Intervention de Yannick Vaugrenard

Réunion du 28 janvier 2015 à 14h30
Débat sur le thème : « quels emplois pour demain ? »

Photo de Yannick VaugrenardYannick Vaugrenard :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à féliciter notre collègue Alain Fouché de son excellent travail.

À l’évidence, c’est un sujet qui intéresse chacune et chacun d’entre nous, tant la situation économique de notre pays est préoccupante, et ce depuis de nombreuses années.

Après avoir écouté les orateurs qui m’ont précédé à cette tribune, je pense que c’est avec la plus grande humilité que nous devons nous saisir d’une question qui, dans sa complexité, ressortit à de multiples champs, l’économie, la formation, le social, le sociétal et même, nous l’avons vu, la philosophie. Soyons donc un peu humbles.

Les nombreuses auditions et les non moins nombreux déplacements sur le terrain que notre collègue a organisés ont permis de nourrir une réflexion riche et, je le crois, aboutie. J’espère vivement que cela nous permettra d’ouvrir des pistes en vue de l’adoption de mesures réellement efficaces pour l’emploi.

Comme le souligne M. le rapporteur, il est très difficile de savoir avec certitude ce que sera l’emploi dans le futur, même un futur relativement proche. Les différentes raisons en ont été rappelées tout à l’heure.

En effet, malgré les très nombreuses statistiques disponibles et les analyses auxquelles elles donnent lieu, il n’est jamais aisé d’appréhender avec précision les métiers de demain.

C’est dû en partie, mais pas seulement, à l’évolution extrêmement rapide des nouvelles technologies, du numérique, mais aussi de la robotique. Selon le rapport, entre 30 % et 70 % de ces métiers d’avenir sont encore inconnus aujourd’hui. Ce chiffre est très important, mais il ne doit pas nous empêcher de réfléchir et de formuler des propositions. C’est ce qui a été fait. À mon sens, c’est là que le travail de notre délégation à la prospective a toute sa valeur.

Nous pouvons prendre de la hauteur et du recul, en particulier par rapport à l’évolution mensuelle des chiffres du chômage, pour nous consacrer à une véritable vision prospective et examiner ainsi divers scénarios. Je veux croire que ce travail peut contribuer à aider le Gouvernement dans l’orientation de ses politiques.

La lutte contre le chômage constitue un véritable défi pour les gouvernements successifs. La démarche que nous permet d’engager la délégation à la prospective nous offre la possibilité de nous dégager des méthodes prévisionnelles habituellement utilisées, qui supposent la reproduction du même modèle. Les résultats sont alors éminemment dépendants des hypothèses d’entrée, notamment le taux de croissance de l’économie française au cours des deux prochaines décennies.

J’en viens à présent aux préconisations de M. le rapporteur.

Il est proposé que les perspectives immédiates soient plus lisibles, notamment avec des projections en matière d’emploi moins complexes, plus maniables et d’une lecture plus accessible. Nous touchons là à deux problèmes majeurs dans notre pays : l’établissement de statistiques et l’utilisation que nous pouvons en faire.

M. le rapporteur souhaite également accroître la capacité d’accueil et l’orientation des effectifs dans les formations dédiées aux domaines déjà identifiés comme prometteurs. Certes, ces secteurs sont assez difficiles à cibler ; je l’ai évoqué précédemment. Néanmoins, les analyses convergent pour indiquer que les emplois devraient automatiquement augmenter dans les secteurs des nouvelles technologies, de l’aide à la personne et du médical et médico-social, en raison du vieillissement de la population et de l’allongement de l’espérance de vie. Ce ne sont évidemment pas les seuls secteurs. Mais le rapport montre que l’on ne peut pas tout déterminer avec une absolue certitude.

Je voudrais maintenant évoquer une action mise en place par le Gouvernement qui répond à l’une des préconisations de notre délégation à la prospective.

Actuellement, le ministère du travail estime que 350 000 offres d’emploi ne trouveraient pas preneur ; le chiffre est énorme. Nous le savons tous, c’est lié à une inadéquation entre l’offre et la demande. Je suis convaincu que notre système de formation mériterait une salutaire remise à plat, globale et ambitieuse. Cela me semble indispensable.

Je crois utile d’ouvrir une parenthèse, à ce stade. Si des offres d’emploi restent non satisfaites, ce n’est pas parce que les chômeurs ne recherchent pas activement un poste ou souhaitent profiter d’allocations. Cela va sans le dire, mais cela va encore mieux en le disant. Être au chômage et stigmatisé, c’est subir une double peine insupportable ! Mais je ferme la parenthèse.

La question se pose, et vous le soulignez fort justement, monsieur le rapporteur, de l’adéquation de notre système éducatif avec les mutations technologiques profondes que notre société doit supporter. La dernière enquête PISA constate malheureusement la dégradation depuis des années du niveau des jeunes Français en fin de scolarité, notamment s’agissant des fondamentaux éducatifs. C’est dès l’enseignement maternel et primaire que des efforts considérables doivent être entrepris ; on a commencé à le faire. Une formation générale performante permettra toujours une adaptabilité plus aisée. Cela n’exclut pas du tout des formations spécifiques ciblées. Au contraire, cela les facilitera.

Mais le point qui nous occupe, et sur lequel le Gouvernement a décidé d’agir, concerne les offres emplois non pourvues ; elles sont parfois retirées sans donner lieu à recrutement.

Cela reprend l’un des objectifs du rapport : dégager quelques grandes tendances et s’assurer que le système de formation, initiale ou continue, se mettait déjà en phase avec les futurs besoins.

