La séance est ouverte à quatorze heures trente.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat.
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.
M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’administration de l’agence Business France.
Conformément à l’article 9 du règlement, la commission des affaires économiques a été invitée à présenter une candidature.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, à la demande du groupe socialiste et apparentés, de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, présentée par Mme Michelle Meunier et plusieurs de ses collègues (proposition n° 799 [2013-2014], texte de la commission n° 147, rapport n° 146, avis n° 139).
Je rappelle que nous avions commencé l’examen de ce texte le 11 décembre 2014.
La commission des affaires sociales souhaiterait que la discussion de l’article 7 soit réservée jusqu’après l’examen de l’article 18.
L’un des amendements déposés à l’article 7 concerne un dispositif important, le délaissement parental, qui ne sera débattu qu’à l’occasion de l’examen de l’article 18. Nous ne voudrions pas que le vote sur l’amendement préjuge les réponses apportées à la question traitée dans le cadre de l’article 18.
Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la réserve est de droit, sauf opposition du Gouvernement.
Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?
Avis favorable.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comment ne pas exprimer des regrets ?
Nous ne pouvons tout d’abord que regretter l’absence de notre ancienne collègue Muguette Dini, qui avait travaillé avec Michelle Meunier sur le rapport d’information intitulé Protection de l’enfance : améliorer le dispositif dans l’intérêt de l’enfant. Nous savons combien elle s’était investie sur le sujet et combien il lui tenait à cœur.
Nous ne pouvons ensuite que regretter que cette discussion générale se prolonge, avec un mois de décalage.
Nous ne pouvons enfin que regretter qu’un tel débat mobilise si peu – je tiens d’ailleurs à remercier toutes celles et tous ceux qui ont répondu présents cet après-midi –, ...
… alors qu’il y a quelques jours encore nous débattions du maintien des départements. Or nous sommes là sur l’une des compétences clés de ces collectivités en matière sociale. La protection de l’enfance, ce sont 300 000 mineurs – 1, 8 % des jeunes de moins de vingt et un ans -, pour une dépense d’environ 7 milliards d’euros.
La proposition de loi était présentée comme une mise en application du rapport d’information. Ce n’est vrai que partiellement. Elle contient en outre des dispositions, touchant à des sujets aussi sensibles que l’inceste, qui n’ont pas été inspirées par le rapport. La protection de l’enfance étant vraiment une question majeure, constat sur lequel, me semble-t-il, nous sommes unanimement d’accord, nous aurions pu éviter ce sentiment de rendez-vous manqué.
Cela étant, le groupe UDI-UC tient à saluer le travail effectué dans le cadre de la mission d’information précédemment citée, spécifiquement par les auteurs de la proposition de loi : Michelle Meunier, notre rapporteur, qui a montré dans son approche beaucoup d’empathie et d’humanisme, et notre ancienne collègue Muguette Dini. Dans leur rapport d’information, toutes deux ont dressé un bilan exhaustif et formulé une cinquantaine de propositions d’amélioration. Ce travail est remarquable, notamment au regard de l’enquête menée auprès de 400 personnes ayant été accueillies par l’aide sociale à l’enfance, l’ASE. Si 54 % d’entre elles ont un regard positif sur la prise en charge, des critiques existent. Ainsi, 62 % des personnes interrogées déclarent avoir souffert des ruptures liées au parcours et 43 % du maintien à tout prix du lien avec les parents. Du chemin reste donc à parcourir.
Je tiens également à saluer le travail de la commission, qui a permis d’apporter des clarifications au texte initial, dans ses volets tant social que judiciaire. Le volet judiciaire a d’ailleurs été substantiellement réformé sous l’impulsion du rapporteur pour avis de la commission des lois, François Pillet, dont je salue l’excellent travail et les qualités de pédagogue.
Un état des lieux s’imposait effectivement, mes chers collègues ! Il devait donner lieu à un débat, et ce débat est aujourd'hui possible.
La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a représenté un véritable progrès. Elle a notamment permis de clarifier les missions et le vocabulaire de la protection de l’enfance, de mieux prendre en compte l’intérêt de l’enfant et la place des parents, de donner au conseil général un rôle pivot, de renforcer la prévention et d’améliorer le dispositif d’alerte, de signalement et d’évaluation, enfin de travailler à une amélioration de la formation des personnels et à une diversification des modes d’intervention. Toutefois, huit ans après, si des avancées sont perceptibles, nous savons toutes et tous que la mise en œuvre de cette loi ambitieuse a été progressive et partielle. Pour quelles raisons ?
Il y a tout d’abord le manque de moyens financiers. La loi de 2007 avait créé le Fonds national de financement de la protection de l’enfance, destiné à compenser, pour les départements, la charge résultant de la mise en œuvre de la loi et à financer les actions innovantes en faveur de la protection de l’enfance. Malheureusement, l’État n’a jamais abondé ce fonds à sa juste hauteur.
Il y a ensuite le contexte dégradé. Les départements ont vu leurs dépenses sociales exploser, avec une charge nette après déduction des apports de l’État en augmentation de 4, 6 % entre 2012 et 2013. En Mayenne, par exemple, le nombre de jeunes placés a crû de 36 % en cinq ans et le volume des mesures éducatives de 21 %, tandis que les dépenses progressaient de 11 % entre les deux derniers budgets.
Il y a en outre les nouvelles prises en charge. Un nombre croissant de jeunes faisant l’objet de mesures pénales sont confiés à l’ASE au titre de l’assistance éducative, alors qu’ils devraient relever de la protection judiciaire de la jeunesse. Le placement des jeunes au titre de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante est aujourd’hui peu activé.
La protection de l’enfance est essentiellement le fait du juge : 75 % des placements et les deux tiers des mesures éducatives relèvent d’une décision judiciaire. L’importance donnée à la réponse judiciaire en France distingue notre pays des autres pays européens, ces derniers privilégiant l’épuisement préalable de toutes les autres possibilités de négociation avec les parents.
Dans une logique de restriction des dépenses, l’État s’est également désengagé de certaines de ses missions, notamment s’agissant des jeunes souffrant de pathologies psychiatriques ou de troubles du comportement. Faute de structures de soins et de professionnels en nombre suffisant, en particulier dans le domaine de la pédopsychiatrie, les ARS, les agences régionales de santé, ne sont pas en mesure d’assurer cette mission aux côtés des départements.
Toujours en matière de nouvelles prises en charge assurées par les départements, il faut noter celles qui concernent les mineurs étrangers isolés. Ces jeunes aux profils bien différents contraignent nos services départementaux à un suivi très spécifique, tant administratif que sanitaire et socio-éducatif. À ce titre, je remarque - c’est un point quelque peu paradoxal – que nous avons institué, à l’occasion de l’examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, un prélèvement sur les recettes de l’État au profit des départements pour financer cette prise en charge. N’y avait-il pas lieu de prévoir un tel dispositif dans le cadre du présent texte, alors même que la question est largement ouverte ?
Il y a enfin les abondantes contraintes qui ont pesé sur les départements : élaborations de schémas, de plans, mises en place de cellules, d’observatoires, de commissions ou autres protocoles, créations de tableaux de bord, etc. Ces mesures, certes utiles – ces travaux nous permettent de remettre en cause nos pratiques –, se révèlent chronophages pour nos services. N’oublions pas non plus les audits internes que nous pouvons commander ou les audits externes auxquels nous sommes soumis, notamment ceux de la Cour des comptes et de l’Inspection générale des affaires sociales.
Oui tout cela a été fait dans l’intérêt supérieur de l’enfant ! Oui, tout cela participe au bien-être de l’enfant ! Oui, tout cela concourt à une meilleure organisation de nos services en vue de protéger l’avenir des enfants ! Mais, de grâce, restons vigilants et faisons en sorte de ne pas oublier l’humain au profit des grilles statistiques, des stratégies opérationnelles et des remises en cause perpétuelles !
Je m’attacherai donc à examiner cette proposition de loi avec attention et détermination. S’il nous faut viser la perfection dans l’accompagnement de l’enfant, nous devons aussi être réalistes : certains articles supposent des moyens que les départements n’ont pas ou plus. « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible », disait Antoine de Saint-Exupéry. Cela s’applique vraiment au texte dont nous débattons aujourd'hui.
En tout dernier lieu, on peut également regretter que la proposition de loi n’aborde pas certains des sujets les plus préoccupants. Nous avons eu un vrai débat, en commission, concernant la question des adoptions forcées d’enfants dans leur pays d’accueil à l’étranger, du fait, parfois, d’un manque de communication des services sociaux français auprès de l’autorité centrale. Ces enfants sont élevés dans un environnement culturel qui leur est étranger. Au vu des éléments mentionnés, l’État a reporté sa responsabilité sur les conseils généraux. II y a donc urgence à dégager de nouveaux moyens en direction de ces publics les plus difficiles.
Mes chers collègues, notre vote sur ce texte dépendra du sort réservé aux amendements examinés en séance publique.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – M. Claude Dilain applaudit également.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans son rapport rendu public au début de cette année 2015, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales indique que les faits de violence, mauvais traitements et abandons d’enfants enregistrés par la police ont augmenté en 2014 pour atteindre le chiffre de 20 884 cas, soit 6 000 de plus que l’année précédente. Je précise que ne sont pris en compte que les cas déclarés auprès des autorités. Trop souvent, des drames impliquant des enfants maltraités défraient la chronique, mettant en lumière un problème bien plus étendu que ces cas médiatisés.
La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a permis de nettes avancées en matière d’efficience des mécanismes de protection des enfants, mais des manquements et des difficultés de réalisation sur le terrain subsistent. Ils ont été bien repérés et développés par Muguette Dini et Michelle Meunier dans leur rapport rendu public en juin dernier. Je tiens, au nom de mon groupe, à les remercier pour la qualité de leur travail sur un sujet non seulement très sensible et fondamental, mais aussi hautement complexe, car faisant intervenir une multitude d’acteurs à tous les niveaux de l’action publique et de l’action individuelle.
L’un des premiers objectifs de la protection de l’enfance est de prévenir les difficultés en amont, autant que faire se peut, et de se donner les moyens de réagir le plus rapidement possible dans l’intérêt des enfants lorsque la situation l’exige. Pour cela, les informations doivent circuler entre les acteurs de la protection de l’enfance. C’est la condition pour que les cas problématiques soient très vite repérés et des drames évités. Cette nécessité a été soulignée par Muguette Dini et Michelle Meunier lors de la présentation de leur rapport et transparaît dans le texte dont nous discutons aujourd’hui.
Malheureusement, les cloisonnements entre acteurs sont encore bien trop importants. On le comprend vite en discutant avec eux. Les moyens financiers sont limités, les procédures sont nombreuses et le dialogue n’est pas toujours évident, faute de formation ou de temps à consacrer à chacun. Or il est fondamental que tous ces acteurs travaillent en étroite collaboration et non pas chacun de leur côté. Il faut décloisonner les services de l’aide à l’enfance et de l’aide aux familles, leur permettre de discuter avec les enseignants, les médecins scolaires, les familles et les enfants.
L’un des changements les plus importants survenu à la suite de la loi de 2007 a été la centralisation des signalements par les CRIP, les cellules de recueil des informations préoccupantes, et l’évaluation conjointe des situations d’enfants en risque de danger. Cependant, les formations relatives au repérage des maltraitances et à l’évaluation des situations d’enfants en risque de danger à destination des professionnels n’ont toujours pas été mises en place par les départements. Il conviendrait donc, selon nous, d’intégrer ce module à la formation initiale.
Autres acteurs primordiaux de la protection de l’enfant, les médecins scolaires jouent, ou peuvent jouer, le rôle de lanceurs d’alerte. Ils sont à même de repérer les enfants ayant besoin d’aide et sont le lien entre sphère scolaire et institutions de protection de l’enfance. Il est donc particulièrement problématique de constater que la santé scolaire reste, année après année, le parent pauvre de la protection de l’enfance. Cela a été souligné à plusieurs reprises, notamment dans le rapport public thématique de la Cour des comptes de 2009 portant sur le dispositif de protection de l’enfance.
Le problème endémique de la médecine scolaire est le même que celui de nombre de professions d’aide à la personne : le manque de moyens et de la faible attractivité des professions concernées. En France, en 2009, il y avait 12 millions d’élèves à prendre en charge pour seulement 1 270 médecins scolaires. Sans compter que les inégalités territoriales frappent là aussi ! Pour prendre l’exemple de la Seine-Saint-Denis, dans la ville de Pantin, il n’y a qu’un médecin pour 11 000 élèves. La médecine scolaire ne bénéficie ni des moyens ni du portage nécessaires à l’exercice de ses missions.
C’est toute cette première ligne de repérage des vulnérabilités et de lutte contre les facteurs de précarité qui se trouve aujourd’hui en difficulté pour assurer ses missions. Nous regrettons que la proposition de loi que nous examinons n’aborde pas ces questions.
Autre élément présent dans le rapport de nos collègues, mais malheureusement absent de ce texte, c’est la question des mineurs étrangers isolés, évoquée à l’instant par Mme Doineau.
Malgré la circulaire de 2013, laquelle explicitait le cadre d’action des départements et de l’État et prônait bienveillance et bénéfice du doute, la situation est très loin d’être satisfaisante. Le test osseux, peu fiable et très lourd pour des enfants en grande fragilité, est toujours largement utilisé pour déterminer leur âge, contrairement à ce que demande la circulaire. Les budgets des départements alloués à l’accueil de ces enfants sont toujours aussi serrés. La volonté de répartir ces enfants particulièrement vulnérables dans plusieurs départements s’est heurtée à l’obstruction et au refus de certains, ce qui charge d’autant plus la barque des autres.
La coordination entre l’État et les départements n’est pas encore satisfaisante. Nombre d’associations nous le rapportent régulièrement, notamment en Seine-Saint-Denis.
Par ailleurs, il ne faut pas avoir une vision fantasmée de la situation de l’accueil de ces mineurs : leur nombre s’élevait, selon les estimations disponibles, entre 4 000 et 8 000 sur un total de 275 000 jeunes pris en charge par l’aide sociale à l’enfance en 2011. Il est nécessaire, sur ce point également, de prévoir des modalités de prise en charge conformes aux valeurs énoncées dans la convention internationale des droits de l’enfant, dont la France est signataire.
Malgré ces regrets, la proposition de loi présentée par nos collègues correspond à l’orientation que les écologistes souhaitent donner à la protection de l’enfance. À condition que l’esprit n’en soit pas dénaturé lors de la discussion des articles, nous voterons ce texte, qui apporte des premières réponses à un certain nombre de problèmes dans la conception et surtout l’application de la loi de 2007.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, dans un contexte de précarisation sociale et économique où de plus en plus de familles rencontrent des difficultés pour satisfaire leurs besoins élémentaires, voire fondamentaux – se nourrir, se loger, se soigner, s’éduquer –, dans un système social qui tend à exclure plutôt qu’à intégrer, la question de la protection de l’enfant a une résonance particulière. Les chiffres illustrent cette situation : le nombre d’enfants pauvres a augmenté de 440 000 entre 2008 et 2012 et celui des enfants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance de 13 % depuis 2010.
Huit ans après l’adoption de la loi réformant la protection de l’enfance, « l’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins et le respect de ses droits » doivent donc nous guider vers une amélioration du dispositif existant. En ce sens, la proposition de loi déposée par les sénatrices Michelle Meunier et Muguette Dini vise à en améliorer le fonctionnement et le pilotage tout en sécurisant le parcours des enfants protégés. En effet, le système français est actuellement dépourvu de pilotage au niveau national, ce qui renforce les inégalités territoriales. Il ne répond pas aux difficultés d’accès à l’autonomie, notamment au regard des faibles perspectives d’insertion professionnelle, et pose en dogme le maintien avec les parents des enfants en situation de délaissement, voire d’abandon, alors même que certaines situations peuvent être considérées comme risquées.
En s’attaquant à la maltraitance institutionnelle, ce texte permet d’améliorer la situation des enfants et des familles qui subissent actuellement les ruptures de parcours, les passages d’établissement en familles d’accueil et les nombreux allers-retours entre institutions et famille.
Nous soutenons l’instauration d’un organe national de pilotage de la politique de protection de l’enfance afin de rendre plus lisible et cohérente l’action territoriale. L’amélioration du suivi de l’enfant placé est indispensable. Cette proposition de loi nous semble aller dans le bon sens en développant le rôle du projet pour l’enfant et en encadrant davantage les décisions de changement de famille d’accueil.
Ces mesures vont nécessairement de pair avec le développement de la formation des professionnels du secteur de la protection infantile. Face à des situations souvent très fragiles, la formation des acteurs est au cœur des enjeux de l’amélioration de la prise en charge des enfants placés.
Les mesures prévues pour faciliter la procédure d’adoption simple devront à la fois veiller à prendre en compte l’avis de l’enfant et à ne pas complexifier les règles juridiques de l’adoption.
La mise en place d’un médecin référent pour la protection de l’enfance dans chaque service départemental de la PMI, la protection maternelle et infantile – disposition portée par notre groupe lors des débats sur la loi de 2007 –, semble aujourd’hui faire l’objet d’un large consensus. Nous nous en félicitons, car cette mesure permettra d’établir des liens de travail réguliers entre les services départementaux, les médecins libéraux et hospitaliers et les médecins de santé scolaire.
Il est tout à fait positif qu’afin de garantir une meilleure représentation des droits de l’enfant dans la procédure d’assistance éducative, la proposition de désignation par le juge d’un administrateur ad hoc soit reprise. Ce dernier se substituerait ainsi aux représentants légaux de l’enfant mineur pour protéger ses intérêts et exercer ses droits.
Toutefois, cette proposition de loi comporte, selon nous, deux écueils majeurs : d’une part, elle ne se dote pas des moyens à la hauteur de ses ambitions ; d’autre part, elle fait l’impasse sur certains sujets qui auraient dû être abordés. Il n’existe ainsi aucune proposition concernant la prise en charge des fratries et la sécurisation du statut du tiers digne de confiance. De même, la question des moyens humains et financiers n’est absolument pas évoquée, notamment ceux consacrés à la prévention. Je pense ici à la nécessaire revitalisation des services de la PMI qui souffrent cruellement.
Alors que la loi de 2007 a opéré le transfert des compétences de la protection de l’enfance aux collectivités territoriales – je me réjouis, comme nous avons pu le constater lors des débats relatifs au projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, que beaucoup le défendent aujourd’hui –, le contexte budgétaire nous laisse craindre de voir les disparités territoriales progresser. Il est particulièrement dommageable de constater que, même sur un sujet tel que la protection de l’enfance, lequel engage l’avenir de la nation, les parlementaires ne puissent s’extirper du carcan de la réduction des dépenses publiques. Nous aurions aimé trouver dans ce texte la réaffirmation du rôle central de l’État, seul à même de garantir l’égalité de traitement de toutes les familles et de tous les enfants sur le territoire et d’assurer la cohérence du système.
Ce désengagement nous préoccupe d’autant plus que l’extension des missions de prévention de la protection de l’enfance, prévue en 2007, n’a jamais eu lieu. Dès lors, nous pouvons douter de la réalité d’une évolution positive des crédits affectés à la prévention de la protection de l’enfance. Or, en fait de prévention, on constate que le service de la protection maternelle et infantile se voit fragilisé par la dilution de ses missions dans l’organigramme général du conseil général. Actuellement, seuls 4 % des 5 milliards d’euros consacrés chaque année à la protection de l’enfance par les départements sont affectés à la prévention.
En outre, nous aurions souhaité que la question de l’autonomisation et de l’insertion professionnelle des jeunes suivis par l’aide sociale à l’enfance soit présente dans ce texte afin de remédier aux problèmes de précarité. En effet, alors que le nombre de chômeurs s’élève à 3, 5 millions en France métropolitaine, ces jeunes rencontrent des difficultés extrêmement fortes pour occuper un emploi.
De la même manière, nous regrettons fortement que la situation d’ultime fragilité des mineurs étrangers isolés ne soit pas modifiée par ce texte, alors même que ces mineurs sont exposés à des risques d’atteinte à leur sécurité tant physique que psychique.
Permettez-moi d’aborder la situation des jeunes lycéens sans papiers qui vivent la peur au ventre, craignant une expulsion ou un enfermement en centre de rétention. Comment ne pas être choqué de ne voir aucune évolution sur ce sujet malgré un changement de gouvernement ? Heureusement, de nombreuses collectivités, des municipalités, des conseils généraux, dont celui du Val-de-Marne, des conseils régionaux, en particulier celui d’Île-de-France, et certains élus ont mis en place un système de parrainage pour aider ces jeunes et faire en sorte qu’ils puissent poursuivre une scolarité dans de bonnes conditions dans notre pays. Je salue d’ailleurs le travail effectué sans relâche par le Réseau éducation sans frontières pour que soient abandonnées ces expulsions.
Au-delà de cet aspect, et pour revenir au cœur de la proposition de loi, nous souhaitons vivement que les trois amendements que nous avons déposés pour combler certaines de ces lacunes trouvent une réponse favorable au cours du débat, car, malgré les propos de notre collègue rapporteur en commission, ils ne semblent pas satisfaits. Le premier vise à encourager des actions de parrainage d’enfants, le deuxième tend à réduire les délais de déclaration judiciaire de délaissement à neuf mois et le dernier a pour objet de favoriser la prise en charge des fratries dans les projets pour l’enfant.
Vous aurez pu le constater, la volonté du groupe CRC est d’enrichir et d’améliorer ce texte, qui va globalement dans le bon sens, malgré les limites que j’ai évoquées. C'est la raison pour laquelle nous voterons positivement en faveur de la proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je formulerai quelques remarques liminaires.
Premièrement, chacun s’accorde, majorité comme opposition, à reconnaître que la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance, que l’on doit à notre éminent collègue Philippe Bas, ici présent, est un bon texte – certes perfectible après huit ans d’application.
Deuxièmement, en matière de protection de l’enfance, les départements – dont l’existence est menacée, nous le savons bien – sont chef de file et pilotent la quasi-totalité du dispositif. J’aurais tendance à dire qu’ils le font plutôt bien. J’en profite pour rendre ici hommage à tous les acteurs départementaux anonymes et courageux côtoyant au quotidien les pires situations, en particulier les assistants familiaux et maternels, métiers difficiles et peu considérés.
Troisièmement, au XXIe siècle, et compte tenu de l’évolution de la cellule familiale et de son éclatement, le sujet de la protection de l’enfance est compliqué et douloureux. La subjectivité, la morale et l’éthique y tiennent une place considérable.
Cela étant posé, le texte que nous étudions aujourd’hui fait suite à un excellent rapport – qui avait reçu un accueil favorable de la commission – de Mmes Meunier et Dini, cette dernière ayant décidé de ne pas se représenter lors des dernières élections sénatoriales. Malheureusement, le groupe UMP considère majoritairement que la transposition de ce rapport en texte législatif n’est pas aboutie et aurait mérité un peu plus de recul, ainsi qu’une sérieuse étude d’impact concernant les conséquences sur le coût et le fonctionnement de l’aide sociale à l’enfance dans les départements.
De plus, en ce qui concerne l’adoption, une remise à plat profonde comme le souhaite notre collègue Alain Milon aurait nécessité plus de recul. Je connais la critique : on en parle depuis dix ans, et nous n’avançons pas ! Toutefois, commencer à examiner cette proposition de loi six mois après le dépôt du rapport est extrêmement court. Peut-être aurions-nous pu consacrer six mois supplémentaires, voire une année, à davantage de réflexion et de concertation. Je salue d’ailleurs l’excellent travail de la commission des lois, qui s’est penchée essentiellement sur les problèmes d’adoption et a voté à l’unanimité la plupart des amendements que va défendre le rapporteur pour avis, M. Pillet. J’ajoute que notre collègue Philippe Mouiller interviendra également sur les problèmes d’adoption.
Pour ma part, j’analyserai cette proposition de loi sous l’angle de la complexité administrative et des charges nouvelles pour les départements. Il se trouve que tout le monde souhaite un choc de simplification, mais jamais personne ne le met en œuvre !
L’article 1er prévoit la création d’un conseil national de la protection de l’enfance, alors que, de l’avis même du rapporteur, la structure existant déjà ne fonctionne pas. Il convient donc de reprendre cette initiative et de s’appuyer sur l’Observatoire national de la protection de l’enfance prévu à l’article 3 en améliorant son fonctionnement. Il me paraît en effet nettement plus simple de créer une seule structure et d’étendre ses compétences.
L’article 2 vise à réaliser un bilan annuel des formations, dont l’utilité est discutable compte tenu principalement de son élargissement à des acteurs qui n’ont rien à voir avec les services départementaux, comme les policiers, les gendarmes et les magistrats. Ce sont des agents de l’État et non des agents des conseils généraux ! Par conséquent, il n’existe aucune raison pour que les conseils généraux prennent en main ces formations et, surtout, les financent. Il serait plus logique et plus simple de confier à l’Observatoire départemental de la protection de l’enfance la formation des seuls agents départementaux, sans compter que cette décision permettrait d’économiser un certain nombre de charges.
L’article 4 tend à créer un médecin référent dans chaque service départemental de protection maternelle et infantile. Certes, la coordination est souhaitable, mais n’oublions pas le problème de la désertification médicale. Nous avons déjà beaucoup de mal dans les conseils généraux à trouver des médecins référents, que ce soit pour l’allocation personnalisée d’autonomie, la prestation de compensation du handicap ou la protection maternelle et infantile, n’allons pas créer des postes pour des médecins que nous ne trouverons pas. Soyons réalistes !
L’article 7 a pour objet de créer une commission pluridisciplinaire – une de plus ! La plupart des conseils généraux chiffrent à quatre le nombre d’équivalents temps plein que la création d’une telle commission nécessitera. Il semblerait même, je dis ça sous réserve, qu’un président de conseil général de l’actuelle majorité, et pas des moindres, ait parlé de cet article 7 comme d’une usine à gaz. En réalité, cette nouvelle structure se superposera aux décisions de justice avec les conséquences que l’on peut imaginer, ce qui ne va pas dans le sens de la protection de l’enfant.
L’article 8 vise à prévoir une intervention du juge sur le changement du lieu d’accueil. Cet article traduit une certaine défiance – ce qui va à l’encontre du propos liminaire que j’ai tenu sur la compétence des personnels de l’aide sociale à l’enfance – à l’égard des services de protection maternelle et infantile dans les départements.
L’article 9 tend à modifier le rapport annuel des services de l’aide sociale à l’enfance. Cela va dans le bon sens, mais une telle mesure introduit aussi des charges nouvelles non compensées.
Faute de temps, nous n’avons pas pu établir un chiffrage de ces dispositions, mais toutes ces obligations nouvelles à la charge des départements, au moment où les départements sont menacés dans leur existence et sont totalement exsangues, auraient mérité nettement plus de réflexion et une concertation plus approfondie avec l’Assemblée des départements de France. J’ajoute qu’on peut se poser la question de la conformité de ces nouvelles charges avec l’article 72-2 de la Constitution, qui dispose que « toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ». À ma connaissance, aucune compensation au bénéfice des départements n’est prévue dans le texte.
Le groupe UMP, fort modéré, proposera de supprimer les articles qui visent à augmenter les charges des départements. Nos autres amendements tendent à apporter des améliorations au texte. Je persiste à penser que, avec un peu plus de recul et une meilleure étude d’impact, nous n’en serions peut-être pas arrivés là. Je regrette de dire que l’enfer est pavé de bonnes intentions, car l’objectif recherché par les uns et par les autres est bien la protection de l’enfant.
Si la plupart des amendements que notre groupe propose sont adoptés, nous voterons le texte ainsi amendé. En revanche, si la version d’origine est maintenue, nous ne pourrons pas le voter.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après la loi de 2007, les sénatrices Muguette Dini et Michelle Meunier, qu’il faut remercier et féliciter, ont rédigé un rapport d’information, qui a été adopté par l’ensemble de la commission des affaires sociales. Une proposition de loi en a découlé, reprenant les suggestions les plus opportunes et consensuelles. C’est ce texte que nous étudions aujourd’hui, dont Mme la rapporteur a explicité les contours et les enjeux.
Cette proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui doit en effet nous rassembler, car ce sujet semble bien faire l’objet d’un consensus évident. Tous, nous voulons protéger les enfants. Je n’ai jamais entendu quelqu’un me dire que la protection des enfants n’était pas importante ! Pourtant, il apparaît clairement que légiférer sur ce thème est sujet à débat – nous l’avons constaté en commission – et reste un exercice difficile. Pourquoi ?
Rappelons que le souci du bien-être de l’enfant est un sentiment relativement récent dans notre histoire occidentale. Ce n’est qu’au XIXe siècle, en France, qu’on a commencé à légiférer pour protéger les enfants. Il a fallu attendre le 23 décembre 1874 pour que soit votée la première loi relative à la protection des enfants, en particulier des nourrissons. Cet acte juridique fondateur est bien tardif !
Auparavant, les enfants étaient souvent considérés comme une gêne, tant dans les familles d’aristocrates, qui les confiaient pendant plusieurs années à une nourrice loin du domicile familial, que dans les familles populaires, où les abandons et les infanticides étaient courants. N’oublions pas que longtemps le père a eu droit de vie et de mort sur ses enfants ! Cette réalité historique met d’ailleurs à mal la notion d’instinct maternel ou paternel, comme l’a si bien démontré Élisabeth Badinter.
Même si aujourd’hui le respect et l’amour que nous portons à nos enfants sont une évidence, légiférer sur cette question reste difficile pour plusieurs raisons. En effet, dans la mesure où le premier protecteur de l’enfant est sa famille, si celle-ci est défaillante, quelle qu’en soit la cause, la protection de l’enfant devient un dilemme.
Il y a deux attitudes philosophiques pour aborder cette protection : soit on considère que le lien familial doit être respecté, le plus possible, voire toujours ; soit, au contraire, une rupture partielle ou totale avec la famille est la priorité.
Ces deux philosophies de la protection de l’enfant s’opposent, mais elles ont chacune leur légitimité. Seulement, si l’on veut être efficace, il est indispensable que les tenants de ces deux théories se parlent et trouvent des équilibres opérants. C’est d’ailleurs l’objectif atteint par la proposition de loi.
Légiférer sur la protection de l’enfant est aussi rendu difficile par le fait que chaque situation, chaque drame, est particulier, voire singulier. Il est donc périlleux d’établir une règle générale.
À cela s’ajoute le fait que la maltraitance des enfants génère toujours beaucoup d’affects. Il faudra donc se méfier de nos émotions pour retrouver la sérénité, car il est rare que l’émotion soit bonne conseillère en termes de législation.
Je souhaite maintenant soulever deux points particuliers.
Tout d’abord, à l’article 2, j’ai déposé un amendement, après avoir entendu les professionnels de la protection de l’enfance. Pour eux, c’est au niveau départemental qu’il doit y avoir un recueil transversal des informations impliquant tous les services et que l’on doit échanger sur le partage des bonnes pratiques.
Si la création d’un conseil national de la protection de l’enfance est indispensable pour promouvoir la convergence des politiques menées au niveau local, il est clair que ce conseil doit se nourrir des informations recueillies à l’échelon départemental, et non l’inverse. C’est la raison pour laquelle je proposerai la création de commissions départementales pour la protection de l’enfance.
Ensuite, j’aimerais insister sur la nécessité de remplacer la formule « l’âge du discernement » par la notion de « degré de maturité », ce qui a été fait dans le texte. Je sais que la première formule juridique est présente dans tous les codes, comme vous l’avez fait remarquer, monsieur le rapporteur pour avis. Seulement, j’ai le regret de dire qu’elle n’exprime pas la réalité de l’enfance. Il faut le dire avec force : l’enfant discerne à tout âge, il entend et il comprend ! Cette réalité est maintenant largement démontrée. Il nous appartient donc d’adapter nos discours et nos actions à la maturité de l’enfant et de ne pas attendre un hypothétique âge du discernement. Je sais qu’il faudra du temps pour que cette réalité soit traduite juridiquement. Mais pourquoi ne pas commencer maintenant ?
Pour conclure, en tenant compte de toutes les difficultés que j’ai évoquées, je considère que la proposition de loi de nos collègues Meunier et Dini est courageuse. Je n’ai aucun doute sur la capacité de la Haute Assemblée à pouvoir en débattre sereinement avec un seul objectif : le bien-être de l’enfant.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance est considérée dans son ensemble comme une bonne loi, même si elle peut parfois paraître incomplète.
La protection de l’enfance est l’un de ces domaines où la main du législateur doit intervenir avec prudence et après mûre réflexion. La réflexion, vous l’avez menée, madame la rapporteur, puisque cette proposition de loi, dont vous êtes l’un des auteurs, fait suite à la mission que vous avez conduite avec notre ancienne collègue Muguette Dini. Je salue le travail que vous avez effectué dans le cadre de cette mission. Cependant, force est de constater, comme l’a souligné Jean-Noël Cardoux, que cette proposition de loi n’est pas complètement aboutie. Nous avons pu le remarquer lors de l’examen du texte en commission, où nous avons souvent ressenti le fait que nous n’avions pas tous les éléments juridiques pour prendre des décisions importantes.
Dans le domaine de la protection de l’enfance, nous ne pouvons réagir et légiférer sous le coup de l’émotion, car un grand nombre de situations vécues sont souvent difficiles et peuvent, de ce fait, nous conduire à prendre des décisions dont nous ne maîtrisons pas toujours l’ensemble des conséquences.
À cet instant, je tiens à saluer le travail du rapporteur pour avis de la commission des lois, François Pillet, qui a permis d’éclairer la réflexion de la commission des affaires sociales, notamment sur les principes juridiques essentiels qu’il nous était proposé de redéfinir. Certaines de ces notions juridiques, nous a-t-il semblé, n’ont pas vocation à être remises en cause ou modifiées dans un texte tel que celui que nous examinons aujourd’hui. Ainsi, la commission des affaires sociales n’a pas souhaité créer, pour le dossier administratif d’assistance éducative, de dérogation à la procédure de droit commun de consultation des documents administratifs, prévue à l’article 10 de la présente proposition de loi.
Il ne nous est pas non plus apparu opportun de procéder à la réforme de l’adoption simple, prévue à l’article 12, au détour de l’examen de cette proposition de loi. En droit français, l’adoption simple se distingue de l’adoption plénière en ce qu’elle laisse subsister un lien entre l’enfant et sa famille d’origine, ainsi que par son caractère révocable. Cependant, la révocation n’est pas un acte anodin ; elle n’est recevable que pour motifs graves appréciés de manière souveraine par le juge, qui interprète strictement ces motifs. Il est à noter que l’article 370 du code civil dispose que la demande de révocation faite par l’adoptant n’est recevable que si l’adopté est âgé de plus de quinze ans.
Par ailleurs, est-il de l’intérêt supérieur de l’enfant de laisser subsister un lien de filiation fondé sur la volonté quand elle n’est plus là ? La combinaison des articles 12 et 14 de la proposition de loi revenait à modifier en profondeur le droit de l’adoption, en rendant, d’une part, l’adoption simple irrévocable et en permettant, d’autre part, la remise en cause de l’adoption plénière sans condition.
Si réforme il doit y avoir – nous entendons, j’y insiste, la nécessité de réagir de manière urgente, dont témoignent les attentes exprimées sur le terrain –, le sujet mérite néanmoins d’être traité dans son ensemble. C’est pourquoi il nous a semblé pour l’instant préférable de supprimer ces deux articles et de proposer la réalisation d’une étude particulière sur ce sujet.
Nous avons également soutenu la suppression de l’article 21, lequel prévoyait d’étendre l’indignité successorale aux parents qui auraient commis un crime ou un délit sur la personne de leur enfant. Nous regrettons par ailleurs que l’article 20 relatif à l’automaticité du retrait d’autorité parentale pour les parents ait été maintenu. Nous aurons l’occasion de débattre de tout cela lors de l’examen des amendements.
J’indique, enfin, que nous ne sommes pas favorables à l’article 17, lequel prévoit l’obligation de nommer un administrateur ad hoc dans les instances d’assistance éducative, indépendant du service de l’aide sociale à l’enfance, pourtant souvent le mieux à même de défendre les intérêts de l’enfant.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le vote du groupe UMP dépendra du sort réservé à nos amendements.
Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, mes propos seront extrêmement brefs, car nous avons tous envie d’entrer dans le détail du texte et d’examiner les différents amendements.
La loi de 2007 a marqué un progrès indéniable en matière de protection de l’enfance ; elle a d’ailleurs été saluée par tous. Je suis convaincu que le travail sur le présent texte pourra, de la même façon, se faire dans un pareil esprit de consensus. C’est indispensable, tant cette question est fondamentale.
Nous avons, à l’égard de nos enfants, des responsabilités sociales incontestables. Il s’agit d’ailleurs d’aborder la question de la protection non pas seulement des enfants maltraités, mais de tous les enfants, y compris ceux ayant eu le malheur de naître d’un parent incapable, notamment pour des raisons psychiques, voire psychiatriques, d’exercer son autorité et de les éduquer.
