Nos ingénieurs et nos mathématiciens sont mondialement reconnus ; notre crédit d’impôt recherche est le plus généreux du monde.
Pourtant, tout cela ne suffit pas. Si les investissements d’aujourd’hui font les emplois de demain, ces investissements doivent être de plus en plus massifs. Sinon, Carmat, notre fabricant de cœur artificiel français, sera racheté par une firme américaine, comme tant d’autres de nos pépites nationales.
Pour que les emplois de demain se créent dès aujourd’hui en France, les pouvoirs publics et le législateur doivent se pencher sur la question fondamentale des capitaux propres. Multiplier les incubateurs, ici ou là, est un bon début, mais il faut bâtir tout le continuum : un système de capital-risque doublé d’un système de capital-développement.
Pour avoir une chance de développer des emplois dans des secteurs innovants – quel secteur peut-il se passer d’innovation ? –, il faudrait dix fois plus d’investisseurs privés en France. Il nous manque ce segment peuplé de « venture capitalists ». Notez d’ailleurs, mes chers collègues – c’est très révélateur –, que nous avons traduit « venture » par « risque », et non pas par « aventure ».
Quant à l’argent, nous en avons ! La France est le troisième épargnant mondial. Notre encours d’assurance-vie avoisine 1 500 milliards d’euros ! Incitation fiscale et emplois de demain sont donc des mots qui vont très bien ensemble. Or, dans le projet de loi Macron, rien ou presque ne concerne la fiscalité. Je croyais que l’on voulait de la croissance...
Dans nos entreprises familiales, aujourd’hui, les actionnaires minoritaires soumis à l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, réclament des augmentations de dividendes pour pouvoir la payer. Autant de manque à investir dans nos entreprises. Quelle gabegie ! Quelle destruction de valeur !
Quant aux charges sociales, il y a six mois, dans Le Monde, Henri de Castries, président-directeur général d’AXA, indiquait que Londres était plus attractive que Paris pour développer de nouvelles activités et des emplois qualifiés.
Par ailleurs, à l’heure du combat géostratégique entre États continents, nous devons sortir de notre condition d’États confetti. Il nous faut penser l’avenir au niveau européen : une idée chère à l’UDI.
Des investissements ambitieux ne peuvent se concevoir qu’à l’échelle de l’Union européenne. Il faut aussi harmoniser nos législations, en achevant au plus vite, par exemple, le marché unique numérique.
Deuxième point de mon intervention : les moyens d’identifier les emplois d’avenir pour enrichir notre économie.
Dans le rapport du Sénat « Quels emplois pour demain ? », on peut lire que, selon Manpower, « les deux tiers des écoliers en classes maternelles […] occuperont des emplois qui n’existent pas encore aujourd’hui. »
Quant à lui, le cabinet McKinsey a identifié, dans un rapport de mai 2013, douze technologies porteuses de nouvelles compétences. Je citerai entre autres l’internet des objets connectés, la robotique, l’impression en trois dimensions, les matériaux avancés ou encore les énergies renouvelables.
Pour l’identification des métiers d’avenir, la puissance publique est donc face à un double défi, somme toute assez classique : l’information et la formation.
Combien de jeunes savent-ils qu’un chaudronnier d’aujourd’hui fabrique des châssis d’avion ou des réacteurs nucléaires ? Autre profession ignorée, celle du « stratifieur », qui fabrique des pièces avec des matériaux composites. Ainsi, il y a des emplois de demain qui, dès aujourd’hui, ne trouvent pas assez de candidats faute d’être identifiés, promus, valorisés.
Les métiers sont hybrides. Beaucoup de professions associent allègrement informatique, mécanique et électronique. Parmi ces métiers qui émergent, il y a celui de « data scientist ». Ce professionnel est un hybride entre un développeur, un statisticien et un analyste du comportement humain. Le cabinet McKinsey a calculé que le marché du travail américain allait absorber 1, 5 million de data scientists d’ici à 2018.
Pour répondre à ce besoin explosif, nos écoles doivent mêler trois filières : informatique, statistique et marketing. Il y a dix ans, ce métier de data scientist était inconnu, comme celui de community manager ; ils ne faisaient même pas partie des métiers de demain de l’époque, ce qui doit nous inciter, cela a été dit, à beaucoup de modestie.
Un grand nombre d’emplois de demain seront les emplois d’aujourd’hui qui auront évolué, qui seront parvenus à s’inventer un futur, malgré tout. La Poste, par exemple, invente le facteur post-moderne. Pour pallier l’effondrement de l’activité courrier, le postier rend visite chaque semaine à une personne âgée isolée, pour lui faire plaisir, mais aussi pour repérer tout signe inquiétant. Il est rémunéré cinq euros la visite par le centre communal d’action sociale.
