Intervention de Alain Fouché

Réunion du 28 janvier 2015 à 14h30
Débat sur le thème : « quels emplois pour demain ? »

Photo de Alain FouchéAlain Fouché :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens avant tout à saluer l’excellente introduction du président Roger Karoutchi, qui, tant par sa profession que par son expérience exceptionnelle, est un spécialiste de tous ces domaines.

Nous avons engagé ces travaux sur l’initiative de Joël Bourdin, dont je veux aussi rappeler l’apport. Enfin, je salue tous les parlementaires qui ont participé aux auditions, ainsi que les fonctionnaires de la délégation sénatoriale, qui ont réalisé, à nos côtés, un travail considérable.

En choisissant de s’intéresser aux emplois de l’avenir, notre délégation avait l’ambition de faire œuvre utile en dressant une sorte de panorama des secteurs d’activité qui embaucheront, demain, les enfants actuellement en cours de formation.

Dans le contexte actuel, difficile, d’un taux de chômage très élevé, affectant tout particulièrement les jeunes, nous espérions trouver des signaux plus optimistes à l’intention des générations qui se présenteront, d’ici dix ou quinze ans, sur le marché du travail.

L’objectif était non seulement de s’attacher à dégager quelques grandes tendances pour l’emploi futur, mais aussi de savoir si le système de formation, initiale ou continue, se mettait dès maintenant en phase avec les besoins de recrutement pressentis ou déjà décelables.

La délégation m’ayant confié la responsabilité d’établir ce rapport, j’ai conduit toute une série d’auditions, de visites en collectivités territoriales et de déplacements à l’étranger, qui n’ont été ni lointains ni coûteux pour le Sénat. Ainsi me suis-je rendu à Bruxelles et, pour profiter de l’expérience allemande, qui est tout à fait intéressante, à Cologne. Durant plusieurs mois, j’ai récolté un volume impressionnant d’informations, de notes, de rapports, d’études en tous genres.

La première de mes observations, monsieur le ministre, se rapporte donc au fait que ce n’est pas d’un manque de documentation que nous souffrons. Ce serait même plutôt l’inverse : nous disposons d’une masse considérable de données provenant du nombre tout aussi considérable d’acteurs intervenant, à des titres divers, dans les secteurs de l’emploi et de la formation. En vous disant cela, je suis d’ailleurs parfaitement conscient de n’avoir pas rencontré toutes les parties prenantes.

J’ai néanmoins consulté et interrogé les acteurs du court terme, Pôle emploi en premier lieu, bien sûr, ainsi que différents services des ministères concernés, de près ou de loin, par les questions d’emploi.

J’ai aussi rencontré plusieurs instances représentatives du monde de l’entreprise ou de l’encadrement qui établissent, pour leur compte ou celui de leurs mandants, des projections d’emplois à court ou moyen terme.

J’ai également entendu les structures plus directement dédiées à la prospective de l’emploi sur longue période, telles que le Conseil d’orientation pour l’emploi, le COE, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, le Centre d’études et de recherches sur les qualifications, le CÉREQ.

J’ai par ailleurs interrogé les services de la Commission européenne et de l’OCDE, pour essayer d’établir des comparaisons internationales et mieux cerner la position de la France, que ce soit en Europe ou dans le monde.

Enfin, nous avons rencontré, sur la technopole du Futuroscope, les grandes institutions qui y sont implantées : le Centre national d’enseignement à distance, le CNED, et le Centre national de documentation pédagogique, le CNDP.

Il est ressorti de cette soixantaine d’entretiens que tous ces interlocuteurs, à l’aune de leur sphère respective de compétences, extrapolent le potentiel de tel ou tel secteur d’emploi. La démarche de notre délégation à la prospective est donc parfaitement fondée puisque d’autres se sont livrés au même type d’enquête.

Pour ce qui est du résultat des recherches des professionnels, le raisonnement est parfois étayé de manière très scientifique, sur la base de statistiques, par exemple. D’autres fois, il procède d’une manière plus empirique, en fonction des activités qui sont dans « l’air du temps ». Le plus surprenant est que, lorsque l’on croise les conclusions des uns et des autres sur les secteurs potentiellement « recruteurs », on doit constater - et je n’ai pas été le seul à m’en étonner - que les viviers d’emplois cités ne sont jamais tout à fait les mêmes !

Se dégagent toutefois deux tendances lourdes, que l’on retrouve dans toutes les analyses et dont on peut donc raisonnablement imaginer qu’elles se traduiront dans les faits.

D’une part, on relève des perspectives très élevées d’embauches dans le secteur des nouvelles technologies, le numérique et l’informatique, notamment. En France, ce sont aujourd'hui 30 000 emplois qui ne sont pas pourvus dans le secteur informatique, si ce n’est plus ! Sur ce point, permettez-moi une petite digression pour me faire l’écho ici des inquiétudes que suscitent les risques de destruction de certains emplois en raison de l’essor du numérique et de la robotique.