Nous devons, comme dans la loi de 2007, bien situer l’évolution de nos textes et de nos pratiques, notamment des conseils généraux, dans le cadre de la convention internationale des droits de l’enfant. Adoptée il y a plus de vingt-cinq ans et ratifiée par la France, elle confère en effet aux enfants un statut de personnes ; c’est à mon sens une évolution fondamentale, en ce qu’elle leur octroie des droits. Nous y reviendrons.
La protection de l’enfance, nous le mesurons bien, est une responsabilité extrêmement lourde pour les conseils généraux : elle induit, comme la politique relative au vieillissement, comme les politiques de solidarité dans leur ensemble, des charges très importantes. Si nous ne pouvons pas nous en dispenser, des procédures existent sans doute qui les allégeraient. Je ne suis pas sûr, en effet, que les services sociaux soient toujours ceux qui veillent le plus aux économies qu’il y a lieu de réaliser, parce qu’ils font en toute bonne foi ce qu’ils pensent devoir faire.
Les conseils généraux et le personnel en leur sein chargé de ces questions doivent également être attentifs à la question de la pluridisciplinarité. Ce n’est pas la bonne volonté ou la bonne foi qui font la qualité du travail ; nous le savons, nous les élus, qui sommes parfois un peu éloignés des réalités décrites par les travailleurs sociaux, surtout quand ils revendiquent leur liberté de conscience et le secret professionnel, y compris à notre endroit. De ce point de vue, donc, la pluridisciplinarité est utile.
De la même façon, si l’enfant, considéré comme une personne, est sujet de droit, l’idée qu’un administrateur ad hoc, doté d’un regard extérieur, puisse peser sur le projet pour l’enfant doit nous interpeller ; elle doit en tout état de cause être suivie.
Sur des sujets de cette nature, je le signale également, le législateur doit être extrêmement humble ; ce ne sont pas les lois qu’il adopte qui assureront aux enfants le bonheur et l’éducation dont ils ont besoin.
Je mesure aussi les interrogations que l’on peut avoir au sujet de la création d’un conseil national de la protection de l’enfance ; alors que l’heure est plutôt à la décentralisation, ce conseil national peut apparaître comme un lieu de « recentralisation » des compétences. Pourtant, il s’agit plutôt d’apporter un regard nouveau sur les pratiques en la matière. C’est peut-être ce conseil national, d’ailleurs, qui réalisera l’étude que certains appelaient de leurs vœux il y a un instant.
Dans ce texte, l’idée du projet à construire pour l’enfant est réaffirmée de manière encore plus claire qu’auparavant : plus de pouvoir, plus de marges de manœuvre sont accordés à la famille d’accueil. Ce projet doit faire l’objet d’un suivi et d’une réévaluation, dans l’idée d’assurer une certaine stabilité à l’enfant.
Pour terminer, je tiens à le souligner, nous formons tous le vœu que les enfants, quels qu’ils soient, puissent vivre dans un environnement éducatif et affectif stable, même si la famille actuelle est plurielle, recomposée, voire décomposée, même si leurs modes de relation sont multiples. Ces modes de relation des enfants à la parentalité, totalement modifiés, impliquent d’ailleurs que nous menions un jour une réflexion en profondeur sur la signification de l’adoption aujourd’hui.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Michel Amiel applaudit également.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, mon propos sera bref ; bon nombre des points soulevés dans les différentes interventions pourront en effet être abordés au moment de l’examen des amendements. J’ai d’ailleurs bien compris que Jean-Noël Cardoux et Philippe Mouiller attendaient de voir le sort réservé aux amendements déposés par leur groupe pour déterminer leur vote à l’issue de nos débats. Dès lors, réservons-nous pour l’examen de ces amendements, qui nous donneront l’occasion d’avoir des discussions de fond.
Madame Doineau, je partage avec vous l’idée selon laquelle l’accumulation de schémas et de dispositifs est une charge pour les conseils généraux – c’est incontestable – ainsi que pour les professionnels, en plus d’être un obstacle à la réalisation effective des préconisations. Nous aurons l’occasion d’en reparler lorsque nous évoquerons la place réellement donnée au projet pour l’enfant dans la prise en charge de la protection de l’enfance. Néanmoins, le présent texte, j’y insiste, ne va pas dans le sens de l’accumulation ; il a plutôt pour objectif de simplifier le système et, surtout, de donner des outils aux départements et aux professionnels, afin de les accompagner pour la mise en œuvre des préconisations.
La proposition de loi ne porte pas sur l’adoption ; je comprends donc qu’elle suscite autant de frustrations qu’elle recueille de soutiens. Il faut bien entendu avancer sur la question de l’adoption, y compris internationale ; j’indique d’ailleurs qu’un travail sur le sujet est actuellement mené avec le ministère des affaires étrangères.
Madame Archimbaud, vous avez cité les chiffres d’une étude selon laquelle 6 000 cas supplémentaires de maltraitance ou d’abandon d’enfants, soit une augmentation de 43 %, avaient été enregistrés l’année dernière. J’ai une bonne nouvelle : ces chiffres s’expliquent par le changement des indicateurs statistiques. En effet, ces chiffres étaient suffisamment élevés pour que, à leur lecture, je sursaute comme vous. J’ai donc demandé à rencontrer au plus vite le responsable de l’organisme à l’origine de cette étude, lequel m’a confirmé que les indicateurs statistiques avaient été modifiés d’abord en zone gendarmerie, puis en zone police. Cela explique l’augmentation importante des faits constatés en zone gendarmerie d’abord, en zone police ensuite. Dès lors, je ne suis pas en mesure de vous dire si l’augmentation des cas avérés est réelle ; seulement, ne reprenons pas à notre compte les chiffres que vous avez cités.
Madame Cohen, vous avez raison, les questions relatives à la protection de l’enfance et la situation des familles défaillantes sont les révélateurs de tout ce qui fait la crise. Si la pauvreté n’est pas une maltraitance familiale, elle est, pour les familles, une maltraitance sociale. C’est d’ailleurs pour cela que les dispositifs de protection de l’enfance et de prévention sont particulièrement importants pour les accompagner.
Par ailleurs, j’y insiste, les mineurs isolés étrangers ne sont pas expulsables, du fait même de leur minorité. Ils n’ont donc pas à vivre dans cette crainte. C’est d’ailleurs ce qui fait la force de notre système, mais aussi la charge qui lui incombe : il est extrêmement protecteur.
Nous aborderons la question des fratries lorsque nous examinerons l’amendement que vous avez déposé sur ce sujet.
La protection maternelle et infantile, quant à elle, est un des acteurs de la protection de l’enfance. Tout ne passe pas par elle. Son rôle, j’en conviens avec vous, madame la sénatrice, est néanmoins important. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons mis en place, avec les professionnels concernés et les médecins de la PMI, un groupe de travail visant à mieux cerner l’articulation entre l’action de la PMI et des services de la protection de l’enfance au sein des départements.
Enfin, je remercie Claude Dilain et Jacques Bigot pour leurs propos, qui s’inscrivent tout à fait dans l’esprit de la présente proposition de loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il n’aura échappé à personne que j’ai travaillé personnellement sur ce texte. Si l’excellente qualité des services du Sénat a contribué à la rédaction du rapport d’information, d’abord, et à celle de la proposition de loi, ensuite, mes services ont également été à la disposition de Muguette Dini et de Michelle Meunier. Je me sens donc, sur ce texte, tout à fait aidante !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant que l’examen des articles ne commence, je rappelle que le Gouvernement a déposé lundi dernier six amendements sur le texte. Comme elle s’y était engagée, Mme la secrétaire d’État a pris l’attache de la commission en amont de ce dépôt pour lui en présenter la teneur. Nous avons ainsi pu tenir, la semaine dernière, une réunion de travail avec Mme la rapporteur, M. le rapporteur pour avis, les représentants des groupes et les collaborateurs de Mme la secrétaire d’État.
Je tiens ici, parce que c’est assez rare, à saluer ce souci de concertation et à vous en remercier, madame la secrétaire d’État.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Titre Ier
AMÉLIORER LA GOUVERNANCE NATIONALE ET LOCALE DE LA PROTECTION DE L’ENFANCE
L’article L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Il est institué auprès du Premier ministre un Conseil national de la protection de l’enfance, chargé de proposer au Gouvernement les orientations nationales de la politique de protection de l’enfance, de formuler des avis sur toute question s’y rattachant et d’en évaluer la mise en œuvre. Le Conseil national de la protection de l’enfance promeut la convergence des politiques menées au niveau local, dans le respect de la libre administration des collectivités territoriales. Ses missions, sa composition et ses modalités de fonctionnement sont définies par décret. »
L'amendement n° 20 rectifié bis, présenté par MM. Cardoux et Mouiller, Mmes Canayer et Cayeux, M. Chasseing, Mmes Debré et Deroche, M. Dériot, Mme Deseyne, MM. Dusserre, Forissier et Gilles, Mmes Giudicelli, Gruny et Imbert, M. Lemoyne, Mme Micouleau et MM. Morisset, Pinton, D. Robert et Savary, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.
Il nous paraît illusoire d’imaginer qu’une nouvelle instance nationale va permettre de piloter un dispositif de protection de l’enfance entièrement décentralisé et relevant de la compétence des départements depuis 1983.
De plus, le conseil national de la protection de l’enfance ferait doublon avec l’Observatoire national de la protection de l’enfance, que l’article 3 prévoit d’instituer en remplacement de l’Observatoire national de l’enfance en danger, l’ONED.
Aux termes de l’article 9 de la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance, l’ONED « contribue au recueil et à l’analyse des données et des études concernant la maltraitance envers les mineurs, en provenance de l’État, des collectivités territoriales, des établissements publics, des fondations et des associations œuvrant en ce domaine ». En outre, il « contribue à la mise en cohérence des différentes données et informations, à l’amélioration de la connaissance des phénomènes de maltraitance et recense les pratiques de prévention, de dépistage et de prise en charge médico-sociale et judiciaire de la maltraitance, dont les résultats évalués ont été jugés concluants, afin d’en assurer la promotion auprès de l’État […] ».
La présente proposition de loi transforme l’ONED en Observatoire national de la protection de l’enfance. Or il aurait été plus simple de ne conserver que cette seule structure et de lui attribuer par voie réglementaire un peu plus de compétences, en fonction des objectifs visés. C’est ce fameux « choc de simplification », dont on parle depuis des années, que notre amendement propose d’amorcer.
La commission a émis un avis favorable sur cet amendement, pour les raisons qui viennent d’être exposées par M. Cardoux.
Cela étant, à titre personnel, chacun le comprendra, j’y suis défavorable. Le dispositif prévu à l’article 1er est l’un des axes majeurs de la proposition de loi en matière de gouvernance.
M. Cardoux indique que les compétences du conseil national de la protection de l’enfance pourraient être attribuées à l’Observatoire national de l’enfance en danger. Or ces deux instances n’ont pas les mêmes missions. L’ONED effectue essentiellement des recherches et des études, quand le conseil national est appelé à suggérer des orientations, à émettre des avis ou à évaluer la politique de protection de l’enfance. Le modèle dont nous nous inspirons est celui du Haut Conseil de la famille, un organisme qui fonctionne très bien et auquel sont associés tous les acteurs concernés, y compris les parlementaires ; ma collègue Catherine Deroche et moi-même y représentons le Sénat.
Au demeurant, dans un souci de cohérence, de rationalité et de mutualisation, le conseil national de la protection de l’enfance pourrait remplacer le comité interministériel de l’enfance maltraitée et le comité technique de prévention spécialisée, qui ne se réunissent plus aujourd'hui.
Je comprends les réactions que la création du conseil national de la protection de l’enfance ou, plus généralement, de toute structure interministérielle ou interprofessionnelle peut susciter de prime abord. Seulement, moi aussi je rencontre les présidents de conseil général. Dans le cadre de l'évaluation de la loi de 2007, je les ai réunis – toutes appartenances politiques confondues – le 12 novembre dernier ; beaucoup étaient présents. Tous partagent le même constat : il y a aujourd'hui besoin d’un cadre d’échanges et d’un pilotage national qui soit à la fois régalien et décentralisé. Les professionnels, qu’il s’agisse des magistrats, des services de protection de l’enfance, des associations – tous travaillent en « tuyaux d’orgue » –, insistent également sur ce besoin d’échanges.
Le conseil national de la protection de l’enfance est demandé par les autorités décentralisées chargées de piloter les politiques de protection de l’enfance. Donnons-lui sa chance !
J’entends vos arguments sur l’ONED, mais il s’agit d’une instance d’observation de l’enfance en danger ou de la protection de l’enfance. Certes, nous pouvons élargir son champ d’observation, mais il est impossible de transformer totalement l’organisme sans base légale.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement. Il serait probablement utile de rapprocher les structures, mais l’ONED ne peut pas faire le travail du conseil national de la protection de l’enfance.
Je mets aux voix l'amendement n° 20 rectifié bis.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 85 :
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l'article 1er est supprimé, et les amendements n° 14 rectifié ter et 24 rectifié n’ont plus d’objet.
Toutefois, pour la bonne information du Sénat, j’en rappelle les termes.
L'amendement n° 14 rectifié ter, présenté par M. Cadic, Mmes Canayer, Deromedi, Garriaud-Maylam, Goy-Chavent, Joissains, Lopez et Procaccia et MM. Adnot, Bonnecarrère, Bouchet, Charon, Duvernois, Frassa, Gilles, Guerriau, Laufoaulu, Malhuret, Mouiller, Portelli, Pozzo di Borgo, Sido et Tandonnet, était ainsi libellé :
Alinéa 2, après la deuxième phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Ce conseil national intègre les spécificités des enfants français établis hors de France, notamment pour organiser et coordonner leur rapatriement et leur placement si nécessaire.
L'amendement n° 24 rectifié, présenté par Mme Malherbe, MM. Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mézard et Requier, était ainsi libellé :
Alinéa 2, dernière phrase
Remplacer cette phrase par trois phrases ainsi rédigées :
Ce conseil est composé de membres représentant les services de l'État, les départements et des personnes morales de droit public et privé, tous nommés par décret. Le président du conseil d'administration du Groupement d'Intérêt Public Enfance en Danger en est membre de droit. Les missions et les modalités de fonctionnement de ce conseil sont définies par décret.
(Non modifié)
Après le 4° de l’article L. 226-3-1 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un 5° ainsi rédigé :
« 5° De réaliser un bilan annuel des formations continues délivrées dans le département en application de l’article L. 542-1 du code de l’éducation et d’élaborer un programme pluriannuel des besoins en formation des professionnels de la protection de l’enfance dans le département. »
L'amendement n° 21 rectifié bis, présenté par MM. Cardoux et Mouiller, Mmes Canayer et Cayeux, M. Chasseing, Mmes Debré et Deroche, M. Dériot, Mme Deseyne, MM. Dusserre, Forissier et Gilles, Mmes Giudicelli, Gruny et Imbert, M. Lemoyne, Mme Micouleau et MM. Morisset, Pinton, D. Robert et Savary, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.
Cet amendement s’inscrit dans le même esprit que mon amendement précédent.
Dans sa rédaction actuelle, l’article 2 a une portée extrêmement large puisque l’article L. 542-1 du code de l’éducation mentionne « les médecins, l'ensemble des personnels médicaux et paramédicaux, les travailleurs sociaux, les magistrats, les personnels enseignants, les personnels d'animation sportive, culturelle et de loisirs et les personnels de la police nationale, des polices municipales et de la gendarmerie nationale ».
La proposition de loi étant muette sur le financement des formations, on peut en déduire que les départements devront en supporter le coût, voire endosser les éventuelles carences de formation de tous les services cités ci-dessus. Vous comprenez bien que nous ne pouvons pas faire peser une telle menace sur les conseils généraux.
Par ailleurs, il incomberait aux départements de réaliser un bilan annuel concernant pour une large part les professionnels de santé. Or c’est une compétence de l’agence régionale de santé. Là encore, un tel transfert de charges sur les départements n’est pas supportable.
Notre collègue Jacques Bigot, tout en reconnaissant que le dispositif créerait des charges supplémentaires pour les départements, affirmait que nous trouverions des solutions de financement. Mon cher collègue, les départements ont déjà été tellement échaudés…
… – les promesses qui leur avaient été faites en matière de compensation n’ont pas été tenues – que nous préférons prendre les devants et supprimer cette charge supplémentaire.
Mme la secrétaire d’État a indiqué qu’il n’était pas possible de procéder à de telles modifications par voie réglementaire. Il doit bien y avoir une solution.
À mon sens, les plans de formation des agents départementaux, qui relèvent de la compétence des départements, devraient être inclus dans les observatoires départementaux. C’est au sein de ces structures qu’il faut réaliser un bilan des formations, quitte à modifier les objets des schémas départementaux en ce sens. Les départements pourraient ainsi agir conformément à leurs compétences et à leurs devoirs vis-à-vis de leurs agents.
Par conséquent, nous proposons la suppression de l’article 2. Il existe, selon nous, des solutions plus simples et moins pénalisantes pour les départements.
La commission des affaires sociales a émis un avis favorable sur cet amendement, pour les raisons qui viennent d’être développées.
À titre personnel, je suis défavorable à la suppression de l’article 2.
Nous parlons de prévention et de professionnels qui sont en contact avec des enfants, par le sport, l’éducation ou les loisirs, et doivent repérer les éventuels signes de maltraitance ou de danger.
Monsieur Cardoux, vous parlez de transfert, mais, dans les départements où cela fonctionne bien, cette organisation est déjà en place. Samedi ou vendredi dernier, je me suis rendue à Nantes, sur l’invitation du CHU, pour une journée de sensibilisation au sujet des bébés secoués. Il y avait là des professionnels du conseil général, de la petite enfance au niveau des municipalités, des magistrats, des gendarmes, des services de police, des médecins, etc. Le tout grâce au 1, 6 % en faveur du droit à la formation.
Nous avons tout intérêt à décloisonner et à sensibiliser le maximum de professionnels. Il n’y a ici nul transfert de charges financières.
Monsieur le sénateur, je me demande s’il n’y a pas un malentendu par rapport à la méthode. Vous traquez dans cette proposition de loi tout ce qui pourrait engendrer des charges supplémentaires pour les départements. Dans bien des cas, pour ne pas dire dans tous les cas, il s’agit non pas de charges supplémentaires, mais d’une meilleure organisation du travail, ce qui n’est pas la même chose, d’autant que cette dernière peut être source d’économies.
Le problème, c’est que la loi de 2007, qui est une bonne loi, est appliquée de manière très inégale sur le territoire ; c’est du moins ce qui ressort des travaux réalisés depuis plusieurs mois par mon secrétariat d’État. Les préconisations de cette loi ne sont pas suivies par tous les départements. Par exemple, selon une évaluation réalisée dans le cadre de la MAP, la modernisation de l’action publique, il ressort que 60 % des départements n’ont pas mis en place l’obligation d’évaluation en ce qui concerne les formations. Par conséquent, cette proposition de loi vise à aider les départements et non à accroître leurs charges. Il s’agit plutôt de les inciter à suivre la loi de 2007, ce qu’ils ne font pas à l’heure actuelle.
Tout à l’heure, nous évoquerons le projet pour l’enfant : je n’accuse en rien les départements, mais seuls 10 % d’enfants en bénéficient. Pour autant, je ne réclame pas la création d’un droit opposable au projet pour l’enfant, j’essaie simplement d’étudier comment, avec les départements, mieux organiser les procédures pour qu’ils respectent la loi de 2007.
C’est au moment où le Parlement a voté la loi de 2007, laquelle a créé bon nombre d’obligations supplémentaires pour les départements, qu’il fallait dire que les collectivités départementales n’avaient pas les moyens ! Maintenant que ces obligations existent, nous devons œuvrer ensemble pour atteindre les objectifs, et ce dans l’intérêt de l’enfant, des familles suivies, et afin d’améliorer la qualité du travail des professionnels ainsi que l’organisation des services départementaux. Sur de tels sujets, il faut être plus positif !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Je voudrais vous faire part des difficultés rencontrées sur le terrain, particulièrement en ce moment. Vous verrez ainsi que, malgré des avis divergents, nous pouvons œuvrer en faveur d’une disposition visant à améliorer le dispositif, sans pour autant qu’elle soit pénalisante. Selon moi, ce n’est pas en légiférant que nous améliorerons la situation. J’en veux pour preuve l’ensemble des arguments et contre-arguments exposés ici. Ainsi, Mme le rapporteur vient de nous dire que cette organisation existe déjà. Dans ce cas, pourquoi légiférer ?
Madame la secrétaire d’État, vous évoquez la loi de 2007 en déplorant qu’elle ne s’applique pas. Mais ce n’est pas en légiférant davantage que ses dispositions seront enfin mises en œuvre ! Tout dépend des volontés locales et, surtout, des moyens qui y sont consacrés.
Actuellement, les départements n’ont pas les moyens de bien former du personnel pour répondre à la demande particulièrement complexe sur les territoires. La PJJ, la protection judiciaire de la jeunesse, ne dispose pas non plus de personnel suffisant pour traiter les difficultés qui relèvent de sa compétence. Ce qui est important, c’est que les services travaillent ensemble. Il est surtout essentiel de clarifier la question de savoir « qui fait quoi ».
Dans le domaine de la formation, madame la secrétaire d’État, le Gouvernement auquel vous appartenez a pris un certain nombre d’engagements pour améliorer la réponse aux mineurs étrangers isolés. L’une des demandes des départements était relative à la formation des personnels sociaux afin d’évaluer l’âge des mineurs étrangers isolés. Or cela fait deux ans que nous sommes entrés dans ce protocole et aucune formation n’a été organisée en ce sens. Pourquoi cela changerait-il demain ? Voilà pourquoi je soutiens la suppression de cet article.
Par ailleurs, se pose également aujourd'hui le problème de la radicalisation, sur lequel nous serons toujours en retard. Quand on note des changements de comportements chez certains bénéficiaires du RSA, si on arrive à les suivre, comment les « signaler » sans les « dénoncer », sans trahir la confiance accordée ? Les procureurs sont véritablement plus attentifs à ces difficultés. Ils cherchent à repérer un certain nombre de dérives et ont tendance à se tourner vers les travailleurs sociaux pour connaître leur sentiment ; ils leur demandent notamment d’aller voir les familles. C’est ici qu’il importe de trouver une articulation.
Le rôle des travailleurs sociaux n’est pas d’entrer en contact avec les familles sans une demande légitime de ces dernières. N’inversons pas le problème ! Aujourd'hui, en ce qui concerne l’organisation du travail sur les territoires et en matière de responsabilité des uns et des autres, le manque de clarification est plus criant que le manque de formation.
Ce n’est pas en légiférant que nous obtiendrons plus de résultats, mais avec davantage de moyens et de personnel. Si vous voulez véritablement améliorer ce dispositif complexe, mettez plutôt des gouttes d’huile là où il en manque pour faciliter le bon fonctionnement entre tous les rouages !
Je crains qu’à droite de l’hémicycle on veuille remettre le couvert sur un débat dont nous sortons à peine, je veux parler de la répartition des compétences, notamment par rapport aux départements.
Au cours des quinze derniers jours, vous n’avez cessé de réclamer la clarification des compétences. Nous en avons voté avec vous certaines. En ce qui concerne les départements, à aucun moment ce sujet n’a été abordé. Pourquoi l’évoquer maintenant, mais à l’envers : les départements ont la compétence, elle n’a d’ailleurs jamais été remise en question, mais ils ne veulent pas l’exercer.
Je vous donne lecture de l’objet de l’amendement n° 21 rectifié bis, avant-dernier alinéa : « Avant d’imaginer un bilan annuel des formations et un programme pluriannuel, il serait utile que le ministre en charge indique comment cette disposition est aujourd’hui mise en œuvre ». C’est exactement ce que Mme la secrétaire d’État vient de faire !
Par ailleurs, Mme la rapporteur a souligné que, dans certains départements, ces compétences ne posaient aucun problème. C’est donc un choix de priorité ! Selon moi, la protection de l’enfance, le signalement sont une priorité ! Nous sommes confrontés régulièrement à ces problèmes, nous en avons eu encore dernièrement quelques exemples tragiques. Je voterai donc contre votre amendement si vous ne le retirez pas.
La discussion dépasse largement le cadre de cet article. Il est hors sujet ici de rouvrir le débat sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.
Ce qui me gêne avec la suppression de cet article, c’est que celui-ci aborde un point fondamental, à savoir la nécessité d’instaurer un bilan annuel des formations continues. En tant que législateur, en tant qu’élu, comment s’opposer à un bilan qui permettra justement un état des lieux afin d’améliorer la situation ?
J’entends l’inquiétude au sujet des financements : une fois le bilan réalisé, qui financera les formations ? Si c’est là que le bât blesse, peut-être faut-il modifier l’article pour clarifier la situation. Quoi qu’il en soit, je trouverais dommageable d’évacuer totalement dans une proposition de loi relative à la protection de l’enfant la question d’une évaluation des formations. Depuis le début de nos débats, nous avons insisté à juste titre sur la nécessité d’avoir des formations de qualité. Qui pourrait être contre ? Or, pour cela, il faut un bilan.
Voilà pourquoi nous ne pouvons voter la suppression de cet article. Nous préférerions que le Gouvernement clarifie la situation et s’engage à prendre en charge une partie de ces formations.
Nous avons un long débat sur cet amendement qui vise à supprimer une disposition n’ayant, en réalité, rien de très substantiel.
S’il s’agit de discuter de l’intérêt de la formation des professionnels œuvrant en faveur de la protection de l’enfance ou de l’intérêt d’un bilan, nous allons vite tomber d’accord. Cependant, il ne s’agit pas réellement de ça.
La portée de la disposition prévue est assez difficile à apprécier. Il s’agit de réaliser un bilan annuel des formations et un programme pluriannuel des besoins en formation des professionnels de la protection de l’enfance. Qui sont ces professionnels ? Dans les départements, par exemple, il s’agit du personnel des services de l’aide sociale à l’enfance, du personnel des établissements accueillant des enfants en difficulté ou des éducateurs. Mais il s’agit aussi des personnels de la protection judiciaire de la jeunesse, qui ne dépendent pas des départements, ou encore des médecins généralistes, des pédiatres, des médecins hospitaliers, des infirmières ; il s’agit également des professeurs des écoles, des infirmiers scolaires, des médecins scolaires. Bref, le champ d’application de la disposition prévue par le texte de la commission est assez difficile à appréhender.
Nous pouvons tout de même distinguer deux catégories : les agents départementaux et les autres, qui sont pour la plupart d’entre eux des agents de l’État – j’ai oublié de mentionner également les magistrats, comme les juges des enfants, qui sont évidemment aussi des personnels de la protection de l’enfance.
S’agissant des personnels des départements, nous disposons déjà du bilan social, lequel comporte un volet relatif aux formations. Il me semble donc inutile de prévoir un document supplémentaire à la charge des départements. Certes, le coût est faible, mais nos départements sont déjà soumis à de nombreuses obligations purement formelles. Évitons d’en rajouter puisque l’instrument nécessaire au pilotage des formations des personnels de protection de l’enfance dépendant directement des départements existe déjà.
Quant à l’évaluation des autres personnels – magistrats, enseignants, fonctionnaires hospitaliers, médecins libéraux –, c’est une tâche impossible pour les départements ! Comment parviendraient-ils à fédérer toutes les informations sur des personnels aussi divers et à évaluer leurs besoins ?
Par conséquent, dans tous les cas, qu’il s’agisse des personnels départementaux ou des autres, la disposition prévue ici paraît sans grande portée et d’une très grande difficulté d’application. Nous ne ferons pas beaucoup progresser la protection de l’enfance en nous payant de mots par des obligations dont le formalisme l’emporte largement sur l’utilité.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l’UDI-UC.
J’adhère totalement aux propos de notre collègue Philippe Bas.
Madame la secrétaire d’État, pourquoi prévoir un tel article, alors qu’une loi existe déjà, pour partir à la chasse aux départements qui ne font pas bien les choses ? Pourquoi ne pas accentuer le contrôle ?
Dans mon département, la Cour des comptes et l’Inspection générale des affaires sociales sont successivement intervenues ; elles nous ont d’ailleurs beaucoup aidés à améliorer nos méthodes. Ne conviendrait-il pas plutôt de revoir les choses au travers de ces moyens ? En tout cas, il ne me paraît pas souhaitable d’élaborer une nouvelle loi pour mettre en application une loi déjà existante.
J’insiste aussi sur le fait que, dans nos départements, nous avons mis en place des formations très importantes, notamment auprès des assistants familiaux, qui sont très appréciées. Mais tout cela ne peut effectivement se faire qu’avec des moyens considérables. Aujourd’hui, c’est de moyens que manquent les départements.
Mes chers collègues, pardonnez-moi par avance si mon intervention est un peu longue et si je commence par parler de moi.
J’ai été au siècle dernier médecin et vice-président du conseil général de Vaucluse chargé de l’action sociale.
En tant que médecin, j’ai un jour constaté la maltraitance, par sa mère, d’un enfant qui portait des traces de fer à repasser dans le dos. À la suite de l’hospitalisation de cet enfant, et après que j’eus fait un signalement, celui-ci est mort. Il se trouve que je n’avais pas bien fait le signalement n’ayant pas été formé à cela. La mère a évidemment été condamnée pour avoir tué son enfant, mais, moi, j’ai été poursuivi par la justice, pour signalement incorrect, car, selon l’avocat de la mère, il n’était pas formulé comme il aurait dû l’être. Je dois vous dire que j’ai été meurtri par cette douloureuse expérience.
Élu vice-président du conseil général de Vaucluse, j’ai essayé de mettre en place un système de protection de l’enfance, et ce dès 1992. Le Vaucluse a été l’un des premiers départements à signer une charte avec les avocats, les juges, les médecins, les enseignants, les éducateurs sportifs pour leur demander de travailler sur le signalement d’enfants pouvant être maltraités par leur famille.
Je ne dis pas cela pour m’honorer de quoi que ce soit, mais je crois que le texte qui vous est présenté et que cet amendement vise à supprimer a simplement pour objet de demander au département la réalisation d’un bilan annuel de formation continue pour les différentes professions, avec les différents crédits. Je ne parle pas des crédits du département, mais des crédits de formation pour les médecins, qu’on pourrait réorienter vers la formation des médecins au signalement, et des crédits de formation des enseignants, qu’on pourrait réorienter également vers la formation au signalement.
Il n’y a donc pas de nouveaux crédits à mettre en place. Il faut réorienter les crédits existants de manière que le signalement soit efficace et que ceux qui signalent soient protégés de la justice en cas de recours de la part de l’avocat, qui pourrait considérer que le signalement a été mal fait, cas dans lequel je me suis trouvé.
Tel est l’objet de l’article 2. Lui opposer des raisons financières ne me semble pas pertinent. Le supprimer serait humainement lamentable. Je vous demande donc de maintenir ce texte, qui a pour seul objet de prévoir un bilan annuel des formations et une réorientation des crédits de formation existants vers d’autres systèmes de formation.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Je pense moi aussi, pour faire directement écho à ce qui vient d’être dit, qu’il serait très dommageable que cet amendement soit adopté.
Nous parlons d’un sujet grave. Tout à l'heure, tout le monde s’accordait à dire que cette question de la protection de l’enfant nous impose d’être responsables. On ne peut pas faire la politique du pire.
Ce besoin de formation est exprimé par tous les professionnels dans leur diversité. Il vient d’être démontré qu’une réorientation des formations permettrait aussi de mutualiser des savoir-faire, de mieux faire circuler l’information, de rendre les professionnels plus efficaces. Il a aussi été montré qu’on ne pouvait pas opposer à ce texte des arguments financiers, d’une part, parce que son coût serait très faible et, d’autre part, parce que le sujet est trop grave pour qu’on se défausse de cette responsabilité. On ne peut donc pas voter pour la suppression de cet article.
Il me semble évident qu’un bilan annuel des formations est nécessaire. Peut-être aurait-on mieux compris le sens de ce texte s’il avait été porté directement par les ODPE, les observatoires départementaux de la protection de l’enfance. Mais, au bout du compte, ce sont bien les conseils généraux qui sont les chefs de file dans les départements.
En outre, la dimension financière n’est pas présente dans ce texte, qui a pour objet de prévoir un bilan et de mettre ensuite en perspective les résultats de ce bilan. Ce texte ne vise pas seulement les personnels des conseils généraux, mais, comme on l’a compris avec l’exemple qui nous a été donné par M. Milon – et c’est bien dans cet esprit que cet article a été élaboré –, l’ensemble des personnels qui sont en contact, à un moment où à un autre, avec des enfants. Ces personnes peuvent appartenir au secteur médical, médico-social, à celui de l’animation culturelle ou sportive ; on touche ainsi un bon nombre de professionnels. En définitive, tous ces professionnels se retrouvent au sein des observatoires départementaux de la protection de l’enfance et, au travers d’échanges transversaux, mettent en œuvre la protection de l’enfance.
Il me semble complètement aberrant de vouloir supprimer l’article 2. Permettez-moi de vous dire que cela ressemble fort à de la politique politicienne, ce qui est chose très rare dans cet hémicycle !
Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.
Je mets aux voix l'amendement n° 21 rectifié bis.
L'amendement n° 16, présenté par Mme Morin-Desailly, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
professionnels de la protection de l’enfance
par les mots :
professeurs des écoles, accompagnants éducatifs et de l’ensemble des professions concourant à la détection de la maltraitance et à la prise en charge des enfants en danger
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° 1 rectifié bis, présenté par M. Dilain et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… - Le même article L. 226-3-1 est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« Des commissions pour la protection de l’enfance regroupant tous les acteurs concernés par la protection de l’enfance sont instituées sur le territoire départemental.
« Elles ont pour mission d’évaluer les pratiques et les outils statistiques afin d’harmoniser ces pratiques et de faire des propositions au Conseil national de la protection de l’enfance.
« La composition et les modalités de fonctionnement de ces commissions sont fixées par décret. »
La parole est à M. Claude Dilain.
Les professionnels de la protection de l’enfance considèrent que les liens entre les différents services qui s’occupent de la protection de l’enfance – l’ASE, la PJJ, l’ARS, l’éducation nationale, etc. – ne fonctionnent pas. Ils souhaitent donc la création de commissions départementales afin que ces différents acteurs puissent se réunir à la fois pour enregistrer les données relatives à la protection de l’enfance et faire un bilan des bonnes pratiques.
La création de ces commissions départementales ferait véritablement doublon avec les observatoires départementaux de la protection de l’enfance. Je vous demande donc, monsieur Dilain, de bien vouloir retirer cet amendement, auquel, sinon, la commission donnera un avis défavorable.
Je le retire, mais je pense que c’est dommage : l’idée était de donner la même impulsion au niveau tant départemental que national.
L'article 2 est adopté.
Lors du vote sur l’ensemble du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, notre collègue Roger Madec a voté pour par erreur, alors qu’il souhaitait s’abstenir.
Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
Nous reprenons la discussion de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant.
Nous poursuivons l’examen des articles.
Aux articles L. 226-3, L. 226-3-1, L. 226-6, L. 226-9 et L. 226-10 du code de l’action sociale et des familles, les mots : « l’Observatoire de l’enfance en danger » sont remplacés par les mots : « l’Observatoire national de la protection de l’enfance ».
L'amendement n° 30 rectifié bis, présenté par Mme Malherbe, MM. Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mézard et Requier, est ainsi libellé :
I. – Au début de cet article
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
... – Les deux dernières phrases du dernier alinéa de l’article L. 226-3 du code de l'action sociale et des familles sont supprimées.
II. – Supprimer la référence :
L. 226-3,
III. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Le chapitre VI du titre II du livre II du même code est complété par un article L. 226-3-... ainsi rédigé :
« Art. L. 226-3-... – Sont transmises à l'observatoire départemental de la protection de l'enfance et à l'observatoire national de la protection de l'enfance, sous forme anonyme, les informations relatives aux mesures mentionnées aux articles L. 222-3, L. 222-4-2, L. 222-5, L. 223-2 du présent code, aux articles 375-2, 375-3 et 375-9-1 du code civil et à l'article 1183 du nouveau code de procédure civile dont bénéficient des mineurs ou des majeurs de moins de 21 ans. La nature et les modalités de transmission de ces informations sont fixées par décret. »
La parole est à Mme Hermeline Malherbe.
Cette proposition découle des recommandations du rapport d'experts rendu public le 2 juillet 2013 et établi dans le cadre d'une démarche de réflexion et d'expertise en vue d'un consensus sur le périmètre de l'observation de la population prise en charge dans le dispositif de protection de l'enfance, organisée par le groupement d’intérêt public Enfance en danger et l'État, avec le soutien de l'Assemblée des départements de France, en mai 2013. Elle a été reprise par la commission Gouttenoire dans son rapport de février 2014.
La commission est favorable à cet amendement, dont l’adoption permettra d’étayer encore davantage le système national d’information sur les situations préoccupantes.
L'amendement est adopté.
