Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la délégation, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je commencerai en remerciant nos collègues de la délégation sénatoriale à la prospective qui ont participé à l’élaboration et la rédaction de ce rapport d’information.
Il s’agit d’un travail d’une grande qualité auquel le rapporteur, Alain Fouché, et les membres de la délégation ont eu l’ambition de donner une portée générale tout en prenant des exemples éclairants.
Quels emplois pour demain ? Cette question proposée au débat, ce soir, est plus que jamais un sujet d’actualité. Car nous le savons, l’emploi est conditionné par la croissance. Or, quand il y a une croissance quasi nulle et que le taux de chômage bat des records – on compte près de 3, 5 millions chômeurs dans notre pays –, il est difficile de créer des emplois, et peut-être encore plus ceux de demain.
Dans ce contexte, quels sont les secteurs qui proposeront aux générations futures des débouchés professionnels tangibles ?
À la lecture du rapport d’Alain Fouché, certains chiffres ont retenu mon attention : entre un tiers et 70 % des métiers de demain sont encore inconnus aujourd’hui ; près de 35 % des employeurs expriment des difficultés de recrutement ; deux tiers des embauches se font en CDD, et, surtout, 150 000 jeunes quittent tous les ans le système scolaire sans bagage.
Dans le cadre de ce débat, j’insisterai sur trois points qui me paraissent indissociables : l’identification des emplois de demain ; la préservation des emplois existants ; l’adaptation des emplois existants.
Tout d’abord, comment identifier les emplois de demain ?
Au cours des cinquante dernières années, les évolutions technologiques, les mutations sociales et les transformations organisationnelles ont remodelé profondément la structure des métiers et modifié le contenu des emplois.
En effet, les natures et les techniques de chaque métier ont connu de profondes transformations sur le plan qualitatif et quantitatif. Ainsi, les agriculteurs sont passés en cinquante ans de plus de 30 % de la population active française à moins de 4 % désormais, tandis que le nombre de cadres supérieurs des entreprises et de l’administration a plus que doublé au cours des vingt-cinq dernières années, pour dépasser actuellement les 4 millions.
Aujourd’hui, les défis de l’accroissement de la population et de son vieillissement, les questions de la santé publique et des risques sanitaires, ainsi que la forte urbanisation, nous amènent à prévoir les filières du futur. Je prendrai quelques exemples.
Je citerai l’économie des personnes âgées, la « silver economy », avec le besoin des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, EHPAD, en personnels qualifiés, en matériels adaptés...
Je citerai encore les « smart cities », les villes intelligentes, avec les aspects aussi bien administratifs – gouvernance, transparence – qu’économiques – capacité à transformer la ville – ou encore le développement de mobilier urbain intelligent, qui offrira des services de proximité...
Je citerai aussi la santé publique, avec une explosion de la demande mondiale sur le modèle français : hôpitaux, médecins, etc.
Un autre secteur d’avenir est identifié, celui de la transition énergétique et de la croissance verte. Il me tient particulièrement à cœur en tant que membre de la commission du développement durable.
La révolution industrielle, la croissance démographique et la globalisation ont multiplié à un rythme exponentiel les besoins en énergie de la planète, jusqu’ici satisfaits par le progrès technique et des ressources naturelles abondantes. Mais l’épuisement des énergies fossiles ainsi que la progression constante de la pollution et du réchauffement climatique nous amènent à constater une rupture environnementale.
La nécessité de répondre aux défis environnementaux – nous le constatons avec le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte –, doit être un facteur majeur de transformation de nos modes de production et de consommation dans les prochaines décennies. Elle doit susciter des redistributions de l’emploi entre activités, sans pour autant bouleverser la structure des métiers.
Ainsi, dans le bâtiment, secteur particulièrement concerné par les nouvelles réglementations thermiques, l’enjeu est d’abord d’enrichir les compétences des professionnels. À l’inverse, la production d’éoliennes, pour ne prendre que cet exemple, fait appel à des techniques et à des métiers établis.
À mon sens, même si quelques tendances peuvent se dessiner, les emplois de demain seront en très grande partie ceux d’aujourd’hui : cuisinier, électricien, vendeur, médecin, chauffeur routier. Ces emplois devront s’adapter et évoluer dans le contexte de l’innovation numérique et environnementale.
Les emplois de demain sont donc aussi ceux d’aujourd’hui. Nous devons tout faire pour les préserver et les faire évoluer.
