de plus en plus de problèmes de financement, il faut le dire. Le premier enjeu est donc de les pérenniser et d’identifier les lieux où ces maisons manquent.

Un label a récemment été mis en place, afin de garantir une offre de service plus homogène et une lisibilité plus forte, ainsi que de mettre à disposition des saisonniers toutes les informations sur leurs droits. Ces initiatives doivent être confortées ; le Gouvernement y est très attentif.

À propos du logement, il importe de développer des solutions d’hébergement spécifiques pour les saisonniers. Plusieurs exemples concrets ont été présentés au cours du débat. Des solutions pérennes pourraient être consolidées ou développées. C’est notamment le cas de la création de résidences mixtes entre étudiants et saisonniers.

Ces projets pourraient être mis en œuvre dans certaines grandes communes touristiques qui sont aussi des villes universitaires. La fédération des saisonniers, au sein de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, l’UMIH, plaide pour développer un programme de construction de résidences afin d’accueillir des étudiants en résidence hôtelière pendant l’année universitaire et des travailleurs saisonniers au cours de la saison d’été. C’est une solution inventive, imaginative et pragmatique, qu’il faut étudier de près.

Debut de section - Permalien
Matthias Fekl, secrétaire d'État

Concernant les spécificités de la loi Littoral, qui ont été soulevées dans ce débat, j’ai bien entendu le message et les propositions qui ont été formulées.

Au sujet de la santé, les saisonniers font souvent face à des conditions de travail très difficiles, dans des métiers sujets à des accidents du travail et surtout au développement de maladies professionnelles, sans toujours bénéficier d’un suivi médical suffisant. Le problème des saisonniers doit être intégré dans le calendrier des professionnels de la santé au travail. Des créneaux pourraient être réservés en début de période touristique pour les saisonniers, comme à la rentrée pour les apprentis.

De nombreuses interventions ont porté sur la question, très complexe et extrêmement sensible dans de nombreux territoires de notre pays, des salariés détachés. C’est bien sûr un sujet fondamental. La directive du 15 mai 2014 permet d’améliorer l’effectivité de la directive de 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services et de prévenir le contournement ou la violation des règles applicables.

Tout au long des négociations qui ont conduit à l’adoption de cette directive, la France a adopté une position d’extrême fermeté en faveur d’un texte ambitieux, pour renforcer les contrôles du respect des règles de détachement, afin de lutter plus efficacement contre le dumping social et la concurrence déloyale, deux pratiques inadmissibles qui peuvent déstabiliser des secteurs entiers et fragiliser les salariés.

L’essentiel des mesures législatives nécessaires à la transposition de la directive du 15 mai 2014 ont été adoptées dans le cadre de la loi du 10 juillet 2014, un texte d’initiative parlementaire, proposé par le député Gilles Savary, qui vise à lutter contre la concurrence sociale déloyale. Des travaux d’analyse sont en cours avec l’ensemble des ministères compétents pour déterminer si d’autres mesures législatives seront nécessaires, pour renforcer la réalité de l’action sur le terrain et son adéquation aux situations constatées.

La question de l’Europe sociale a aussi été évoquée lors de plusieurs interventions ; à l’évidence, elle demeure plus que jamais un objectif, avec des actions à mener dans de nombreux secteurs. La situation de l’Allemagne a été citée : son choix de s’engager sur un salaire minimum est, à cet égard, un indice très encourageant, qui doit avoir des traductions et des répercussions sur la réalité économique de notre pays, et pas seulement dans les zones frontalières.

Il est vrai que la concurrence salariale, quand elle existe entre États européens – c’est une réalité que nombre d’entre vous connaissent et constatent sur leur territoire – est un sujet de préoccupation extrêmement fort.

Beaucoup d’intervenants ont rappelé les difficultés actuelles liées au travail illégal, mais également à la situation des travailleurs non ressortissants de l’Union européenne.

Sur le premier point, vous le savez, la lutte contre le travail illégal fait l’objet d’une attention particulière du Gouvernement. Elle est organisée autour de deux axes : le contrôle et la prévention.