L'amendement n° 25 rectifié, présenté par Mme Malherbe et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... – Après la deuxième phrase du dernier alinéa de l'article L. 226-6 du même code, est insérée une phrase ainsi rédigée : « L'observatoire national de la protection de l'enfance anime le réseau des observatoires départementaux de la protection de l'enfance. »
La parole est à Mme Hermeline Malherbe.
Actuellement, le lien entre l’observatoire national et les observatoires départementaux de la protection de l’enfance est purement formel. L’enjeu de l’article 3 n’est donc pas seulement d’ordre sémantique.
La modification de l’appellation de l’« Observatoire de l’enfance en danger » par celle d’« Observatoire national de la protection de l’enfance » est un prérequis nécessaire puisque cela permettra de faire le lien entre les ODPE et le futur ONPE. Il s’agit aussi de ne pas prendre le risque d’avoir des observatoires sur nos territoires dont le fonctionnement divergerait d’un département à l’autre et qui seraient sans lien avec l’organe national.
Adopter l’amendement que je propose garantira à l’ONPE qu’il aura la capacité d’assurer la mise en cohérence des différentes données et informations. Seront aussi améliorés la connaissance des phénomènes de mise en danger des mineurs et le recensement des pratiques de prévention ainsi que le dépistage et la prise en charge médico-sociale et judiciaire des mineurs en danger dont les résultats évalués ont été jugés concluants.
Tel est bien là l’enjeu d’avoir un ONPE qui soit animateur du réseau des ODPE.
La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, mais, à titre personnel, je suis favorable à la volonté qui est exprimée d’une plus grande lisibilité, en transformant et en regroupant les observatoires départementaux de protection de l’enfance en observatoire national de protection de l’enfance.
Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement.
L'article 3 est adopté.
L’article L. 2112-1 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans chaque service départemental de protection maternelle et infantile, un médecin référent “protection de l’enfance” est chargé d’établir des liens de travail réguliers entre les services départementaux, la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, les médecins libéraux et hospitaliers ainsi que les médecins de santé scolaire du département, dans des conditions définies par décret. »
L'amendement n° 54, présenté par Mme Meunier, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
service départemental de protection maternelle et infantile
par le mot :
département
La parole est à Mme la rapporteur.
Cet amendement vise à garantir que la collaboration entre le secteur médical du département et les services de la protection de l’enfance du conseil général s’étende à l’ensemble des enfants jusqu’à leur majorité.
Nous souhaitons qu’un médecin soit spécialisé sur ces questions dans chaque département plutôt que de confier cette tâche aux services de la PMI.
Cet amendement offre de la souplesse aux départements en prévoyant que le médecin référent peut être tout médecin du département, et pas forcément celui de la PMI. À cette fin, il modifie un article du code de la santé publique relatif aux missions de la PMI.
Cet amendement ne crée aucune obligation ou charge nouvelle et il assouplit l’organisation du travail au sein du département. L’avis est donc favorable.
L'amendement est adopté.
L'amendement n° 22 rectifié bis, présenté par MM. Cardoux et Mouiller, Mmes Canayer et Cayeux, M. Chasseing, Mmes Debré et Deroche, M. Dériot, Mme Deseyne, MM. Dusserre, Forissier et Gilles, Mmes Giudicelli, Gruny et Imbert, M. Lemoyne, Mme Micouleau et MM. Milon, Morisset, Pinton, D. Robert et Savary, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
d’établir des liens de travail réguliers
insérer les mots :
en coordonnant l’action et en facilitant la transmission d’informations
La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.
Notre amendement vise non pas à supprimer cet article, mais à préciser sa rédaction.
Comme je l’ai dit dans mon intervention liminaire, dans un contexte de pénurie, les départements ont énormément de mal à recruter des médecins, spécialement dans le cadre de la PMI. Les termes « établir des liens de travail réguliers », s’ils partent d’une bonne intention, puisqu’il est nécessaire de coordonner les soins donnés aux enfants confiés à l’ASE et faciliter la transmission des informations, sont donc trop vagues : ils peuvent englober des missions qui n’étaient pas prévues et accentuer encore le besoin de recrutement de médecins.
L’avis est favorable puisque cet amendement précise utilement le rôle et la fonction du médecin.
Cet amendement est intéressant, même si son dispositif relève plus du domaine du règlement que de celui de la loi. Mais s’il fallait expurger toutes les lois de leurs dispositions réglementaires, il y aurait du travail !
Sur le fond, je suis donc tout à fait favorable à cet amendement. Toutefois, pour des raisons de légistique, je m’en remets à la sagesse du Sénat.
L'amendement est adopté.
L'article 4 est adopté.
L'amendement n° 15 rectifié quater, présenté par M. Cadic, Mmes Canayer, Deromedi, Doineau, Garriaud-Maylam, Gatel, Goy-Chavent, Joissains, Lopez et Procaccia et MM. Adnot, Bonnecarrère, Bouchet, Charon, Duvernois, Frassa, Gilles, Guerriau, Laufoaulu, Mouiller, Malhuret, Portelli, Pozzo di Borgo, Sido et Tandonnet, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 221-3 du code de l’action sociale et des familles est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les demandes de renseignements relatives à une famille ou à un mineur formulées par une autorité étrangère doivent impérativement faire l’objet d’une validation au préalable de l'autorité centrale française puis d’un avis aux parents. »
La parole est à M. Olivier Cadic.
J’ai l’honneur de représenter au sein de la Haute Assemblée, avec onze de nos collègues, les Français établis hors de France, dont le nombre est évalué, au bas mot, à plus de 2, 5 millions, répartis sur toute la planète. Ce sont des Français comme les autres : il y a donc malheureusement parmi eux aussi des enfants en souffrance, maltraités, en danger. Les services sociaux des pays d’accueil les détectent parfois et leur appliquent des mesures de sauvegarde suivant la législation du pays.
J’ai été alerté par des professionnels du droit international de la famille, au premier rang desquels ma collègue élue consulaire au Royaume-Uni Marie-Claire Sparrow, sur la situation de jeunes Français qui, protégés de leurs familles négligentes ou violentes, font l’objet d’une adoption forcée, c’est-à-dire d’une adoption décidée sans aucune permission de leurs parents biologiques.
L’amendement que je défends devant vous prend en considération la problématique des familles qui se déplacent, en organisant la protection de nos enfants, notamment en mettant en place et en coordonnant leur rapatriement et leur placement si nécessaire. En effet, la communication systématique des pièces au dossier et des enquêtes sociales par certains services sociaux français à leurs homologues étrangers, sans passer par l'autorité centrale française – en l'occurrence, le service de l'entraide juridique du ministère de la justice –, peut déboucher sur un dossier à charge, ce qui peut conduire à une adoption forcée. Ce type de situation existe notamment en Grande-Bretagne, que je connais bien, et doit être intégré et anticipé par les autorités françaises compétentes dans le cadre du règlement européen 2201/2003 du 27 novembre 2003.
Il paraît donc indispensable que, à l’occasion de ces demandes de communication, l’autorité judiciaire française compétente soit consultée et, par là même, alertée sur toute procédure engagée à l’étranger concernant un éventuel placement d’enfants français par une autorité étrangère. Cette procédure d’alerte permettra aussi aux autorités françaises d’organiser un suivi attentif de ces dossiers, voire d’anticiper et de coordonner un retour nécessaire de l’enfant en concertation avec sa famille pour un placement en France. Ainsi, le lien entre la famille en France et l’enfant sera préservé ; des drames familiaux seront évités.
Dans la mesure où cette proposition touche à la question de l’adoption, qui dépasse le cadre de cette proposition de loi, la commission souhaite recueillir l’avis du Gouvernement.
Monsieur le sénateur, je souhaite que vous retiriez votre amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable. Je comprends tout à fait votre intention, mais votre amendement n’est pas conforme aux instruments de coopération existants, en particulier à la convention de La Haye.
Néanmoins, je suis prête à examiner avec vous, sur le fond, les situations que vous évoquez.
Oui, monsieur le président, car je souhaite simplement que soit appliqué le règlement européen que j’ai cité, pour éviter la transmission directe d’informations par certains services sociaux.
L'amendement est adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 4.
L'amendement n° 31 rectifié, présenté par Mme Malherbe, MM. Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mézard et Requier, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de procédure civile est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa de l’article 1182, après les mots : « procureur de la République », sont insérés les mots : « ainsi qu’au président du conseil général » ;
2° Le dernier alinéa de l’article 1190 est complété par les mots : « ainsi qu’au président du conseil général ».
La parole est à Mme Hermeline Malherbe.
Pour assurer un meilleur accompagnement des familles en difficulté et une prise en charge éducative des mineurs concernés adaptée à leur situation, il est indispensable que le président du conseil général, et donc le service de l'aide sociale à l'enfance, soit systématiquement informé des décisions d’assistance éducative prises par le juge des enfants. Cette information permettra, en outre, à un deuxième niveau, d'améliorer les données relatives à la connaissance du dispositif de protection, notamment la qualité des systèmes nationaux et départementaux.
Une telle disposition relève peut-être du décret – la commission ou le Gouvernement le diront. Nous avons néanmoins intérêt à ce qu’un échange d’informations ait lieu entre le juge et le président du conseil général, pour un meilleur suivi global de l’ensemble des jeunes pris en charge.
Cet amendement, qui prévoit une information systématique du président du conseil général par le juge lorsque celui-ci ouvre une procédure d’assistance éducative, apporte une précision utile. L’avis est donc favorable.
Madame la sénatrice, votre amendement vise en réalité à ce que la loi s’applique – un problème récurrent en matière de protection de l’enfance. L’article 1190 du code de procédure civile prévoit déjà que les décisions du juge sont notifiées dans les huit jours au père, mère, tuteur ou personne ou service à qui l’enfant a été confié.
Sur le fond, je suis extrêmement favorable à votre amendement, d’autant qu’il est un amendement miroir d’autres amendements que nous examinerons tout à l’heure sur l’échange d’informations en sens inverse, c'est-à-dire du conseil général vers le juge. La réciprocité de l’échange d’informations doit être garantie. Toutefois, votre proposition est de nature réglementaire. Nous allons donc travailler, notamment avec la Chancellerie, pour que l’article 1190 du code de procédure civile soit appliqué et que, le cas échéant, les mesures réglementaires nécessaires soient prises.
En conséquence, je souhaite que vous retiriez votre amendement. Je n’aimerais pas à avoir à émettre un avis défavorable alors même que je suis pleinement d’accord avec l’objet de votre proposition.
Au vu des explications qui m’ont été apportées, notamment sur le travail qui va être conduit avec la Chancellerie, je le retire, monsieur le président.
L'amendement n° 31 rectifié est retiré.
L'amendement n° 40, présenté par Mmes Cohen et David, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les services départementaux de protection maternelle et infantile encouragent les actions de parrainage d’enfant.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Cet amendement reprend une des propositions du rapport de nos collègues Dini et Meunier qu’il nous semble important de faire figurer dans cette proposition de loi. Il poursuit le même objectif que les mesures que nous avons examinées lors des articles précédents, à savoir l’amélioration de la protection des enfants qui connaissent des difficultés familiales et la recherche de solutions alternatives à un schéma qui ne fonctionne plus.
Nous proposons de développer les actions de parrainage des enfants confiés à l’ASE. Bien entendu, de tels parrainages ne peuvent se faire qu’à la demande du titulaire de l’autorité parentale ou avec son accord. L’idée de ces parrainages repose sur les mêmes fondements que la tradition chrétienne qui confie au parrain ou à la marraine l’éducation de son filleul en cas de décès des parents. De façon plus laïque, ce qui est aujourd’hui appelé parrainage de proximité, et que nous souhaitons voir se développer, est une possibilité de construire une relation affective durable avec un adulte autre que ses parents.
On le sait, certaines configurations familiales sont parfois très compliquées : elles ne permettent pas, ou plus, la communication ou que les parents assurent le rôle éducatif et émancipateur attendu de leur part. Ainsi, le parrainage peut permettre aux familles d’élargir leur réseau relationnel, de rompre leur isolement. Pour l’enfant, c’est un nouveau lien social ; pour les parents, un soutien ; pour le parrain ou la marraine, la possibilité de concrétiser un engagement de solidarité.
L’objectif est non pas tant le soutien financier que le soutien affectif, le parrain ou la marraine donnant de son temps, de son attention, dans une relation personnelle organisée volontairement et durablement, dans un cadre bien défini.
Notre amendement repose sur l’expérience intéressante menée par plusieurs institutions, notamment, pour ne prendre que ces deux exemples, le conseil général du Pas-de-Calais ou l’Union nationale des associations familiales.
Le parrainage est une solution très intéressante qui peut offrir à des familles un moyen de reprendre attache et de créer un lien familial. Toutefois, sur le plan strictement légal, les actions en sa faveur ne font pas à proprement parler partie des missions de la protection maternelle et infantile.
Le conseil national de la protection de l’enfance, dont l’article 1er prévoyait la création, aurait pu, à mon sens, encourager les parrainages à l’échelon départemental. Malheureusement, cet article a été supprimé.
Dans ces conditions, la commission est défavorable au présent amendement.
Madame la sénatrice, oui, il faut développer le parrainage ! En revanche, les dispositions que vous proposez ne relèvent pas tout à fait du domaine législatif. Surtout, je m’interroge sur l’opportunité de confier cette mission à la PMI, qui exerce déjà bien des activités de nature sanitaire.
Au surplus, le vote, en première lecture, de missions nouvelles pour la PMI ne serait pas correct vis-à-vis du groupe de travail que j’ai mis en place sur les questions relatives à la protection de l’enfance. Ce n’est pas l’idée que je me fais de la concertation !
Dès lors, le Gouvernement est, lui aussi, défavorable à votre amendement.
Le dépôt de cet amendement conduit à ouvrir un débat extrêmement intéressant, qui, en effet, dépasse le cadre législatif.
Après avoir entendu les remarques de Mme la rapporteur et de Mme la secrétaire d'État, je m’interroge sur le bien-fondé d’une mission supplémentaire attribuée à la PMI. Et, comme Mme la rapporteur, j’estime que la question du parrainage relevait davantage de l’article 1er, qui, malheureusement, a été supprimé, ce qui ne m’a pas permis d’aborder alors ce sujet.
Dans ces conditions, je retire mon amendement, mais je souhaite que le débat soit poursuivi, afin que nous puissions trouver une solution qui corresponde davantage au message que nous voulons faire passer.
L'amendement n° 47, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Avant l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 6° de l’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Veiller à la stabilité du parcours de l’enfant confié et à l’adaptation de son statut sur le long terme. »
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Cet amendement vise à compléter la définition du rôle du service de l’aide sociale à l’enfance qui figure dans le code de l’action sociale et des familles.
Traditionnellement, on attribue deux fonctions principales au service chargé de la protection de l’enfance : la restauration d’une autorité parentale défaillante et, bien entendu, la protection des enfants.
Ce que nous observons et que confirment l’ensemble des rapports et des évaluations établis, non seulement dans le ministère dont je relève, mais aussi dans les conseils généraux, à l’issue de réflexions approfondies, c’est que la doctrine relative à la protection de l’enfance a évolué au cours des trente-cinq dernières années. Elle a même connu des virages à cent quatre-vingts degrés.
Ainsi, d’une politique privilégiant fortement le retrait des enfants de leur famille, en vue de les protéger, on est passé, dans les années quatre-vingt, à partir du rapport Bianco-Lamy, au maintien des liens familiaux. Or cette dernière doctrine a entraîné, pour les enfants, des allers et retours entre la famille d’origine, la famille d’accueil, le foyer, voire entre plusieurs familles d’accueil... Nous examinerons tout à l'heure des amendements sur ce sujet.
Pour le moment, je propose que l’on assigne au service chargé de la protection de l’enfance une troisième mission : veiller à la stabilité du parcours de l’enfant confié et à l’adaptation de son statut sur le long terme.
En effet, si le service de l’aide sociale à l’enfance doit, autant que faire se peut, restaurer l’autorité parentale défaillante, s’il doit protéger l’enfant, il doit aussi, dans la mesure du possible, assurer un parcours stable à celui-ci, dès lors qu’il le prend en charge.
Le présent amendement me paraît absolument conforme à l’esprit du rapport d’information sur la mise en œuvre de la loi de 2007 et de la proposition de loi qui est examinée aujourd'hui.
L'amendement est adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l'article 5.
L’avant-dernier alinéa de l’article L. 223-1 du code de l’action sociale et des familles est ainsi rédigé :
« Il est établi, pour chaque mineur bénéficiant de l’intervention d’un service d’action éducative, un document intitulé “ projet pour l’enfant ”, destiné à garantir son développement physique, psychique, affectif, intellectuel et social en cohérence avec les objectifs fixés par le juge. Ce document détermine la nature et les objectifs des interventions menées en direction de l’enfant, de ses parents et de son environnement, leur délai de mise en œuvre, leur durée, l’identité du référent de l’enfant ainsi que le rôle du ou des parents. Il est élaboré par le président du conseil général ou son délégué, en concertation avec les titulaires de l’autorité parentale. Le mineur est associé à son élaboration selon des modalités adaptées à son âge et à son degré de maturité. Le projet pour l’enfant est cosigné par le président du conseil général et les représentants légaux du mineur ainsi que par chacune des personnes physiques ou morales chargées de mettre en œuvre les interventions. Il est librement consultable par les parties prenantes et transmis au juge toutes les fois où celui-ci est saisi. Le projet pour l’enfant est régulièrement actualisé, sur la base des rapports annuels de situation, afin de tenir compte de l’évolution des besoins fondamentaux de l’enfant.
« Un référentiel commun approuvé par décret définit le contenu du projet pour l’enfant mentionné à l’alinéa précédent. »
Monsieur le président, ayant déjà largement évoqué la nécessité de ne pas attendre que l’enfant soit capable de discernement, je renonce à ma prise de parole sur l’article 5, pour ne pas ralentir l’examen de ce texte important.
L'amendement n° 55, présenté par Mme Meunier, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
d'un service d'action éducative
par les mots :
de l'aide sociale à l'enfance
La parole est à Mme la rapporteur.
Cet amendement rédactionnel vise à bien préciser que c’est le service de l’aide sociale à l’enfance qui met en œuvre le projet pour l’enfant.
L'amendement est adopté.
L'amendement n° 17, présenté par Mme Morin-Desailly, est ainsi libellé :
Alinéa 2, cinquième phrase
Après les mots :
le président du conseil général
insérer les mots :
, l’enfant doué de discernement
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° 42, présenté par Mmes Cohen et David, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le projet pour l’enfant prend en considération l’existence des fratries, lorsqu’elles existent, afin de maintenir les liens existants et éviter les séparations.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Cet amendement vise à réparer un oubli, à combler une lacune de cette proposition de loi, dont j’ai déjà parlé dans mon propos introductif.
Tout au long de nos travaux, nous avons évoqué, à juste titre, les enfants, les parents et les liens qui les unissent. Mais jamais nous n’avons abordé l’idée selon laquelle les enfants pouvaient également être des frères ou des sœurs. Cette dimension n’est pourtant pas à négliger.
D'ailleurs, je veux d’emblée rappeler une disposition de l’un des articles fondamentaux du code civil : « L’enfant ne doit pas être séparé de ses frères et sœurs, sauf si cela n’est pas possible ou si son intérêt commande une autre solution. »
Le présent amendement tend donc à ce que les fratries soient prises en compte dans le cadre du projet personnalisé pour l’enfant, notamment en cas de placement dans des familles d’accueil.
En France, actuellement, les enfants d’une même fratrie sont, le plus souvent, placés dans des lieux différents et, s’ils le sont dans le même établissement, on veille généralement à ce qu’ils ne soient pas dans le même groupe, afin que chacun puisse « s’individualiser ». Bien évidemment, nous ne le nions pas, parfois, le lien fraternel peut s’avérer plus aliénant qu’émancipateur : il peut être le reflet, conscient ou inconscient, des problèmes familiaux.
Toutefois, si je peux comprendre certains arguments en défaveur du placement conjoint, je crois surtout que chaque situation est particulière.
En effet, il existe aussi nombre de fratries dans lesquelles le lien entre les enfants participe de la construction psychique et constitue un repère important et positif dans une période de déstructuration et, justement, de liens distendus avec le père et la mère.
C’est pour que les particularités de chaque fratrie puissent être prises en compte que je vous appelle, mes chers collègues, à adopter cet amendement.
Cet amendement tend à prendre en compte les fratries. La question soulevée est réelle.
Il est évident que, lors de l’examen de la situation de l’enfant, son environnement doit être pris en considération. C’est, du reste, ce que prévoit la proposition de loi ! Ma chère collègue, votre amendement est, par là même, satisfait.
La question des fratries doit-elle figurer dans le présent texte ? On peut s’interroger.
En effet, certains enfants peuvent être victimes de frères et sœurs qui les agressent.
Mme la secrétaire d'État opine.
En outre, la fratrie est déjà prise en compte. Il existe même des associations spécialisées dans la défense du maintien dans la fratrie sur le long terme, quand cette solution est adaptée ; nous les connaissons tous dans cet hémicycle.
La commission est donc défavorable à l’amendement n° 42, non pas sur le fond – je le répète, la question des fratries mérite d’être posée –, mais parce qu’il est déjà satisfait.
Madame la sénatrice, votre amendement est-il un amendement d'appel ou vise-t-il réellement à enrichir l’article L. 223-1 du code de l’action sociale et des familles ? Je me pose la question.
En tout état de cause, le vrai sujet, c’est le projet pour l’enfant.
Très franchement, la grande frustration que m’inspire la loi de 2007 tient à la façon dont a été mis en œuvre ce projet pour l’enfant. Ce document permet de protéger l’enfant, de garantir la stabilité de celui-ci, de prendre en compte la fratrie, les liens avec la famille élargie – les ascendants, les oncles, les tantes. Or seuls 10 % des enfants relevant de la protection de l’enfance bénéficient d’un projet pour l’enfant !
Comment faire de ce document un outil qui accompagne réellement l’enfant protégé ? Telle est la vraie question, et nous travaillons beaucoup sur ce sujet.
Pourquoi les services n’élaborent-ils pas plus de projets pour l’enfant ? Parce que cette élaboration est compliquée, nécessite des écrits, parce que de nombreux enfants qui auraient dû en bénéficier étaient déjà dans le circuit de la protection de l’enfance… Pourtant, le projet pour l’enfant ne représente pas une charge de travail supplémentaire, puisqu’il figure dans la loi depuis sept ans, et son intérêt fait l’unanimité.
Nous sommes donc en train d’établir des référentiels, de façon à aider les services à utiliser cet outil, en le rendant probablement plus simple. J’ai presque envie de dire que la prise en compte de la fratrie relève davantage de ces référentiels que du code de l’action sociale et des familles en tant que tel ! En effet, d’autres éléments devraient être pris en considération.
Cela dit, je suis favorable à cet amendement, parce que vos propos sont exacts, madame Cohen. La disposition que vous proposez s’inscrit néanmoins dans le cadre du travail actuellement mené pour que le projet pour l’enfant soit réellement utilisé, au service de l’intérêt de l’enfant.
J’apprécie ce que vient de dire Mme la secrétaire d'État, qui, au fond, est favorable à l’amendement. Cependant, je ne pense pas que l’on puisse envisager un projet pour l’enfant qui ne tiendrait pas compte de la fratrie. À cet égard, le présent amendement vise simplement à ce que le projet pour l’enfant prenne en considération l’existence des fratries : il ne s’agit en aucun cas de poser une obligation !
En revanche, je ne comprends pas l’explication de Mme la rapporteur, qui nous renvoie, notamment, à des associations qui existeraient déjà. Nous sommes là pour enrichir la loi de 2007, qui a montré ses limites !
Il me semblerait donc extrêmement dommageable de ne pas prendre en compte l’environnement – affectif, psychologique, etc. – de l’enfant.
Même s’il n’y a que 10 % de documents clairement rédigés, le projet pour l’enfant est au cœur du dispositif. C’est d’une redoutable évidence !
Bien sûr, il faut rapprocher les enfants d’une même fratrie aussi souvent que possible – c’est, d'ailleurs, ce que l’on fait naturellement ! Mais il convient parfois de les séparer. En effet, il ne faudrait pas faire entrer le loup dans la bergerie ! Sur ce plan, une grande prudence est nécessaire, d'autant qu’il s’agit, souvent, de familles déjà éclatées, confrontées à de nombreux problèmes, avec des enfants d’âges très différents.
Il est bien évident que l’intérêt de l’enfant est d'ores et déjà pris en compte par les travailleurs sociaux. Ceux-ci font un travail vraiment remarquable et très difficile. Au reste, ils sont encadrés par la loi. Or j’ai l’impression qu’on ne leur fait pas confiance.
On ne montre que ce qui ne marche pas. Essayons plutôt de valoriser ce qui fonctionne. Et, neuf fois sur dix, cela marche bien ! L’action de tous les acteurs impliqués dans le dispositif est d'ores et déjà extraordinaire.
Ne nous fions pas à ce que l'on voit à la télévision. Je pense, notamment, à une émission déplorable que j’ai regardée il y a quelque temps. Il y était question d’un petit Marnais. Croyez bien que je me suis renseigné sur la réalité de sa situation ! Or, en l’occurrence, on a montré le train qui n’arrivait pas à l’heure !
Les travailleurs sociaux exercent un métier très difficile, très complexe, qui requiert une formation, des connaissances, mais demande aussi beaucoup de cœur. Aidons-les, au lieu de les accabler !
Ce n’est pas parce qu’un projet pour l’enfant a été rédigé sur papier qu’il est un bon projet ! S’il peut être pertinent à un moment donné, il peut rapidement ne plus l’être, compte tenu des difficultés de la vie. Nous le savons tous !
Je crois donc qu’il faut laisser une souplesse et faire confiance à celles et ceux qui, au quotidien, sont confrontés à la réalité de ces enfants en difficulté. §
Monsieur Savary, votre intervention est totalement hors sujet par rapport à l’amendement que vient de défendre Laurence Cohen. Il n’a jamais été question, pour nous, de remettre en cause l’action des travailleurs sociaux qui font un métier très difficile. J’ajoute que les sénateurs de votre groupe ne sont pas les seuls à vouloir les défendre !
L’article 5 traite du projet pour l’enfant. Le présent amendement ne vise qu’à ajouter un alinéa pour préciser que le projet pour l’enfant doit prendre en considération l’existence des fratries. Jamais nous n’avons dit que celles-ci n’étaient pas prises en compte aujourd’hui ! En revanche, puisque nous sommes en train de déterminer la définition du projet pour l’enfant, il nous semble que la prise en compte de la fratrie doit y figurer. Bien évidemment, il n’y aura aucune obligation, à l’avenir, de maintenir absolument l’enfant avec sa fratrie !
N’essayez pas de vous faire passer pour le défenseur à tout crin d’une profession très difficile, ce dont nous convenons, et ne nous faites pas jouer le rôle de ceux qui remettraient en cause la capacité de ses membres à bien exercer leur métier !
M. René-Paul Savary proteste.
En déposant cet amendement, nous avons simplement souhaité rappeler que l’enfant a une famille, même si celle-ci rencontre, en l’occurrence, des difficultés. Ne prétendez donc pas nous faire dire ce que nous ne disons pas.
Mes chers collègues, prononçons-nous sur le texte même de cet amendement et non en fonction du jugement que ses auteurs seraient censés porter sur la capacité des professionnels de la protection de l’enfance à faire leur travail ! §
Nous venons d’entendre le cri du cœur ! Nous ne pouvons que partager le sentiment qu’il faut protéger l’enfant et, singulièrement, lui permettre de vivre dans des conditions où il bénéficiera de toute l’affection nécessaire, sans être séparé de ceux qui sont les plus proches de lui, en particulier ses frères et sœurs.
Toutefois, Mme la rapporteur a rappelé que le projet pour l’enfant devait prendre en compte l’environnement de l’enfant, dont la fratrie fait partie par définition ! Il est clair que les services sociaux, dans le cadre de leur travail, prennent en considération l’ensemble des conditions de l’environnement familial qui justifient leur intervention. Il n’est donc pas nécessaire d’alourdir un texte législatif pour rappeler une évidence pratique.
C’est la raison pour laquelle nous ne voterons pas cet amendement, même si nous estimons que le sujet évoqué par ses auteurs mérite d’être considéré. Cependant, si les services sociaux ne prennent pas en compte naturellement, de fait les fratries, c’est qu’il existe un vrai problème et que les personnes chargées de ces questions n’ont pas de cœur, ce que je n’ose pas croire…
Il y a bien des dysfonctionnements ! Vous avez vraiment une lecture à géométrie variable !
Je suis très surpris par ce débat. Nous sommes d’accord, sur toutes les travées de cet hémicycle, pour considérer que les enfants ne peuvent pas être séparés de leur fratrie sans que l’on y réfléchisse. Certaines fratries sont issues d’un couple unique, d’autres de couples recomposés, d’autres encore comportent de grands écarts d’âges : préciser dans la loi que le projet pour l’enfant doit prendre en compte la fratrie, essentielle pour l’évolution de l’enfant, ce n’est pas l’alourdir ni mettre en cause l’action des services qui s’occupent de l’enfance !
Je ne comprends pas que, pour des raisons prétendument techniques, on refuse de compléter le texte dans le sens préconisé par nos collègues, qui souhaitent simplement indiquer qu’il faut prendre en compte la fratrie, parce qu’elle est essentielle pour l’avenir et le développement des enfants concernés. Je ne vois vraiment pas pourquoi certains s’opposent à l’adoption de cet amendement !
Je rappelle que 75 % des placements sont le fait des juges et que ceux-ci nous indiquent parfois, dans leurs écrits, comment appréhender les fratries. Généralement, nous prenons en compte ces indications, car il existe des situations où il faut séparer certains enfants de leur fratrie ou d’une partie de celle-ci ; nous avons tous pléthore d’exemples en tête. Nous suivons donc les jugements, qui sont revus annuellement – j’y insiste, parce que l’on pourrait avoir l’impression que rien n’est fait !
Pour ce qui concerne les placements administratifs, comme le disait Mme la rapporteur, c’est l’environnement de l’enfant qui est pris en compte : la fratrie, mais aussi toute la famille – la cellule familiale est beaucoup plus large aujourd’hui qu’autrefois. Ensuite, les situations sont revues régulièrement pour adapter le projet pour l’enfant à l’environnement du moment.
Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n’adopte pas l’amendement.
L’article 5 est adopté.
I. – Après l’article L. 223-1 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L. 223-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 233-1-1. – Lorsque l’enfant est accueilli, pour le compte du service d’action éducative, par une personne physique ou morale, le projet pour l’enfant précise ceux des actes usuels de l’autorité parentale que cette personne ne peut accomplir, au nom de ce service, sans lui en référer préalablement. Il mentionne, à titre indicatif, une liste d’actes usuels courants que la personne qui accueille l’enfant peut accomplir sans formalités préalables.
« Le projet pour l’enfant définit les conditions dans lesquelles les titulaires de l’autorité parentale sont informés de l’exercice des actes usuels de l’autorité parentale, en fonction de leur importance. »
II. – Après la troisième phrase du deuxième alinéa de l’article L. 421-16 du même code, est insérée une phrase ainsi rédigée :
« Le contrat d’accueil reproduit aussi les dispositions du projet pour l’enfant relatives à l’exercice des actes usuels de l’autorité parentale et à l’information des titulaires de l’autorité parentale sur cet exercice, mentionnées à l’article L. 223-1-1. »
À ce stade de la discussion, j’ai tenu à intervenir sur l’article 6 qui précise les modalités d’exercice des actes usuels de l’autorité parentale en cas de placement, afin de mettre en lumière l’investissement des assistants familiaux.
Aujourd’hui, lorsqu’un enfant est confié à un tiers, l’autorité parentale continue d’être exercée par ses parents. De fait, les assistants familiaux rencontrent des difficultés dans la prise en charge quotidienne de l’enfant qui leur est confié. Ces difficultés surviennent surtout lorsque le service de l’aide sociale à l’enfance délègue à une famille d’accueil la responsabilité de la prise en charge de l’enfant. L’assistant familial peut alors être amené à exercer des actes usuels au nom du service de l’ASE, qui reste juridiquement responsable de l’enfant.
Mme la rapporteur l’a très bien démontré, « il existe […] souvent une incertitude quant aux actes qui peuvent être exercés par l’assistant familial, ceux pour lesquels il doit en référer au service et ceux pour lesquels les parents demeurent les seuls à pouvoir décider. Les interprétations divergent d’ailleurs souvent d’un département à l’autre.
« Cet état du droit entraîne souvent des difficultés dans la prise en charge quotidienne de l’enfant. Il rend plus difficile la tâche des assistants familiaux et peut entraîner des relations conflictuelles avec les parents, ce qui nuit à l’équilibre de l’enfant. »
Ainsi, afin de faciliter le travail de la famille d’accueil, la proposition de loi que nous examinons prévoit que le projet pour l’enfant précise les actes usuels que l’assistant familial ne peut accomplir sans en référer à son commettant. Sur l’initiative de la commission des affaires sociales, dont je salue l’excellent travail, le texte introduit également ces informations dans le contrat d’accueil qui lie le service gardien et la famille d’accueil.
Ces propositions vont évidemment dans le bon sens et répondent aux sollicitations des associations de protection de l’enfance qui réclament, depuis de nombreuses années, une facilitation des démarches, une vraie association des familles d’accueil, ainsi qu’une meilleure prise en considération de leur investissement.
En effet, être assistant familial, c’est plus qu’une profession, c’est une vocation, un travail du quotidien qui s’accompagne d’une certaine abnégation. Combien de temps, d’investissement et d’affection, les 45 000 familles d’accueil consacrent-elles aux enfants placés ?
Or, en complément de la problématique « juridico-matérielle » réglée par cet article, cette proposition de loi oublie à mon sens tout un pan de la question : celui des droits des assistants familiaux.
Ne croyez pas, mes chers collègues, que je m’éloigne du sujet de notre débat, bien au contraire ! Améliorer le statut des assistants familiaux, leur reconnaître un droit de visite lors d’un retour de l’enfant chez les parents biologiques, les associer au projet pour l’enfant, ou encore mettre en place des contrats d’accueil individualisés pour mieux les accompagner, n’est-ce pas dans l’intérêt de l’enfant ?
La politique dite « familialiste » a en effet trop souvent oublié l’intérêt de l’enfant au profit de celui des parents biologiques. Nous devons évidemment mettre en avant l’intérêt de l’enfant, mais je pense qu’il faut également faire bouger les lignes en ce qui concerne le rôle des assistants familiaux.
Aussi, madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer les mesures que vous entendez prendre pour améliorer le statut des assistants familiaux et leur accorder une meilleure place, à la fois dans les procédures d’accompagnement de l’enfant et dans leurs relations au terme de leur mission ?
L’amendement n° 52, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
I. – Première phrase
Remplacer les mots :
service d’action éducative
par les mots :
service d’aide sociale à l’enfance
II. – Seconde phrase
Supprimer le mot :
courants
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Cet amendement rédactionnel vise à éviter de créer une nouvelle catégorie juridique au sein des actes usuels qui pourrait être déduite de la référence aux « actes usuels courants ». Il me semble d’ailleurs que telle n’était pas votre volonté, madame la rapporteur. Nous proposons donc de supprimer l’épithète « courants », afin de ne pas compliquer inutilement la vie des familles ni le fonctionnement des services de protection de l’enfance.
Je ne peux à cet instant que renouveler les encouragements et les félicitations exprimés par M. le président de la commission des affaires sociales, puisque cet amendement est le fruit d’une concertation préalable entre les représentants des groupes, le Gouvernement, les rapporteurs et le président de la commission.
La qualité juridique du texte sera améliorée par la suppression d’un terme dont la présence aurait certainement provoqué des hésitations jurisprudentielles.
L’amendement est adopté.
L’article 6 est adopté.
Je rappelle que, à la demande de la commission, l’examen de l’article 7 est réservé jusqu’après l’article 18.
L’article L. 223-3 du code de l’action sociale et des familles est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le service de l’aide sociale à l’enfance auquel est confié un enfant en application de l’article 375-3 du code civil envisage de manière unilatérale de modifier les conditions de prise en charge de cet enfant, après plus de trois années au cours desquelles l’enfant a été confié à la même famille ou au même établissement d’accueil, il en avise le juge compétent pour prononcer ou renouveler la mesure de placement. »
L’amendement n° 27 rectifié, présenté par Mme Malherbe et les membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Hermeline Malherbe.
L’article 8 prévoit que l’avis du juge soit systématiquement recueilli lors de tout changement du lieu d’accueil de l’enfant. Cette disposition me semble inadaptée et constitue un recul pour ce qui concerne l’équilibre des pouvoirs administratif et judiciaire.
Les magistrats ont bien évidemment la responsabilité du cadre global de la mesure. En revanche, ils ne doivent pas intervenir dans les modalités pratiques de la mise en œuvre du placement qui engagent la responsabilité et les moyens du service de l’aide sociale à l’enfance, et donc du président du conseil général. L’enfant est confié à ce dernier par décision judiciaire ; dès lors, la responsabilité du conseil général est pleine et entière et l’exercice de son pouvoir administratif ne peut être soumis à un avis judiciaire. Pour autant, il reste évident que l’autorité judiciaire et le service de l’aide sociale à l’enfance doivent continuer à se communiquer les décisions qu’ils prennent.
