Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans son rapport rendu public au début de cette année 2015, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales indique que les faits de violence, mauvais traitements et abandons d’enfants enregistrés par la police ont augmenté en 2014 pour atteindre le chiffre de 20 884 cas, soit 6 000 de plus que l’année précédente. Je précise que ne sont pris en compte que les cas déclarés auprès des autorités. Trop souvent, des drames impliquant des enfants maltraités défraient la chronique, mettant en lumière un problème bien plus étendu que ces cas médiatisés.
La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a permis de nettes avancées en matière d’efficience des mécanismes de protection des enfants, mais des manquements et des difficultés de réalisation sur le terrain subsistent. Ils ont été bien repérés et développés par Muguette Dini et Michelle Meunier dans leur rapport rendu public en juin dernier. Je tiens, au nom de mon groupe, à les remercier pour la qualité de leur travail sur un sujet non seulement très sensible et fondamental, mais aussi hautement complexe, car faisant intervenir une multitude d’acteurs à tous les niveaux de l’action publique et de l’action individuelle.
L’un des premiers objectifs de la protection de l’enfance est de prévenir les difficultés en amont, autant que faire se peut, et de se donner les moyens de réagir le plus rapidement possible dans l’intérêt des enfants lorsque la situation l’exige. Pour cela, les informations doivent circuler entre les acteurs de la protection de l’enfance. C’est la condition pour que les cas problématiques soient très vite repérés et des drames évités. Cette nécessité a été soulignée par Muguette Dini et Michelle Meunier lors de la présentation de leur rapport et transparaît dans le texte dont nous discutons aujourd’hui.
Malheureusement, les cloisonnements entre acteurs sont encore bien trop importants. On le comprend vite en discutant avec eux. Les moyens financiers sont limités, les procédures sont nombreuses et le dialogue n’est pas toujours évident, faute de formation ou de temps à consacrer à chacun. Or il est fondamental que tous ces acteurs travaillent en étroite collaboration et non pas chacun de leur côté. Il faut décloisonner les services de l’aide à l’enfance et de l’aide aux familles, leur permettre de discuter avec les enseignants, les médecins scolaires, les familles et les enfants.
L’un des changements les plus importants survenu à la suite de la loi de 2007 a été la centralisation des signalements par les CRIP, les cellules de recueil des informations préoccupantes, et l’évaluation conjointe des situations d’enfants en risque de danger. Cependant, les formations relatives au repérage des maltraitances et à l’évaluation des situations d’enfants en risque de danger à destination des professionnels n’ont toujours pas été mises en place par les départements. Il conviendrait donc, selon nous, d’intégrer ce module à la formation initiale.
Autres acteurs primordiaux de la protection de l’enfant, les médecins scolaires jouent, ou peuvent jouer, le rôle de lanceurs d’alerte. Ils sont à même de repérer les enfants ayant besoin d’aide et sont le lien entre sphère scolaire et institutions de protection de l’enfance. Il est donc particulièrement problématique de constater que la santé scolaire reste, année après année, le parent pauvre de la protection de l’enfance. Cela a été souligné à plusieurs reprises, notamment dans le rapport public thématique de la Cour des comptes de 2009 portant sur le dispositif de protection de l’enfance.
Le problème endémique de la médecine scolaire est le même que celui de nombre de professions d’aide à la personne : le manque de moyens et de la faible attractivité des professions concernées. En France, en 2009, il y avait 12 millions d’élèves à prendre en charge pour seulement 1 270 médecins scolaires. Sans compter que les inégalités territoriales frappent là aussi ! Pour prendre l’exemple de la Seine-Saint-Denis, dans la ville de Pantin, il n’y a qu’un médecin pour 11 000 élèves. La médecine scolaire ne bénéficie ni des moyens ni du portage nécessaires à l’exercice de ses missions.
C’est toute cette première ligne de repérage des vulnérabilités et de lutte contre les facteurs de précarité qui se trouve aujourd’hui en difficulté pour assurer ses missions. Nous regrettons que la proposition de loi que nous examinons n’aborde pas ces questions.
Autre élément présent dans le rapport de nos collègues, mais malheureusement absent de ce texte, c’est la question des mineurs étrangers isolés, évoquée à l’instant par Mme Doineau.
Malgré la circulaire de 2013, laquelle explicitait le cadre d’action des départements et de l’État et prônait bienveillance et bénéfice du doute, la situation est très loin d’être satisfaisante. Le test osseux, peu fiable et très lourd pour des enfants en grande fragilité, est toujours largement utilisé pour déterminer leur âge, contrairement à ce que demande la circulaire. Les budgets des départements alloués à l’accueil de ces enfants sont toujours aussi serrés. La volonté de répartir ces enfants particulièrement vulnérables dans plusieurs départements s’est heurtée à l’obstruction et au refus de certains, ce qui charge d’autant plus la barque des autres.
La coordination entre l’État et les départements n’est pas encore satisfaisante. Nombre d’associations nous le rapportent régulièrement, notamment en Seine-Saint-Denis.
Par ailleurs, il ne faut pas avoir une vision fantasmée de la situation de l’accueil de ces mineurs : leur nombre s’élevait, selon les estimations disponibles, entre 4 000 et 8 000 sur un total de 275 000 jeunes pris en charge par l’aide sociale à l’enfance en 2011. Il est nécessaire, sur ce point également, de prévoir des modalités de prise en charge conformes aux valeurs énoncées dans la convention internationale des droits de l’enfant, dont la France est signataire.
Malgré ces regrets, la proposition de loi présentée par nos collègues correspond à l’orientation que les écologistes souhaitent donner à la protection de l’enfance. À condition que l’esprit n’en soit pas dénaturé lors de la discussion des articles, nous voterons ce texte, qui apporte des premières réponses à un certain nombre de problèmes dans la conception et surtout l’application de la loi de 2007.