Rappelons que 2, 5 millions de personnes de plus de quatre-vingts ans vivent seules en France. Sacré gisement !
Dans le même ordre d’idées, une partie significative des métiers de demain va fleurir dans l’économie sociale : assistance aux seniors et aux personnes dépendantes, santé, mais aussi sport, arts et culture. En mai 2014, l’AFP soulignait que « 10 % des emplois en France sont liés à l’économie sociale et solidaire » Dans les quinze prochaines années, le mouvement ira en s’amplifiant et permettra de compenser heureusement les destructions d’emplois liés aux autres secteurs.
Dans le troisième et dernier point de mon intervention, je voudrais me concentrer sur l’aspect quantitatif des emplois de demain. Y en aura-t-il pour tout le monde ? Qui va surtout en profiter ?
En septembre 2013, deux chercheurs d’Oxford, Frey et Osborne, estimaient que 47 % des emplois aux États-Unis pourraient être remplacés à terme par des ordinateurs. En décembre dernier, le cabinet Roland Berger nous a appris que les robots mettraient au tapis plus de trois millions d’emplois dans l’Hexagone d’ici à 2025.
Ainsi, la révolution numérique serait aussi fatale aux cols blancs que l’automatisation industrielle l’a été pour les cols bleus. Que resterait-il alors ? Les cols d’or, la « creativ class ». Ce dernier terme a été inventé en 2002 par Richard Florida, professeur à l’université de Columbia. Florida a établi que cette « creativ class », autrement dit des architectes, des développeurs ou des directeurs artistiques, représentait 30 % de la population des États-Unis, mais surtout 50 % des salaires et 70 % du pouvoir d’achat !
Sans valeur ajoutée créative, aucun travailleur intellectuel n’est plus à l’abri. Les ordinateurs sont toujours plus intelligents et capables de progresser par eux-mêmes. Déjà, les pilotes d’avion ou les traders apparaissent de plus en plus comme les simples auxiliaires de systèmes informatiques.
Il est donc urgent que les écoles et les universités valorisent la créativité, qui est la capacité à imaginer, à innover et, ne l’oublions pas, à résoudre des problèmes au moyen de solutions inédites.
Enfin, que va-t-il se passer pour les gens ordinaires comme vous et moi, mes chers collègues, pour ceux qui ne pourront accéder à la creativ class ? Auront-ils seulement droit demain à un emploi ?
Je le disais en introduction, avec l’avènement des ordinateurs, mon premier métier était un emploi assisté par ordinateur. Je ne serais pas surpris que la génération prochaine se voie offrir une immense quantité d’emplois pour, cette fois, assister les ordinateurs en apportant une valeur ajoutée aux données collectées.
Pour conclure, mes chers collègues, je souhaiterais partager une anecdote qui date de la semaine dernière. Lors d’une conférence, il m’a été demandé d’évoquer mon expérience et ma vision d’entrepreneur.
Il y a quelques années, j’ai décidé de créer une société avec pour vision : « no paper, no people » ; autrement dit : « aucun papier, aucun salarié ». Les collaborateurs travaillent sur plusieurs continents ; je ne les rencontre jamais. Ils n’ont pas de contrat de travail ; ils sont indépendants, et ils en vivent bien !
Gérard Pélisson, cofondateur du groupe Accor, assurément l’une des plus grandes réussites industrielles françaises, s’est amusé de ma vision d’entrepreneur. En la comparant à celle de son groupe, qui a créé plus de 200 000 emplois, il s’est interrogé à juste titre sur la capacité de mon approche à résoudre le problème du chômage.
En réalité, nos approches ne sont pas contradictoires ; elles sont complémentaires. L’avenir sera composé, d’un côté, de multinationales mastodontes, qui seront capables de rivaliser avec les États nationaux, lesquels devront se remettre en cause et s’unir pour avoir la taille critique leur permettant de garantir à leurs citoyens une libre concurrence.
D’un autre côté, il y aura un tissu de PME et de TPE fondées sur des structures extrêmement flexibles, qui s’affranchiront de tout carcan administratif pour avoir la souplesse leur permettant de répondre aux demandes d’où qu’elles viennent et, à tout moment.
Les États qui sauront offrir un environnement où il fait bon vivre et travailler verront leur volume d’emplois croître comme par magie. La population de la ville de Toronto progresse ainsi de 250 000 personnes par an !
Mes chers collègues, les emplois du futur pour certains sont les emplois d’aujourd’hui pour d’autres. Le monde a déjà changé. Mais la France, elle, est-elle prête à changer ?