En l’occurrence, il me semble que l’on va trop loin en ouvrant au juge la possibilité d’intervenir dans le fonctionnement interne du service de l’aide sociale à l’enfance.
La commission émet un avis défavorable.
En effet, contrairement à ce qui vient d’être dit, le principe de subsidiarité n’est pas remis en cause par l’article 8. Aujourd’hui, les services de l’aide sociale à l’enfance rendent déjà régulièrement compte au juge de la situation de l’enfant qui fait l’objet d’une mesure d’assistance éducative. Par ailleurs, il ne s’agit plus de recueillir l’avis du juge, comme le prévoyait le texte initial de la proposition de loi, mais simplement de l’informer.
Je rejoins Mme la rapporteur : les auteurs du présent amendement demandent la suppression de l’article 8, mais ils ne tiennent pas compte de la modification opérée par la commission des affaires sociales. Selon vous, madame Malherbe, les magistrats ne doivent pas intervenir dans les modalités pratiques de mise en œuvre du placement. Ce qui vous gêne, c’est l’avis de l’autorité judiciaire. Or, précisément parce qu’il posait problème, il a été transformé en une simple information du juge des enfants.
J’attire votre attention sur le fait que les cas de figure que nous traitons actuellement sont ceux qui sont médiatisés. Ils concernent les changements de famille d’accueil après trois ans passés dans le même lieu. Dans ce cas, le juge est informé. Sans être tenu de donner un avis particulier, il pourra le faire s’il estime que la situation nécessite son intervention. Cette mesure de précaution vise l’enfant et les travailleurs sociaux.
Madame la sénatrice, cela a été dit tout à l’heure, on ne peut pas faire évoluer la protection de l’enfance uniquement par la loi. Il ne suffit pas de rajouter des strates supplémentaires dans les codes pour faire forcément avancer les choses !
Nombreuses sont les personnes qui interviennent à l’égard d’un enfant protégé. Elles appartiennent à plusieurs catégories ; relevons notamment les juges et les travailleurs sociaux. Une partie de la qualité de leur travail tient à la communication qu’elles établissent entre elles. Il faut qu’elles se parlent, qu’elles se tiennent mutuellement au courant. Il faut que la pluridisciplinarité progresse.
Tout à l’heure, M. Kern a évoqué les assistants familiaux. Je souhaite profondément que les dispositions de la loi de 2007 qui prévoient l’intégration des assistants familiaux dans les équipes éducatives soient appliquées. Ils ont leur place autour de la table parce qu’ils participent de la prise en charge et de l’éducation de l’enfant.
L’article 8 dont vous proposez la suppression, madame Malherbe, est précisément celui qui prévoit l’échange des informations. Ainsi, quand un enfant est déplacé, le juge le sait, c’est ce que nous avons vu précédemment lors de l’examen de votre amendement n° 31 rectifié, dont j’ai souligné l’effet « miroir ».
Je vous précise que le Gouvernement, soucieux d’être plus efficace encore, a tiré les conclusions des discussions évoquées tout à l’heure entre le Gouvernement et le Sénat. Il a déposé deux amendements que nous allons examiner juste après le vôtre et dont l’objet est d’affiner le dispositif en tenant compte des observations des uns et des autres.
Je serais très contrariée que votre amendement soit adopté, madame la sénatrice. J’y suis tellement défavorable et je suis tellement attachée aux propositions du Gouvernement que je ne prendrai pas le risque de ne pas discuter des amendements suivants, même s’il était retiré !
M. le rapporteur pour avis a vu juste, je n’étais pas informée de la modification qui a transformé l’avis de l’autorité judiciaire en information. Je concluais la présentation de mon amendement en soulignant l’importance que l’autorité judiciaire et le service de l’aide sociale à l’enfance se tiennent mutuellement au courant de leurs décisions.
Si le travail d’échange qui doit avoir lieu entre les magistrats et le service administratif compétent à l’échelon du conseil général est bien réel dans certains départements parce que les personnalités qui interviennent en ont la volonté, il faut qu’il en soit ainsi sur l’ensemble du territoire français. Nous ne saurions accepter que cette efficacité dans l’échange se limite à quelques départements, car la prise en charge des enfants en danger ou en difficulté sur notre territoire a une dimension régalienne et requiert l’équité.
Mais il faut également assurer la réciprocité. J’ai pris connaissance des deux amendements suivants, qui visent à apporter des précisions intéressantes. Il n’empêche que « l’amendement miroir » tendant à garantir la réciprocité que vous avez évoqué, madame la secrétaire d’État, n’a pas été voté. J’ose espérer que le texte que nous adopterons au final prendra réellement en compte la nécessité de relations suivies entre les instances du conseil général et les représentants de l’autorité judiciaire.
Il est important de progresser à la fois pour l’enfant en difficulté ou en danger et pour l’ensemble des travailleurs sociaux. Ces termes « travailleurs sociaux » doivent être entendus au sens large et intégrer les assistants familiaux dans les équipes éducatives, ce qui n’est pas le cas dans tous les départements. Il s’agit de faire respecter les lois sur l’ensemble du territoire français.
Compte tenu des précisions qui m’ont été apportées, je retire mon amendement.
L'amendement n° 27 rectifié est retiré.
Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 49, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Lorsque le service de l’aide sociale à l’enfance, auquel est confié un enfant en application de l’article 375-3 du code civil, envisage de modifier le lieu de placement de cet enfant, après plus de deux années au cours desquelles ce dernier a été confié à la même personne ou au même établissement d’accueil, il en informe le juge compétent au moins un mois avant la mise en œuvre de sa décision, sauf urgence. »
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
L’amendement n° 49 et le suivant, n° 53, sont cohérents avec un amendement adopté tout à l’heure et dont l’objet était d’assigner à la protection de l’enfance une mission supplémentaire, à savoir assurer à l’enfant protégé la stabilité de son parcours de vie.
Or parmi les facteurs d’instabilité du parcours de vie de l’enfant, il y a les changements de lieux d’accueil, qu’il s’agisse de la famille d’accueil ou du foyer. Si les raisons de ces changements sont parfois comprises et paraissent justifiées, tel n’est pas toujours le cas – nous pourrions tous citer des exemples.
Pour avoir étudié de manière très pragmatique ce dossier, j’ai été frappée de découvrir que les juges des enfants apprenaient parfois, à l’occasion de leur visite annuelle aux enfants, sans en avoir été préalablement informés, que l’enfant qui était accueilli depuis plusieurs années dans la même famille vivait dorénavant ailleurs. C’est un véritable problème.
Le Gouvernement, qui a travaillé sur une disposition avec les deux commissions saisies du présent texte, s’est accordé avec les deux rapporteurs sur la nécessité de solliciter et, ou, d’informer le juge.
À l’issue du travail de concertation réalisé en amont avec le Sénat, nous sommes convenus de l’opportunité d’une saisine du juge des enfants lorsque l’enfant est placé depuis plus de deux ans dans la même famille. En revanche, nous avons dissocié ce cas de celui des enfants placés depuis moins de deux ans dans le même lieu à propos duquel nous avons retenu l’information. Tel est respectivement le sens des amendements n° 49 et 53.
Par ailleurs, je le rappelle, le silence vaut acceptation. Autrement dit, si le juge ne répond pas, il est réputé accepter la décision des services du département.
Je ne crois pas que cette disposition provoque un fort surcroît de travail pour les départements. Ils sont déjà nombreux à agir de la sorte.
Il faut également souligner – Mme Malherbe l’a dit voilà un instant – que l’échange doit être réciproque. Il faut s’assurer que chacun prévient l’autre.
L'amendement n° 53, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans le même délai, il informe également, sauf urgence, le juge compétent lorsqu’il envisage de modifier le lieu de placement d’un enfant qui a été confié à une même personne ou à un même établissement pendant moins de deux années, sauf si un tel changement a été prévu par le projet pour l’enfant. »
Je m’exprimerai à titre personnel sur ces amendements puisque je n’ai pas pu saisir la commission des lois. Je pense toutefois respecter son point de vue.
La rédaction retenue par le Gouvernement, sur l’initiative des deux commissions – à l’unanimité pour la commission des lois –, prévoit qu’il faut informer le juge des enfants du changement de famille ou de lieu d’accueil du mineur placé depuis plus de trois ans. Elle impose que le juge soit prévenu au moins un mois avant la décision de changement, sauf urgence.
L’information deviendrait obligatoire pour tous les placements de plus de deux ans, ce qui est dans l’esprit de ce nous avons décidé tout à l’heure.
Enfin, cette information se limiterait à la décision de changement de lieu ou de famille d’accueil.
Ces améliorations me paraissent bienvenues.
L'amendement est adopté.
L'amendement est adopté.
L'article 8 est adopté.
I. – L’article L. 223-5 du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
a) Après les mots : « par an », sont insérés les mots : « ou tous les six mois pour les enfants âgés de moins de deux ans ;
b) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée :
« Ce rapport porte sur la santé physique et psychique de l’enfant, son développement, sa scolarité, sa vie sociale et ses relations avec sa famille et les tiers intervenant dans sa vie. Il permet de vérifier la bonne mise en œuvre du projet pour l’enfant mentionné à l’article L. 223-1 et l’adéquation de ce projet aux besoins de l’enfant. Un référentiel approuvé par décret en Conseil d’État fixe le contenu et les modalités d’élaboration du présent rapport. »
2° Le troisième alinéa est complété par les mots : « annuellement ou tous les six mois pour les enfants de moins de deux ans ».
(Non modifié) Au dernier alinéa de l’article 375 du code civil, après le mot : « annuellement », sont insérés les mots : « ou tous les six mois pour les enfants de moins de deux ans ». –
Adopté.
II. – §
(Supprimé)
I. –
Supprimé
II. –
Supprimé
III §(nouveau). – Après l’article L. 227-2 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L. 227-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 227-2-1. – Lorsque la durée du placement excède un seuil fixé par décret selon l’âge de l’enfant, le service de l’aide sociale à l’enfance auquel a été confié le mineur en application de l’article 357-3 du code civil, examine l’opportunité d’autres mesures susceptibles de garantir la stabilité des conditions de vie de l’enfant afin de lui permettre de bénéficier d’une continuité relationnelle, affective, éducative et géographique dans un lieu de vie adapté à ses besoins. Il en informe le juge des enfants qui suit le placement, en présentant les raisons qui l’amènent à retenir ou à exclure les mesures envisageables. » –
Adopté.
Titre III
ADAPTER LE STATUT DE L’ENFANT PLACÉ SUR LE LONG TERME
(Supprimé)
Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 3 est présenté par Mme Meunier.
L'amendement n° 32 rectifié ter est présenté par MM. Milon, Trillard, Mandelli, Gremillet, Vaspart, Bouchet, D. Laurent et B. Fournier, Mme Debré, M. Vogel, Mmes Mélot et Canayer, MM. César, P. Leroy, Savary, Lefèvre et Cadic, Mme Giudicelli, M. Dériot, Mme Micouleau et MM. G. Bailly et del Picchia.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
L’article 370 du code civil est ainsi rédigé :
« Art. 370. – S’il est justifié de motifs graves, l'adoption simple peut être révoquée, à la demande de l'adoptant ou de l'adopté, et lorsque ce dernier est mineur, à celle du ministère public uniquement. »
La parole est à Mme Michelle Meunier, pour présenter l’amendement n° 3.
Je défends cet amendement à titre personnel.
Il vise à rétablir l’article 12, qui a été supprimé par la commission. Cet article tendait à rendre l’adoption simple irrévocable pendant toute la durée de la minorité de l’enfant, sauf pour motifs graves et uniquement à la demande du ministère public.
Cette forme d’adoption est aujourd'hui essentiellement intrafamiliale, justifiée souvent par des raisons patrimoniales. Elle est très peu employée par le service de l’aide sociale à l’enfance.
La raison principale de ce faible recours à l’adoption simple tient à sa révocabilité au nom du maintien des relations avec la famille d’origine. Ce mode d’adoption peut pourtant répondre aux besoins de certains enfants dont les parents, atteints de maladie mentale, de handicap ou de très grandes déficiences, ne sont pas en mesure d’assumer leur rôle d’éducateur. Il peut aussi correspondre aux souhaits de certains candidats agréés pour l’adoption.
Cela étant, l’intérêt de rendre irrévocable l’adoption simple pendant la minorité de l’enfant a été souligné par bon nombre de rapports depuis plusieurs années : citons le rapport Colombani en 2008, le rapport sur la proposition de loi de Michèle Tabarot en 2012, le rapport de l’Académie de médecine, les travaux de l’Inspection générale des affaires sociales…
La parole est à M. Alain Milon, pour présenter l'amendement n° 32 rectifié ter.
Je présenterai cet amendement identique cosigné par un certain nombre de collègues de mon groupe également à titre personnel.
Il tend à rétablir l’article 12, supprimé par la commission, et à proposer une nouvelle rédaction de l’article 370 du code civil.
Il convient de le rappeler après Mme Meunier, la modification de ce dernier article était une mesure incluse dans la proposition de loi de la députée Michèle Tabarot et de plusieurs de ses collègues sur l’enfance délaissée et l’adoption. Mme Tabarot était à l’époque présidente du Conseil supérieur de l’adoption, et Mme Meunier est aujourd'hui membre de cet organisme.
Cette instance consultative est composée de parlementaires, de représentants des conseils généraux, de professionnels, de magistrats, de personnes chargées de l’aide sociale à l’enfance et des pupilles de l’État, de représentants des associations de pupilles de l’État, de représentants des familles adoptives et de personnes adoptées, de membres d’organismes autorisés pour l’adoption et de personnalités qualifiées en matière d’adoption.
C’est ce conseil qui a préconisé en 2010 la mesure dont nous discutons ce jour, après s’être posé toutes les questions soulevées par M. le rapporteur pour avis et en ayant pris en compte toutes les objections qu’il a soulignées.
Le texte initial de l’article 12 de la proposition de loi clarifiait le régime de la révocation de l’adoption simple qui – on l’oublie trop souvent – crée un lien de filiation pérenne entre l’adoptant et l’adopté, lien qui a vocation à se perpétuer de génération en génération et qui transfère à l’adoptant, de manière exclusive, les droits en matière d’autorité parentale.
Certes, les demandes de révocation sont très peu nombreuses – cinquante-six en 2010 –, et plus des deux tiers d’entre elles sont rejetées – trente-neuf rejets en tout.
Toutefois, ces statistiques ne nous renseignent pas sur le nombre d’adoptés mineurs concernés ni sur l’auteur de la demande.
S’il est nécessaire de préserver le principe même de la révocabilité de l’adoption simple, il s’agit néanmoins, pendant la minorité de l’enfant, de laisser l’initiative de l’action en justice au seul ministère public, qui peut être saisi par l’une quelconque des parties à l’adoption simple ou par le service, la personne ou l’organisme qui aurait accueilli l’enfant. Le ministère public est le garant de la préservation des droits et des intérêts de chacun.
Lorsque l’adopté est majeur, la révocation de l’adoption ne peut dépendre que des deux seules volontés qui, alors, s’opposeraient : celle de l’adopté et celle des parents adoptifs.
Cela étant précisé, il serait donc souhaitable que, pendant la minorité de l’adopté, seul le ministère public puisse solliciter la révocation de l’adoption simple et que, une fois la majorité atteinte par l’adopté, cette adoption puisse être révoquée à la demande de l’adoptant ou de l’adopté.
L’amendement n° 33 rectifié ter, présenté par MM. Milon, Trillard, Mandelli, Gremillet, Vaspart, Bouchet, D. Laurent et B. Fournier, Mme Debré, M. Vogel, Mmes Mélot et Canayer, MM. César, P. Leroy, Savary, Lefèvre et Cadic, Mme Giudicelli, M. Dériot, Mme Micouleau et MM. G. Bailly et del Picchia, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le troisième alinéa de l’article 370 du code civil est ainsi rédigé :
« Lorsque l’adopté est mineur, les père et mère d’origine ou à leur défaut, un membre de la famille d’origine justifiant d’un lien de parenté jusqu’au troisième degré avec le mineur, peut demander la révocation. »
La parole est à M. Alain Milon.
Il serait peut-être inopportun de donner l’impression de restreindre le droit des parents d’origine à demander la révocation de l’adoption simple pour motifs graves, par exemple parce que celle-ci ne correspond pas à la situation réelle, sociale et affective de l’enfant. Mais, en tout état de cause, il semble inconcevable de maintenir la possibilité d’agir en révocation aux membres de la famille élargie jusqu’aux cousins issus de germains.
Peut-on en effet imaginer que ces personnes, que les parents eux-mêmes ne connaissent ou ne fréquentent pas – c’est d’ailleurs le cas de la plupart d’entre nous –, puissent demander la révocation de l’adoption simple d’un enfant, à laquelle ses parents ou le conseil de famille incluant des membres de sa famille proche ont consenti et que le tribunal a prononcée dans le seul intérêt de l’enfant ?
Comment admettre que ces personnes, dont il n’est pas requis qu’elles aient antérieurement manifesté un quelconque intérêt pour l’enfant, puissent intervenir et peser sur son devenir ? Certes, le tribunal ne peut prononcer la révocation que pour motifs graves, mais l’action en justice menée par des adultes peut être, en elle-même, perturbatrice pour le mineur. Il convient donc de restreindre l’ouverture de l’action en révocation aux père, mère, grands-parents, arrière-grands-parents, oncles, tantes, frères et sœurs de l’adopté.
La commission émet un avis favorable sur les amendements identiques n° 3 et 32 rectifié ter, et un avis défavorable sur l’amendement n° 33 rectifié ter.
L’émotion qui nous saisit tous lorsque nous évoquons ces sujets n’est pas bonne conseillère et peut nous conduire, en toute bonne foi, à rédiger un texte dont les dispositions auront des effets totalement inverses de ceux qui sont recherchés.
Je veux attirer votre attention, mes chers collègues, sur ce que nous risquons de faire.
Les amendements identiques n° 3 et 32 rectifié ter visent à revenir sur la suppression de l’article 12, pourtant votée par la commission des affaires sociales et adoptée à l’unanimité par la commission des lois.
Sans récapituler l’ensemble du débat qui a précédé la suppression de cet article, je vous indique que ces amendements tendent à limiter les possibilités de demander la révocation d’une adoption simple pendant la minorité de l’enfant adopté. Seul le ministère public serait donc désormais compétent, alors que, actuellement, cette révocation peut être demandée par la famille de l’adopté ou par l’adoptant lui-même si l’enfant a plus de quinze ans.
Comme l’a souligné Alain Milon, une telle disposition était également prévue dans la proposition de loi de Michèle Tabarot de 2011, mais, pour les mêmes motifs que ceux qui ont guidé la commission des affaires sociales, elle avait été supprimée en séance publique par l’Assemblée nationale. Ce texte n’a jamais été inscrit, ensuite, à l’ordre du jour du Sénat.
Quelles sont les raisons qui ont conduit la commission des lois – encore une fois, unanimement ! – à proposer la suppression de l’article 12 ?
Tout d’abord, sur la forme, nous parlons de l’adoption, soit une construction juridique, un ensemble de règles comportant deux grands axes : l’adoption simple et l’adoption plénière. Et puisqu’il s’agit d’une construction, d’une architecture, nous ne pouvons pas, à mon sens, modifier quelque pierre de cet édifice à l’occasion de l’examen de la présente proposition de loi sans risquer de nuire à la cohérence de l’ensemble.
Ensuite, sur le fond, la possibilité pour la famille, en particulier pour les père et mère de sang, de demander la révocation de l’adoption simple est cruciale dans le cadre de ce régime, lequel repose justement sur le maintien du lien avec la famille d’origine.
Dans la plupart des cas, l’adoption simple concerne l’enfant du conjoint. Il est donc souhaitable que la famille puisse demander la révocation de l’adoption si, par exemple, l’adoptant se désintéresse totalement de l’adopté à la suite de sa séparation avec le parent biologique de l’enfant.
Pour ce qui concerne la possibilité pour l’adoptant de demander la révocation de l’adoption, il n’est pas certain qu’il soit dans l’intérêt de l’enfant d’imposer le maintien du lien adoptif avec une personne qui souhaite profondément le rompre et qui, de ce fait, ne présente plus aucun intérêt, en termes affectifs, pour l’enfant.
Enfin, rappelons que la révocation ne peut pas être prononcée à la légère. Le droit actuel impose des motifs graves, qui sont contrôlés par le juge.
Du fait de mes anciennes fonctions, j’ai toujours considéré avec beaucoup d’intérêt et de respect les décisions des magistrats. En l’occurrence, mes chers collègues, c’est bien un juge qui vérifiera si la demande de révocation est fondée sur des motifs réels et graves.
Pour répondre aux propos tenus tout à l’heure, si un cousin lointain décide de demander la révocation de l’adoption, je vous garantis que le juge ne la prononcera pas, parce qu’il considérera que cette demande n’est pas fondée sur des motifs graves. D’ailleurs, quand on regarde les chiffres, on s’aperçoit que très peu de révocations d’adoption simple sont prononcées.
En outre, l’adoption de ces amendements risque d’avoir des effets tout à fait contraires à ceux qui sont recherchés.
Privé de la possibilité de demander la révocation de l’adoption, le parent candidat risque d’être dissuadé de se lancer dans ce projet. En effet, vous le savez, les enfants concernés ont vécu ces histoires difficiles. Inversement, la famille biologique de l’enfant hésitera beaucoup à admettre une adoption simple, dont on lui a dit qu’elle préserverait le lien familial, si on lui apprend qu’elle va devenir irrévocable.
Sur ce point, il nous faut mener une réflexion plus large, car c’est tout le champ de l’adoption, système de cohérence entre différents termes, qui est en cause.
On se méprend, je crois, sur les possibilités qu’offre l’adoption simple.
Je comprends parfaitement que, dans le cadre de la proposition de loi que nous examinons, l’adoption simple soit une voie pour protéger l’enfant. Il faut cependant rappeler qu’elle ne permettra pas de satisfaire le désir d’adoption de personnes qui n’ont pu adopter en la forme plénière, faute d’un nombre suffisant d’enfants à adopter.
L’adoption simple est une autre forme d’adoption : contrairement à l’adoption plénière, elle laisse subsister le lien avec la famille d’origine ; quant aux enfants concernés, ils sont plus âgés et ont connu un parcours complexe.
Commençons par utiliser toutes les potentialités que nous offre l’adoption simple ! Moi qui me suis occupé d’un certain nombre d’adoptions – mais d’aucune demande de révocation –, je peux vous assurer que cette forme d’adoption n’est pas assez « vendue » !
Permettez-moi maintenant de citer le rapport d’information de Mmes Meunier et Dini, fait au nom de la commission des affaires sociales sur la protection de l’enfance : « la promotion de l’adoption simple comme mesure d’intervention relevant de la protection de l’enfance suppose d’agir dans trois directions : sensibiliser et former les travailleurs sociaux à cette procédure ; repérer les familles dont les enfants pourraient en bénéficier ; sélectionner des candidats agréés pour l’adoption susceptibles de s’y engager. » J’adhère à tout cela, et nous pouvons tous y souscrire !
Pour l’ensemble de ces raisons, il nous faut mener une réflexion précise, nous dégager de l’affect que peut susciter ce type de sujet – encore une fois, nous avons tous le même affect ! – et comprendre que, si nous ne suivions pas la voie que je préconise, nous risquerions de créer une situation aux effets totalement inverses de ceux que nous recherchons. Réfléchissons bien !
La commission des lois est par conséquent opposée aux amendements identiques n° 3 et 32 rectifié ter.
Par ailleurs, mes chers collègues, si vous décidiez de revenir sur la suppression de l’article 12, il me semblerait préférable d’adopter la rédaction proposée par le biais de l’amendement n° 33 rectifié ter.
Effectivement, si l’adoptant ne peut plus demander la révocation de l’adoption pendant la minorité de l’adopté, cet amendement tend au moins à permettre le maintien de cette possibilité pour la famille d’origine. C’est essentiel, car l’adoption simple permet le maintien du lien du sang.
Après tout, notre ordre du jour dépend aussi de nous : si nous voulons reparler de l’adoption, faisons-le donc rapidement ! Mais, mes chers collègues, n’enlevez pas une pierre qui risque de faire vaciller l’ensemble de l’édifice ; nous serions contraints de nous réunir de nouveau dans deux ans pour nous demander ce que nous avons fait aujourd’hui.
Il est favorable aux amendements n° 3 et 32 rectifié ter, et défavorable à l’amendement n° 33 rectifié ter.
La parole est à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote sur les amendements identiques n° 3 et 32 rectifié ter.
La majorité des membres du groupe UMP suivra M. le rapporteur pour avis et votera contre ces amendements.
Je mets aux voix les amendements identiques n° 3 et 32 rectifié ter.
J’ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 86 :
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 33 rectifié ter.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 87 :
Le Sénat n'a pas adopté.
En conséquence, l'article 12 demeure supprimé.
I. – L’article L. 223-7 du code de l’action sociale et des familles est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’un enfant né sous le secret est reconnu par au moins l’un de ses parents, les personnes mentionnées au premier alinéa sont également chargées de s’assurer qu’un accompagnement médical, psychologique et éducatif est proposé pendant les trois années suivant cette reconnaissance. »
II §(nouveau). – Après le deuxième alinéa de l’article L. 224-6 du code de l’action sociale et des familles, est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Dans ces circonstances, l’enfant bénéficiera d’un accompagnement médical, psychologique, éducatif et social au cours des trois années suivant cette reprise. »
Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 57, présenté par Mme Meunier, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – Le code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
L’article L. 223-7 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’un enfant né sous le secret est restitué à l’un de ses parents, le président du conseil général propose un accompagnement médical, psychologique, éducatif et social du parent et de l’enfant pendant les trois années suivant cette restitution afin de garantir l’établissement des relations nécessaires au développement physique et psychologique de l’enfant ainsi que sa stabilité affective. »
II. – Après le deuxième alinéa de l’article L. 224-6, est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’un enfant pupille de l’État est restitué à l’un de ses parents, le président du conseil général propose un accompagnement médical, psychologique, éducatif et social du parent et de l’enfant pendant les trois années suivant cette restitution afin de garantir l’établissement des relations nécessaires au développement physique et psychologique de l’enfant ainsi que sa stabilité affective. »
La parole est à Mme la rapporteur.
Cette nouvelle rédaction de l’article 13 vise à préciser qu’il relève de la responsabilité du président du conseil général de proposer, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, un accompagnement du parent auquel est restitué un enfant né sous le secret ou devenu pupille de l’État.
L'amendement n° 34 rectifié ter, présenté par MM. Milon, Trillard, Gilles, Mandelli, Cardoux, Gremillet, Bouchet, D. Laurent et B. Fournier, Mme Debré, M. Vogel, Mmes Mélot et Canayer, MM. César, P. Leroy, Savary, Lefèvre et Cadic, Mme Giudicelli, M. Dériot, Mme Micouleau et MM. G. Bailly, Pointereau et del Picchia, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Dans ces circonstances, il sera proposé aux parents de faire bénéficier l’enfant d’un accompagnement médical, psychologique, éducatif et social au cours des trois années suivant cette reprise. »
La parole est à M. Alain Milon.
Dans la continuité de la modification de l'article 13, nous proposons une nouvelle rédaction de l’alinéa 4 de cet article, qui visait initialement à assurer un suivi médical, psychologique et éducatif d’un enfant né sous le secret puis reconnu par au moins l’un de ses parents. Cet accompagnement, qui suppose de pénétrer et contrôler la vie privée et familiale des parents, sans contrôle du juge, ne peut leur être imposé. En effet, il s’agirait alors d’une atteinte portée au respect de la vie privée et familiale des parents de l’enfant qui l’ont reconnu et qui l’ont repris auprès d’eux, en contravention avec l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et avec la Constitution.
L’alinéa 2 de l’article 13 précise que cet accompagnement est « proposé ».
En revanche, l’alinéa 4 prévoit que « l’enfant bénéficiera d’un accompagnement médical, psychologique, éducatif et social ». L’emploi de l’indicatif futur confère à cette mesure un caractère obligatoire. Il convient donc de modifier cette rédaction.
Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements n° 57 et 34 rectifié ter ?
L'amendement est adopté.
En conséquence, l'article 13 est ainsi rédigé, et l'amendement n° 34 rectifié ter n'a plus d'objet.
(Supprimé)
Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 35 rectifié ter, présenté par MM. Milon, Trillard, Mandelli, Bouchet, D. Laurent et B. Fournier, Mmes Debré, Mélot et Canayer, MM. César, Savary, P. Leroy, Lefèvre et Cadic, Mme Giudicelli, M. Dériot, Mme Micouleau et MM. G. Bailly, Pointereau et del Picchia, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le code civil est ainsi modifié :
1° Le second alinéa de l’article 346 est ainsi rédigé :
« Toutefois, une nouvelle adoption peut être prononcée soit après décès de l'adoptant, ou des deux adoptants, soit après décès de l'un des deux adoptants, si la demande est présentée par le nouveau conjoint du survivant d'entre eux, soit encore après que l’enfant adopté a été admis en qualité de pupille de l’État ou que les adoptants ont régulièrement consenti à son adoption. » ;
2° Le deuxième alinéa de l'article 360 est supprimé.
La parole est à M. Alain Milon.
Je n’ai aucune illusion sur le sort qui sera réservé à cet amendement...
Je tiens malgré tout à le défendre et à exprimer mon opinion sur l’adoption !
Contrairement à ce qui a pu être soutenu devant la commission saisie au fond et la commission saisie pour avis, nous sommes loin d’un bouleversement des règles applicables en matière d’adoption plénière.
L’irrévocabilité de l’adoption plénière n’est que la conséquence de la rupture des liens avec la famille d’origine ou de l’impossibilité définitive d’établir de tels liens, afin d’éviter à l’adopté de se retrouver sans filiation.
C’est assurément la raison pour laquelle une seconde adoption plénière est possible en cas de décès du ou des adoptants « premiers ».
Il s’agit de prévenir un hiatus dans la filiation et, en cas d’échec complet de l’adoption, de donner à l’enfant la possibilité de bénéficier d’une seconde chance. Avoir une famille est en effet essentiel, nous le savons tous.
Là encore, contrairement à ce qui a pu être avancé depuis maintenant plus de dix-huit ans, depuis que la loi du 5 juillet 1996, dite « loi Mattei », a permis le prononcé d’une adoption simple à la suite d’une adoption plénière en cas de motifs graves, c’est-à-dire en réalité en cas d’échec manifeste de l’adoption plénière, des dizaines d’enfants ont pu être accueillis par une famille et adoptés une seconde fois, et ce sans que l’institution de l’adoption en soit pour autant déstabilisée, en dépit des commentaires parfois alarmistes formulés sur le texte précité lors de sa promulgation.
Cependant, la loi de 1996, qui est revenue sur le principe « adoption sur adoption ne vaut », ne suffit pas à rendre compte de la situation réelle de l’adopté « plénier simple » qui n’a plus aucun lien social ni affectif avec les prétendus parents adoptifs pléniers et qui n’est pas placé à égalité des autres enfants de la famille adoptante. L’enfant reste au milieu du gué : d’une part, il est lié à des adoptants qui ne sont pas ses parents sociaux ; d’autre part, il se trouve sans filiation complète vis-à-vis de ceux qui sont ses parents réels, socialement et affectivement.
Accorder cette seconde chance à l’adopté, c’est respecter la philosophie de toute adoption : donner une famille à tout enfant pour la vie.
Les parents biologiques ont la possibilité de renoncer définitivement à tout lien de filiation avec l’enfant si celui-ci est âgé de moins de deux ans, en le remettant, en vue de son adoption, au service de l’aide sociale à l’enfance ou à un organisme autorisé pour l’adoption et, s’il a plus de deux ans, en consentant devant notaire à son adoption plénière par des parents déterminés.
Il y n’aurait donc pas de rupture d’égalité entre les deux formes de filiation en reconnaissant ce même droit aux adoptants. Au contraire, cela garantirait l’égalité entre tous les enfants d’accéder au statut d’adopté plénier. Au surplus, le tribunal saisi de la requête en adoption plénière s’assurerait nécessairement de son bien-fondé et vérifierait si c’est bien cette forme d’adoption qui correspond à l’intérêt de l’enfant. Ce contrôle du juge est de nature à prévenir toute forme de répudiation de l’enfant.
En outre, cette modification est approuvée par le Conseil supérieur de l’adoption et l’ensemble des associations de familles adoptives et de personnes adoptées.
L'amendement n° 4, présenté par Mme Meunier, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. - Le second alinéa de l'article 346 du code civil est complété par les mots : «, soit encore après que l'enfant adopté a été admis en qualité de pupille de l'État. »
II. - Le deuxième alinéa de l'article 360 du code civil est supprimé.
La parole est à Mme Michelle Meunier.
Cet amendement est défendu, monsieur le président ! Il me semble inutile de répéter les éléments et les arguments avancés par mon collègue.
Je ne reprendrai pas les explications que j’ai déjà formulées sur la cohérence de l’institution de l’adoption.
Ces deux amendements, dont les objets sont très proches, visent à rétablir l’article 14, lequel a été supprimé par la commission des affaires sociales lors de l’établissement de son texte.
Il s’agit de permettre à un enfant ayant déjà fait l’objet d’une première adoption plénière d’être de nouveau adopté en la forme plénière, soit à la suite d’une admission en qualité de pupille de l’État, soit, comme tend également à le prévoir l’amendement n° 35 rectifié ter, si les adoptants ont régulièrement consenti à cette nouvelle adoption.
Si ces amendements étaient adoptés, la première adoption plénière deviendrait révocable, en contradiction avec le principe d’irrévocabilité de cette adoption posé à l’article 359 du code civil. Cela remettrait en cause, en enlevant une seule pierre à l’édifice, l’un des piliers de l’adoption plénière. Mais une telle remise en cause ne peut pas intervenir à mon avis sans une réflexion approfondie.
Sur le plan technique, il serait particulièrement paradoxal de rendre l’adoption simple irrévocable et l’adoption plénière révocable.
J’en conviens, mon cher collègue.
Cela étant, si l’adoption plénière devenait révocable, elle le serait sans motif grave et sans contrôle du juge. Imaginez à quel point cela fragiliserait le système d’adoption : alors que l’adopté n’aurait plus aucune famille de sang, au moins légalement, la menace d’être un jour désavoué, rejeté, et renvoyé pèserait sur lui. C’est ainsi que cela se passerait ! La révocation étant automatique, l’adopté serait alors ramené à l’ASE.
La disposition qui nous est soumise n’a pas fait l’objet d’une réflexion suffisamment mûrie du point de vue tant de la rédaction que de la cohérence avec les textes existants. Tels qu’ils sont rédigés, ces amendements, comme l’article qui a été supprimé, et dont je vous demande, mes chers collègues, de maintenir la suppression, ne font pas référence aux dispositions de l’article 359 du code civil. En conséquence, si nous les adoptions, nous introduirions dans la présente proposition de loi un article prévoyant le caractère révocable de l’adoption alors même qu’il subsisterait dans le code civil un article disposant que l’adoption plénière est irrévocable. Ce n’est pas là du bon travail législatif. Je propose donc que nous en restions là.
Ces deux amendements ne sont pas « hors sol », ils ne sont pas farfelus. Les questions qu’ils soulèvent sont régulièrement abordées. Sont en cause la délégation, l’autorité parentale, thèmes sur lesquels nous travaillons en ce moment dans le cadre de la protection de l’enfance. Mais, pour ma part, je pense que nous ne sommes pas prêts en termes d’expertise psychologique et juridique.
Je prie donc les auteurs de ces amendements de bien vouloir les retirer. À défaut, j’émettrai un avis défavorable. Je le répète : nous ne sommes pas prêts !
Si les auteurs de ces amendements acceptaient de les retirer, ils préserveraient l’avenir.
Le problème qui est soulevé, et que ces amendements tendent à traiter, est en réalité celui de l’abandon par les parents adoptants de l’enfant qu’ils ont adopté.
Puisque la question des conséquences du décès des parents adoptifs, ou de l’un d’eux, est déjà traitée dans l’article 346 actuel du code civil, celle qui se pose est la suivante : que fait-on en cas d’abandon d’un enfant adopté par ses parents adoptifs ?
Madame la secrétaire d’État, je suis tout à fait d’accord avec vous : cette matière exige des analyses, des réflexions, des concertations très approfondies, car un enfant abandonné par des parents adoptifs est un enfant qui a déjà été abandonné une fois avant d’être adopté. Allons-nous l’exposer à une nouvelle procédure d’adoption, laquelle va très probablement être ressentie comme une situation assez précaire, cet enfant ayant déjà fait l’expérience de l’échec d’une adoption ?
Selon moi, il existe certainement de nombreuses autres manières d’essayer de recréer un lien d’attachement entre des adultes et cet enfant que de permettre une seconde adoption de but en blanc.