Lors de la conférence sociale de juin 2013, le Gouvernement a souhaité se saisir de ce problème majeur. Il a donc mis en place le plan formations prioritaires pour l’emploi, qui consiste à offrir des formations ciblées pour permettre à des demandeurs d’emplois d’occuper ces postes. Cela concerne le commerce, les transports, les secteurs sanitaire et social, l’hôtellerie-restauration, le bâtiment et les travaux publics, mais également, évidemment, l’industrie.

Par ailleurs, le 19 janvier dernier, à l’occasion de ses vœux aux acteurs de l’entreprise et de l’emploi, le Président de la République est revenu sur les différentes mesures en cours de déploiement pour l’emploi et la formation, notamment en direction des jeunes. Il a dressé un premier bilan de cette opération. L’objectif initial était de faire entrer 30 000 demandeurs d’emploi dans ces formations spécifiques en 2013. Cet objectif a été largement atteint, et 80 000 demandeurs d’emploi ont été concernés en 2014, l’objectif étant de toucher 100 000 personnes en 2015.

Voilà un exemple de réalisation où l’on prend à bras-le-corps le problème de l’emploi et où l’on mise précisément sur l’indispensable formation spécifique.

M. le rapporteur préconise également, et à juste titre, de favoriser notre réindustrialisation. Mais nous ne vivons pas en autarcie. Rappelons que l’industrie européenne, pour ce qui la concerne, représente un potentiel impressionnant de savoir-faire : 2, 3 millions d’entreprises, employant 35 millions de salariés et produisant plus de 1 600 milliards d’euros de valeur ajoutée chaque année.

Pourtant, la crise, mais aussi la mondialisation ont fortement mis à mal cette industrie, y compris sur notre continent. À titre d’exemple, au cours des dix dernières années, près de 1 200 milliards d’euros de déficit commercial ont été cumulés au détriment de l’Europe dans les échanges de produits manufacturés avec notre partenaire chinois.

Notre industrie nationale connaît également un fort recul, une dévalorisation. Cela se manifeste par des signaux inquiétants : pertes d’emplois, stagnation de l’effort d’innovation et déséquilibres commerciaux.

Cependant, le recul de l’industrie est une dimension qui a déjà été prise en considération. Un arsenal complet d’initiatives combinant des actions d’urgence et d’autres à plus long terme est d’ores et déjà mis en place, en particulier en direction des petites et moyennes entreprises et des petites et moyennes industries.

Pour ma part, je considère que tous les espoirs peuvent être autorisés pour l’industrie européenne et française, à condition qu’il y ait une volonté politique ferme et déterminée.

Enfin, l’une des dernières préconisations de notre rapporteur concerne la mobilité des salariés, tant professionnelle, sociale que géographique. Je partage ce point de vue.

Un risque, cependant, pèse sur les futurs salariés de notre pays, avec des conséquences sur toute notre économie : la précarité. En effet, il ne faudrait pas que ces futurs emplois – nous les appelons tous de nos vœux – aggravent encore un peu plus le phénomène de précarité actuel.

Le taux de précarité, c’est-à-dire la part des contrats à durée déterminée, l’intérim et les emplois précaires, rapportée à l’emploi total, est passé de 5, 3 % en 1982 à 11, 9 % en 2011, selon l’Observatoire des inégalités. La progression est énorme. Ce sont donc aujourd’hui 3, 2 millions de salariés qui ont un statut précaire. Pour une très grande part, il s’agit de contrats à durée déterminée, qui représentent 7, 4 % de l’ensemble des emplois, dont 5 % dans le privé et 2, 4 % dans le public.

Il est à noter également que ces données sous-estiment l’ampleur du phénomène, puisqu’elles n’intègrent pas directement les emplois précaires des non-salariés. Or il existe aussi des emplois précaires parmi les non-salariés.

En conséquence, et quelle que soit la situation économique qui attend notre pays dans les prochaines années, nous devons veiller à offrir à nos concitoyens des emplois les plus stables possible.

Permettez-moi d’élargir mon propos quelques instants. Les emplois de demain, comme le sont ceux d’aujourd’hui, seront inéluctablement, eux aussi, soumis à concurrence. Or force est de constater que cette concurrence est actuellement souvent déloyale. C’est le cas, notamment, en Europe des travailleurs détachés, dont les cotisations sociales sont encore et toujours celles du pays d’origine et non celles du pays d’accueil. Nous sommes loin de l’Europe sociale dont nous pourrions rêver. Cependant, comme le souligne le Conseil économique, social et environnemental dans son rapport sur l’état de la France en 2014, c’est souvent à l’issue des périodes de crises les plus aiguës que la construction européenne a progressé.

Je m’autorise donc à espérer, mes chers collègues, qu’entre 2020 et 2030 les États membres parviendront à s’entendre sur l’harmonisation de leurs législations sociales afin de créer un grand marché intérieur de l’emploi, car cela permettrait aussi un effet positif sur l’approche des emplois de demain.

« Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou » disait Nietzsche. Je constate après les différentes interventions que nous sommes tous pris de doutes. Dans votre rapport, monsieur Fouché, il n’y a nulle certitude, mais des préconisations précises et clairement ciblées, ce dont je vous remercie.

Les dix préconisations que vous formulez en conclusion sont intéressantes et pertinentes. Monsieur le rapporteur, je souhaite que notre délégation à la prospective – nous l’avons évoqué à l’occasion d’une de nos réunions ainsi que l’a rappelé notre président – se donne la possibilité de faire un point d’étape d’ici une à deux années, afin d’apprécier la prise en considération de ces préconisations. C’est vrai pour ce rapport, mais il faut également que ce soit vrai pour l’ensemble des rapports que nous réalisons. Soyons précis, soyons également pragmatiques. C’est de cette manière que nous pourrons travailler de façon constructive dans l’intérêt de nos concitoyens, pour leur formation et leur emploi de demain.

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