Intervention de François Rebsamen

Réunion du 28 janvier 2015 à 14h30
Débat sur le thème : « quels emplois pour demain ? »

François Rebsamen, ministre :

Beaucoup d’entreprises s’installent aussi chez nous grâce au crédit d’impôt recherche, toutes les études le montrent.

Je pense également, monsieur Mandelli, à la lutte nécessaire contre la concurrence déloyale des travailleurs détachés non déclarés, qui sont de plus en plus nombreux et qui menacent des professions entières.

Je reviendrai sur d’autres questions plus précises, notamment sur l’apprentissage, pour éviter de propager les bêtises que l’on peut entendre.

Le rapport Quels emplois pour demain ?, qui a été établi par la délégation sénatoriale à la prospective, soulève une question essentielle pour la France, pays de paradoxes.

En effet, alors que notre pays continue aujourd'hui à être traversé par cette crise économique et sociale sans précédent qui touche l’Europe tout entière, il est tout autant caractérisé par l’une des démographies les plus dynamiques d’Europe et est doté de capacités d’innovation technologique et scientifique qui comptent – n’en déplaise à M. Cadic – parmi les plus impressionnantes du monde.

À l’évidence, il nous faut, pour le moment, nous mobiliser pour répondre à l’urgence du chômage, priorité absolue des Français, personne ne le nie. Pour certains, d'ailleurs, le basculement dans le chômage, puis le chômage de longue durée, ne se rattrapera jamais, quelles que soient les occasions futures.

Le combat contre le chômage mobilise donc l’essentiel des énergies : l’effort en matière d’emplois aidés – ils existaient avant et perdureront –, de formation des demandeurs d’emploi, de moyens mis dans leur accompagnement a été maximal en 2014 et sera maintenu en 2015, avec notamment la mise en place d’un compte personnel de formation, qui n’a rien à voir avec le DIF – je pourrais en parler pendant des heures, ce que je ferai peut-être pour expliquer la différence à Mme Keller ! –, l’extension de la Garantie jeunes, l’accroissement des accompagnements renforcés de Pôle emploi.

Néanmoins, nous devons aussi, et dès à présent, nous tourner vers l’avenir pour saisir les chances qu’il semble nous offrir. Je pense notamment à l’essor des métiers du numérique ou de l’environnement, au renouvellement des métiers et à l’accroissement du nombre des postes dans les services d’aide à la personne, évoqués dans le rapport sur les métiers de 2022 publié conjointement par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, et France Stratégie.

Nous devons également prévenir les risques qui se profilent : une dualisation toujours plus profonde du marché du travail, les effets de la mécanisation et de l’automatisation sur les emplois, même les plus qualifiés, l’impact d’une concurrence qui s’étendra à des produits et services toujours plus sophistiqués, avec l’émergence de grands pays à l’économie de plus en plus innovante et diversifiée.

J’ai dit au président de la délégation à la prospective que j’aurais plaisir à revenir devant vous pour évoquer ces questions, à l’avenir, si je suis toujours là ! §En la matière, la prospective doit nous aider à nous repérer ; l’orientation et la formation, à nous préparer.

Au fond, j’ai la conviction qu’il serait vain d’opposer, d’un côté, un présent tout entier concentré sur la lutte contre le chômage, l’accompagnement des demandeurs d’emploi et la satisfaction des offres pour les métiers dits en tension, et, de l’autre, une prospective arc-boutée sur le long terme, qui ne raccrocherait qu’à grand-peine des perspectives lointaines à des décisions opérationnelles à prendre aujourd’hui. Le traitement du présent et la préparation de l’avenir, en matière d’emploi, sont intimement liés.

L’action sur le marché du travail d’aujourd’hui n’est pertinente que si elle repose sur une connaissance intime des besoins et des grandes tendances qui dessinent le marché du travail de demain.

Notre capacité à anticiper les besoins en compétences de moyen terme repose largement sur la mise en place, dès aujourd’hui, de dispositifs d’orientation et de formation professionnelle qui soient réactifs, adaptables et orientés vers l’utilité pour l’économie.

Pour mieux faire jouer cette complémentarité entre prospective et formation, entre action sur le présent et anticipation de l’avenir, qui est bien au cœur de la philosophie du rapport de la délégation, deux orientations me semblent essentielles ; elles président à la politique que nous menons.

La première orientation, c’est de renforcer notre capacité à identifier les besoins des entreprises, aujourd’hui et demain.

Je partirai d’un postulat de bon sens : c’est d’abord en comprenant mieux le présent que l’on peut parvenir à lire l’avenir. L’essentiel des grandes transformations qui structureront les besoins futurs des entreprises en matière de compétences, de métiers, de profils sont déjà visibles aujourd’hui pour qui sait bien observer la vie.

La prospective en matière de métiers et de qualifications est un art difficile, qui n’a de sens que s’il est orienté vers la décision. Comme le montre le rapport de la délégation, une multiplicité d’acteurs et de dispositifs ont coexisté jusqu’à présent. Nous devons maintenant avoir des acteurs qui puissent intervenir aux niveaux national et territorial sans trop de redondance.

Parmi les changements à l’œuvre, cinq mutations structurelles profondes doivent retenir notre attention.

Premièrement, la nouvelle géographie mondiale des activités met fin à une division du travail qui réservait aux pays développés les productions à haute valeur ajoutée, et aux autres la concurrence par les prix et les coûts.

Deuxièmement, notre démographie est caractérisée à la fois par le dynamisme et le vieillissement, ce qui ne manquera pas de remettre en question les équilibres entre l’offre et la demande de travail. À cet égard, il faut être prudent quand on compare la situation de notre pays avec celle de l’Allemagne.

Troisièmement, on assiste à une évolution profonde de notre modèle familial : normalisation du travail des femmes – ce qui n’est pas le cas partout, notamment en Allemagne –, développement de familles recomposées ou monoparentales, entrée plus tardive des jeunes sur le marché du travail. Ces changements créent de nouveaux besoins en matière de services à la personne, de logement ou d’enseignement.

Quatrièmement, l’exigence de la transition écologique fait évoluer profondément les demandes des consommateurs et les compétences recherchées par les entreprises.

Cinquièmement, la révolution numérique et robotique a, elle aussi, des conséquences sur les compétences et, bien au-delà, sur toute la chaîne de valeur et la formation de celle-ci. Nous ne savons d’ailleurs pas si les emplois créés sont en nombre suffisant pour remplacer ceux qui sont détruits.

Bien sûr, il est nécessaire de se projeter plus finement dans l’avenir lorsque nous souhaitons créer les conditions de développement de certaines filières clés, comme celles du nucléaire ou du numérique, ou assurer la réussite de certains grands projets. Pour ce faire, nous disposons d’un outillage, notamment la GPEC. Toutefois, s’attaquer à la question de l’emploi dans les territoires requiert moins une capacité de projection sophistiquée qu’une capacité à aider les entreprises ayant un potentiel d’activité à le transformer concrètement en emplois, point qui n’a pas été suffisamment évoqué. C'est une véritable difficulté.

Dans le domaine des politiques de l’emploi, caractérisé par un foisonnement d’acteurs, nous avons probablement trop de futurologues, et pas assez d’accoucheurs ! Ma conviction est que les services de l’État doivent se recentrer sur l’aspect pratique, concret, sur le présent porteur d’avenir.

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