Sous réserve d’une étude très sérieuse de la question, je pense que, s’ils étaient adoptés, ces amendements emporteraient des conséquences potentiellement assez graves. C’est la raison pour laquelle je préférerais de beaucoup qu’ils soient retirés par leurs auteurs. À défaut, pour ce qui me concerne, je voterai contre.
L'amendement n° 35 rectifié ter est retiré.
Madame Meunier, l'amendement n° 4 est-il maintenu ?
Non, je le retire, monsieur le président. Mais, je le rappelle, ce sujet est d’actualité, car des échecs existent en matière d’adoption et ces enfants sont alors remis au service de l’aide sociale à l’enfance. Nous en reparlerons.
L'amendement n° 4 est retiré.
En conséquence, l’article 14 demeure supprimé.
I. –
Supprimé
II. – Après le premier alinéa de l’article 353 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le tribunal entend l’enfant dont l’adoption est demandée selon des modalités adaptées à son degré de maturité. »
III. –
Supprimé
L'amendement n° 6, présenté par M. Pillet, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« L’enfant capable de discernement est entendu par le tribunal ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le tribunal à cet effet. »
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
Je ferai une remarque avant de présenter cet amendement. Tout ce que nous venons de décider ne nous divise absolument pas. Simplement, nous reportons à une meilleure étude les questions relatives à l’adoption. D’ailleurs, les propos que j’ai entendus émanant de l’ensemble de nos travées auraient plutôt tendance à me rassurer sur les débats que nous aurons ultérieurement.
Cela dit, l’amendement n° 6 est partiellement un amendement d’esthétisme juridique.
La rédaction initiale de l’article 15 prévoyait l’audition systématique de l’enfant « capable de discernement » dans le cadre d’une procédure d’adoption. Bien que la commission des lois ne soit pas de manière générale très favorable aux mesures systématiques, elle avait approuvé celle-ci, car il est dans l’intérêt de l’enfant – je pense même qu’il s’agit de l’un de ses droits fondamentaux – d’être entendu dans le cadre de cette procédure qui le concerne directement.
En revanche, lors de l’établissement de son texte, la commission des affaires sociales a remplacé la condition du discernement de l’enfant pour son audition par des « modalités adaptées à son degré de maturité ». Cette rédaction est issue de l’une des dispositions de la proposition de loi relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale.
Si je présente l’amendement n° 6, c’est parce que la notion de discernement figure à l’article 388-1 du code civil, lequel pose la règle générale de l’audition de l’enfant dans l’ensemble des procédures qui le concernent. À mon sens, il n’est donc pas opportun d’utiliser d’autres critères d’appréciation pour la règle spéciale de l’audition de l’enfant lors d’une procédure d’adoption, sous peine de porter atteinte à la lisibilité du droit.
Si les termes « capable de discernement » devaient être remplacés par les termes « selon des modalités adaptées à son degré de maturité », il faudrait procéder à un remplacement analogue dans tous les textes mentionnant la notion de discernement.
Précisément, dans la proposition de loi précitée, qui fait actuellement l’objet de la navette, un chapitre entier est consacré à la prise en compte de la parole de l’enfant. C’est à mon avis lors de l’examen de ce texte qu’il conviendra de soulever cette question, car nous élaborerons alors un texte homogène.
Soyons clairs : nous discuterons du choix des termes appropriés – « selon des modalités adaptées à son degré de maturité » ou « capable de discernement » –, mais de grâce, référons-nous à la même notion dans tous les textes !
Il n’est pas de bonne méthode législative, au détour de l’introduction d’une disposition ponctuelle dans la présente proposition de loi, de lier la position du Sénat sur une question dont il sera appelé à débattre prochainement. Peu importe la position que nous adopterons alors – la Haute Assemblée fera ce qu’elle voudra –, à condition qu’elle soit cohérente.
Comme l’a expliqué M. le rapporteur pour avis, il faudra bien que, à un moment donné, on parvienne à harmoniser tous les articles du code civil dans lesquels il est question de la parole de l’enfant. En tant que secrétaire d’État chargée de l’enfance, en particulier de l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant, je suis particulièrement attachée et favorable à l’écoute de la parole de l’enfant.
À ce stade, j’émets un avis défavorable sur l’amendement présenté par M. le rapporteur pour avis, au nom de la commission des lois, car je pense qu’un travail d’harmonisation des textes est nécessaire.
Monsieur le rapporteur, pourriez-vous m’apporter une précision et m’indiquer qui évalue la capacité de discernement de l’enfant ?
Le texte de la commission des affaires sociales ne serait-il donc pas plus indiqué ?
L'amendement est adopté.
L'article 15 est adopté.
L’article 786 du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Le 3° est ainsi rédigé :
« 3° D’adoptés mineurs au moment du décès de l’adoptant » ;
2° Après le 3°, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :
« 3° bis D’adoptés majeurs au moment du décès de l’adoptant qui, soit dans leur minorité et pendant cinq ans au moins, soit dans leur minorité et leur majorité et pendant dix ans au moins, auront reçu de l’adoptant, des secours et des soins non interrompus au titre d’une prise en charge continue et principale ; ».
L'amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Lefèvre, Bizet, Charon et Laufoaulu, Mmes Imbert et Gruny, MM. Trillard, Cambon, Mandelli, B. Fournier, Morisset, Houel, D. Laurent et Leleux, Mmes Mélot et Deroche, M. Savary, Mme Hummel et MM. Revet, G. Bailly, Perrin, Raison, Bouchet, Pointereau et Longuet, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 5
Compléter cet alinéa par les mots :
dont la preuve est établie par tous moyens. La preuve de la prise en charge peut résulter d’un acte de notoriété dressé par un notaire. L’acte de notoriété fait mention des pièces justificatives qui ont pu être produites et attestent des secours et soins non interrompus reçus par l’adopté.
II. – Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
« Toute personne dont les dires paraîtraient utiles peut être appelée à l’acte.
« L’acte de notoriété ainsi établi fait foi jusqu’à preuve du contraire. »
La parole est à M. Antoine Lefèvre.
L’article 16 prévoit que les transmissions à titre gratuit dans le cadre d’une adoption simple sont imposées comme les transmissions en ligne directe lorsque l’adoptant décède pendant la minorité de l’adopté.
Cependant, l’adopté peut rencontrer des difficultés pour prouver à l’administration fiscale qu’il remplit les conditions exigées, à savoir que les « secours et […] soins ininterrompus » ont été prodigués « au titre d’une prise en charge continue et principale » par l’adoptant, en particulier lorsque l’adoptant est décédé pendant sa minorité.
Le présent amendement a pour objet de simplifier et de sécuriser à bon escient l’administration de la preuve des soins et des secours prodigués telle qu’elle est actuellement requise. Cette preuve est en effet souvent délicate à établir.
L’administration fiscale exige qu’elle soit apportée par écrit, ce qui exclut en principe tout témoignage, même sous forme d’attestation, sauf s’il s’agit de corroborer d’autres moyens de preuve. Eu égard à cette difficulté probatoire, il convient de modifier le dispositif pour admettre que la preuve de la prise en charge continue et principale de l’adopté simple par l’adoptant est libre, établie par tous moyens.
En raison de la sécurité juridique qu’apporte, en matière familiale, l’acte de notoriété dressé par un notaire, l’amendement tend à ce que la preuve des secours et des soins non interrompus puisse résulter de cet acte authentique, établi au vu de pièces et de documents justificatifs fournis par la personne intéressée, et, éventuellement, par l’intermédiaire de témoignages.
Le Gouvernement émet un avis défavorable, non pas sur le fond, mais parce que la modification de l’article 786 du code général des impôts ne peut résulter que d’une loi de finances ; une proposition de loi, fût-elle adoptée, ne suffit pas.
La commission des lois est opposée à l’adoption du présent amendement, car aucune difficulté n’est signalée en ce domaine et l’acte notarié n’est absolument pas interdit.
S’il était adopté, cet amendement modifierait l’échelle de puissance des preuves alors que, en ce domaine, l’administration admet que la preuve soit faite par tout moyen, ce qui me semble préférable.
L'amendement n'est pas adopté.
L'article 16 est adopté.
L’article 375-1 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’administrateur ad hoc, désigné par le juge pour représenter les intérêts du mineur lorsqu’est envisagé un placement, le renouvellement de celui-ci, ou une modification des modalités de prise en charge de l’enfant, est indépendant du service de l’aide sociale à l’enfance auquel l’enfant est confié. »
L'amendement n° 7, présenté par M. Pillet, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
Je vous propose de revenir sur la rédaction actuelle de l’article 17, qui résulte de l’adoption d’un amendement de Mme la rapporteur.
En effet, l’interdiction faite par principe au service de l’ASE d’être désigné administrateur ad hoc de l’enfant qui lui a été confié crée à mon avis une double défiance.
Tout d’abord, à l’encontre des magistrats, puisque cette interdiction suggère qu’ils procéderaient à une telle désignation alors même qu’ils constateraient que les intérêts de l’enfant s’opposent à ceux du service de l’ASE. Aucune étude ne permet d’étayer cette hypothèse.
Ensuite, vis-à-vis des services sociaux, puisque cette interdiction conduit à penser qu’ils sont dans tous les cas incapables de défendre correctement les intérêts de l’enfant qui leur a été confié. Or, selon moi, c’est tout le contraire.
Je rappelle en outre que la désignation d’un administrateur ad hoc n’intervient, en vertu de l’article 388-2 du code civil, que si les intérêts de l’enfant sont en opposition avec ceux de ses représentants légaux, c’est-à-dire en principe ses parents. Le service de l’ASE n’a pas dans ce cadre un intérêt forcément opposé à celui de l’enfant, surtout s’il s’agit de le protéger.
En outre, il aura une bien meilleure connaissance de l’intérêt et de la situation de l’enfant qu’un administrateur ad hoc désigné du jour au lendemain.
De plus, c’est au juge de décider. Eu égard à son expérience de terrain, nul n’est mieux placé que lui pour savoir s’il convient de nommer un administrateur adapté, choisi en dehors du service de l’ASE.
Nous n’avons pas à introduire cette double défiance dans la loi.
La commission saisie au fond est défavorable à cet amendement, qui vise à la suppression de l’article 17 et de l’administrateur ad hoc.
L'amendement est adopté.
En conséquence, l'article 17 est supprimé et les amendements n° 58 et 8 n'ont plus d'objet.
Toutefois, pour la bonne information du Sénat, j’en rappelle les termes.
L'amendement n° 58, présenté par Mme Meunier, au nom de la commission des affaires sociales, était ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 388-2 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’administrateur ad hoc, désigné par le juge pour représenter les intérêts du mineur dans une procédure d’assistance éducative lorsqu’est envisagé un placement, le renouvellement de celui-ci ou une modification des modalités de prise en charge de l’enfant, est indépendant de la personne morale ou physique à laquelle l’enfant est confié. »
L'amendement n° 8, présenté par M. Pillet, au nom de la commission des lois, était ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après l’article L. 221-6 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L. 221-6-... ainsi rédigé :
« Art. L. 221-6-... - Lorsqu’un enfant lui a été confié ou lorsqu’il est envisagé qu’il le lui soit, le service de l’aide sociale à l’enfance ne peut être désigné administrateur ad hoc, en vertu de l’article 388-2 du code civil, pour les instances relatives à ce placement. »
I. –
Non modifié
II. – Le chapitre Ier du titre IX du livre Ier du même code est complété par une section 5 ainsi rédigée :
« Section 5
« De la déclaration judiciaire d’abandon
« Art. 381-1. – Un enfant est considéré comme abandonné lorsque ses parents se sont volontairement abstenus, pendant plus d’un an, d’entretenir avec lui les relations nécessaires à son éducation ou à son développement.
« Art. 381-2. – Tout enfant recueilli par une personne, un établissement ou un service de l’aide sociale à l’enfance, dont les parents se sont volontairement abstenus d’entretenir avec lui les relations visées à l’article 381-1 pendant l’année qui précède l’introduction de la demande en déclaration judiciaire d’abandon, est déclaré abandonné par le tribunal de grande instance, sans préjudice des dispositions du troisième alinéa. La demande en déclaration d’abandon est soumise par la personne, l’établissement ou le service de l’aide sociale à l’enfance qui a recueilli l’enfant. La demande peut également être présentée par le ministère public agissant d’office ou, le cas échéant, sur proposition du juge des enfants.
« La simple rétractation du consentement à l’adoption, la demande de nouvelles ou l’intention exprimée, mais non suivie d’effet de reprendre l’enfant ne constituent pas un acte suffisant pour rejeter de plein droit une demande en déclaration d’abandon et n’interrompent pas le délai mentionné au premier alinéa.
« L’abandon n’est pas déclaré si, au cours du délai mentionné au premier alinéa, un membre de la famille a demandé à assumer la charge de l’enfant et si cette demande est jugée conforme à l’intérêt de ce dernier.
« Lorsqu’il déclare l’enfant abandonné, le tribunal délègue par la même décision les droits d’autorité parentale sur l’enfant à la personne, à l’établissement ou au service de l’aide sociale à l’enfance qui a recueilli l’enfant ou à qui ce dernier a été confié.
« La tierce opposition n’est recevable qu’en cas de dol, de fraude ou d’erreur sur l’identité de l’enfant. »
III. –
Non modifié
2. Au 6° de l’article L. 224-4 du code de l’action sociale et des familles, la référence : « de l’article 350 » est remplacée par les références : « des articles 381-1 et 381-2 ».
L'amendement n° 36 rectifié ter, présenté par MM. Milon, Trillard, Gilles, Mandelli, Cardoux, Bouchet, D. Laurent et B. Fournier, Mmes Debré, Mélot et Canayer, MM. César, P. Leroy, Savary, Lefèvre et Cadic, Mme Giudicelli, M. Dériot, Mme Micouleau et M. del Picchia, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Alain Milon.
Abandon ou délaissement ? Étymologiquement, « délaisser » un enfant, c’est le laisser seul sans s’assurer qu’il soit pris en charge par un tiers. C’est le terme choisi par le législateur pour désigner l’élément constitutif de l’infraction pénale de mise en péril du mineur : le délaissement n’est pas en soi une infraction ; il n’est réprimé que s’il met en danger la santé ou la sécurité du mineur.
Le mot « abandon » est plus général : il a une connotation tout aussi, si ce n’est plus, péjorative. Mais il est plus compréhensible. L’abandon est également un élément constitutif des infractions d’abandon de famille ou d’incitation à l’abandon. Maintenir ce terme, une notion civile, pour le distinguer du délaissement, notion pénale, n’a donc pas de sens.
Cependant, la rédaction nouvelle de l’article 18 de la proposition de loi dénature totalement l’esprit de la réforme souhaitée par mesdames Dini et Meunier, une réforme qui figurait également dans la proposition de loi déposée le 21 septembre 2011 par Michèle Tabarot et plusieurs de ses collègues sur l’enfance délaissée et l’adoption et qui était également proposée par le Conseil supérieur de l’adoption.
En introduisant la notion d’abstention volontaire dans le texte, c’est aller plus loin que la jurisprudence actuelle quant au caractère volontaire du désintérêt. Cela revient subrepticement à revenir à la notion de grande détresse : seul le désintérêt intentionnel des parents peut justifier le prononcé de la déclaration d’abandon par le tribunal. Seuls les parents fautifs, coupables peuvent être sanctionnés. Encore une fois, c’est détourner son regard de l’enfant pour ne considérer que les adultes et leur responsabilité.
Les débats actuels relatifs à la possibilité pour un tribunal de déclarer abandonné un enfant sans le consentement de ses parents, en raison de la situation d’abandon ou de délaissement dans laquelle il se trouve, montrent que la réflexion doit être reprise et approfondie. Dans ces conditions, il est préférable de ne pas modifier l’article 350 du code civil, sous peine de venir troubler les juridictions.
Enfin, je rappelle que, au moment du dépôt de la proposition de loi portant réforme de l’adoption en 2005, Philippe Bas, alors ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, et moi-même avions beaucoup discuté de ces problèmes de délaissement et d’abandon. Et c’est à la suite de l’adoption de ce texte que l’article 350 du code civil avait été modifié.
La commission des affaires sociales a émis un avis défavorable. En effet, en l’état actuel du droit, la déclaration judiciaire d’abandon qui est l’étape préalable à l’admission de l’enfant en qualité de pupille de l’État et à son adoption éventuelle reste peu mise en œuvre.
Dans sa rédaction initiale, la présente proposition de loi substituait la procédure de déclaration judiciaire d’abandon à une procédure judiciaire de délaissement parental, la finalité recherchée étant de fonder cette procédure sur des critères plus objectifs.
Cet amendement vise à un retour au droit en vigueur s’agissant de la déclaration d’abandon. La rédaction proposée par la commission des lois pour l’article 18 – elle a été retenue par la commission des affaires sociales – est une rédaction de compromis qui tendait à écarter la suppression pure et simple de l’article 18 tout en apportant la sécurité juridique qui faisait défaut au dispositif contenu dans le texte initial.
L’article 18 conserve la notion d’abandon et non celle de délaissement parental d’inspiration psychologique, à mon avis juridiquement moins claire, et qui risquait d’entraîner une confusion avec le délaissement du mineur, qui est une autre notion, figurant elle dans le code pénal.
Quant à la rédaction retenue pour le nouvel article 381-1 du code civil, elle respecte la volonté des auteurs du texte de replacer l’enfant au centre du dispositif tout en apportant des garanties juridiques. Ces nouvelles dispositions imposeraient en effet que l’abandon de l’enfant par ses parents soit volontaire pour éviter qu’un parent ne soit hors d’état de se manifester – il s’agit des hypothèses de maladie, de coma, d’expulsion – et ne voie son enfant déclaré abandonné.
Aux termes de cet article, l’appréciation de l’abandon serait fondée sur le défaut de relation entre le parent et l’enfant, plutôt que sur l’absence d’actes effectués par le parent, pour éviter qu’un parent, dont on dit qu’il est « à éclipses », c'est-à-dire qu’il n’entretient qu’un lien artificiel avec l’enfant à travers d’actes isolés, ne fasse échec à la déclaration d’abandon. Il s’agit donc bien de protéger l’enfant.
L’équilibre trouvé me semble satisfaisant. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à conserver l’article 18 dans sa rédaction issue des travaux de la commission des affaires sociales et de n’adopter ni le présent amendement de suppression ni le suivant, déposé par Mme Meunier et qui vise à revenir pratiquement au texte initial de la proposition de loi, auquel la commission des lois, de manière unanime, suivie par la commission des affaires sociales lors de l’établissement de son texte, s’est opposée, compte tenu des difficultés juridiques qu’il créait.
Défavorable, monsieur le président.
L'amendement n'est pas adopté.
Mes chers collègues, il est dix-huit heures dix. Je vous rappelle que le temps imparti pour l’examen de la présente proposition de loi était de quatre heures. Je serai par conséquent obligé d’interrompre la discussion de ce texte à dix-huit heures trente au plus tard. Je vous appelle à la concision, afin que nous puissions au moins terminer l’examen de l’article 18.
Je suis saisi de six amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 5, présenté par Mme Meunier, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. - L'article 350 du code civil est abrogé.
II. - Le chapitre Ier du titre IX du livre Ier du même code est complété par une section 5 ainsi rédigée :
« SECTION 5
« De la déclaration judiciaire de délaissement parental
« Art. 381-1. – Un enfant est considéré comme délaissé par ses parents lorsque pendant une durée d’un an ceux-ci n’ont contribué par aucun acte à son éducation ou à son développement et au maintien de relations affectives durables, sans en avoir été empêchés.
« Art. 381-2. – Tout enfant recueilli par un particulier, un établissement ou un service de l’aide sociale à l’enfance, délaissé par ses parents pendant l’année qui précède l’introduction de la demande en déclaration judiciaire de délaissement parental, est déclaré délaissé par ses parents par le tribunal de grande instance, sans préjudice des dispositions du troisième alinéa. La demande en déclaration de délaissement parental est obligatoirement transmise par le particulier, l’établissement ou le service de l’aide sociale à l’enfance qui a recueilli l’enfant délaissé par ses parents à l’expiration du délai d’un an dès lors que les parents ont délaissé l’enfant. La demande peut également être présentée par le ministère public agissant d’office ou sur proposition du juge des enfants.
« La simple rétractation du consentement à l’adoption, la demande de nouvelles ou l’intention exprimée, mais non suivie d’effet de reprendre l’enfant n’est pas un acte suffisant pour motiver de plein droit le rejet d’une demande en déclaration de délaissement parental et n’interrompt pas le délai mentionné au premier alinéa.
« Le délaissement parental n'est pas déclaré si, au cours du délai mentionné au premier alinéa, un membre de la famille a demandé à assumer la charge de l'enfant et si cette demande est jugée conforme à l'intérêt de ce dernier.
« Le tribunal se prononce dans un délai de six mois à compter du dépôt de la demande en déclaration judiciaire de délaissement parental.
« Lorsqu'il déclare par ses parents l'enfant délaissé, le tribunal délègue par la même décision les droits d'autorité parentale sur l'enfant à la personne, à l'établissement ou au service de l'aide sociale à l'enfance qui a recueilli l'enfant ou à qui ce dernier a été confié.
« La tierce opposition n'est recevable qu'en cas de dol, de fraude ou d'erreur sur l'identité de l'enfant. »
III. – 1° Au 3° de l'article 347 du même code, la référence : « par l'article 350 » est remplacée par les références : « aux articles 381-1 et 381-2 » ;
2° Au 6° de l'article L. 224-4 du code de l'action sociale et des familles, la référence : « de l'article 350 » est remplacée par les références : « des articles 381-1 et 381-2 ».
La parole est à Mme Michelle Meunier.
Je propose une nouvelle rédaction de l’article 18. Par le biais de cet amendement, je me situe délibérément du côté de l’enfant. Je bouscule un peu les choses, mais je pense qu’il est nécessaire de le faire maintenant.
Le sous-amendement n° 51, présenté par M. Mazuir, est ainsi libellé :
Amendement n° 5
I. – Alinéa 6
Remplacer les mots :
par ses parents
par les mots :
par l’un ou l’autre de ses parents ou les deux
II. – Alinéa 7, première phrase (deux fois) et deuxième phrase
Remplacer les mots :
par ses parents
par les mots :
par l’un ou l’autre de ses parents ou les deux
III. – Alinéa 11
Après les mots :
par ses parents
insérer les mots
ou l’un ou l’autre de ses parents
La parole est à M. Rachel Mazuir.
Il s’agit de préciser la rédaction de l’article 18 proposée par Mme Meunier et de prévoir que la requête en déclaration judiciaire de délaissement manifeste puisse se faire contre l’un ou l’autre des parents ou les deux.
Aujourd’hui – je le vérifie dans mon département –, de nombreuses requêtes n’aboutissement pas si l’un des parents seulement a signé un consentement à l’adoption. Malgré l’absence de liens avec le second parent, les autorités judiciaires, appliquant les textes, refusent de prononcer une déclaration judiciaire d’abandon au motif que la procédure ne peut s’envisager que contre les deux parents.
Cette situation conduit le service de l’aide sociale à l’enfance à ne pas proposer de consentement à l’adoption aux parents d’origine, alors que l’un d’entre eux peut souhaiter être acteur dans la démarche d’adoption.
Telle est la raison du dépôt du présent sous-amendement, qui va une fois encore dans le sens de l’enfant.
L'amendement n° 29 rectifié, présenté par Mme Malherbe, MM. Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mézard et Requier, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 381-1. – L'enfant recueilli par un particulier, un établissement ou un service de l'aide sociale à l'enfance, qui n'a pas bénéficié de la part de ses parents d'actes ou de relations nécessaires à son développement physique, psychologique et affectif, pendant l'année qui précède l'introduction de la requête, sans que ces derniers en aient été empêchés par un tiers, est déclaré judiciairement abandonné, si cette déclaration est conforme à son intérêt. »
La parole est à Mme Hermeline Malherbe.
L’amendement concerne également le constat d’abandon. Il s’agit de modifier la rédaction proposée pour le nouvel article 381-1 du code civil et de ne plus faire mention du caractère volontaire de l’abandon ni de l’absence d’acte accompli par les parents en faveur de l’éducation ou du développement de l’enfant. C’est sur ce point que nous souhaitons faire évoluer le texte.
Il s’agit ainsi de mettre l’intérêt de l’enfant et non pas l’abandon au centre du dispositif, et d’éviter de considérer l’adoption comme un marché.
L'amendement n° 39, présenté par Mme Archimbaud et M. Desessard, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Compléter cet alinéa par les mots :
malgré les mesures de soutien proposées en application du 1° de l’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles
La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Je serai brève étant donné l’heure. Cet amendement vise à s’assurer que toutes les solutions d’aide aux parents déjà prévues par la loi ont bien été apportées avant le retrait des enfants.
L'amendement n° 9, présenté par M. Pillet, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 6, première phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
« Le tribunal de grande instance déclare abandonné l’enfant recueilli par une personne, un établissement ou un service de l’aide sociale à l’enfance, qui se trouve dans la situation décrite à l’article 381-1, pendant l’année qui précède l’introduction de la demande en déclaration judiciaire d’abandon.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
Il s’agit d’un amendement rédactionnel. Pour plus de lisibilité, il tend à inverser les termes de la première phrase du nouvel article 381-2 du code civil. Ainsi, le nouvel article 381-1 définit l’abandon puis l’article 381-2 détaille la procédure d’abandon.
L'amendement n° 41, présenté par Mmes Cohen et David, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le tribunal se prononce dans un délai de neuf mois à compter du dépôt de la demande en déclaration judiciaire de délaissement manifeste.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
La commission émet un avis favorable sur l’amendement n° 5 et sur le sous-amendement n° 51.
S’agissant de l’amendement n° 29 rectifié ter, elle s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
Madame Archimbaud, la commission vous demande de bien vouloir retirer l’amendement n° 39 ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Par ailleurs, elle est favorable à l’amendement n° 9.
Enfin, la commission s’en remet à la sagesse du Sénat sur l’amendement n° 41.
M. François Pillet, rapporteur pour avis. La commission des lois est défavorable à ces amendements et sous-amendement, hormis bien évidemment à celui qu’elle a elle-même déposé.
Sourires.
Le sous-amendement n'est pas adopté.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement est adopté.
L'amendement n'est pas adopté.
Je mets aux voix l'article 18, modifié.
Mes chers collègues, nous en venons maintenant à l’examen de l’article 7, précédemment réservé.
Avant le dernier alinéa de l’article L. 223-1 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le président du conseil général met en place une commission pluridisciplinaire et pluri-institutionnelle chargée d’examiner, sur la base des rapports prévus à l’article L. 223-5, les situations d’enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance depuis plus d’un an lorsqu’il existe un risque de délaissement parental ou lorsque le statut juridique de l’enfant paraît inadapté à ses besoins. La commission examine tous les six mois la situation des enfants de moins de deux ans. Pour ces situations, elle peut formuler un avis au président du conseil général sur le projet pour l’enfant. Cet avis est transmis aux signataires du projet et au juge toutes les fois où celui-ci est saisi. La composition et le fonctionnement de cette commission sont fixés par décret. »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 23 rectifié bis est présenté par MM. Cardoux et Mouiller, Mmes Canayer et Cayeux, M. Chasseing, Mmes Debré et Deroche, M. Dériot, Mme Deseyne, MM. Dusserre, Forissier et Gilles, Mmes Giudicelli, Gruny et Imbert, M. Lemoyne, Mme Micouleau et MM. Morisset, Pinton, D. Robert et Savary.
L'amendement n° 26 rectifié est présenté par Mme Malherbe et les membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour présenter l'amendement n° 23 rectifié bis.
Cet amendement se situe dans le prolongement des propos liminaires que j’ai tenus tout à l’heure.
Je constate que mes collègues du groupe du RDSE proposent un amendement identique de suppression.
Avec cet article, nous sommes dans une logique d’usine à gaz – pardonnez-moi, mes chers collègues, pour l’emploi de cette expression quelque peu prosaïque que nous utilisons fréquemment dans nos débats – qui va absolument à l’encontre du but recherché de protection de l’enfant, notamment parce qu’elle fait obstacle au fonctionnement fluide du circuit. Il existe en particulier un risque de superposition avec les décisions du juge, puisque l’arbitrage des services interviendra avant celui du juge, ce qui paraît quelque peu surprenant. Je crains en outre que cet article n’aboutisse à une asphyxie des services.
Au final, il ne me semble pas qu’une telle disposition apporte une quelconque plus-value à la protection de l’enfant. Elle va surtout créer des situations extrêmement complexes, ralentir les procédures et entraîner un surcoût pour les conseils généraux. J’ajoute que certains présidents de conseil général qui appartiennent à la majorité présidentielle ont eux aussi qualifié cet article d’« usine à gaz ».
La parole est à Mme Hermeline Malherbe, pour présenter l'amendement n° 26 rectifié.
Pour ma part, je ne parlerai pas d’usine à gaz, reconnaissant que l’article 7 repose sur de bonnes intentions. Je comprends parfaitement la volonté des auteurs de la proposition de loi d’imposer une présentation annuelle du projet pour l’enfant à une commission pluridisciplinaire composée d’élus, de représentants d’associations et de partenaires de justice.
La mise en œuvre de cette bonne idée me semble en revanche très complexe, voire irréaliste en l’état actuel du fonctionnement des départements.
C’est pourquoi nous souhaitons la suppression de cet article.
La commission émet un avis défavorable, monsieur le président.
Nous ne terminerons sans doute pas l’examen de cette proposition de loi ce soir, madame la secrétaire d’État. Quoi qu’il en soit, comme vous, j’ai été vice-présidente de mon département, chargée de l’action sociale, notamment des questions de l’enfance et de la famille.
Lorsque nous avons mis en place les comités locaux d’insertion, les mêmes arguments selon lesquels il y a trop d’élus ou trop de représentants des usagers ou des professionnels pour examiner les dossiers individuels de chaque bénéficiaire de minima sociaux ont-ils été développés ? Je ne le crois pas.
Pourquoi faudrait-il donc laisser la politique de la protection de l’enfance exclusivement aux mains des professionnels, aussi compétents soient-ils ?
L’instillation d’une dimension politique lorsqu’il s’agit de l’intérêt de l’enfant permettra d’obtenir un regard croisé, à travers des questions de citoyens lambda. Heureusement que les médecins ou les éducateurs ne sont pas les seuls concernés par le sujet de la protection de l’enfance !
Toutes les questions sont bonnes à poser lorsqu’il s’agit de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Pour toutes ces raisons, une commission pluridisciplinaire qui serait, aussi, composée d’élus me semblait être la bienvenue au sein de cette politique publique.
Je comprends la vigilance des conseils généraux face au risque d’alourdissement des procédures.
Mais nous ne pouvons pas, tout à la fois, constater que le projet pour l’enfant visé dans l’article 7 n’est pas mis en œuvre, ou qu’il l’est seulement pour 10 % des enfants relevant de la protection de l’enfance, que les professionnels travaillent en silo, sans se rencontrer, que certains cas complexes nécessitent un travail pluridisciplinaire et, au moment où une disposition d’une proposition de loi tient justement compte de toutes ces observations, la rejeter.
Oui, pour faire cesser le travail en silo, il me semble utile de mettre en place une commission pluridisciplinaire où les gens se rencontrent, à défaut, ils ne travailleront jamais ensemble ! Essayons d’avancer ! J’attire d’ailleurs l’attention des auteurs des amendements de suppression sur le fait que l’article 7 réserve l’examen par la commission pluridisciplinaire des seules situations « d’enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance depuis plus d’un an lorsqu’il existe un risque de délaissement parental ou lorsque le statut juridique de l’enfant paraît inadapté à ses besoins. » Honnêtement, ces cas ne sont pas les plus fréquents.
Il s’agit donc non pas d’un alourdissement de la tâche des professionnels, mais d’un véritable atout pour leur travail. Et ce sera peut-être aussi le moyen de faire en sorte que le projet pour l’enfant soit véritablement mis en œuvre.
Je suis par conséquent défavorable à ces amendements de suppression.
Je mets aux voix les amendements identiques n° 23 rectifié bis et 26 rectifié.
Les amendements sont adoptés.
En conséquence, l'article 7 est supprimé, et les amendements n° 48 et 56 n'ont plus d'objet.
Toutefois, pour la bonne information du Sénat, j’en rappelle les termes.
L'amendement n° 48, présenté par le Gouvernement, était ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
de délaissement parental
par les mots :
d'abandon tel que prévu à l’article 381-1 du code civil
L'amendement n° 56, présenté par Mme Meunier, au nom de la commission des affaires sociales, était ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ses membres sont soumis au secret en application des articles L. 221-6 et L. 226-2-2.
L’article L. 224-8 du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
I. – Les alinéas 4 à 6 sont remplacés par trois alinéas ainsi rédigés :
« 2° Les ascendants et collatéraux privilégiés des parents de l’enfant, en l’absence d’une déclaration judiciaire de délaissement parental ou d’un retrait total de l’autorité parentale, qui, avant la date de cet arrêté, ont manifesté un intérêt pour l’enfant auprès du service de l’aide sociale à l’enfance en charge de l’enfant au cours des délais prévus par l’article L. 224-4 pour l’admission d’un enfant en qualité de pupille de l’État ;
« 3° Les personnes justifiant d’un lien de parenté jusqu’au troisième degré inclus avec un parent de naissance lorsque l’enfant a été admis en application du 1° de l’article L. 224-4, qui se sont manifestées au service de l’aide sociale à l’enfance en charge de l’enfant avant l’expiration du délai prévu à ce même article ;
« 4° Toute personne ayant assuré la garde de droit ou de fait de l’enfant, qui s’est manifestée auprès du service de l’aide sociale à l’enfance dans les délais prévus au 2°. »
II. – La première phrase de l’alinéa 8 est remplacée par une phrase ainsi rédigée :
« L’arrêté mentionné au I est notifié aux personnes mentionnées au II. »
L'amendement n° 50, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Le Gouvernement propose de supprimer l’article 19, qui vise à modifier un dispositif mis en place récemment, par une loi du mois de juillet 2013. Il lui semble quelque peu prématuré de supprimer un dispositif qui n’a pas encore fait les preuves de son inadaptation.
La commission est défavorable à cet amendement de suppression.
Les professionnels de terrain font en effet remonter des difficultés de mise en application de cette loi votée dernièrement.
L'amendement est adopté.
En conséquence, l'article 19 est supprimé, et l'amendement n° 37 rectifié ter n'a plus d'objet.
Toutefois, pour la bonne information du Sénat, j’en rappelle les termes.
L'amendement n° 37 rectifié ter, présenté par MM. Milon, Trillard, Gilles, Mandelli, Cardoux, Bouchet, D. Laurent et B. Fournier, Mmes Mélot et Canayer, MM. César, P. Leroy et Savary, Mme Debré, MM. Lefèvre et Cadic, Mme Giudicelli, M. Dériot, Mme Micouleau et M. del Picchia, est ainsi libellé :
Alinéas 2 et 3
Remplacer ces alinéas par trois alinéas ainsi rédigés :
I. – Les troisième à sixième alinéas sont remplacés par deux alinéas ainsi rédigés :
« 1° Les parents à l’égard de qui la filiation de l’enfant est établie et connue au jour de l’arrêté, en l'absence d'une déclaration judiciaire d'abandon ou d'un retrait total de l'autorité parentale ;
« 2° Les personnes justifiant d’un lien de parenté jusqu'au troisième degré inclus avec l’un des parents de l'enfant, en l'absence d'une déclaration judiciaire d’abandon de délaissement parental ou d'un retrait total de l'autorité parentale, qui, au cours des délais prévus par l'article L. 224-4 pour l'admission d'un enfant en qualité de pupille de l'État, ont manifesté un intérêt pour l'enfant auprès du service de l'aide sociale à l'enfance en charge de l'enfant ;
L’article 378 du code civil est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) Les mots : « Peuvent se voir » sont remplacés par les mots : « Sauf si l’intérêt de l’enfant le justifie expressément, se voient » ;
b) Les mots : « soit comme coauteurs ou complices d’un crime ou délit commis par leur enfant, » sont supprimés ;
2° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Peuvent se voir retirer totalement l’autorité parentale par une décision expresse du jugement pénal le ou les parents qui sont condamnés comme coauteurs ou complices d’un crime ou délit commis par leur enfant. »
L'amendement n° 10, présenté par M. Pillet, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
Je suis navré de devoir encore proposer la suppression d’un article, mais celui-ci pose véritablement problème, car il vise à rendre automatique le retrait de l’autorité parentale pour les parents reconnus coupables d’un crime ou d’un délit commis contre leur enfant ou l’autre parent.
La rédaction retenue par la commission des affaires sociales pour l’article 20 crée une exception à cette automaticité, une solution alternative pouvant être trouvée si le retrait de l’autorité parentale paraît contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Toutefois, du point de vue unanime des membres de la commission des lois, cette rédaction ne lève pas les sérieuses réserves que l’on peut opposer à cette disposition.