D’autre part, on note des débouchés certains dans tout ce qui relève de l’aide à la personne, au sens large, en raison principalement du vieillissement attendu de la population française, mais aussi du maintien à un niveau élevé – c’est une richesse pour notre pays - du taux de natalité. Or, dans tout travail de prospective, on sait bien que les données les plus fiables sont celles qui découlent des évolutions démographiques.

Mais, pour le reste, qu’il s’agisse des perspectives d’emplois industriels, des potentialités d’expansion des professions intermédiaires ou des métiers qualifiés de « verts », car liés au développement durable, les appréciations sont contrastées et parfois divergentes. Ce qui ne nous simplifie pas la tâche, ni d’ailleurs celle des parents souhaitant conseiller leurs enfants et accompagner leur future orientation professionnelle.

Ma deuxième observation, qui doit nous conduire à faire preuve d’humilité, c’est que, en dépit de toutes ces analyses détaillées, on ignore en fait largement quels seront les métiers de demain. Avec l’évolution des techniques, des technologies, du numérique, de la robotique, et j’en passe, il ressort d’un grand nombre d’études qu’entre un tiers et 70 % de ces métiers d’avenir – là encore, les chiffres divergent – sont encore inconnus aujourd’hui.

Dès lors, monsieur le ministre, le candide que je suis a évidemment envie de vous poser une question : comment peut-on se former, aujourd’hui, à des emplois de demain dont on ignore à peu près tout ? Surtout si l’on ajoute au débat une donnée que l’on oublie trop souvent : avec l’accélération des connaissances et des techniques, avec les mutations de notre société, avec le renforcement de la mondialisation, ce que l’on apprend un jour est le plus souvent déjà obsolète deux ou trois ans plus tard. Des formations sont mises en place parce que, pense-t-on, il y aura un métier à la clé, mais le métier disparaît en cours de route !

Cela m’amène à ma troisième observation, qui découle de la précédente et que l’on peut, à mon sens, scinder en deux.

D’abord, il faut s’attendre - ces tendances sont déjà à l’œuvre - à une modification profonde des conditions de travail : horaires, environnement de et dans l’entreprise, localisation des emplois, fractionnement des carrières, tout est en train de changer et nous devons absolument intégrer à notre réflexion cette dimension de mobilité. Monsieur le ministre, le Gouvernement prépare-t-il notre société à ces mutations prochaines et, si oui, comment ? Je sais que la question est difficile, et y répondre ne le sera pas moins !

Ensuite, il nous faut remettre en question la nature des savoirs à enseigner à nos enfants, dans le but de leur faire acquérir cette « employabilité » - pardonnez-moi ce concept barbare - qui leur permettra, demain, d’entrer sur le marché du travail.

Pour être plus clair, au risque d’être schématique, ne pensez-vous pas que, plutôt que de continuer à les former à des métiers très précis – ils n’existeront peut-être plus le moment venu –, il serait plus utile d’inculquer à nos enfants des compétences transversales, susceptibles d’être mobilisées indépendamment de leur futur secteur d’exercice professionnel ?

Cette notion de « compétences transversales » est, selon moi, importante et doit être développée. Je pense, par exemple, à la maîtrise des langues étrangères – les Français, on le sait, ont un retard certain en la matière -, à celle de l’informatique, à la compréhension des enjeux de développement durable ou bien encore à la capacité à s’exprimer en public, à défendre un projet, à travailler en équipe.

Et je m’interroge, mais je ne suis pas le seul, sur la capacité de notre système éducatif à effectuer cette mutation, au moment où les enquêtes du Programme international pour le suivi des acquis des élèves, dites « enquêtes PISA », ou d’autres encore mettent en lumière une dramatique dégradation du niveau scolaire des jeunes Français. De quelle manière travaillez-vous en liaison avec votre collègue de l’éducation nationale pour opérer les synergies nécessaires ?

En parlant de synergie entre l’école et l’emploi, il m’est apparu que le dispositif de formation professionnelle initiale des jeunes, comme d’ailleurs celui de formation des demandeurs d’emploi, restait trop ignorant des besoins réels des entreprises et pouvait encore orienter les uns et les autres dans des voies professionnelles sans débouchés ou non opérationnelles. C’est en tout cas un ressenti que je sais pleinement partagé : nombre des interlocuteurs que nous avons rencontrés l’ont exprimé et déploré. Est-ce aussi votre sentiment, monsieur le ministre ?

Ce qui est inquiétant par ailleurs, et j’en viens à ma quatrième observation, c’est qu’un grand nombre des difficultés que l’on m’a signalées pendant la préparation de mon rapport ne sont pas nouvelles.