J’en arrive au deuxième point de mon intervention : comment préserver les emplois d’aujourd’hui ? En effet, nous ne pouvons pas réfléchir et débattre sur les emplois existants et sur ceux de demain sans évoquer les conditions du marché du travail qui doivent favoriser leur développement.
Je pose la question : le marché du travail aujourd'hui permet-il la préservation de l’emploi existant et la création des emplois de demain tant attendus ?
Ma réflexion portera tout d’abord sur la problématique des emplois non pourvus, puis sur celle des emplois détachés.
Près de 35 % des employeurs expriment des difficultés de recrutement. Les emplois vacants sont un phénomène important, difficilement explicable au grand public lorsque l’on constate simultanément un taux élevé de chômage. Il ressort du rapport qu’il est difficile de quantifier le nombre d’emplois non pourvus en France. En parallèle, nous savons que deux tiers des embauches se font en CDD.
Aujourd’hui, existe-t-il une adéquation entre l’offre et la demande ? Les conditions sont-elles réunies pour créer les emplois de demain, notamment en termes de formation ?
En fin d’année 2014, le prix Nobel d’économie, Jean Tirole, a fustigé la dualité du marché du travail – opposition entre CDD et CDI – et a proposé la solution du contrat de travail unique. Le Premier ministre, Manuel Valls, semblait intéressé par cette initiative. Je le cite : « Le fonctionnement du marché du travail n’est pas satisfaisant, car il ne crée pas assez d’emplois, il génère des inégalités importantes entre, d’une part, des salariés très protégés en CDI et, d’autre part, des salariés très précaires en CDD et en intérim ». Concernant le contrat de travail unique, le Premier ministre parle d’une « idée intéressante ».
Monsieur le ministre du travail, j’aimerais connaître votre position et celle du Gouvernement sur cette proposition. Ne pensez-vous pas que le contrat de travail unique permettrait la création et le développement des emplois de demain comme ceux d’aujourd'hui ?
Ma seconde réflexion porte sur les travailleurs détachés.
Comment préserver les emplois existants et créer les emplois de demain quand aujourd’hui le statut des travailleurs détachés concurrence celui des travailleurs français ?
Les cotisations sociales appliquées sont celles du pays d’origine, ce qui, concrètement, permet à un employeur d’embaucher des travailleurs à moindre coût dans des pays aux cotisations sociales bien plus élevées. En revanche, le salaire et les conditions de travail de l’employé détaché relèvent des règles du pays dans lequel il travaille.
Officiellement, le détachement de travailleurs répond « au besoin de travailleurs spécialisés en vue d’effectuer une tâche de nature complexe dans un autre État membre de l’Union européenne confronté à un manque de main-d’œuvre dans ce domaine précis », comme le rappelle le rapport parlementaire en 2013 de notre collègue Éric Bocquet.
Le ministre Michel Sapin évoquait, en 2013, le chiffre de 350 000 travailleurs détachés, mais il paraît difficile d’être précis. Comme beaucoup de collègues ici, nous observons depuis des années l’arrivée de nombreux travailleurs détachés dans le bâtiment ou dans les secteurs de la métallurgie et de la mécanique, sans pour autant qu’il y ait une carence locale constatée dans ces domaines.
Ce qui m’étonne, monsieur le ministre du travail, ce n’est pas le fait que des salariés de l’Union européenne viennent en France travailler. Bien au contraire, la libre circulation des citoyens et des travailleurs est un principe de base de l’Union. Non, mais c’est le statut de travailleurs détachés qui pose question, car il est devenu un outil redoutable de concurrence déloyale.
En octobre 2014, monsieur le ministre du travail, vous aviez promis que le contrôle des travailleurs détachés allait être renforcé. Je ne doute pas que cela se fera, mais je crains que cela ne suffise pas. Il faut aller bien au-delà et tendre vers une harmonisation européenne fiscale et sociale du marché du travail, notamment s’agissant des cotisations sociales. Cette harmonisation permettra de préserver l’emploi d’aujourd’hui, et par conséquent de préserver celui de demain, mais aussi de développer celui de demain.
J’en viens ainsi au troisième et dernier point de mon intervention : les emplois d’aujourd’hui, pour devenir des emplois de demain, devront d’abord évoluer et s’adapter. Pour cela, la formation est la clé.
Comment préparer les jeunes aux métiers de demain quand 150 000 d’entre eux quittent tous les ans le système scolaire sans bagage…