D’abord, nous étudions une matière dans laquelle l’automaticité se concilie mal avec l’intérêt de l’enfant. Pour espérer résoudre ce genre de problèmes, il faut accomplir un vrai travail d’orfèvrerie, et l’automaticité retire de multiples options aux juges, ce qui, in fine, peut nuire considérablement à l’enfant. Notre émotion peut donc nous conduire à élaborer un dispositif contraire à l’objectif que nous recherchons.
Ensuite, l’article 20, tel qu’il est rédigé, entraînerait, sauf si l’intérêt supérieur de l’enfant s’y opposait, le retrait automatique de l’autorité parentale dans l’hypothèse où le père ou la mère serait condamné pour un délit d’homicide ou de blessures involontaires par imprudence à l’encontre de son enfant ou de son conjoint lors d’un accident d’automobile. La rédaction de cet article nous semble donc aller beaucoup trop loin.
Enfin, le Conseil constitutionnel n’accepte pas cette automaticité, pas plus que la Cour européenne des droits de l’homme. Ce texte risquerait donc fort d’être censuré.
Puisque nos discussions témoignent aujourd’hui d’une certaine unité que je ne voudrais surtout pas ternir, je ne vous dirais pas à quel point il me paraîtrait surprenant de vouloir instaurer des peines planchers au civil, après les avoir supprimées au pénal ! §
La commission est défavorable à la suppression de l’article 20.
Nous avons justement prévu dans la rédaction une limite à l’automaticité, si l’intérêt de l’enfant le justifie.
Le Gouvernement émet un avis favorable. L’article 20, contraire au principe de l’individualisation des peines, risquerait de subir une censure du Conseil constitutionnel.
L'amendement est adopté.
(Supprimé)
Mes chers collègues, je vais interrompre la discussion de la présente proposition de loi, les quatre heures prévues pour son examen étant écoulées.
La suite de la discussion est renvoyée à une séance ultérieure.
Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures quarante.
L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Quels emplois pour demain ? », organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective (rapport d’information n° 583 [2013-2014]).
Dans le débat, la parole est à M. le président de la délégation.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous rassure, je n’utiliserai pas les dix minutes qui me sont imparties, l’essentiel étant l’excellent rapport d’Alain Fouché, qu’il vous présentera dans quelques instants.
C’est la première fois que je prends la parole dans cet hémicycle en tant que président de la délégation sénatoriale à la prospective. Monsieur le ministre, je ne vous ferai pas l’injure, à vous qui venez de cette noble maison, de vous expliquer ce qu’est cette délégation. Depuis sa création, il y a quelques années, elle a beaucoup travaillé, publiant de nombreux rapports sur des sujets clés : l’emploi, l’environnement, la santé ou encore l’éducation. Il s’agit pour nous non pas de concurrencer le travail des commissions, mais de dépasser l’actualité pour inscrire nos réflexions dans une démarche prospective.
Ministre du travail, vous reconnaissez vous-même combien il faut être solide et avoir du tempérament pour assumer cette charge, car les chiffres du chômage qui tombent tous les mois sont une réalité difficile. En même temps, votre rôle est aussi de préparer la suite, l’avenir, le long terme, parce que la manière dont on travaille aujourd'hui n’est probablement pas celle dont on travaillera dans dix ou vingt ans. Les emplois offerts aujourd'hui aux jeunes ou aux moins jeunes ne sont probablement pas ceux qui seront offerts dans vingt ans.
Le travail d’Alain Fouché, réalisé sous la présidence de Joël Bourdin – je ne l’ai remplacé qu’il y a quelques mois –, vise à identifier les grands secteurs d’avenir et à prévoir ce qui changera dans l’emploi, non seulement en France, mais aussi, probablement, dans l’ensemble du monde occidental. Nous devons élaborer des politiques susceptibles de préparer l’avenir et de préparer les jeunes à cet avenir, notamment en transformant le monde de l’éducation, dans le but de leur garantir sinon le plein-emploi, du moins un emploi assez fourni.
Quand j’étais sérieux, c'est-à-dire avant d’être sénateur
Sourires.
Nous avons beaucoup travaillé, nous avons beaucoup fait évoluer les choses, mais le monde de l’éducation ne se transforme pas rapidement. Ceux qui imaginent qu’on peut le révolutionner en deux ou trois ans se trompent.
Nous devons être capables d’identifier les secteurs d’activité qui fourniront les gros bataillons dans dix ou vingt ans. Comment changer le système éducatif pour qu’il prépare les jeunes à ces emplois ? Quels sont nos moyens ? Sommes-nous seulement certains de pouvoir le faire ? On a déjà vu des perspectives être démenties par la suite. Un certain nombre de secteurs qui devaient être ultra-modernes, très compétitifs et créer beaucoup d’emplois n’ont pas répondu à ces attentes ; d’où la déception des jeunes qu’on avait envoyés dans ces secteurs en leur promettant l’eldorado.
Oui, les chiffres mensuels du chômage sont souvent difficiles. Le Premier ministre l’a reconnu, il nous faut 2 % de croissance pour recréer de l’emploi. Cependant, il ne s’agit là que de la politique immédiate. Elle importante, car on vit dans l’immédiat, mais, si nous voulons préparer l’emploi des années et des générations à venir, il faut que l’État, le Gouvernement, le ministère de l’éducation nationale et l’ensemble des acteurs publics soient parfaitement informés des perspectives d’évolution. C’est l’objet de l’excellent rapport d’Alain Fouché, qui vous est adressé, monsieur le ministre. Il vous donne des pistes en vous indiquant ce que peuvent être les emplois de demain. C’est désormais à vous de nous dire ce que vous en pensez.
Alain Fouché a souligné, lors de l’une de nos réunions, ce que peut être l’intérêt des rapports faits au nom de la délégation sénatoriale à la prospective. Vous allez bien entendu lui dire qu’il est un excellent sénateur et qu’il a rédigé un excellent rapport – si vous dites le contraire, c’est qu’il y a un problème ! –, mais il serait intéressant pour nous que vous reveniez ici dans un ou deux ans pour nous présenter les réformes que, sur la base des conclusions du rapport, vous aurez proposées, notamment au ministère de l’éducation nationale, afin de préparer ces emplois d’avenir.
Je cède maintenant bien volontiers la parole au héros de ce soir, notre collègue Alain Fouché !
Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens avant tout à saluer l’excellente introduction du président Roger Karoutchi, qui, tant par sa profession que par son expérience exceptionnelle, est un spécialiste de tous ces domaines.
Nous avons engagé ces travaux sur l’initiative de Joël Bourdin, dont je veux aussi rappeler l’apport. Enfin, je salue tous les parlementaires qui ont participé aux auditions, ainsi que les fonctionnaires de la délégation sénatoriale, qui ont réalisé, à nos côtés, un travail considérable.
En choisissant de s’intéresser aux emplois de l’avenir, notre délégation avait l’ambition de faire œuvre utile en dressant une sorte de panorama des secteurs d’activité qui embaucheront, demain, les enfants actuellement en cours de formation.
Dans le contexte actuel, difficile, d’un taux de chômage très élevé, affectant tout particulièrement les jeunes, nous espérions trouver des signaux plus optimistes à l’intention des générations qui se présenteront, d’ici dix ou quinze ans, sur le marché du travail.
L’objectif était non seulement de s’attacher à dégager quelques grandes tendances pour l’emploi futur, mais aussi de savoir si le système de formation, initiale ou continue, se mettait dès maintenant en phase avec les besoins de recrutement pressentis ou déjà décelables.
La délégation m’ayant confié la responsabilité d’établir ce rapport, j’ai conduit toute une série d’auditions, de visites en collectivités territoriales et de déplacements à l’étranger, qui n’ont été ni lointains ni coûteux pour le Sénat. Ainsi me suis-je rendu à Bruxelles et, pour profiter de l’expérience allemande, qui est tout à fait intéressante, à Cologne. Durant plusieurs mois, j’ai récolté un volume impressionnant d’informations, de notes, de rapports, d’études en tous genres.
La première de mes observations, monsieur le ministre, se rapporte donc au fait que ce n’est pas d’un manque de documentation que nous souffrons. Ce serait même plutôt l’inverse : nous disposons d’une masse considérable de données provenant du nombre tout aussi considérable d’acteurs intervenant, à des titres divers, dans les secteurs de l’emploi et de la formation. En vous disant cela, je suis d’ailleurs parfaitement conscient de n’avoir pas rencontré toutes les parties prenantes.
J’ai néanmoins consulté et interrogé les acteurs du court terme, Pôle emploi en premier lieu, bien sûr, ainsi que différents services des ministères concernés, de près ou de loin, par les questions d’emploi.
J’ai aussi rencontré plusieurs instances représentatives du monde de l’entreprise ou de l’encadrement qui établissent, pour leur compte ou celui de leurs mandants, des projections d’emplois à court ou moyen terme.
J’ai également entendu les structures plus directement dédiées à la prospective de l’emploi sur longue période, telles que le Conseil d’orientation pour l’emploi, le COE, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, le Centre d’études et de recherches sur les qualifications, le CÉREQ.
J’ai par ailleurs interrogé les services de la Commission européenne et de l’OCDE, pour essayer d’établir des comparaisons internationales et mieux cerner la position de la France, que ce soit en Europe ou dans le monde.
Enfin, nous avons rencontré, sur la technopole du Futuroscope, les grandes institutions qui y sont implantées : le Centre national d’enseignement à distance, le CNED, et le Centre national de documentation pédagogique, le CNDP.
Il est ressorti de cette soixantaine d’entretiens que tous ces interlocuteurs, à l’aune de leur sphère respective de compétences, extrapolent le potentiel de tel ou tel secteur d’emploi. La démarche de notre délégation à la prospective est donc parfaitement fondée puisque d’autres se sont livrés au même type d’enquête.
Pour ce qui est du résultat des recherches des professionnels, le raisonnement est parfois étayé de manière très scientifique, sur la base de statistiques, par exemple. D’autres fois, il procède d’une manière plus empirique, en fonction des activités qui sont dans « l’air du temps ». Le plus surprenant est que, lorsque l’on croise les conclusions des uns et des autres sur les secteurs potentiellement « recruteurs », on doit constater - et je n’ai pas été le seul à m’en étonner - que les viviers d’emplois cités ne sont jamais tout à fait les mêmes !
Se dégagent toutefois deux tendances lourdes, que l’on retrouve dans toutes les analyses et dont on peut donc raisonnablement imaginer qu’elles se traduiront dans les faits.
D’une part, on relève des perspectives très élevées d’embauches dans le secteur des nouvelles technologies, le numérique et l’informatique, notamment. En France, ce sont aujourd'hui 30 000 emplois qui ne sont pas pourvus dans le secteur informatique, si ce n’est plus ! Sur ce point, permettez-moi une petite digression pour me faire l’écho ici des inquiétudes que suscitent les risques de destruction de certains emplois en raison de l’essor du numérique et de la robotique.
D’autre part, on note des débouchés certains dans tout ce qui relève de l’aide à la personne, au sens large, en raison principalement du vieillissement attendu de la population française, mais aussi du maintien à un niveau élevé – c’est une richesse pour notre pays - du taux de natalité. Or, dans tout travail de prospective, on sait bien que les données les plus fiables sont celles qui découlent des évolutions démographiques.
Mais, pour le reste, qu’il s’agisse des perspectives d’emplois industriels, des potentialités d’expansion des professions intermédiaires ou des métiers qualifiés de « verts », car liés au développement durable, les appréciations sont contrastées et parfois divergentes. Ce qui ne nous simplifie pas la tâche, ni d’ailleurs celle des parents souhaitant conseiller leurs enfants et accompagner leur future orientation professionnelle.
Ma deuxième observation, qui doit nous conduire à faire preuve d’humilité, c’est que, en dépit de toutes ces analyses détaillées, on ignore en fait largement quels seront les métiers de demain. Avec l’évolution des techniques, des technologies, du numérique, de la robotique, et j’en passe, il ressort d’un grand nombre d’études qu’entre un tiers et 70 % de ces métiers d’avenir – là encore, les chiffres divergent – sont encore inconnus aujourd’hui.
Dès lors, monsieur le ministre, le candide que je suis a évidemment envie de vous poser une question : comment peut-on se former, aujourd’hui, à des emplois de demain dont on ignore à peu près tout ? Surtout si l’on ajoute au débat une donnée que l’on oublie trop souvent : avec l’accélération des connaissances et des techniques, avec les mutations de notre société, avec le renforcement de la mondialisation, ce que l’on apprend un jour est le plus souvent déjà obsolète deux ou trois ans plus tard. Des formations sont mises en place parce que, pense-t-on, il y aura un métier à la clé, mais le métier disparaît en cours de route !
Cela m’amène à ma troisième observation, qui découle de la précédente et que l’on peut, à mon sens, scinder en deux.
D’abord, il faut s’attendre - ces tendances sont déjà à l’œuvre - à une modification profonde des conditions de travail : horaires, environnement de et dans l’entreprise, localisation des emplois, fractionnement des carrières, tout est en train de changer et nous devons absolument intégrer à notre réflexion cette dimension de mobilité. Monsieur le ministre, le Gouvernement prépare-t-il notre société à ces mutations prochaines et, si oui, comment ? Je sais que la question est difficile, et y répondre ne le sera pas moins !
Ensuite, il nous faut remettre en question la nature des savoirs à enseigner à nos enfants, dans le but de leur faire acquérir cette « employabilité » - pardonnez-moi ce concept barbare - qui leur permettra, demain, d’entrer sur le marché du travail.
Pour être plus clair, au risque d’être schématique, ne pensez-vous pas que, plutôt que de continuer à les former à des métiers très précis – ils n’existeront peut-être plus le moment venu –, il serait plus utile d’inculquer à nos enfants des compétences transversales, susceptibles d’être mobilisées indépendamment de leur futur secteur d’exercice professionnel ?
Cette notion de « compétences transversales » est, selon moi, importante et doit être développée. Je pense, par exemple, à la maîtrise des langues étrangères – les Français, on le sait, ont un retard certain en la matière -, à celle de l’informatique, à la compréhension des enjeux de développement durable ou bien encore à la capacité à s’exprimer en public, à défendre un projet, à travailler en équipe.
Et je m’interroge, mais je ne suis pas le seul, sur la capacité de notre système éducatif à effectuer cette mutation, au moment où les enquêtes du Programme international pour le suivi des acquis des élèves, dites « enquêtes PISA », ou d’autres encore mettent en lumière une dramatique dégradation du niveau scolaire des jeunes Français. De quelle manière travaillez-vous en liaison avec votre collègue de l’éducation nationale pour opérer les synergies nécessaires ?
En parlant de synergie entre l’école et l’emploi, il m’est apparu que le dispositif de formation professionnelle initiale des jeunes, comme d’ailleurs celui de formation des demandeurs d’emploi, restait trop ignorant des besoins réels des entreprises et pouvait encore orienter les uns et les autres dans des voies professionnelles sans débouchés ou non opérationnelles. C’est en tout cas un ressenti que je sais pleinement partagé : nombre des interlocuteurs que nous avons rencontrés l’ont exprimé et déploré. Est-ce aussi votre sentiment, monsieur le ministre ?
Ce qui est inquiétant par ailleurs, et j’en viens à ma quatrième observation, c’est qu’un grand nombre des difficultés que l’on m’a signalées pendant la préparation de mon rapport ne sont pas nouvelles.
Que l’on parle de l’image de marque des cursus professionnels dans l’opinion publique ou de l’apprentissage, notamment, qui reste trop souvent un choix par défaut – quel dommage ! -, que l’on évoque les faiblesses nationales dans les secteurs scientifiques ou de l’ingénierie, que l’on déplore la place réduite des femmes dans certaines carrières, la fuite des cerveaux ou les inégalités devant la formation tout au long de la vie, que l’on mentionne le potentiel de développement du télétravail, tous ces sujets, et bien d’autres, sont agités depuis longtemps sans pour autant avoir produit d’améliorations spectaculaires. Que faut-il faire pour que les choses bougent enfin, monsieur le ministre ?
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer et à l’issue de l’atelier de prospective qui a clos nos travaux, notre délégation a donc adopté quatre séries de préconisations pour mieux préparer l’emploi de l’avenir, préconisations sur lesquelles, monsieur le ministre, nous aimerions recueillir votre sentiment et, mieux encore, votre adhésion et l’indication des pistes explorées par vos soins pour corriger les trajectoires qui ne nous satisfont pas.
La première série de propositions porte sur les moyens de rendre plus lisibles les perspectives immédiates d’emploi.
Il conviendrait de demander aux nombreuses structures publiques appelées à réaliser des projections en matière d’emploi d’établir des documents moins complexes – par pitié ! –, plus maniables et d’une lecture plus accessible ; d’accroître la capacité d’accueil et l’orientation des effectifs dans les formations dédiées aux domaines déjà identifiés comme prometteurs, tels ceux de l’informatique ou de l’ingénierie ou encore ceux qui ont trait aux soins, y compris les secteurs médical et médico-social ; de renforcer les liens entre le monde du travail et les étudiants, d’une part, et avec les structures chargées de la formation et du placement des demandeurs d’emploi, d’autre part, afin de mieux tenir compte des besoins en qualification des entreprises et des perspectives réelles d’embauche.
Nous nous sommes rendus en Allemagne pour rencontrer les entreprises : les jeunes en apprentissage passent 40 % de leur temps en formation théorique et 60 % au sein des entreprises. Pendant un certain nombre d’années, ils sont payés très convenablement. Naturellement, la mentalité est différente et le dispositif compliqué à mettre en œuvre, à la fois pour les entreprises et pour l’éducation nationale.
La deuxième série de préconisations est plus ciblée et vise à favoriser la réindustrialisation de notre territoire – la tâche est difficile - à laquelle nous voulons croire et qui pourrait contribuer à améliorer la situation de l’emploi.
Il s’agirait d’anticiper les tendances à la réindustrialisation en encourageant le suivi des formations scientifiques non seulement dans les niveaux de qualification élevés, mais aussi dans les professions intermédiaires ; de continuer à promouvoir la féminisation des emplois en élargissant le spectre des secteurs d’activité susceptibles d’accueillir les femmes, sans exclure les carrières scientifiques, où leur taux de présence ne correspond pas à leur niveau de réussite scolaire – autant les femmes sont nombreuses dans la magistrature, par exemple, autant elles le sont peu dans d’autres professions. J’ajouterais volontiers aussi la nécessité d’une démarche ambitieuse en faveur de la robotique.
Dans une troisième série de préconisations, nous nous préoccupons de préparer l’employabilité des générations futures : en généralisant le recours aux nouvelles technologies pédagogiques par l’éducation nationale, et ce dès les classes primaires ; en recentrant les savoirs à transmettre sur des compétences transversales et mobilisables dans plusieurs domaines futurs d’activité, sans hésiter à s’inspirer, le cas échéant, des modèles d’éducation étrangers plus performants que j’évoquais à l’instant ; en confortant la politique en faveur de la formation professionnelle duale, mêlant savoirs académiques et expérience dans l’entreprise ; en créant des dispositifs efficaces qui permettront, par le biais des formations pratiques professionnalisantes, de réintégrer dans des cursus opérationnels les décrocheurs scolaires, beaucoup plus nombreux dans notre pays – malheureusement – que chez nos voisins.
J’en arrive à notre quatrième et dernière série de préconisations : pour tenir compte de l’évolution de nos sociétés, qui s’accommodent moins qu’autrefois des rigidités professionnelles, la délégation insiste sur l’importance de promouvoir des carrières plus évolutives et, partant, plus adaptables.
À cet égard, il faudra veiller à l’efficacité du dispositif législatif dédié à la formation tout au long de la vie – c’est très important –, ce qui exige son ouverture effective au plus grand nombre et demande un effort considérable.
En tout état de cause, l’impératif premier est d’encourager la mobilité des travailleurs, qu’elle soit professionnelle, sociale ou géographique.
Monsieur le ministre, en vous remerciant de votre présence ce soir, je vous assure que je prendrai connaissance avec autant d’attention que d’intérêt des réponses que vous nous apporterez.
Applaudissements.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai mon propos en remerciant notre rapporteur, dont le travail, très riche, a fait l’objet d’une discussion relativement consensuelle, ce dont je me réjouis.
Je tiens également à remercier notre collègue Jean Desessard, qui, bien qu’étant le référent du groupe écologiste sur ce thème et notre expert en la matière, me laisse prendre la parole ce soir.
Je vais d’ailleurs le citer pour illustrer mon propos et réagir au rapport qui vient de nous être présenté. Voici en effet ce qu’est la prospective pour Jean Desessard. « […] la prospective ne consiste pas simplement à décrire une courbe. Elle vise aussi à déterminer quelle courbe nous voulons obtenir. Si l’évolution doit être appréhendée en fonction de l’analyse du réel, elle dépend également des volontés politiques ». J’ajouterai qu’elle dépend aussi du monde que nous voulons construire pour nos enfants.
Si le contenu du rapport est intéressant, il nous semble que la transition énergétique n’y a pas la place qu’elle mérite. Je vous renvoie à d’autres travaux du Sénat, notamment ceux de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, qui a organisé une demi-journée d’auditions franco-allemandes afin de débattre du tournant énergétique allemand et de savoir ce qui était transposable ou non dans notre pays.
Cet échange extrêmement riche avec les meilleurs acteurs de la transition énergétique allemande a fait apparaître que la transition énergétique offrait une perspective pour les emplois de demain, pour une nouvelle société, si et seulement si certaines conditions étaient remplies concernant l’offre de formation, l’école, la politique menée par les entreprises et l’aide des pouvoirs publics.
À cet égard, il nous semble que la transition énergétique – et alors que nous allons bientôt débattre d’un texte s’y rapportant – ne doit pas être vécue comme une punition, une contrainte. Si nous le décidons collectivement, elle peut constituer une formidable chance pour demain et avoir des effets extrêmement positifs pour le secteur du bâtiment, ainsi qu’un certain nombre d’autres secteurs industriels.
Les points de vue divergent en ce qui concerne le chiffrage, mais tous les avis concordent pour estimer qu’entre 50 000 et 250 000 emplois peuvent être créés demain si nous mettons en place une transition énergétique digne de ce nom.
Dans le même ordre d’idées, si les activités « verdissantes » doivent être vues non comme une contrainte ou une punition, mais comme une grande chance, de même, tout ce que nous évoquons régulièrement pour traiter les problèmes de pesticides ou de pollutions, par exemple, ne doit pas être considéré comme une peine, mais bien plutôt comme une vraie chance de développer la recherche et de préparer les emplois de demain.
La clé de tout – le rapport le souligne –, c’est l’école, c’est la formation tout au long de la vie. Sans doute y a-t-il en effet des marges d’amélioration.
En France, on aime l’école ou on ne l’aime pas. Pourtant, je suis persuadée que l’on peut ne pas aimer l’école jusqu’à vingt ans et, à vingt-cinq ans, avoir envie de reprendre des études, de devenir médecin, chercheur ou ingénieur. Or, je suis désolée de le dire, mais, dans notre pays, ce n’est pas possible ! On n’a pas le droit, à vingt-cinq ans, de vouloir devenir médecin ou ingénieur. Si vous avez loupé le train de l’école et du baccalauréat, vous n’avez pas de deuxième chance !
La situation est bien différente en Allemagne, où la moitié des étudiants en ingénierie commencent leurs études après vingt-quatre ans. De même, en médecine, il existe un quota extrêmement important d’étudiants commençant leurs études après vingt-cinq ans. En France, cela reste difficilement envisageable, même si nous attendons un mieux de la réforme.
La question est fondamentale : il faut améliorer l’école – le président Karoutchi l’a dit. Mais il faut aussi complètement modifier – c’est ce quoi Jean Desessard a travaillé –l’articulation entre l’école et la formation professionnelle. Il faut tout reprendre pour mettre en place un dispositif plus dynamique, une véritable formation tout au long de la vie.
On nous renvoie toujours à l’exemple allemand. Au risque de quitter le registre du politiquement correct, je peux témoigner de ma propre expérience : ma mère est allemande et j’ai été élevée pour partie en Allemagne.
Eh bien, dans ce pays, il n’y a pas d’École nationale d’administration …
M. Roger Karoutchi, président de la délégation sénatoriale à la prospective. Allons bon !
Sourires.
… d’où sont issus des gens, certes, très intelligents, mais qui viennent gonfler une haute fonction publique relativement déconnectée du réel – je parle en connaissance de cause, plusieurs de mes amis sont issus de ces formations.
En Allemagne, il n’y a pas de classes préparatoires aux grandes écoles, sans doute parfaites, mais pour la France napoléonienne du XIXe siècle. En Allemagne, nous ne retrouvons pas cette ségrégation scolaire, même si le système connaît d’autres travers, notamment la relation entre Gymnasium et Realschule…
Par ailleurs, je suis tout aussi désolée de le dire, mais, en Allemagne, la formation continue tout au long de la vie est une réalité : 50 % des présidents directeurs généraux allemands sont issus de l’apprentissage, alors que – j’assume mes propos – une partie de notre élite française est déconnectée du réel, ce qui pose question.
Pour le dire autrement et rejoindre le propos de Jean Desessard, nous proposons, pour les emplois de demain, une logique non pas quantitative, mais qualitative. Nous proposons d’évoluer vers une autre société, celle que la transition énergétique permet. Cela induit des contraintes, mais constitue aussi une formidable chance.
Je dirai encore un mot de l’apprentissage. Qui, parmi nous, a envoyé ses enfants suivre un apprentissage de charpentier, de plombier ?… Si l’on avait les statistiques, on trouverait énormément d’enfants dans les grandes écoles et à l’université, et sans doute pas un très grand nombre en apprentissage. C’est un drame français : les métiers intellectuels et les grandes écoles sont survalorisés, alors que les métiers manuels sont – à tort – mal vus. Du coup, pour de mauvaises raisons, l’image de l’industrie est mauvaise, ce qui nous enferme dans un cercle vicieux.
Tant que les mieux dotés ne mettront leurs enfants que dans les grandes écoles, dans les établissements où il n’y a pas de mixité sociale, et que l’on aura cette vision du travail manuel, vous ne pourrez pas créer d’autres emplois pour demain ! Ni la robotique ni le numérique ne résoudront tous les problèmes ! Il faut absolument un changement d’état d’esprit très profond, un changement de paradigme, si nous voulons créer pour nos jeunes les emplois de demain.
En conclusion, je parlerai de l’employabilité. Je n’aime pas du tout ce mot, lequel transfère la responsabilité de l’adaptation de l’économie à nos jeunes eux-mêmes. On leur dit : tu es employable ou tu ne l’es pas ! Nous devons sans doute cette évolution des mentalités, en partie au traité de Lisbonne et à ses conséquences, mais cette approche n’est pas la bonne.
Nous devons former nos jeunes plus solidement et lutter contre le décrochage. Cela passe par la mise en place d’écoles de la deuxième chance et de nouvelles méthodes pédagogiques. Vous pouvez remettre à l’école deux ou trois fois des gamins qui ne l’aiment pas, si vous ne changez pas d’approche, ils n’aimeront pas plus l’école et cela ne servira à rien !
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est d’une révolution pédagogique, d’une révolution de la formation professionnelle, d’une révolution de nos ambitions que nous avons besoin !
Applaudissements.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si je suis devant vous par nécessité – mes collègues Évelyne Didier et Annie David n’ayant pu se libérer –, je le suis aussi par opportunité, ma région – le Nord - Pas-de-Calais – étant particulièrement concernée par ce sujet.
Oui, les emplois de demain nous interrogent, tant nous avons déjà perdu d’emplois hier et tant nous continuons à en perdre aujourd’hui, notamment dans l’industrie.
Le conseil régional, en lien avec la chambre régionale de commerce et de l’industrie, a fait appel à un prospectiviste en vogue, Jeremy Rifkin, pour élaborer un plan directeur censé révolutionner notre région et la tourner vers un nouveau modèle économique énergétique.
Pour résumer, l’hydrogène et les imprimantes « 3D » seraient censés transformer chaque immeuble en usine et en microcentrale. C’est donc une troisième révolution industrielle que l’on nous promet, mais en réalité sûrement aussi hypothétique que la première et la deuxième, tant les processus en cause sont lents et graduels.
Ce monde idyllique, dépolitisé, relève malheureusement plus de la fable – chèrement payée, en l’occurrence, à coups de centaines de milliers d’euros – que de la prospective.
Un tel discours est au demeurant dangereux tant il nous détourne de la nécessité d’un véritable service public de l’énergie et nous exonérerait en quelque sorte de penser nous-mêmes les impasses de notre modèle économique dominé par le gâchis écologique du court-termisme et les dégâts humains, économiques et sociaux du diktat de la rentabilité maximale des capitaux.
Pourtant, cette piste des emplois verts liés aux défis de l’énergie et du développement numérique, à peine esquissée dans le rapport, mériterait des développements. Je pense, par exemple, aux potentialités d’emplois, y compris sur la production d’hydrogène en lien avec le grand port méthanier de Dunkerque.
Je pense encore au projet porté par l’association Génération Ferdinand Beghin et celle des Géants de papier solidaires visant à fabriquer sur le site de Stora-Corbehem du papier d’emballage à base de chanvre, alternative aux sachets plastiques, dans un territoire agricole où le tonnage moyen récolté est de vingt tonnes à l’hectare, contre huit en moyenne nationale.
Mais, là encore, monsieur le ministre, ce projet coopératif, transversal, se heurte aux intérêts financiers d’un grand groupe finlandais.
Je pense aussi à l’exploitation du gaz de couche – il n’a rien à voir avec le gaz de schiste –, exploitable sans fracturation hydraulique ni stimulation chimique. Cette richesse située sous nos pieds dans l’ex-bassin minier est évaluée à douze années de consommation de notre région Nord - Pas-de-Calais et a cette qualité de pouvoir être facilement captée et utilisée en circuit court pour les besoins domestiques ou industriels.
Car oui, l’industrie n’est pas un gros mot ! Et j’ai apprécié dans le rapport, monsieur le président de la délégation, monsieur le rapporteur, la piste d’une réindustrialisation moderne fondée sur des emplois très qualifiés et liés à la robotique, après des années de délocalisation et de démembrement de notre appareil de production.
Le constat est, de ce point de vue, alarmant : 300 000 emplois industriels et induits perdus en cinq ans ! Le redressement productif n’a rien changé à cette situation : l’emploi industriel a encore reculé en 2013 et en 2014.
Mais il faut pousser plus loin la réflexion.
Plutôt que de « réindustrialisation », si l’on veut aussi anticiper les emplois de demain, il serait préférable de parler de « nouvelle industrialisation ». En effet, il ne s’agit pas de reproduire un modèle qui a pour l’essentiel disparu, ni de laisser planer l’idée que notre vision consisterait à attendre de la mise en œuvre d’approches anciennes des résultats valides.
Quelles sont donc les évolutions dont nous devons tenir compte pour anticiper et, surtout, travailler à un nouveau paradigme industriel ?
J’aimerais insister d’abord sur les relations nouvelles existant entre l’industrie et les services, incluant dans ces dernières les services publics. Au lieu de les opposer, comme on le fait trop souvent encore, il convient de rappeler que les services publics sont parmi les principaux prescripteurs de la production industrielle, que ce soit dans l’énergie, le transport, la santé et bien d’autres domaines.
Il nous faut aussi appréhender la puissance et la rapidité de la révolution numérique dans le processus de production. Il en résulte un second enjeu d’importance : la nécessité d’une maîtrise sociale de ce processus afin que le progrès technologique ne se traduise pas par une explosion du chômage, mais serve au développement des capacités humaines et au progrès social.
La réduction du temps de travail est d’ailleurs un facteur important de progrès social : enjeu clé de la période à venir, elle est au cœur du débat sur l’emploi pour demain.
On ne peut oublier que, depuis plus de vingt ans que nous mettons en œuvre des politiques de soutien aux entreprises, ce n’est que durant la période d’application des lois Aubry, réduisant le temps de travail et procédant à son réaménagement, que nous avons connu une baisse significative du nombre de personnes privées d’emploi. À tel point que les créations d’emploi étaient suffisamment nombreuses pour permettre d’envisager l’équilibre des comptes sociaux et même la création d’excédents…
Enfin, tout démontre l’urgence qu’il y a à transformer en profondeur les modèles tant de production que de consommation, de mettre fin au consumérisme et au productivisme, et donc de rompre avec l’obsolescence programmée, pour orienter la production vers des objectifs de qualité, de durabilité, de modularité, créer des filières de réparation et de maintenance, concevoir dès l’origine du produit la gestion et le recyclage des matériaux, des composants et des déchets…
On le voit, tout pousse en réalité à une montée en qualification des métiers de demain. Il me semble que ce constat ne doit pas seulement être posé pour les secteurs les plus en prise avec la révolution numérique et technologique.
Ce rapport souligne à juste titre le danger d’une société à deux vitesses et le risque de polarisation avec, d’un côté, des emplois hyper qualifiés en hausse, en lien avec les innovations les plus spectaculaires, et, de l’autre, une tendance à la baisse de la qualification des ouvriers et employés, avec même une augmentation des emplois les moins qualifiés.
Nous ne pouvons pas nous résigner à une telle évolution, pour des raisons éthiques, bien sûr, mais aussi parce que ce n’est pas l’intérêt de la société, ni d’un point de vue économique, ni d’un point de vue social.
On évoque souvent, M. le rapporteur l’a fait lui-même, le secteur de l’aide à domicile comme particulièrement porteur : je vous renvoie au rapport sénatorial que j’ai cosigné avec mon collègue Jean-Marie Vanlerenberghe. La précarisation des salariés, à 98 % des femmes, engendre une rotation des personnels et un manque d’attractivité tels qu’ils appellent un autre modèle économique.
Comment croire qu’il reviendrait au même de faire le ménage chez soi et d’effectuer une tâche ménagère chez une personne âgée dépendante qui nécessite, vous en conviendrez, de la psychologie, un savoir-faire et un savoir-être ?
C’est pourquoi je pose pour ma part le postulat d’une montée en qualification de tous les métiers avec bien sûr les bénéfices correspondants, en termes de reconnaissance sociale et de salaires pour les travailleurs concernés.
Ce rapport est utile, et je vous en remercie, mais n’oublions pas l’enseignement du grand scientifique et philosophe Henri Bergson : « L’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire ».
Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la délégation, mes chers collègues, je suis par avance désolé si je vous déçois, mais je crains qu’il n’y ait pas de réponse à la question posée : « quels emplois pour demain ? ». On peut spéculer, on peut prêcher, mais l’avenir ne répond guère…
Notre collègue Alain Fouché nous a d’ailleurs prévenus, dès l’introduction de son rapport : « Selon des sources qui varient sans que l’on sache très bien comment se font les calculs, on estime aujourd’hui qu’entre un tiers et 70 % des métiers qu’exerceront plus tard les futurs actifs n’existent pas encore ».
Cela représente donc 30 % à 70 % de métiers inconnus, autant dire que l’on ignore non seulement ce que représenteront les métiers nouveaux par rapport aux anciens dans dix ou vingt ans, mais qu’on doute de la fiabilité même des méthodes de calcul des « experts ».
Les « experts » n’en sachant visiblement pas plus que ceux qui ne le sont pas, je me suis autorisé à formuler ma propre prévision : les métiers du futur ressembleront, dans leur grande majorité, à ceux d’aujourd’hui, même si probablement ils se transformeront de l’intérieur, qu’il s’agisse des technologies mises en œuvre ou des méthodes d’organisation.
Les spéculations et souvent les rêves d’une transformation rapide, quasi magique, des sociétés, de leurs manières de produire, par la technologie, me semblent largement vaines.
Parce que l’adoption de nouvelles technologies dans un secteur d’activité doit composer avec les capacités d’adaptation des hommes et des organisations, ce qui prend beaucoup de temps.
Parce que les gains de productivité obtenus ne signifient pas nécessairement une réduction de la charge globale de travail.
Il n’est, par exemple, pas certain que l’informatisation massive des services et des administrations ait entraîné une réduction de leurs charges et donc de leurs effectifs, bien au contraire. Comme si de nouvelles tâches et obligations dont on se passait avant étaient désormais devenues nécessaires !
Avec pour résultat ce paradoxe relevé dans le rapport : la réduction du temps de travail global, l’avènement d’une société affranchie de l’obligation de travailler, déjà espérée par Aristote et annoncée par Marx, Keynes, Joffre Dumazedier, et malgré l’envolée de la productivité dans de nombreux métiers, n’ont pas été au rendez-vous.
Loin d’être mobilisée pour réduire le temps de travail au strict nécessaire, elle l’a été, nous dit l’anthropologiste américain David Graeber « pour inventer des moyens de travailler encore plus », pour créer des emplois inutiles et sans intérêt ni personnel ni social, des « jobs à la con », pour reprendre les termes de Graeber, que cite notre collègue dans le rapport, mais en tout petits caractères et en bas de page. On serait donc bien en peine de prédire la création de ces métiers, parce que l’on n’en voit vraiment pas l’utilité !