Que l’on parle de l’image de marque des cursus professionnels dans l’opinion publique ou de l’apprentissage, notamment, qui reste trop souvent un choix par défaut – quel dommage ! -, que l’on évoque les faiblesses nationales dans les secteurs scientifiques ou de l’ingénierie, que l’on déplore la place réduite des femmes dans certaines carrières, la fuite des cerveaux ou les inégalités devant la formation tout au long de la vie, que l’on mentionne le potentiel de développement du télétravail, tous ces sujets, et bien d’autres, sont agités depuis longtemps sans pour autant avoir produit d’améliorations spectaculaires. Que faut-il faire pour que les choses bougent enfin, monsieur le ministre ?

Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer et à l’issue de l’atelier de prospective qui a clos nos travaux, notre délégation a donc adopté quatre séries de préconisations pour mieux préparer l’emploi de l’avenir, préconisations sur lesquelles, monsieur le ministre, nous aimerions recueillir votre sentiment et, mieux encore, votre adhésion et l’indication des pistes explorées par vos soins pour corriger les trajectoires qui ne nous satisfont pas.

La première série de propositions porte sur les moyens de rendre plus lisibles les perspectives immédiates d’emploi.

Il conviendrait de demander aux nombreuses structures publiques appelées à réaliser des projections en matière d’emploi d’établir des documents moins complexes – par pitié ! –, plus maniables et d’une lecture plus accessible ; d’accroître la capacité d’accueil et l’orientation des effectifs dans les formations dédiées aux domaines déjà identifiés comme prometteurs, tels ceux de l’informatique ou de l’ingénierie ou encore ceux qui ont trait aux soins, y compris les secteurs médical et médico-social ; de renforcer les liens entre le monde du travail et les étudiants, d’une part, et avec les structures chargées de la formation et du placement des demandeurs d’emploi, d’autre part, afin de mieux tenir compte des besoins en qualification des entreprises et des perspectives réelles d’embauche.

Nous nous sommes rendus en Allemagne pour rencontrer les entreprises : les jeunes en apprentissage passent 40 % de leur temps en formation théorique et 60 % au sein des entreprises. Pendant un certain nombre d’années, ils sont payés très convenablement. Naturellement, la mentalité est différente et le dispositif compliqué à mettre en œuvre, à la fois pour les entreprises et pour l’éducation nationale.

La deuxième série de préconisations est plus ciblée et vise à favoriser la réindustrialisation de notre territoire – la tâche est difficile - à laquelle nous voulons croire et qui pourrait contribuer à améliorer la situation de l’emploi.

Il s’agirait d’anticiper les tendances à la réindustrialisation en encourageant le suivi des formations scientifiques non seulement dans les niveaux de qualification élevés, mais aussi dans les professions intermédiaires ; de continuer à promouvoir la féminisation des emplois en élargissant le spectre des secteurs d’activité susceptibles d’accueillir les femmes, sans exclure les carrières scientifiques, où leur taux de présence ne correspond pas à leur niveau de réussite scolaire – autant les femmes sont nombreuses dans la magistrature, par exemple, autant elles le sont peu dans d’autres professions. J’ajouterais volontiers aussi la nécessité d’une démarche ambitieuse en faveur de la robotique.

Dans une troisième série de préconisations, nous nous préoccupons de préparer l’employabilité des générations futures : en généralisant le recours aux nouvelles technologies pédagogiques par l’éducation nationale, et ce dès les classes primaires ; en recentrant les savoirs à transmettre sur des compétences transversales et mobilisables dans plusieurs domaines futurs d’activité, sans hésiter à s’inspirer, le cas échéant, des modèles d’éducation étrangers plus performants que j’évoquais à l’instant ; en confortant la politique en faveur de la formation professionnelle duale, mêlant savoirs académiques et expérience dans l’entreprise ; en créant des dispositifs efficaces qui permettront, par le biais des formations pratiques professionnalisantes, de réintégrer dans des cursus opérationnels les décrocheurs scolaires, beaucoup plus nombreux dans notre pays – malheureusement – que chez nos voisins.

J’en arrive à notre quatrième et dernière série de préconisations : pour tenir compte de l’évolution de nos sociétés, qui s’accommodent moins qu’autrefois des rigidités professionnelles, la délégation insiste sur l’importance de promouvoir des carrières plus évolutives et, partant, plus adaptables.

À cet égard, il faudra veiller à l’efficacité du dispositif législatif dédié à la formation tout au long de la vie – c’est très important –, ce qui exige son ouverture effective au plus grand nombre et demande un effort considérable.

En tout état de cause, l’impératif premier est d’encourager la mobilité des travailleurs, qu’elle soit professionnelle, sociale ou géographique.

Monsieur le ministre, en vous remerciant de votre présence ce soir, je vous assure que je prendrai connaissance avec autant d’attention que d’intérêt des réponses que vous nous apporterez.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion