Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre assemblée se penche ce soir avec raison sur la situation des travailleurs saisonniers. Ces salariés de l’ombre représentent un peu plus de 2 millions de nos concitoyens, tous secteurs confondus.
L’apport économique du travail saisonnier est souvent ignoré ou, en tout cas, sous-estimé : dans le Pays d’Auray, en Morbihan – vous me permettrez de parler d’un territoire que je connais bien ! §–, il représente près de 20 % de l’emploi et même, à une certaine saison, 40 % des nouvelles offres de Pôle emploi, pour un bassin de population de 90 000 habitants répartis sur vingt-huit communes.
Il en est de même dans de très nombreux territoires, de la montagne au littoral en passant par la campagne, mais aussi dans nos villes. Il ne faut surtout pas oublier non plus la grande région parisienne, première pourvoyeuse d’emplois saisonniers !
Le visage du travail saisonnier est méconnu à double titre : il est occulté, d’une part, parce que la définition même de ce type de contrat est floue selon les instances compétentes. Il est mystérieux, d’autre part, car l’exercice des missions des travailleurs saisonniers peut, dans certains cas, s’exercer hors du droit.
Le résultat de cette somme d’imprécisions est une grande précarité pour ces travailleurs, dont la physionomie a bien changé depuis les années soixante-dix. Ce type de contrat ne concerne plus uniquement des jeunes, mais aussi des personnes plus âgées et avancées dans leur parcours professionnel. Il n’y a pas d’âge pour faire partie des travailleurs saisonniers !
Ceux-ci sont des salariés précaires, par définition, puisque leurs contrats sont des contrats à durée déterminée dits « par nature », c’est-à-dire sans prime de précarité.
Jusqu’en 2011, leurs allocations chômage étaient minorées de 25 % par rapport aux autres allocataires ; un jugement a alors mis fin à cette iniquité.
Il reste que le travail saisonnier se caractérise par une précarité à grande échelle ! Si rien n’est fait, le contrat saisonnier sera le siphon qui entraînera tous les autres contrats vers le bas !
Il faut également souligner la mauvaise situation des salariés saisonniers en matière d’hygiène et de sécurité. La fréquence et la gravité des accidents du travail, des conditions de vie déplorables faute de pouvoir se loger décemment, l’accès aux soins de santé compliqué pendant les saisons : autant de phénomènes sous-estimés parce que la forte mobilité de l’emploi et la grande diversité des lieux de travail rendent très difficiles le suivi des saisonniers et la traçabilité de leur exposition aux risques professionnels.
Il est nécessaire d’actionner plusieurs leviers pour faire reculer la précarisation sociale et professionnelle liée à leurs conditions de travail et aux conditions spécifiques de l’exercice de leurs métiers.
Depuis la loi Montagne de 1985, les initiatives gouvernementales se sont succédé, produisant peu d’avancées. Rapports, recommandations braquant les projecteurs sur le sujet ne manquent pas : les 31 propositions d’Anicet Le Pors, le rapport Halls-French et Simon, en 2003, la mission de François Vansson, en 2011, le rapport de François Nogué en 2013. Que de consultations, de commissions, de rapports, de préconisations pour n’aboutir à aucune mesure efficace, correspondant à l’objectif affiché !
Pourtant, le cœur des dispositions qui contribueraient à s’attaquer à cette précarité massive est connu : il serait efficace, par exemple, d’instituer une clause de reconduction des contrats pour les saisonniers fidélisés. Cela sécuriserait leur parcours et favoriserait leur liberté d’action, limiterait la course à l’emploi, aiderait à construire un parcours de formation et leur permettrait, bien sûr, d’être moins angoissés et d’accéder à une vie plus sereine, plus normale, avec d’autres perspectives que la peur du lendemain.
Concernant le logement des saisonniers, premier critère de précarisation, sa garantie doit reposer sur la triple responsabilité du législateur, des collectivités et des employeurs. Confrontés à de graves difficultés, les élus du pays d’Auray, dont j’étais, ont su créer un foyer pour les jeunes travailleurs et une auberge de jeunesse avec des logements dédiés aux travailleurs saisonniers.
Il est également nécessaire d’agir en ce qui concerne les transports. Faire se déplacer des centaines de milliers de salariés à travers toute la France en laissant le coût des trajets à leur charge est scandaleux ! De plus, bien souvent, l’éloignement géographique et le coût des déplacements causent de vrais soucis familiaux : les enfants en souffrent. Cela ne contribue pas à une vie familiale harmonieuse.
Dès sa nomination, le ministre des finances a confié à un groupe de parlementaires la mission « d’apporter des solutions durables à une situation qui n’a que trop duré ».
À la légitime indignation doivent succéder des mesures !
Face au chômage de masse, l’emploi saisonnier peut constituer une chance et une richesse pour nos territoires, à condition qu’il ne se développe pas au détriment des droits sociaux et professionnels.
De plus, la concurrence des travailleurs détachés est féroce dans les secteurs concernés. Ces « sous-contrats de travail » sont dangereux, d’abord pour les travailleurs étrangers eux-mêmes, lesquels, déjà pauvres, se retrouvent sans droits ni protection, mais également pour nos salariés, qui subissent de plein fouet cette concurrence déloyale liée au dumping social. Comme le préconise le Conseil économique et social européen, il faut que l’Europe fasse des progrès en matière d’harmonisation sociale.