Et David Graeber de poser ce diagnostic : « D’immenses tranches de populations, en particulier européennes et américaines, consacrent la totalité de leur temps de travail à des tâches dont elles pensent secrètement qu’elles ne devraient pas être réalisées. Les dommages moraux et spirituels qui résultent de cette situation sont profonds. »
Parmi ces emplois inutiles, il en cite quelques-uns : les directeurs généraux d’entreprises, les lobbyistes, les chargés de relations publiques, les actuaires des finances et de l’assurance – dans ce cas, c’est en effet une certitude ! -, les télémarketeurs, les huissiers de justice et les conseillers juridiques, et la liste n’est pas close.
S’il est si difficile de déduire ce que seront les emplois de demain de la seule considération des potentialités technologiques, c’est qu’on oublie la dimension politique des créations d’emplois.
Alain Minc et Jacques Attali, déjà eux, annonçaient, à la fin des années soixante-dix, « 1’informatisation de la société » par la télématique, qu’ils présentaient comme un remède miracle à la crise. Souhaité par l’État, notamment la puissante Direction générale des télécommunications, le minitel fut préféré au projet Cyclades, équivalent français du projet Arpanet américain, aux origines de l’internet. Après une progression continue durant dix ans, le déclin du minitel commence pour s’achever en 2011.
Déjà difficile dans un contexte de planification incitative et de contrôle des échanges extérieurs, la prévision devient totalement impossible en situation de libre-échange mondialisé, de financiarisation non régulée et d’État réduit au rôle de fluidificateur du marché du travail, la flexibilité devenant la solution de tous les problèmes, ce dont on me permettra de douter.
En l’absence d’État et de régulation à la dimension du marché mondial, il y a fort à penser que les investissements à l’origine des emplois seront réalisés dans les domaines et les pays où ils sont censés rapporter le plus aux détenteurs de capitaux : les pays où le coût du travail et la fiscalité sont les plus faibles, les pays où la demande solvable existe, en matière de santé, notamment. Les besoins des populations ou l’innovation technologique, me semble-t-il, entreront pour peu dans leur choix.
Certes, la France doit être réindustrialisée ou industrialisée, et « réindustrialisation » devrait rimer avec « transition écologique ». Mais le développement des énergies nouvelles reste lié à la volonté et à la possibilité de compenser le différentiel de coût par rapport au gaz et au pétrole dont, vous l’avez constaté, le prix est plutôt orienté à la baisse.
J’observe aussi que la production de panneaux solaires a quasiment disparu d’Europe au profit des producteurs chinois. Déjà la baisse des aides publiques et les importations chinoises ont eu raison de plusieurs PME du secteur en Allemagne et en France. Sans une garantie d’accès aux marchés publics ou aux aides d’État pour ces PME européennes, ce qui est contraire aux saints principes du libéralisme, rien ne dit que la croissance de l’énergie solaire se fasse au profit de l’industrie européenne et française !
L’impact d’une technologie sur l’emploi ne peut être estimé indépendamment de la volonté politique qui pousse ou accompagne son développement. Cette dimension du problème me paraît fâcheusement absente de la réflexion prospective en général.
Le constat vaut également pour les métiers où la technologie intervient peu, je pense ici, par exemple, au secteur de l’aide à la personne, il a été cité, dans lesquels on voit un gisement d’emplois à portée de main. C’est peut-être aller un peu vite !
En effet, le développement de ces métiers dépend largement des incitations fiscales, des capacités de financement des familles, souvent du niveau des retraites, de l’équilibre financier des organismes sociaux et des départements, s’agissant de l’allocation personnalisée à domicile et d’un certain nombre de prestations. Certes, l’allongement de l’espérance de vie crée un besoin, mais du besoin à l’emploi, il y a l’espace de la décision politique et des moyens dont elle se dote.
Mes propos ne visent donc pas, vous comprendrez, à décourager les études prospectives en matière d’emploi, tout au contraire.
Au lieu d’insister sur les facteurs humains et politiques dont dépendent les évolutions, c’est-à-dire au lieu de prolonger simplement les courbes, même s’il faut parfois le faire, il conviendrait d’abord de décider de quelle société on veut et des moyens que l’on entend y consacrer.
M. Pierre-Yves Collombat. Je crois que beaucoup de collègues seraient d’accord avec moi. Nous ne pouvons avoir une réflexion purement prospective sans intégrer cette dimension essentielle de notre problème.
Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’expression « emplois de demain » devrait résonner comme une promesse !
Surtout auprès des plus jeunes, pour qui un emploi de demain, c’est par définition un métier auquel leurs parents ne comprennent rien !
C’était mon cas : en 1981 mon premier métier était celui de dessinateur assisté par ordinateur dans la carte électronique. Ce métier n’existait pas trois ans plus tôt, ce métier n’existait plus dix ans plus tard…
Aujourd’hui, les métiers apparaissent et disparaissent parfois si vite que le système d’éducation ne peut suivre ni anticiper.
Comme le disait Pierre Dac, la prévision est difficile, surtout lorsqu’elle concerne l’avenir.
Sourires.
Il est heureux que, dans ce lieu chargé d’histoire, nous puissions un peu nous projeter dans le futur.
Nous voici donc en pleine « séance fiction » !
Je vais articuler mon propos en trois points, pour d’abord considérer que les emplois de demain se créent aujourd’hui, ensuite identifier les futurs gisements d’emplois, enfin évoquer les emplois d’avenir en termes de volume.
Mais, avant toutes choses, je veux revenir sur ce que je vous ai dit lors d’une audition récente, monsieur le ministre.
Les jeunes de vingt ans sont nés dans une Europe aux frontières ouvertes. La mission d’un ministre de l’emploi d’aujourd’hui n’est plus de se préoccuper uniquement de ce qui se passe à l’intérieur des frontières nationales ; elle est aussi de faciliter la mobilité professionnelle internationale pour permettre aux personnes d’aller saisir la chance d’un emploi, où qu’elle se trouve.
C’est la raison pour laquelle je pense que vous devez vous intéresser, monsieur le ministre, à ce qui a été fait à l’étranger pour soutenir la mobilité professionnelle, que votre gouvernement menace pourtant aujourd’hui.
Premier point de mon intervention : les emplois de demain se fabriquent aujourd’hui.
Avec les nouvelles technologies de l’information, nous n’avons eu qu’un avant-goût de la troisième révolution industrielle. Une lame de fond pointe à l’horizon. Nous la baptisons tour à tour « cleantech », « biotech », « medtech », « nanotech », « sciences cognitives » ou encore « robotique ». Autant, évidemment, de gisements de métiers.
Pensez, mes chers collègues, que nous parvenons désormais à reprogrammer des cellules pour réparer des organes endommagés, tels que le cœur ou la rétine. Thérapie cellulaire, exosquelette ou microélectronique ; demain, les sourds entendront et les aveugles verront.
Nous sommes désormais aux portes de l’immortalité grâce au génie génétique.
Sourires.
Nos ingénieurs et nos mathématiciens sont mondialement reconnus ; notre crédit d’impôt recherche est le plus généreux du monde.
Pourtant, tout cela ne suffit pas. Si les investissements d’aujourd’hui font les emplois de demain, ces investissements doivent être de plus en plus massifs. Sinon, Carmat, notre fabricant de cœur artificiel français, sera racheté par une firme américaine, comme tant d’autres de nos pépites nationales.
Pour que les emplois de demain se créent dès aujourd’hui en France, les pouvoirs publics et le législateur doivent se pencher sur la question fondamentale des capitaux propres. Multiplier les incubateurs, ici ou là, est un bon début, mais il faut bâtir tout le continuum : un système de capital-risque doublé d’un système de capital-développement.
Pour avoir une chance de développer des emplois dans des secteurs innovants – quel secteur peut-il se passer d’innovation ? –, il faudrait dix fois plus d’investisseurs privés en France. Il nous manque ce segment peuplé de « venture capitalists ». Notez d’ailleurs, mes chers collègues – c’est très révélateur –, que nous avons traduit « venture » par « risque », et non pas par « aventure ».
Quant à l’argent, nous en avons ! La France est le troisième épargnant mondial. Notre encours d’assurance-vie avoisine 1 500 milliards d’euros ! Incitation fiscale et emplois de demain sont donc des mots qui vont très bien ensemble. Or, dans le projet de loi Macron, rien ou presque ne concerne la fiscalité. Je croyais que l’on voulait de la croissance...
Dans nos entreprises familiales, aujourd’hui, les actionnaires minoritaires soumis à l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, réclament des augmentations de dividendes pour pouvoir la payer. Autant de manque à investir dans nos entreprises. Quelle gabegie ! Quelle destruction de valeur !
Quant aux charges sociales, il y a six mois, dans Le Monde, Henri de Castries, président-directeur général d’AXA, indiquait que Londres était plus attractive que Paris pour développer de nouvelles activités et des emplois qualifiés.
Par ailleurs, à l’heure du combat géostratégique entre États continents, nous devons sortir de notre condition d’États confetti. Il nous faut penser l’avenir au niveau européen : une idée chère à l’UDI.
Des investissements ambitieux ne peuvent se concevoir qu’à l’échelle de l’Union européenne. Il faut aussi harmoniser nos législations, en achevant au plus vite, par exemple, le marché unique numérique.
Deuxième point de mon intervention : les moyens d’identifier les emplois d’avenir pour enrichir notre économie.
Dans le rapport du Sénat « Quels emplois pour demain ? », on peut lire que, selon Manpower, « les deux tiers des écoliers en classes maternelles […] occuperont des emplois qui n’existent pas encore aujourd’hui. »
Quant à lui, le cabinet McKinsey a identifié, dans un rapport de mai 2013, douze technologies porteuses de nouvelles compétences. Je citerai entre autres l’internet des objets connectés, la robotique, l’impression en trois dimensions, les matériaux avancés ou encore les énergies renouvelables.
Pour l’identification des métiers d’avenir, la puissance publique est donc face à un double défi, somme toute assez classique : l’information et la formation.
Combien de jeunes savent-ils qu’un chaudronnier d’aujourd’hui fabrique des châssis d’avion ou des réacteurs nucléaires ? Autre profession ignorée, celle du « stratifieur », qui fabrique des pièces avec des matériaux composites. Ainsi, il y a des emplois de demain qui, dès aujourd’hui, ne trouvent pas assez de candidats faute d’être identifiés, promus, valorisés.
Les métiers sont hybrides. Beaucoup de professions associent allègrement informatique, mécanique et électronique. Parmi ces métiers qui émergent, il y a celui de « data scientist ». Ce professionnel est un hybride entre un développeur, un statisticien et un analyste du comportement humain. Le cabinet McKinsey a calculé que le marché du travail américain allait absorber 1, 5 million de data scientists d’ici à 2018.
Pour répondre à ce besoin explosif, nos écoles doivent mêler trois filières : informatique, statistique et marketing. Il y a dix ans, ce métier de data scientist était inconnu, comme celui de community manager ; ils ne faisaient même pas partie des métiers de demain de l’époque, ce qui doit nous inciter, cela a été dit, à beaucoup de modestie.
Un grand nombre d’emplois de demain seront les emplois d’aujourd’hui qui auront évolué, qui seront parvenus à s’inventer un futur, malgré tout. La Poste, par exemple, invente le facteur post-moderne. Pour pallier l’effondrement de l’activité courrier, le postier rend visite chaque semaine à une personne âgée isolée, pour lui faire plaisir, mais aussi pour repérer tout signe inquiétant. Il est rémunéré cinq euros la visite par le centre communal d’action sociale.
Rappelons que 2, 5 millions de personnes de plus de quatre-vingts ans vivent seules en France. Sacré gisement !
Dans le même ordre d’idées, une partie significative des métiers de demain va fleurir dans l’économie sociale : assistance aux seniors et aux personnes dépendantes, santé, mais aussi sport, arts et culture. En mai 2014, l’AFP soulignait que « 10 % des emplois en France sont liés à l’économie sociale et solidaire » Dans les quinze prochaines années, le mouvement ira en s’amplifiant et permettra de compenser heureusement les destructions d’emplois liés aux autres secteurs.
Dans le troisième et dernier point de mon intervention, je voudrais me concentrer sur l’aspect quantitatif des emplois de demain. Y en aura-t-il pour tout le monde ? Qui va surtout en profiter ?
En septembre 2013, deux chercheurs d’Oxford, Frey et Osborne, estimaient que 47 % des emplois aux États-Unis pourraient être remplacés à terme par des ordinateurs. En décembre dernier, le cabinet Roland Berger nous a appris que les robots mettraient au tapis plus de trois millions d’emplois dans l’Hexagone d’ici à 2025.
Ainsi, la révolution numérique serait aussi fatale aux cols blancs que l’automatisation industrielle l’a été pour les cols bleus. Que resterait-il alors ? Les cols d’or, la « creativ class ». Ce dernier terme a été inventé en 2002 par Richard Florida, professeur à l’université de Columbia. Florida a établi que cette « creativ class », autrement dit des architectes, des développeurs ou des directeurs artistiques, représentait 30 % de la population des États-Unis, mais surtout 50 % des salaires et 70 % du pouvoir d’achat !
Sans valeur ajoutée créative, aucun travailleur intellectuel n’est plus à l’abri. Les ordinateurs sont toujours plus intelligents et capables de progresser par eux-mêmes. Déjà, les pilotes d’avion ou les traders apparaissent de plus en plus comme les simples auxiliaires de systèmes informatiques.
Il est donc urgent que les écoles et les universités valorisent la créativité, qui est la capacité à imaginer, à innover et, ne l’oublions pas, à résoudre des problèmes au moyen de solutions inédites.
Enfin, que va-t-il se passer pour les gens ordinaires comme vous et moi, mes chers collègues, pour ceux qui ne pourront accéder à la creativ class ? Auront-ils seulement droit demain à un emploi ?
Je le disais en introduction, avec l’avènement des ordinateurs, mon premier métier était un emploi assisté par ordinateur. Je ne serais pas surpris que la génération prochaine se voie offrir une immense quantité d’emplois pour, cette fois, assister les ordinateurs en apportant une valeur ajoutée aux données collectées.
Pour conclure, mes chers collègues, je souhaiterais partager une anecdote qui date de la semaine dernière. Lors d’une conférence, il m’a été demandé d’évoquer mon expérience et ma vision d’entrepreneur.
Il y a quelques années, j’ai décidé de créer une société avec pour vision : « no paper, no people » ; autrement dit : « aucun papier, aucun salarié ». Les collaborateurs travaillent sur plusieurs continents ; je ne les rencontre jamais. Ils n’ont pas de contrat de travail ; ils sont indépendants, et ils en vivent bien !
Gérard Pélisson, cofondateur du groupe Accor, assurément l’une des plus grandes réussites industrielles françaises, s’est amusé de ma vision d’entrepreneur. En la comparant à celle de son groupe, qui a créé plus de 200 000 emplois, il s’est interrogé à juste titre sur la capacité de mon approche à résoudre le problème du chômage.
En réalité, nos approches ne sont pas contradictoires ; elles sont complémentaires. L’avenir sera composé, d’un côté, de multinationales mastodontes, qui seront capables de rivaliser avec les États nationaux, lesquels devront se remettre en cause et s’unir pour avoir la taille critique leur permettant de garantir à leurs citoyens une libre concurrence.
D’un autre côté, il y aura un tissu de PME et de TPE fondées sur des structures extrêmement flexibles, qui s’affranchiront de tout carcan administratif pour avoir la souplesse leur permettant de répondre aux demandes d’où qu’elles viennent et, à tout moment.
Les États qui sauront offrir un environnement où il fait bon vivre et travailler verront leur volume d’emplois croître comme par magie. La population de la ville de Toronto progresse ainsi de 250 000 personnes par an !
Mes chers collègues, les emplois du futur pour certains sont les emplois d’aujourd’hui pour d’autres. Le monde a déjà changé. Mais la France, elle, est-elle prête à changer ?
Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – M. Yannick Vaugrenard applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président, mes chers collègues, l’année 2014, avec une hausse du chômage de 5, 7 %, a confirmé la tendance à l’œuvre depuis la crise financière et économique amorcée en 2007. Aucune inversion de la courbe du chômage n’a été constatée, malgré ce qui avait été initialement annoncé par le Gouvernement. En y regardant de plus près, on remarque que la catégorie d’âge la plus touchée par le chômage regroupe les plus de cinquante ans, qui sont 800 000 à connaître cette situation. Quant aux jeunes, même si le chômage des moins de vingt-cinq a connu une certaine stagnation en 2014, ils sont également très touchés.
Ces deux exemples me permettront de faire le lien entre l’évolution du chômage et la situation de l’industrie.
Selon l’INSEE, le secteur productif français a perdu 9 % de ses actifs depuis les années quatre-vingt. Dans la même période, la part de l’industrie dans le PIB est passée de 35 % à 20 % seulement. Le chiffre d’affaires dans l’industrie, quant à lui, a baissé de 0, 9 % en 2014.
Un récent rapport de la Commission européenne montre que, depuis 2007, les trois pays ayant détruit le plus d’emplois industriels sont l’Espagne, l’Italie et la France, tandis qu’un seul en créait, à hauteur de 60 000 : l’Allemagne.
En 1975, il y avait en tout 689 000 chômeurs dans notre pays. Ils sont aujourd’hui 3 496 000, dont, je l’ai dit, 800 000 âgés de plus de cinquante ans. Il convient donc d’analyser de manière très lucide ce qui s’est passé dans nos territoires, dans notre économie, pour que nous en arrivions là.
Mon propos consiste à faire le parallèle entre croissance du taux de chômage et baisse, année après année, de la production industrielle de notre pays ; entre croissance du taux de chômage et désindustrialisation de la France ; entre croissance du taux de chômage et perte de compétences dans notre pays.
Seuls 27 % des salariés de l’industrie suivent une formation. Cela doit nous interpeller, et nous inciter à nous poser des questions.
De 2005 à 2013, le nombre d’ingénieurs diplômés en France, mais partis travailler à l’étranger est passé de 13 % à plus de 15 %.
Certes, on pourrait se réjouir d’une hausse de la demande. Mais il faut mettre notre situation en perspective avec celle de l’Europe, qui est notre espace économique ; c’est à cet échelon que nous devrions normalement apporter des réponses en matière d’industrie et d’emploi. Or les besoins en postes d’ingénieurs progressent de 5, 9 % à l’étranger, contre 3, 8 % chez nous ! Il y a donc un tassement en France par rapport aux autres pays industrialisés, qui continuent de se développer.
Le tiers des ingénieurs qui quittent la France avec un tel niveau de formation le font à la demande de l’employeur. Autrement dit, les deux tiers le font de leur propre initiative…
Chaque fois qu’un jeune quitte notre territoire, c’est un appauvrissement pour notre territoire.
Chaque fois qu’un jeune perd l’envie d’entreprendre dans notre pays, c’est un appauvrissement pour notre pays.
Certes, créer une entreprise, c’est prendre le risque de l’échec, mais cela peut aussi mener au succès.
Pour gagner la bataille de l’emploi, il faut reconquérir une industrie de production.
Nous venons d’examiner le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République. Je suis heureux des positions que nous avons, ici, au Sénat, adoptées ensemble. Les mesures qui figurent dans le texte sont désormais plus conformes aux réalités du terrain. Il est absolument primordial de rapprocher l’économie des territoires, et confier clairement le rôle de chef de file en matière économique aux régions y contribue.
Nous devons créer des emplois partout en France, en nous appuyant sur les spécificités des territoires. À cet égard, la région est bien l’échelon adéquat de cette connaissance des spécificités de chaque territoire.
Nous devons assurer la vitalité de nos territoires, en leur offrant les meilleures conditions de réussite. Autrefois, en Lorraine, où je suis élu, les industries étaient au milieu des habitations et les investissements cohabitaient avec la vie locale. Aujourd'hui, pour des raisons que je ne conteste pas, le positionnement industriel est tout autre, mais ces bouleversements ne facilitent pas la compréhension et l’acceptation des choix faits sur notre territoire au nom de la production.
Il nous faut renforcer le couple formation/emploi. Il nous faut renforcer le couple formation/entreprise. Il nous faut renforcer le couple formation/production.
Le Sénat a pris la décision de rapprocher la responsabilité économique de la responsabilité de production.
L’été dernier, mon collègue Jackie Pierre et moi-même avons rencontré des chefs d’entreprise du secteur de la chaudronnerie qui avaient des postes à pourvoir et souhaitaient former des chaudronniers. Mais ils n’ont jamais pu le faire, l’autorisation de dispenser la formation dans le lycée tout proche n’ayant jamais été accordée.
M. Daniel Gremillet. Je prendrai un dernier exemple, celui des start-up, qui doivent constituer l’armature de l’industrialisation de la France ; une action énergique en leur faveur est nécessaire. Les jeunes entrepreneurs d’aujourd'hui doivent être nos capitaines d’industrie de demain. Nous devons plus que jamais faire confiance à la jeunesse de notre pays !
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à féliciter notre collègue Alain Fouché de son excellent travail.
À l’évidence, c’est un sujet qui intéresse chacune et chacun d’entre nous, tant la situation économique de notre pays est préoccupante, et ce depuis de nombreuses années.
Après avoir écouté les orateurs qui m’ont précédé à cette tribune, je pense que c’est avec la plus grande humilité que nous devons nous saisir d’une question qui, dans sa complexité, ressortit à de multiples champs, l’économie, la formation, le social, le sociétal et même, nous l’avons vu, la philosophie. Soyons donc un peu humbles.
Les nombreuses auditions et les non moins nombreux déplacements sur le terrain que notre collègue a organisés ont permis de nourrir une réflexion riche et, je le crois, aboutie. J’espère vivement que cela nous permettra d’ouvrir des pistes en vue de l’adoption de mesures réellement efficaces pour l’emploi.
Comme le souligne M. le rapporteur, il est très difficile de savoir avec certitude ce que sera l’emploi dans le futur, même un futur relativement proche. Les différentes raisons en ont été rappelées tout à l’heure.
En effet, malgré les très nombreuses statistiques disponibles et les analyses auxquelles elles donnent lieu, il n’est jamais aisé d’appréhender avec précision les métiers de demain.
C’est dû en partie, mais pas seulement, à l’évolution extrêmement rapide des nouvelles technologies, du numérique, mais aussi de la robotique. Selon le rapport, entre 30 % et 70 % de ces métiers d’avenir sont encore inconnus aujourd’hui. Ce chiffre est très important, mais il ne doit pas nous empêcher de réfléchir et de formuler des propositions. C’est ce qui a été fait. À mon sens, c’est là que le travail de notre délégation à la prospective a toute sa valeur.
Nous pouvons prendre de la hauteur et du recul, en particulier par rapport à l’évolution mensuelle des chiffres du chômage, pour nous consacrer à une véritable vision prospective et examiner ainsi divers scénarios. Je veux croire que ce travail peut contribuer à aider le Gouvernement dans l’orientation de ses politiques.
La lutte contre le chômage constitue un véritable défi pour les gouvernements successifs. La démarche que nous permet d’engager la délégation à la prospective nous offre la possibilité de nous dégager des méthodes prévisionnelles habituellement utilisées, qui supposent la reproduction du même modèle. Les résultats sont alors éminemment dépendants des hypothèses d’entrée, notamment le taux de croissance de l’économie française au cours des deux prochaines décennies.
J’en viens à présent aux préconisations de M. le rapporteur.
Il est proposé que les perspectives immédiates soient plus lisibles, notamment avec des projections en matière d’emploi moins complexes, plus maniables et d’une lecture plus accessible. Nous touchons là à deux problèmes majeurs dans notre pays : l’établissement de statistiques et l’utilisation que nous pouvons en faire.
M. le rapporteur souhaite également accroître la capacité d’accueil et l’orientation des effectifs dans les formations dédiées aux domaines déjà identifiés comme prometteurs. Certes, ces secteurs sont assez difficiles à cibler ; je l’ai évoqué précédemment. Néanmoins, les analyses convergent pour indiquer que les emplois devraient automatiquement augmenter dans les secteurs des nouvelles technologies, de l’aide à la personne et du médical et médico-social, en raison du vieillissement de la population et de l’allongement de l’espérance de vie. Ce ne sont évidemment pas les seuls secteurs. Mais le rapport montre que l’on ne peut pas tout déterminer avec une absolue certitude.
Je voudrais maintenant évoquer une action mise en place par le Gouvernement qui répond à l’une des préconisations de notre délégation à la prospective.
Actuellement, le ministère du travail estime que 350 000 offres d’emploi ne trouveraient pas preneur ; le chiffre est énorme. Nous le savons tous, c’est lié à une inadéquation entre l’offre et la demande. Je suis convaincu que notre système de formation mériterait une salutaire remise à plat, globale et ambitieuse. Cela me semble indispensable.
Je crois utile d’ouvrir une parenthèse, à ce stade. Si des offres d’emploi restent non satisfaites, ce n’est pas parce que les chômeurs ne recherchent pas activement un poste ou souhaitent profiter d’allocations. Cela va sans le dire, mais cela va encore mieux en le disant. Être au chômage et stigmatisé, c’est subir une double peine insupportable ! Mais je ferme la parenthèse.
La question se pose, et vous le soulignez fort justement, monsieur le rapporteur, de l’adéquation de notre système éducatif avec les mutations technologiques profondes que notre société doit supporter. La dernière enquête PISA constate malheureusement la dégradation depuis des années du niveau des jeunes Français en fin de scolarité, notamment s’agissant des fondamentaux éducatifs. C’est dès l’enseignement maternel et primaire que des efforts considérables doivent être entrepris ; on a commencé à le faire. Une formation générale performante permettra toujours une adaptabilité plus aisée. Cela n’exclut pas du tout des formations spécifiques ciblées. Au contraire, cela les facilitera.
Mais le point qui nous occupe, et sur lequel le Gouvernement a décidé d’agir, concerne les offres emplois non pourvues ; elles sont parfois retirées sans donner lieu à recrutement.
Cela reprend l’un des objectifs du rapport : dégager quelques grandes tendances et s’assurer que le système de formation, initiale ou continue, se mettait déjà en phase avec les futurs besoins.
Lors de la conférence sociale de juin 2013, le Gouvernement a souhaité se saisir de ce problème majeur. Il a donc mis en place le plan formations prioritaires pour l’emploi, qui consiste à offrir des formations ciblées pour permettre à des demandeurs d’emplois d’occuper ces postes. Cela concerne le commerce, les transports, les secteurs sanitaire et social, l’hôtellerie-restauration, le bâtiment et les travaux publics, mais également, évidemment, l’industrie.
Par ailleurs, le 19 janvier dernier, à l’occasion de ses vœux aux acteurs de l’entreprise et de l’emploi, le Président de la République est revenu sur les différentes mesures en cours de déploiement pour l’emploi et la formation, notamment en direction des jeunes. Il a dressé un premier bilan de cette opération. L’objectif initial était de faire entrer 30 000 demandeurs d’emploi dans ces formations spécifiques en 2013. Cet objectif a été largement atteint, et 80 000 demandeurs d’emploi ont été concernés en 2014, l’objectif étant de toucher 100 000 personnes en 2015.
Voilà un exemple de réalisation où l’on prend à bras-le-corps le problème de l’emploi et où l’on mise précisément sur l’indispensable formation spécifique.
M. le rapporteur préconise également, et à juste titre, de favoriser notre réindustrialisation. Mais nous ne vivons pas en autarcie. Rappelons que l’industrie européenne, pour ce qui la concerne, représente un potentiel impressionnant de savoir-faire : 2, 3 millions d’entreprises, employant 35 millions de salariés et produisant plus de 1 600 milliards d’euros de valeur ajoutée chaque année.
Pourtant, la crise, mais aussi la mondialisation ont fortement mis à mal cette industrie, y compris sur notre continent. À titre d’exemple, au cours des dix dernières années, près de 1 200 milliards d’euros de déficit commercial ont été cumulés au détriment de l’Europe dans les échanges de produits manufacturés avec notre partenaire chinois.
Notre industrie nationale connaît également un fort recul, une dévalorisation. Cela se manifeste par des signaux inquiétants : pertes d’emplois, stagnation de l’effort d’innovation et déséquilibres commerciaux.
Cependant, le recul de l’industrie est une dimension qui a déjà été prise en considération. Un arsenal complet d’initiatives combinant des actions d’urgence et d’autres à plus long terme est d’ores et déjà mis en place, en particulier en direction des petites et moyennes entreprises et des petites et moyennes industries.
Pour ma part, je considère que tous les espoirs peuvent être autorisés pour l’industrie européenne et française, à condition qu’il y ait une volonté politique ferme et déterminée.
Enfin, l’une des dernières préconisations de notre rapporteur concerne la mobilité des salariés, tant professionnelle, sociale que géographique. Je partage ce point de vue.
Un risque, cependant, pèse sur les futurs salariés de notre pays, avec des conséquences sur toute notre économie : la précarité. En effet, il ne faudrait pas que ces futurs emplois – nous les appelons tous de nos vœux – aggravent encore un peu plus le phénomène de précarité actuel.
Le taux de précarité, c’est-à-dire la part des contrats à durée déterminée, l’intérim et les emplois précaires, rapportée à l’emploi total, est passé de 5, 3 % en 1982 à 11, 9 % en 2011, selon l’Observatoire des inégalités. La progression est énorme. Ce sont donc aujourd’hui 3, 2 millions de salariés qui ont un statut précaire. Pour une très grande part, il s’agit de contrats à durée déterminée, qui représentent 7, 4 % de l’ensemble des emplois, dont 5 % dans le privé et 2, 4 % dans le public.
Il est à noter également que ces données sous-estiment l’ampleur du phénomène, puisqu’elles n’intègrent pas directement les emplois précaires des non-salariés. Or il existe aussi des emplois précaires parmi les non-salariés.
En conséquence, et quelle que soit la situation économique qui attend notre pays dans les prochaines années, nous devons veiller à offrir à nos concitoyens des emplois les plus stables possible.
Permettez-moi d’élargir mon propos quelques instants. Les emplois de demain, comme le sont ceux d’aujourd’hui, seront inéluctablement, eux aussi, soumis à concurrence. Or force est de constater que cette concurrence est actuellement souvent déloyale. C’est le cas, notamment, en Europe des travailleurs détachés, dont les cotisations sociales sont encore et toujours celles du pays d’origine et non celles du pays d’accueil. Nous sommes loin de l’Europe sociale dont nous pourrions rêver. Cependant, comme le souligne le Conseil économique, social et environnemental dans son rapport sur l’état de la France en 2014, c’est souvent à l’issue des périodes de crises les plus aiguës que la construction européenne a progressé.
Je m’autorise donc à espérer, mes chers collègues, qu’entre 2020 et 2030 les États membres parviendront à s’entendre sur l’harmonisation de leurs législations sociales afin de créer un grand marché intérieur de l’emploi, car cela permettrait aussi un effet positif sur l’approche des emplois de demain.
« Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou » disait Nietzsche. Je constate après les différentes interventions que nous sommes tous pris de doutes. Dans votre rapport, monsieur Fouché, il n’y a nulle certitude, mais des préconisations précises et clairement ciblées, ce dont je vous remercie.
Les dix préconisations que vous formulez en conclusion sont intéressantes et pertinentes. Monsieur le rapporteur, je souhaite que notre délégation à la prospective – nous l’avons évoqué à l’occasion d’une de nos réunions ainsi que l’a rappelé notre président – se donne la possibilité de faire un point d’étape d’ici une à deux années, afin d’apprécier la prise en considération de ces préconisations. C’est vrai pour ce rapport, mais il faut également que ce soit vrai pour l’ensemble des rapports que nous réalisons. Soyons précis, soyons également pragmatiques. C’est de cette manière que nous pourrons travailler de façon constructive dans l’intérêt de nos concitoyens, pour leur formation et leur emploi de demain.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la délégation, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je commencerai en remerciant nos collègues de la délégation sénatoriale à la prospective qui ont participé à l’élaboration et la rédaction de ce rapport d’information.
Il s’agit d’un travail d’une grande qualité auquel le rapporteur, Alain Fouché, et les membres de la délégation ont eu l’ambition de donner une portée générale tout en prenant des exemples éclairants.
Quels emplois pour demain ? Cette question proposée au débat, ce soir, est plus que jamais un sujet d’actualité. Car nous le savons, l’emploi est conditionné par la croissance. Or, quand il y a une croissance quasi nulle et que le taux de chômage bat des records – on compte près de 3, 5 millions chômeurs dans notre pays –, il est difficile de créer des emplois, et peut-être encore plus ceux de demain.
Dans ce contexte, quels sont les secteurs qui proposeront aux générations futures des débouchés professionnels tangibles ?
À la lecture du rapport d’Alain Fouché, certains chiffres ont retenu mon attention : entre un tiers et 70 % des métiers de demain sont encore inconnus aujourd’hui ; près de 35 % des employeurs expriment des difficultés de recrutement ; deux tiers des embauches se font en CDD, et, surtout, 150 000 jeunes quittent tous les ans le système scolaire sans bagage.
Dans le cadre de ce débat, j’insisterai sur trois points qui me paraissent indissociables : l’identification des emplois de demain ; la préservation des emplois existants ; l’adaptation des emplois existants.
Tout d’abord, comment identifier les emplois de demain ?
Au cours des cinquante dernières années, les évolutions technologiques, les mutations sociales et les transformations organisationnelles ont remodelé profondément la structure des métiers et modifié le contenu des emplois.
En effet, les natures et les techniques de chaque métier ont connu de profondes transformations sur le plan qualitatif et quantitatif. Ainsi, les agriculteurs sont passés en cinquante ans de plus de 30 % de la population active française à moins de 4 % désormais, tandis que le nombre de cadres supérieurs des entreprises et de l’administration a plus que doublé au cours des vingt-cinq dernières années, pour dépasser actuellement les 4 millions.
Aujourd’hui, les défis de l’accroissement de la population et de son vieillissement, les questions de la santé publique et des risques sanitaires, ainsi que la forte urbanisation, nous amènent à prévoir les filières du futur. Je prendrai quelques exemples.
Je citerai l’économie des personnes âgées, la « silver economy », avec le besoin des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, EHPAD, en personnels qualifiés, en matériels adaptés...
Je citerai encore les « smart cities », les villes intelligentes, avec les aspects aussi bien administratifs – gouvernance, transparence – qu’économiques – capacité à transformer la ville – ou encore le développement de mobilier urbain intelligent, qui offrira des services de proximité...
Je citerai aussi la santé publique, avec une explosion de la demande mondiale sur le modèle français : hôpitaux, médecins, etc.
Un autre secteur d’avenir est identifié, celui de la transition énergétique et de la croissance verte. Il me tient particulièrement à cœur en tant que membre de la commission du développement durable.
La révolution industrielle, la croissance démographique et la globalisation ont multiplié à un rythme exponentiel les besoins en énergie de la planète, jusqu’ici satisfaits par le progrès technique et des ressources naturelles abondantes. Mais l’épuisement des énergies fossiles ainsi que la progression constante de la pollution et du réchauffement climatique nous amènent à constater une rupture environnementale.
La nécessité de répondre aux défis environnementaux – nous le constatons avec le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte –, doit être un facteur majeur de transformation de nos modes de production et de consommation dans les prochaines décennies. Elle doit susciter des redistributions de l’emploi entre activités, sans pour autant bouleverser la structure des métiers.
Ainsi, dans le bâtiment, secteur particulièrement concerné par les nouvelles réglementations thermiques, l’enjeu est d’abord d’enrichir les compétences des professionnels. À l’inverse, la production d’éoliennes, pour ne prendre que cet exemple, fait appel à des techniques et à des métiers établis.
À mon sens, même si quelques tendances peuvent se dessiner, les emplois de demain seront en très grande partie ceux d’aujourd’hui : cuisinier, électricien, vendeur, médecin, chauffeur routier. Ces emplois devront s’adapter et évoluer dans le contexte de l’innovation numérique et environnementale.
Les emplois de demain sont donc aussi ceux d’aujourd’hui. Nous devons tout faire pour les préserver et les faire évoluer.
J’en arrive au deuxième point de mon intervention : comment préserver les emplois d’aujourd’hui ? En effet, nous ne pouvons pas réfléchir et débattre sur les emplois existants et sur ceux de demain sans évoquer les conditions du marché du travail qui doivent favoriser leur développement.
Je pose la question : le marché du travail aujourd'hui permet-il la préservation de l’emploi existant et la création des emplois de demain tant attendus ?
Ma réflexion portera tout d’abord sur la problématique des emplois non pourvus, puis sur celle des emplois détachés.
Près de 35 % des employeurs expriment des difficultés de recrutement. Les emplois vacants sont un phénomène important, difficilement explicable au grand public lorsque l’on constate simultanément un taux élevé de chômage. Il ressort du rapport qu’il est difficile de quantifier le nombre d’emplois non pourvus en France. En parallèle, nous savons que deux tiers des embauches se font en CDD.
Aujourd’hui, existe-t-il une adéquation entre l’offre et la demande ? Les conditions sont-elles réunies pour créer les emplois de demain, notamment en termes de formation ?
