Intervention de François Pillet

Réunion du 28 janvier 2015 à 14h30
Protection de l'enfant — Article 12, amendement 33

Photo de François PilletFrançois Pillet, rapporteur pour avis :

L’émotion qui nous saisit tous lorsque nous évoquons ces sujets n’est pas bonne conseillère et peut nous conduire, en toute bonne foi, à rédiger un texte dont les dispositions auront des effets totalement inverses de ceux qui sont recherchés.

Je veux attirer votre attention, mes chers collègues, sur ce que nous risquons de faire.

Les amendements identiques n° 3 et 32 rectifié ter visent à revenir sur la suppression de l’article 12, pourtant votée par la commission des affaires sociales et adoptée à l’unanimité par la commission des lois.

Sans récapituler l’ensemble du débat qui a précédé la suppression de cet article, je vous indique que ces amendements tendent à limiter les possibilités de demander la révocation d’une adoption simple pendant la minorité de l’enfant adopté. Seul le ministère public serait donc désormais compétent, alors que, actuellement, cette révocation peut être demandée par la famille de l’adopté ou par l’adoptant lui-même si l’enfant a plus de quinze ans.

Comme l’a souligné Alain Milon, une telle disposition était également prévue dans la proposition de loi de Michèle Tabarot de 2011, mais, pour les mêmes motifs que ceux qui ont guidé la commission des affaires sociales, elle avait été supprimée en séance publique par l’Assemblée nationale. Ce texte n’a jamais été inscrit, ensuite, à l’ordre du jour du Sénat.

Quelles sont les raisons qui ont conduit la commission des lois – encore une fois, unanimement ! – à proposer la suppression de l’article 12 ?

Tout d’abord, sur la forme, nous parlons de l’adoption, soit une construction juridique, un ensemble de règles comportant deux grands axes : l’adoption simple et l’adoption plénière. Et puisqu’il s’agit d’une construction, d’une architecture, nous ne pouvons pas, à mon sens, modifier quelque pierre de cet édifice à l’occasion de l’examen de la présente proposition de loi sans risquer de nuire à la cohérence de l’ensemble.

Ensuite, sur le fond, la possibilité pour la famille, en particulier pour les père et mère de sang, de demander la révocation de l’adoption simple est cruciale dans le cadre de ce régime, lequel repose justement sur le maintien du lien avec la famille d’origine.

Dans la plupart des cas, l’adoption simple concerne l’enfant du conjoint. Il est donc souhaitable que la famille puisse demander la révocation de l’adoption si, par exemple, l’adoptant se désintéresse totalement de l’adopté à la suite de sa séparation avec le parent biologique de l’enfant.

Pour ce qui concerne la possibilité pour l’adoptant de demander la révocation de l’adoption, il n’est pas certain qu’il soit dans l’intérêt de l’enfant d’imposer le maintien du lien adoptif avec une personne qui souhaite profondément le rompre et qui, de ce fait, ne présente plus aucun intérêt, en termes affectifs, pour l’enfant.

Enfin, rappelons que la révocation ne peut pas être prononcée à la légère. Le droit actuel impose des motifs graves, qui sont contrôlés par le juge.

Du fait de mes anciennes fonctions, j’ai toujours considéré avec beaucoup d’intérêt et de respect les décisions des magistrats. En l’occurrence, mes chers collègues, c’est bien un juge qui vérifiera si la demande de révocation est fondée sur des motifs réels et graves.

Pour répondre aux propos tenus tout à l’heure, si un cousin lointain décide de demander la révocation de l’adoption, je vous garantis que le juge ne la prononcera pas, parce qu’il considérera que cette demande n’est pas fondée sur des motifs graves. D’ailleurs, quand on regarde les chiffres, on s’aperçoit que très peu de révocations d’adoption simple sont prononcées.

En outre, l’adoption de ces amendements risque d’avoir des effets tout à fait contraires à ceux qui sont recherchés.

Privé de la possibilité de demander la révocation de l’adoption, le parent candidat risque d’être dissuadé de se lancer dans ce projet. En effet, vous le savez, les enfants concernés ont vécu ces histoires difficiles. Inversement, la famille biologique de l’enfant hésitera beaucoup à admettre une adoption simple, dont on lui a dit qu’elle préserverait le lien familial, si on lui apprend qu’elle va devenir irrévocable.

Sur ce point, il nous faut mener une réflexion plus large, car c’est tout le champ de l’adoption, système de cohérence entre différents termes, qui est en cause.

On se méprend, je crois, sur les possibilités qu’offre l’adoption simple.

Je comprends parfaitement que, dans le cadre de la proposition de loi que nous examinons, l’adoption simple soit une voie pour protéger l’enfant. Il faut cependant rappeler qu’elle ne permettra pas de satisfaire le désir d’adoption de personnes qui n’ont pu adopter en la forme plénière, faute d’un nombre suffisant d’enfants à adopter.

L’adoption simple est une autre forme d’adoption : contrairement à l’adoption plénière, elle laisse subsister le lien avec la famille d’origine ; quant aux enfants concernés, ils sont plus âgés et ont connu un parcours complexe.

Commençons par utiliser toutes les potentialités que nous offre l’adoption simple ! Moi qui me suis occupé d’un certain nombre d’adoptions – mais d’aucune demande de révocation –, je peux vous assurer que cette forme d’adoption n’est pas assez « vendue » !

Permettez-moi maintenant de citer le rapport d’information de Mmes Meunier et Dini, fait au nom de la commission des affaires sociales sur la protection de l’enfance : « la promotion de l’adoption simple comme mesure d’intervention relevant de la protection de l’enfance suppose d’agir dans trois directions : sensibiliser et former les travailleurs sociaux à cette procédure ; repérer les familles dont les enfants pourraient en bénéficier ; sélectionner des candidats agréés pour l’adoption susceptibles de s’y engager. » J’adhère à tout cela, et nous pouvons tous y souscrire !

Pour l’ensemble de ces raisons, il nous faut mener une réflexion précise, nous dégager de l’affect que peut susciter ce type de sujet – encore une fois, nous avons tous le même affect ! – et comprendre que, si nous ne suivions pas la voie que je préconise, nous risquerions de créer une situation aux effets totalement inverses de ceux que nous recherchons. Réfléchissons bien !

La commission des lois est par conséquent opposée aux amendements identiques n° 3 et 32 rectifié ter.

Par ailleurs, mes chers collègues, si vous décidiez de revenir sur la suppression de l’article 12, il me semblerait préférable d’adopter la rédaction proposée par le biais de l’amendement n° 33 rectifié ter.

Effectivement, si l’adoptant ne peut plus demander la révocation de l’adoption pendant la minorité de l’adopté, cet amendement tend au moins à permettre le maintien de cette possibilité pour la famille d’origine. C’est essentiel, car l’adoption simple permet le maintien du lien du sang.

Après tout, notre ordre du jour dépend aussi de nous : si nous voulons reparler de l’adoption, faisons-le donc rapidement ! Mais, mes chers collègues, n’enlevez pas une pierre qui risque de faire vaciller l’ensemble de l’édifice ; nous serions contraints de nous réunir de nouveau dans deux ans pour nous demander ce que nous avons fait aujourd’hui.

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