Le contrôle, tout d’abord, permet de faire appliquer le droit et les règles fixées par les lois de notre République. Chaque année, tous corps de contrôle confondus, sont effectués environ 65 000 contrôles d’entreprises dans les secteurs prioritaires. La réforme de l’inspection du travail et de son organisation a permis, depuis le 1er janvier 2015, la constitution d’un pôle « Travail illégal », dans chaque DIRRECTE, spécifiquement dédié à ce dossier.

S’agissant des initiatives visant à prévenir le recours au travail illégal, dans le secteur agricole, une convention de partenariat relative à la lutte contre le travail illégal en agriculture a été signée le 24 février 2014, lors du salon de l’agriculture, avec les partenaires sociaux et les ministres chargés de l’agriculture et du travail.

Par ailleurs, les caisses de la Mutualité sociale agricole ont très largement diffusé sur leur site internet des dépliants d’information, destinés aux exploitants agricoles, sur les risques qui existent à recourir à des sociétés prestataires étrangères sans s’assurer de la régularité de leurs interventions en France. Cette action de sensibilisation est très importante.

À propos de la transposition de la directive, comme nombre d’entre vous l’ont rappelé, l’Union européenne s’est dotée le 17 février 2014 d’une directive relative à l’emploi saisonnier des travailleurs non ressortissants de l’Union européenne que la France doit transposer d’ici au 17 août 2016. Le Gouvernement souhaite qu’elle se fasse dans les meilleurs délais. La transposition de cette directive est pilotée par le ministère de l’intérieur, et des réunions sont en cours en ce moment pour caler les mesures de transposition.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ferai part de nos échanges à mes collègues du Gouvernement, afin que les propositions qui ont été présentées aujourd’hui pour améliorer les conditions de vie et de travail des saisonniers puissent toutes être expertisées. Nombre d’entre elles sont débattues depuis trop longtemps, d’autres sont neuves et apportent des contributions importantes.

Il est essentiel que nous avancions collectivement sur un sujet qui se trouve au croisement de nombreux enjeux économiques et sociaux. Sur ce sujet complexe et multiforme, l’État doit avoir un rôle d’impulsion. Engager les partenaires sociaux à travailler à l’amélioration de ce statut par la négociation collective est une priorité.

Je salue une nouvelle fois ce débat, l’ensemble des interventions et l’initiative prise par le groupe CRC et Mme la sénatrice Annie David.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous nourri ce débat de vos analyses, de votre expérience de terrain et de vos propositions. Vous avez aussi rappelé de nombreux rapports de référence, qui ont amplement traité de ce sujet depuis de longues années.

En conclusion, ce débat ne peut pas être une fin, et je sais que vous souhaitez qu’il ne le soit pas. Il doit être un début, celui d’un travail interministériel exigeant et ambitieux, pour améliorer concrètement la situation et la vie des travailleurs saisonniers. C’est la volonté et la détermination du Gouvernement. Je sais que c’est aussi la vôtre, et je vous en remercie.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Nous en avons terminé avec le débat sur la situation des travailleurs saisonniers dans notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Mes chers collègues, je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidatures pour la commission d’enquête sur le fonctionnement du service public de l’éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l’exercice de leur profession.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, ces candidatures sont ratifiées, et je proclame MM. Patrick Abate, David Assouline, Mme Marie-Christine Blandin, M. Jean-Claude Carle, Mmes Françoise Cartron, Marie-Annick Duchêne, Françoise Férat, MM. Jacques Grosperrin, Éric Jeansannetas, Mme Gisèle Jourda, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Mme Françoise Laborde, MM. Jacques Legendre, Gérard Longuet, Jacques-Bernard Magner, Alain Marc, Mmes Danielle Michel, Marie-Françoise Perol-Dumont, M. Michel Savin et Mme Catherine Troendlé, membres de la commission d’enquête sur le fonctionnement du service public de l’éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l’exercice de leur profession.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 28 janvier 2015 :

De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :

1. Suite de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, présentée par Mme Michelle Meunier et plusieurs de ses collègues (799, 2013 2014) ;

Rapport de Mme Michelle Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales (146, 2014 2015) ;

Texte de la commission (n° 147, 2014 2015) ;

Avis de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois (139, 2014-2015).

De dix-huit heures trente à vingt et une heures :

2. Débat sur le thème : « Quels emplois pour demain ? ».

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.