En fin d’année 2014, le prix Nobel d’économie, Jean Tirole, a fustigé la dualité du marché du travail – opposition entre CDD et CDI – et a proposé la solution du contrat de travail unique. Le Premier ministre, Manuel Valls, semblait intéressé par cette initiative. Je le cite : « Le fonctionnement du marché du travail n’est pas satisfaisant, car il ne crée pas assez d’emplois, il génère des inégalités importantes entre, d’une part, des salariés très protégés en CDI et, d’autre part, des salariés très précaires en CDD et en intérim ». Concernant le contrat de travail unique, le Premier ministre parle d’une « idée intéressante ».
Monsieur le ministre du travail, j’aimerais connaître votre position et celle du Gouvernement sur cette proposition. Ne pensez-vous pas que le contrat de travail unique permettrait la création et le développement des emplois de demain comme ceux d’aujourd'hui ?
Ma seconde réflexion porte sur les travailleurs détachés.
Comment préserver les emplois existants et créer les emplois de demain quand aujourd’hui le statut des travailleurs détachés concurrence celui des travailleurs français ?
Les cotisations sociales appliquées sont celles du pays d’origine, ce qui, concrètement, permet à un employeur d’embaucher des travailleurs à moindre coût dans des pays aux cotisations sociales bien plus élevées. En revanche, le salaire et les conditions de travail de l’employé détaché relèvent des règles du pays dans lequel il travaille.
Officiellement, le détachement de travailleurs répond « au besoin de travailleurs spécialisés en vue d’effectuer une tâche de nature complexe dans un autre État membre de l’Union européenne confronté à un manque de main-d’œuvre dans ce domaine précis », comme le rappelle le rapport parlementaire en 2013 de notre collègue Éric Bocquet.
Le ministre Michel Sapin évoquait, en 2013, le chiffre de 350 000 travailleurs détachés, mais il paraît difficile d’être précis. Comme beaucoup de collègues ici, nous observons depuis des années l’arrivée de nombreux travailleurs détachés dans le bâtiment ou dans les secteurs de la métallurgie et de la mécanique, sans pour autant qu’il y ait une carence locale constatée dans ces domaines.
Ce qui m’étonne, monsieur le ministre du travail, ce n’est pas le fait que des salariés de l’Union européenne viennent en France travailler. Bien au contraire, la libre circulation des citoyens et des travailleurs est un principe de base de l’Union. Non, mais c’est le statut de travailleurs détachés qui pose question, car il est devenu un outil redoutable de concurrence déloyale.
En octobre 2014, monsieur le ministre du travail, vous aviez promis que le contrôle des travailleurs détachés allait être renforcé. Je ne doute pas que cela se fera, mais je crains que cela ne suffise pas. Il faut aller bien au-delà et tendre vers une harmonisation européenne fiscale et sociale du marché du travail, notamment s’agissant des cotisations sociales. Cette harmonisation permettra de préserver l’emploi d’aujourd’hui, et par conséquent de préserver celui de demain, mais aussi de développer celui de demain.
J’en viens ainsi au troisième et dernier point de mon intervention : les emplois d’aujourd’hui, pour devenir des emplois de demain, devront d’abord évoluer et s’adapter. Pour cela, la formation est la clé.
Comment préparer les jeunes aux métiers de demain quand 150 000 d’entre eux quittent tous les ans le système scolaire sans bagage…
… quand, en moyenne, 19 % des élèves sortent de l’école sans savoir ni lire ni écrire parfaitement ? Ces chiffres, qui figurent dans le rapport, sont accablants. Ils nous interpellent. Nous devons réinsérer ces jeunes dans un processus de qualification. La formation est le passeport de l’insertion professionnelle. Pour cela, elle doit se faire en lien avec les entreprises et en fonction des besoins. L’interaction entre les professionnels et la communauté éducative doit aller encore plus loin.
Je rejoins également le rapporteur Alain Fouché quand il propose de préparer à l’employabilité les générations futures.
Les demandeurs d’emploi doivent être également préparés aux métiers de demain. J’encourage la simplification et la lisibilité des formations proposées, ainsi qu’un accompagnement adapté et individualisé par Pôle emploi, pour plus d’efficacité. Les moyens professionnels consacrés à la formation sont considérables, mais cloisonnés et complexes. Des passerelles doivent pouvoir se faire pour optimiser les dispositifs d’accompagnement à l’emploi.
Pour conclure, j’ajouterai que l’emploi nous concerne tous : élus, chefs d’entreprise, citoyens.
Nous le savons, l’emploi ne se décrète pas. Il faut créer les conditions favorables. Toute l’énergie du Président de la République, du Premier ministre et du Gouvernement, doit être consacrée à cette mission du retour vers le plein-emploi. Si nous renouons avec la croissance et l’emploi, nous résoudrons de nombreux problèmes sociaux qui sont latents dans notre pays.
Derrière les statistiques, les chiffres, les taux, il y a des hommes, des femmes, des enfants, des familles qui souffrent, qui sont en désespérance au quotidien. On ne peut pas laisser nos concitoyens sans espoir : ce rapport doit être suivi d’effets pour le faire naître ou renaître !
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis à mon tour de la tenue de ce débat sur les emplois de demain et de cette occasion qui nous est offerte d’évoquer ensemble les grands défis que notre société devra relever dans les années à venir.
Nous pouvons d’ores et déjà prévoir la direction de certains des grands changements qui nous attendent : adapter nos formations pour développer des compétences correspondantes ; adapter nos règles de droit pour faire de la place à ces nouvelles activités.
Notre collègue Alain Fouché note dans le rapport d’information Quels emplois pour demain ? qu’il a rendu au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, que l’on estime aujourd’hui qu’entre un tiers et 70 % des métiers qu’exerceront plus tard les futurs actifs n’existent pas encore. Nos prévisions dans ce domaine présentent donc forcément une part d’incertitude.
De manière certaine, les constats que nous pouvons faire se limitent au pourcentage restant d’emplois de demain qui existent déjà aujourd’hui. Or ce que l’on note, c’est la disparition progressive de tout un volant de métiers artisanaux, alors même que l’artisanat emploie toujours aujourd’hui environ 3 millions d’actifs.
Toujours dans le même rapport, la délégation sénatoriale à la prospective observe que de nombreuses difficultés prévisibles du marché du travail de demain ne sont en réalité pas nouvelles, mais sont connues depuis de nombreuses années déjà. Parmi elles, on compte la valorisation de l’apprentissage, l’une des seules filières de formation capable de sauver les emplois de l’artisanat en France.
C’est vrai !
Le Président de la République a pourtant affirmé à plusieurs reprises sa détermination à relancer la filière de l’apprentissage.
Le Gouvernement a annoncé en 2013 son objectif de faire progresser le nombre d’apprentis de 435 000 à 500 000 à l’horizon de 2017.
En réalité, en 2013, le nombre de contrats signés a chuté de 8 % par rapport à 2012. Il a encore diminué de 14 % au cours de l’année 2014. Ce type de formation assure cependant aux jeunes des débouchés professionnels dans 70 % des cas, et ce dans des secteurs d’activité en manque chronique de main-d’œuvre.
À la conjoncture difficile s’ajoute un manque de visibilité pour les entreprises, ce qui ne les encourage pas à conclure des contrats de ce type : réduction du budget de l’apprentissage de 20 % en 2013, diminution du crédit d’impôt lié à la présence d’apprentis, réforme de la taxe d’apprentissage et concurrence des emplois d’avenir. Toutes ces mesures ont contribué à décourager les employeurs potentiels.
En outre, les normes techniques et administratives encadrant la conclusion des contrats d’apprentissage et d’alternance sont aujourd’hui trop rigides et complexes pour les besoins des entreprises.
Un travail de fond s’impose sur ce sujet et les mesures prises par le Gouvernement n’apparaissent pas à la hauteur de l’enjeu. Si des objectifs chiffrés ont été fixés et des crédits alloués à une nouvelle aide en direction des employeurs, nous attendons l’annonce de propositions concrètes visant à inciter les jeunes et les entreprises à s’engager sur ces contrats d’apprentissage.
Enfin, je pense que nous sommes tous d’accord pour affirmer qu’il est indispensable que notre pays continue à se préparer aux grands changements qui toucheront à l’avenir un certain nombre de métiers, en particulier dans les domaines de l’environnement, de la santé, de la recherche, de l’énergie ou encore des télécommunications.
Mais il est aussi urgent de préserver tout un pan de notre économie et de notre savoir-faire qui aujourd'hui souffre beaucoup : je pense notamment à l’agriculture, à l’industrie, à l’artisanat, aux entreprises du bâtiment.
En conclusion, monsieur le ministre, nous pouvons dire que les emplois d’aujourd’hui seront encore des emplois de demain pour peu que l’on prenne la peine de mettre en place les mesures nécessaires à leur sauvegarde.
Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la délégation, mes chers collègues, je voudrais à mon tour saluer le travail approfondi qu’a réalisé notre collègue Alain Fouché au nom de la délégation sénatoriale à la prospective. Beaucoup d’auditions, de rencontres ont été organisées, notamment sur le terrain, avec les organismes qui interviennent dans le domaine de l’emploi ou les représentants des acteurs de l’économie.
Mes chers collègues, l’actualité est lourde : 189 000 chômeurs de plus en 2014, ce qui porte le total des personnes actuellement au chômage à 3, 5 millions !
La question que vous vous êtes posée il y a plus d’un an, cher Alain Fouché, n’en est que plus importante aujourd’hui : quels emplois pour demain ? Comment créer les conditions pour favoriser l’emploi ?
Puisqu’il s’agit pour nous d’adopter une démarche prospective, je centrerai mon propos sur trois leviers d’action décrits dans le rapport.
Le premier a été évoqué à l’instant par Michel Savin, je veux parler de l’apprentissage.
Bien sûr, nous connaissons le succès de ce dispositif chez nos voisins d’outre-Rhin. Chers collègues, étant élue à Strasbourg, je le connais plus particulièrement et j’en mesure toute la puissance.
Ce dispositif concerne non seulement des emplois manuels, mais aussi des jobs d’ingénieurs ou de comptables ; ainsi, ils ne sont pas marqués par une faible qualification.
Grâce à ce processus qui s’inscrit dans la durée, le jeune acquiert un savoir-faire professionnel et est accompagné humainement tout au long des événements qui peuvent survenir entre l’adolescence et la vie de jeune adulte. Voilà pour ce qui existe en Allemagne.
Et que faites-vous, monsieur le ministre ? Vous supprimez, à l’été 2012, la prime à l’embauche – l’été est la saison de recrutement des apprentis –, ce qui induit une baisse immédiate, encore confirmée, mon collègue Michel Savin a rappelé les chiffres.
Je tiens à le répéter ici solennellement, pour nous qui vivons en Alsace une situation intermédiaire, influencée par nos voisins allemands, l’apprentissage est vraiment un dispositif formidable, qui donne aux jeunes non seulement de la compétence, mais aussi de la confiance.
Cette confiance et cette compétence se transformeront, demain, en une capacité à créer, à innover, à s’adapter aux nouvelles conditions du marché et du métier.
Absolument !
Le deuxième levier permettant de favoriser la création de nouveaux emplois et, plus généralement, de l’emploi, ce sont les entreprises. Celles-ci ont besoin de confiance, de stabilité, de mesures claires.
Monsieur le ministre, on le sait bien, les charges sur les salaires sont trop fortes en France. Mais, au lieu de les baisser, vous avez créé une bête super-compliquée, le CICE.
Qu’on en juge : le remboursement de charges, à condition de faire la comptabilité des charges payées sur l’année précédente, est versé à la plupart des entreprises l’année suivante, ou déduit de leur impôt sur les sociétés, mais, pour les très grandes entreprises, trois ans après.
Il n’y a donc pas de lisibilité, pas d’effet d’incitation fort, mais plutôt un effet d’aubaine et, au passage, la création d’un passif pour l’État – l’évaluation précise ne nous en est pas donnée par le ministre du budget – de plusieurs milliards d’euros.
Je prends un deuxième exemple : le compte personnel de formation. Le CPF est une excellente idée pour tenir compte du fait que les carrières sont désormais fractionnées et pour accompagner le salarié tout au long de sa vie professionnelle. Mais nous avions déjà son petit frère, le droit individuel à la formation, le DIF. Pourquoi changer le nom, pourquoi changer l’administration du dispositif ? Des adaptations, certes moins attrayantes en termes de communication qu’un nouveau nom, auraient permis aux entreprises de mieux prendre en compte une innovation à la marge, en évitant les nouvelles charges administratives et technocratiques liées à la complexité de tout nouveau dispositif.
Monsieur le ministre, chers collègues, la baisse du chômage à laquelle nous aspirons tous ne peut être que le résultat de milliers de décisions microéconomiques de chefs d’entreprise entreprenants et audacieux, d’équipes de salariés motivés, mobilisés dans leur savoir-faire. Ce n’est pas le projet de loi « Macron », peu lisible et insuffisamment audacieux, qui posera le cadre macroéconomique de nature à privilégier au contraire simplicité et confiance. Il ne nous donnera pas le contrat de travail unique que notre collègue Didier Mandelli a évoqué, cette simplification du droit du travail tant attendue. Il ne nous offrira pas davantage la clarification et la stabilité de l’environnement économique que réclament les entreprises.
Monsieur le ministre, tout l’enjeu est de replacer l’entreprise au centre de notre société. C’est l’entreprise qui peut instaurer cette dynamique créatrice de richesse et d’emplois. Je vous propose donc, comme deuxième levier, la connaissance et le respect de l’entreprise dans l’ensemble de la société.
Permettez-moi d’évoquer, brièvement, monsieur le ministre, un troisième levier d’action : l’humain.
Ne sommes-nous pas arrivés au bout des politiques du chômage administré qui classent nos concitoyens en catégories ? Aux aspirations à retrouver un emploi, donc une utilité sociale, donc un rôle, sans parler des contacts humains au sein d’une collectivité de travail, on répond par des critères d’âges, de compétences formelles, de durée de périodes de chômage…
Ce faisant, on crée, monsieur le ministre, de la désespérance chez tous ceux qui sont dans la catégorie « chômeurs de longue durée », ou dans la catégorie des personnes cheminant de CDD en CDD avec des périodes d’interruption, ou encore dans la catégorie des jeunes avec peu de qualification ou dont l’adresse, ou le nom, sont liés à un quartier fragile.
« Il faut changer le logiciel de la lutte contre le chômage », comme l’a titré ce matin un grand quotidien, retrouver dans chaque chômeur une personne qui a des aspirations, un potentiel, des ressources, et que l’entreprise, ou peut-être l’acteur public, qui l’emploie et la dynamique collective du travail en équipe permettront de valoriser.
En conclusion, monsieur le ministre, je poserai deux questions précises qui résumeront mon intervention : quelles actions concrètes entendez-vous mener pour développer l’apprentissage ? Quels signaux clairs et forts adresserez-vous à ceux qui sont les créateurs des nouveaux emplois, les entreprises ?
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier l’éminent président Karoutchi des propos qu’il a tenus en ouvrant ce débat et du ton qu’il a employé, qui sied parfaitement à votre Haute Assemblée ainsi qu’aux travaux de la délégation sénatoriale à la prospective.
Je voudrais également saluer le travail mené par M. Fouché. Après de nombreuses auditions, votre collègue a commis un excellent rapport qui restera sûrement dans les annales du Sénat puisque nous allons nous y reporter pour voir comment les choses peuvent évoluer à partir de ses conclusions.
Vous avez procédé, monsieur le rapporteur, à de nombreuses auditions. Encore est-il heureux que vous n’ayez pas interrogé l’ensemble de nos concitoyens, car c’est un peu comme au Brésil avec le football, où il y a autant de sélectionneurs que de Brésiliens : en France, les personnes qui connaissent les solutions pour résoudre le problème du chômage sont aussi nombreuses que celles qui sont interrogées ! §Vous avez donc bien fait de vous arrêter à un moment et de poser vous-même certaines questions. Elles recoupent souvent les miennes sans que je puisse y apporter plus de réponses que vous tous, mesdames, messieurs les sénateurs.
Certaines interventions étaient très précises, d’autres moins ciblées, voire un peu décevantes, madame Keller.
… car elle m’a semblé hors sujet, mais j’y reviendrai.
Non, car nous essayons ensemble de nous projeter pour envisager toutes les évolutions, les outils et les métiers du futur, les emplois d’avenir.
Nous ne sommes pas là aujourd'hui pour parler de la situation concrète du chômage, dont je suis d'ailleurs prêt à venir débattre si vous m’y conviez.
Je remercie toutes celles et tous ceux qui sont intervenus pour verser au débat des éléments moins présents dans ce rapport, notamment sur la transition énergétique, dont tout le monde parle, même si l’on ne voit pas bien encore comment elle peut progresser. Nous en attendons néanmoins 15 000 emplois d’avenir. Certains ont évoqué les mobilités, à développer.
Parmi les bonnes choses qui sont communes aux uns et aux autres, je pense au crédit d’impôt recherche grâce auquel notre pays est aujourd'hui l’un de ceux qui attirent le plus de chercheurs.
Beaucoup d’entreprises s’installent aussi chez nous grâce au crédit d’impôt recherche, toutes les études le montrent.
Je pense également, monsieur Mandelli, à la lutte nécessaire contre la concurrence déloyale des travailleurs détachés non déclarés, qui sont de plus en plus nombreux et qui menacent des professions entières.
Je reviendrai sur d’autres questions plus précises, notamment sur l’apprentissage, pour éviter de propager les bêtises que l’on peut entendre.
Le rapport Quels emplois pour demain ?, qui a été établi par la délégation sénatoriale à la prospective, soulève une question essentielle pour la France, pays de paradoxes.
En effet, alors que notre pays continue aujourd'hui à être traversé par cette crise économique et sociale sans précédent qui touche l’Europe tout entière, il est tout autant caractérisé par l’une des démographies les plus dynamiques d’Europe et est doté de capacités d’innovation technologique et scientifique qui comptent – n’en déplaise à M. Cadic – parmi les plus impressionnantes du monde.
À l’évidence, il nous faut, pour le moment, nous mobiliser pour répondre à l’urgence du chômage, priorité absolue des Français, personne ne le nie. Pour certains, d'ailleurs, le basculement dans le chômage, puis le chômage de longue durée, ne se rattrapera jamais, quelles que soient les occasions futures.
Le combat contre le chômage mobilise donc l’essentiel des énergies : l’effort en matière d’emplois aidés – ils existaient avant et perdureront –, de formation des demandeurs d’emploi, de moyens mis dans leur accompagnement a été maximal en 2014 et sera maintenu en 2015, avec notamment la mise en place d’un compte personnel de formation, qui n’a rien à voir avec le DIF – je pourrais en parler pendant des heures, ce que je ferai peut-être pour expliquer la différence à Mme Keller ! –, l’extension de la Garantie jeunes, l’accroissement des accompagnements renforcés de Pôle emploi.
Néanmoins, nous devons aussi, et dès à présent, nous tourner vers l’avenir pour saisir les chances qu’il semble nous offrir. Je pense notamment à l’essor des métiers du numérique ou de l’environnement, au renouvellement des métiers et à l’accroissement du nombre des postes dans les services d’aide à la personne, évoqués dans le rapport sur les métiers de 2022 publié conjointement par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, et France Stratégie.
Nous devons également prévenir les risques qui se profilent : une dualisation toujours plus profonde du marché du travail, les effets de la mécanisation et de l’automatisation sur les emplois, même les plus qualifiés, l’impact d’une concurrence qui s’étendra à des produits et services toujours plus sophistiqués, avec l’émergence de grands pays à l’économie de plus en plus innovante et diversifiée.
J’ai dit au président de la délégation à la prospective que j’aurais plaisir à revenir devant vous pour évoquer ces questions, à l’avenir, si je suis toujours là ! §En la matière, la prospective doit nous aider à nous repérer ; l’orientation et la formation, à nous préparer.
Au fond, j’ai la conviction qu’il serait vain d’opposer, d’un côté, un présent tout entier concentré sur la lutte contre le chômage, l’accompagnement des demandeurs d’emploi et la satisfaction des offres pour les métiers dits en tension, et, de l’autre, une prospective arc-boutée sur le long terme, qui ne raccrocherait qu’à grand-peine des perspectives lointaines à des décisions opérationnelles à prendre aujourd’hui. Le traitement du présent et la préparation de l’avenir, en matière d’emploi, sont intimement liés.
L’action sur le marché du travail d’aujourd’hui n’est pertinente que si elle repose sur une connaissance intime des besoins et des grandes tendances qui dessinent le marché du travail de demain.
Notre capacité à anticiper les besoins en compétences de moyen terme repose largement sur la mise en place, dès aujourd’hui, de dispositifs d’orientation et de formation professionnelle qui soient réactifs, adaptables et orientés vers l’utilité pour l’économie.
Pour mieux faire jouer cette complémentarité entre prospective et formation, entre action sur le présent et anticipation de l’avenir, qui est bien au cœur de la philosophie du rapport de la délégation, deux orientations me semblent essentielles ; elles président à la politique que nous menons.
La première orientation, c’est de renforcer notre capacité à identifier les besoins des entreprises, aujourd’hui et demain.
Je partirai d’un postulat de bon sens : c’est d’abord en comprenant mieux le présent que l’on peut parvenir à lire l’avenir. L’essentiel des grandes transformations qui structureront les besoins futurs des entreprises en matière de compétences, de métiers, de profils sont déjà visibles aujourd’hui pour qui sait bien observer la vie.
La prospective en matière de métiers et de qualifications est un art difficile, qui n’a de sens que s’il est orienté vers la décision. Comme le montre le rapport de la délégation, une multiplicité d’acteurs et de dispositifs ont coexisté jusqu’à présent. Nous devons maintenant avoir des acteurs qui puissent intervenir aux niveaux national et territorial sans trop de redondance.
Parmi les changements à l’œuvre, cinq mutations structurelles profondes doivent retenir notre attention.
Premièrement, la nouvelle géographie mondiale des activités met fin à une division du travail qui réservait aux pays développés les productions à haute valeur ajoutée, et aux autres la concurrence par les prix et les coûts.
Deuxièmement, notre démographie est caractérisée à la fois par le dynamisme et le vieillissement, ce qui ne manquera pas de remettre en question les équilibres entre l’offre et la demande de travail. À cet égard, il faut être prudent quand on compare la situation de notre pays avec celle de l’Allemagne.
Troisièmement, on assiste à une évolution profonde de notre modèle familial : normalisation du travail des femmes – ce qui n’est pas le cas partout, notamment en Allemagne –, développement de familles recomposées ou monoparentales, entrée plus tardive des jeunes sur le marché du travail. Ces changements créent de nouveaux besoins en matière de services à la personne, de logement ou d’enseignement.
Quatrièmement, l’exigence de la transition écologique fait évoluer profondément les demandes des consommateurs et les compétences recherchées par les entreprises.
Cinquièmement, la révolution numérique et robotique a, elle aussi, des conséquences sur les compétences et, bien au-delà, sur toute la chaîne de valeur et la formation de celle-ci. Nous ne savons d’ailleurs pas si les emplois créés sont en nombre suffisant pour remplacer ceux qui sont détruits.
Bien sûr, il est nécessaire de se projeter plus finement dans l’avenir lorsque nous souhaitons créer les conditions de développement de certaines filières clés, comme celles du nucléaire ou du numérique, ou assurer la réussite de certains grands projets. Pour ce faire, nous disposons d’un outillage, notamment la GPEC. Toutefois, s’attaquer à la question de l’emploi dans les territoires requiert moins une capacité de projection sophistiquée qu’une capacité à aider les entreprises ayant un potentiel d’activité à le transformer concrètement en emplois, point qui n’a pas été suffisamment évoqué. C'est une véritable difficulté.
Dans le domaine des politiques de l’emploi, caractérisé par un foisonnement d’acteurs, nous avons probablement trop de futurologues, et pas assez d’accoucheurs ! Ma conviction est que les services de l’État doivent se recentrer sur l’aspect pratique, concret, sur le présent porteur d’avenir.
Comment aider tout de suite une entreprise à recruter ? Comment espérer anticiper des créations d’emplois dans dix ans dans des entreprises qui, aujourd’hui, ne savent pas recruter ? Ce sont des questions simples, auxquelles les élus locaux sont confrontés.
Pour les entreprises ne disposant pas d’une fonction « ressources humaines » structurée, il nous revient d’aider les employeurs à répondre à ces questions très basiques : dois-je recruter ? Puis-je recruter ? Comment recruter ? Comment intégrer de manière pérenne le nouveau salarié ? Plus l’entreprise est petite, plus ces questions se posent avec acuité. Les services de l’État doivent se positionner en ensembliers de l’offre de services ici décrite, qui relève souvent de la compétence de plusieurs acteurs, tels que les chambres consulaires ou les opérateurs du service public de l’État.
La compréhension des évolutions profondes de l’emploi se joue dès à présent : les métiers évoluent dans leurs contours et leur contenu à une vitesse vertigineuse. Nous devons collectivement apprendre à suivre ces changements dans notre pratique quotidienne.
Le service public de l’emploi, qui doit rester un service public, doit être au contact réel de l’entreprise, ici et maintenant, car c’est là que s’acquiert la connaissance, ou l’intuition, des besoins. Il en va ainsi pour Pôle emploi, avec la mise en place de conseillers dédiés à la relation avec les entreprises ; les services déconcentrés de l’État doivent aussi s’engager dans cette voie, en rééquilibrant leurs relations, aujourd’hui largement tournées vers les partenaires institutionnels, au bénéfice des employeurs.
La connaissance des métiers passe également par la capacité à les décrire, à les définir et à les redéfinir sans cesse, pour tenir compte des évolutions. Par exemple, le ROME, le répertoire opérationnel des métiers géré par Pôle emploi, qui est aujourd’hui le seul référentiel « officiel » des métiers, doit être mieux actualisé, devenir un outil collaboratif et être pensé à partir des compétences, et non plus seulement des métiers. À notre demande, des travaux sont menés en ce sens par Pôle emploi.
Enfin, les diplômes et certifications professionnels doivent évoluer avec les besoins des acteurs de l’économie. Nous travaillons actuellement, notamment dans le cadre du plan de développement de l’apprentissage arrêté par le Président de la République le 19 septembre dernier, à améliorer les processus de création et de validation, afin que les partenaires sociaux et les experts soient plus et mieux sollicités.
Cette question de la compréhension des évolutions profondes se pose aussi pour les pratiques de recrutement et de recherche d’emploi, avec un rôle de plus en plus prégnant des réseaux sociaux et des outils en ligne d’évaluation ou de valorisation des profils.
Il revient aussi au service public de l’emploi de faire savoir comment les besoins évoluent et d’organiser le partage équitable de la connaissance, grâce à la pratique de l’open data sur les données du marché du travail, les besoins de recrutement, l’état de la main-d’œuvre disponible. Cela doit et va se traduire par la mise en place de plateformes collaboratives pour susciter la création d’outils d’analyse et d’aide à la décision. C’est tout l’objet de l’« emploi store », par lequel Pôle emploi met à disposition une partie de ses données pour inciter des développeurs à créer des applications utilisant celles-ci, afin de mettre en place de nouveaux services pour les employeurs et les demandeurs d’emploi.
La deuxième orientation de la réforme actuelle de la formation professionnelle tend, pour le dire simplement, à rendre le système d’orientation et de formation plus utile et plus accessible à tous.
S’il est difficile, au-delà de quelques certitudes, de faire de la prospective en matière de métiers, il est évident que plus notre appareil de formation est capable de s’adapter aux enjeux actuels et futurs de l’entreprise, plus nous serons certains d’assurer à notre économie et à notre société de pouvoir disposer des profils dont elles auront besoin. Plus notre système d’orientation sera capable de donner les bonnes informations aux bonnes personnes au bon moment, moins nous constaterons d’inadéquations entre les besoins des entreprises et l’offre de main-d’œuvre. À ce propos, on entend souvent dire qu’on ne trouve pas de chaudronniers, ce qui est malheureusement vrai dans certains bassins d’emploi : peut-être des salaires plus élevés rendraient-ils ce métier plus attractif…
La réforme actuelle et son prolongement à venir ont pour objet d’améliorer au maximum la pertinence de l’offre de formation et du système d’orientation professionnelle.
Monsieur Fouché, votre rapport pointe des défauts qui ont été corrigés – ou sont en passe de l’être – par la réforme de la formation professionnelle du 5 mars 2014 : passage, accompagné d’une baisse des cotisations pour les entreprises, d’une obligation de dépenser à une obligation de former, afin de faire de la formation professionnelle un véritable investissement de l’entreprise ; valorisation des formations certifiantes et des thèmes jugés prioritaires par les acteurs de l’entreprise au travers des listes d’éligibilité du compte personnel de formation, le CPF, pour concentrer l’effort sur ce qui est utile au regard des besoins de l’économie ; ouverture du bénéfice de la formation à tous, ce qui n’était pas le cas avec le DIF. Le compte personnel de formation constitue la première grande avancée depuis Jacques Delors, en 1971.
M. Jean Desessard approuve.
Enfin, la définition de critères partagés permettant de mesurer la qualité des formations, notamment en termes d’adéquation aux besoins de l’entreprise, permettra d’installer un système de certification des organismes de formation et de pilotage de la performance des diverses formations disponibles.
J’ajoute que le compte personnel de formation est un succès : 200 000 comptes ont été ouverts en France entre le 5 et le 25 janvier.
Ils se compteront à terme en millions. Cela permettra aux salariés de gérer eux-mêmes leur formation, sans avoir à obtenir l’accord de leur entreprise.
La mise en place du service public de l’orientation et du conseil en évolution professionnelle est très importante. En effet, une offre de formation de qualité suppose une information, des conseils et un accompagnement qui soient eux-mêmes de qualité.
La place et le rôle des régions ont fait l’objet de débats nourris. Plutôt que de chercher à exercer de nouvelles compétences, elles doivent relever un défi : celui de mettre en place les services publics régionaux de l’orientation et du conseil en évolution professionnelle, qui relèvent des régions.
Il incombe aux opérateurs tels que Pôle emploi, le FONGECIF et les missions locales de faire évoluer leur organisation pour les mettre en œuvre.
L’État a un rôle d’impulsion à jouer pour doter le pays de compétences structurantes.
La relance de l’économie est largement affaire d’investissement, notamment d’’investissement social, au travers de la formation. Nos programmes nationaux, comme d'ailleurs les programmes européens, doivent prendre pleinement la mesure de cette réalité.
Or, aujourd'hui, notre effort de financement public de la formation est essentiellement orienté vers la réponse à des besoins ponctuels, plus rarement vers la satisfaction des besoins de long terme : c’est pourquoi nous avons confié, en la matière, un rôle de chef de file aux régions, rôle qu’elles remplissent déjà pour le développement économique et les infrastructures.
L’État doit jouer un rôle d’impulsion sur certains thèmes structurants en matière de formation. J’ai la conviction, que je crois partagée dans cette enceinte, que nous pouvons agir pour doter la France de nouvelles générations de salariés, de créateurs d’entreprise, de décideurs sachant programmer et coder.
La demande économique est énorme et l’occasion d’insérer dans l’emploi des jeunes en situation de décrochage est évidente. Les États-Unis l’ont bien compris, qui proposent déjà des formations à des jeunes venant des départements limitrophes de Paris. Heureusement, quelques-uns de nos chefs d’entreprise l’ont eux aussi compris et créent des écoles dispensant de telles formations.
Enfin, l’État doit contribuer, avec ses partenaires, à mettre en valeur des filières porteuses, dont certaines n’ont pas toujours l’image qu’elles méritent.
Le plan de développement de l’apprentissage, dont nous pilotons actuellement la mise en œuvre, comporte toute une série d’actions, notamment une campagne de sensibilisation, mais aussi un décret relatif aux machines dangereuses, qui sera publié très prochainement, ayant pour objet de lever les freins à l’apprentissage et de valoriser cette filière d’acquisition des compétences.
Les problèmes ne sont pas seulement financiers, même si, je l’ai reconnu, les décisions prises en 2012 et en 2013 n’étaient pas bonnes.
Cela étant, si le nombre d’apprentis a bien baissé de 13 % en 2013, on a constaté en 2014, à la suite de la campagne de sensibilisation que nous avons menée, une légère reprise. Certes, elle n’était pas suffisante pour effacer la baisse de 2013, mais il est faux de parler, comme certains l’ont fait tout à l’heure, d’un recul de 14 % des effectifs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est tous ensemble que nous devons battre en brèche l’idée que l’apprentissage serait une mauvaise filière : c’est au contraire une filière d’excellence ! Aujourd'hui, l’apprentissage et l’alternance explosent, y compris bien au-delà du bac… §
Je n’oublie pas, pour autant, la nécessité de développer l’apprentissage pour les titulaires d’un diplôme de niveau V : concrètement, c’est d’eux que les entreprises ont aujourd'hui le plus besoin !
À cet égard, j’observe que tous les chefs d’entreprise que je rencontre chantent les louanges de l’apprentissage : en ce cas, qu’ils recrutent des jeunes en alternance !
Mais non, ce n’est pas une question de coût ! Les grandes entreprises ayant des usines à la fois en Allemagne en France emploient deux ou trois fois plus d’apprentis outre-Rhin, parce que le système de formation y est différent du nôtre. Il faut se sortir de la tête l’idée que l’apprentissage ne serait pas une filière d’excellence !
C’est celle qui permettra, demain, la transmission d’entreprise, notamment dans le secteur de l’artisanat.
Je signale par ailleurs que nous mettons en place une bourse nationale de l’apprentissage sur le site de Pôle emploi, pour donner à tous les jeunes, de manière transparente, l’information dont ils ont besoin.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à convaincre les chefs d’entreprise de vos territoires de prendre plus souvent des jeunes en alternance.
Certains, aujourd'hui, touchent des primes deux fois supérieures à celles qu’ils percevaient auparavant. On le voit, le problème n’est pas financier !
Lutter contre les a priori sur l’apprentissage, c’est aussi faire reculer ceux dont souffrent certains métiers.
Ceux qui occupent des emplois pénibles méritent un salaire en adéquation avec le travail fourni. Le fait de privilégier les métiers dits « intellectuels » par rapport aux métiers manuels est un autre trait spécifique de notre société.
C’est tous ensemble que nous devons avancer sur ces sujets.
En conclusion, nous sommes à la croisée des chemins.
Les risques ont bien été identifiés dans le rapport. Le marché du travail est polarisé, avec, d’un côté, des activités de très haut niveau qui peinent à trouver des professionnels qualifiés, et, de l’autre, des salariés faiblement qualifiés qui, eux, ne trouvent pas d’emploi.
La robotisation menace des emplois, mais elle apporte aussi des progrès en termes de compétitivité et contribue au développement de nouvelles filières ou à la relocalisation de certaines activités.
Ma conviction est que la France a tous les atouts en main : de grands groupes capables de jouer le rôle de leaders, un tissu de PME numériques dynamiques – dont il faut, il est vrai, éviter le départ aux États-Unis –, des infrastructures de très haut niveau, un appareil de recherche puissant, une administration compétente et capable d’appréhender les grands enjeux de demain et bientôt, je l’espère, un appareil de formation rénové et performant, grâce aux décisions que nous avons prises.
Mais, là encore et plus que jamais, l’innovation technique et organisationnelle ne suffira pas pour relever le défi. Elle devra se doubler de la capacité à faire évoluer les individus dans leurs compétences, dans leur manière de travailler, dans leur rapport au travail. Finalement, elle remet en question tout autant les politiques de l’emploi, de l’orientation et de la formation que celles de l’économie et de l’industrie.
Mettre le social au contact de l’entreprise, le doter d’un appareil d’orientation et de formation performant et réactif constitue un défi majeur que les réformes en cours et à venir permettront de relever, pour le bien de notre pays. §
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quels emplois pour demain ? ».
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 29 janvier 2015 :
De neuf heures à treize heures :
1. Suite de la proposition de loi constitutionnelle visant à rétablir à sept ans la durée du mandat du Président de la République et à le rendre non renouvelable (n° 779, 2013-2014) ;
Rapport de M. Hugues Portelli fait au nom de la commission des lois (n° 92, 2014-2015) ;
Résultat des travaux de la commission (n° 93, 2014-2015).
2. Débat sur le thème : « La France dispose-t-elle encore du meilleur système de santé au monde ? ».
À quinze heures :
3. Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures quinze :
4. Proposition de loi organique portant diverses dispositions relatives à la collectivité de Saint-Barthélemy (n° 473, 2013-2014) ;
Rapport de M. Mathieu Darnaud, fait au nom de la commission des lois (n° 233, 2014-2015) ;
Texte de la commission (n° 234, 2014-2015).
Le soir :
5. Projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-806 du 17 juillet 2014 modifiant le chapitre unique du titre VIII du livre VII de la troisième partie du code de l’éducation relatif aux dispositions applicables à l’université des Antilles et de la Guyane pour y adapter le titre V de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche et les ordonnances n° 2008-1304 du 11 décembre 2008 et n° 2014-807 du 17 juillet 2014 modifiant la partie législative du code de l’éducation (procédure accélérée) (n° 148, 2014-2015) ;
Rapport de M. Jacques Grosperrin, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 225, 2014-2015) ;
Texte de la commission (n° 226, 2014-2015).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures cinquante-cinq.