Intervention de Franck Montaugé

Réunion du 27 janvier 2015 à 21h30
Débat sur la situation des travailleurs saisonniers dans notre pays

Photo de Franck MontaugéFranck Montaugé :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la France doit, d’ici au 17 août 2016, transposer la directive de l’Union européenne sur le travail saisonnier des non-ressortissants européens.

Notre débat d’aujourd’hui nous permet de faire l’analyse du fonctionnement du marché du travail saisonnier dans notre pays, quelles que soient les origines des travailleurs concernés et des secteurs économiques employeurs. Mon département, le Gers, qui est agricole et touristique, est particulièrement concerné par le travail saisonnier.

Ce débat est bienvenu, et je salue ses initiateurs, nos collègues du groupe CRC. Il sera utile si nous posons ensemble des orientations d’amélioration pouvant être intégrées dans la législation de notre droit du travail, sans nuire aucunement aux secteurs économiques concernés, et même avec pour conséquence de renforcer leur compétitivité.

Bien que l’emploi saisonnier concerne en France quelque deux millions de personnes travaillant principalement dans l’agriculture et le tourisme, il n’existe pas de définition législative du contrat saisonnier.

Le droit du travail saisonnier résulte de sources différentes – circulaires, accords collectifs et jurisprudence. Si les contrats qui en résultent trouvent leur fondement dans ces différentes sources, la réalité des conditions d’emplois des travailleurs saisonniers s’en écarte souvent sur des points fondamentaux, comme la durée du travail, les horaires décalés – notamment excessifs –, les conditions de travail, d’hygiène et de sécurité.

Aux infractions constatées en matière de minoration des heures de travail déclarées s’ajoutent des conditions de transport et de logement qui sont parfois sanctionnées au civil, voire au pénal. L’opprobre n’est pas à jeter sur tous les employeurs, mais les infractions sont nombreuses, trop fréquentes.

Le statut actuel des saisonniers a aussi intrinsèquement des incidences dans le domaine de la retraite. Vingt, parfois trente ans de cotisations aboutissent souvent au minimum vieillesse. Des accords collectifs, sectoriels ou géographiques, permettent parfois de prévenir ces risques de précarisation. Certains d’entre eux prévoient des conditions de réembauche, tiennent compte de l’ancienneté sur plusieurs saisons, facilitent l’accès au logement, à la formation, envisagent la construction de foyers-logements permettant de loger correctement tout en limitant les durées et les coûts de transport.

Ces accords ont le mérite d’exister, mais ils ne concernent pas l’ensemble des travailleurs saisonniers. Prenant appui sur les bonnes pratiques qu’ils instaurent et après analyse fine de leurs effets réels, notre législation du travail pourrait être utilement adaptée pour couvrir l’ensemble des travailleurs concernés.

Pour ce qui est des travailleurs venant de pays tiers, la situation est encore plus difficile, puisqu’elle se caractérise très souvent par du dumping salarial et des règles de droit bafouées. Henri Cabanel vient d’en parler, chiffres éloquents à l’appui. Pour les travailleurs clandestins, c’est encore pis, puisqu’ils peuvent être réduits en esclavage par les trafiquants de main-d’œuvre.

Pour prévenir des situations indignes, la France s’est dotée en juin 2006 d’une loi créant une carte de séjour temporaire attribuée sous conditions aux étrangers titulaires d’un contrat de travail saisonnier. Dans ce cadre, obligation leur est faite de quitter la France après les périodes de travail autorisé.

Dans le même esprit et au terme d’un long processus de négociation entre états membres et Commission, l’Union européenne s’est dotée, le 17 février 2014, d’une directive relative à l’emploi saisonnier des travailleurs non ressortissants de l’Union européenne. Et si nous considérons que cette directive, fondée sur une approche positive de l’immigration régulière, constitue un progrès, nous appelons aussi l’Union européenne à analyser et à prendre en compte dans ses politiques les raisons qui poussent les travailleurs hors Union européenne à quitter leur pays.

L’un des enjeux de cette directive était de préserver les conditions de travail au niveau européen. Elle fait obligation à l’employeur de fournir des pièces – contrat, offre d’emploi ferme détaillée précise, demande et souscription d’assurance maladie, logement adéquat fourni – et aux États d’informer les travailleurs sur les informations devant leur être fournies. Elle nous amènera aussi à préciser la durée maximale de séjour, actuellement de six mois, tout en rappelant la nécessité de tenir compte de la situation de l’emploi local.

Le principe d’accès au droit du pays d’accueil sera rappelé. L’exigence de coût de loyer proportionné au revenu sera intégrée, et le loyer ne sera pas ou ne devra pas être déduit du salaire. Les états membres devront mettre en œuvre des mécanismes de contrôle fondés sur une analyse des risques propres à chaque secteur économique concerné.

La question des sous-traitants et de leurs organisations parfois complexes et opaques devra appeler notre vigilance à l’occasion de cette transposition.

Parce qu’elle doit permettre de conjuguer progrès social, en diminuant la précarité, et réponse aux besoins du marché du travail saisonnier, la transcription de cette directive doit être saisie comme le moyen d’améliorer et de compléter les dispositions de la loi du 27 juillet 2006.

Pour aller dans ce sens, je propose que nous tenions aussi compte des recommandations du Médiateur de la République, qui, en 2011, appelait à une définition légale du contrat de travail saisonnier précisant les circonstances autorisant le recours à ce type de contrat, qui sont fixées par la jurisprudence. Il en appelait aussi à la mise en place dans la loi de principes de reconduction des contrats et de versement de l’indemnité de fin de contrat prévue dans le droit commun pour les contrats à durée déterminée, lorsqu’il n’y a pas reconduction, prévue ou effective.

Plus personnellement, je souhaite que pour des secteurs comme celui du tourisme, par exemple, à échelle territoriale adaptée, notamment pour les territoires ruraux dont l’activité à un caractère saisonnier très marqué, nous facilitions la mise en place de groupements d’employeurs saisonniers.

Vous nous direz, monsieur le secrétaire d'État, si des dispositifs novateurs vous paraissent opportuns pour soutenir les saisonniers, et ce quels que soient les secteurs concernés. La transposition de la directive elle-même nous permettra d’intégrer utilement ces remarques dans notre législation.

Tel est le travail qui nous attend. Il en résultera, j’en suis sûr, un progrès dans l’égalité des droits des travailleurs contribuant de manière saisonnière à la prospérité de notre pays.

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