La mission d'évaluation que la commission pour l'application des lois et la commission des finances nous avaient confiée, à Philippe Marini et à moi-même, portait sur les dispositions législatives relatives aux pouvoirs de sanction de l'AMF et de l'ACPR. Il s'agissait en particulier d'évaluer la mise en oeuvre des dispositions introduites par la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010, notamment la création d'un pouvoir de transaction de l'AMF, à travers la procédure dite de « composition administrative » ; le relèvement de 10 à 100 millions d'euros du plafond des pénalités financières susceptibles d'être prononcées par l'AMF et l'ACPR ; la modernisation de la procédure de sanction, pour un meilleur respect du droit à un procès équitable.
Avant que notre travail ne soit interrompu par le renouvellement sénatorial, nous avons mené plusieurs auditions, notamment des représentants de l'AMF et de l'ACPR, dont Gérard Rameix et Rémi Bouchez ici présents.
Ce travail, inachevé, nous a permis d'identifier plusieurs points sur lesquels le législateur devrait prochainement intervenir, d'autant que la nécessité de transposer diverses directives européennes en matière financière lui en donnera l'occasion.
Quant à moi, je souhaiterais souligner tout d'abord l'importance de la prévention.
Je crois en effet qu'une régulation et un système de sanction efficaces doivent reposer d'abord sur une prévention active des conflits d'intérêts et des manquements aux règles. À cet égard, je crois que la formation des acteurs du monde de la finance et de la banque devrait être renforcée en matière d'éthique. Certes, il existe d'ores et déjà des règles déontologiques applicables à chaque catégorie, qui sont approuvées par l'AMF. Cependant, je crois que cet apprentissage d'une « éthique de la finance » devrait être effectué, de façon encore plus systématique, dans le cadre des formations financières dans les universités et les écoles.
Le deuxième point sur lequel je souhaite insister concerne la confiance. Une étude récente, publiée dans la revue Nature en 2014, a montré que les employés des banques avaient une tendance plus importante à jouer avec la norme lorsque leur identité professionnelle de banquiers est mise en avant. Comme si la malhonnêteté était, dans une certaine mesure, associée au métier de banquier par les banquiers eux-mêmes ! Dans le même ordre d'idées, une autre étude a récemment montré que les groupes homogènes ethniquement et sexuellement avaient une plus forte tendance à la prise de risque inconsidérée que des groupes diversifiés, car le contrôle implicite des uns sur les autres y est plus fort, et le mimétisme moins présent.
Ainsi, il y a encore du chemin à parcourir pour établir une atmosphère de prudente confiance qui soit partagée par les acteurs du milieu financier et par le public. De ce point de vue, je me permets de tracer deux pistes.
La première concerne la place des lanceurs d'alerte et des « repentis ». Le milieu, où règne parfois un certain entre-soi, marginalise les discours hétérodoxes qui sont pourtant nécessaires pour procéder à une analyse systémique et originale qui permet, me semble-t-il, de prévenir certains comportements, erreurs d'appréciation des risques ou de gouvernance.
La seconde piste, qui découle d'une appréciation toute personnelle, concerne la composition des organes chargés de prononcer les sanctions, où siègent essentiellement des professionnels de grande qualité, accompagnés de magistrats. Leur compétence est incontestable, mais il pourrait être salutaire de briser cet entre-soi, qui peut laisser penser qu'il incite à l'indulgence, en élargissant la composition de ces organes à des personnalités qualifiées telles que des universitaires, dont le travail n'a pas toujours la visibilité qu'il mérite.
Ce ne sont là que des pistes de réflexion, autour de ces deux « notions » de prévention et de confiance, afin de repenser cette question de l'efficacité du pouvoir de sanction dans le cadre plus global des pratiques et de l'éthique du milieu financier.
S'agissant maintenant de l'organisation des poursuites, l'un des principaux enjeux auxquels sont confrontés les régulateurs, en particulier l'AMF, est la question du non bis in idem. Aujourd'hui, il est possible, en France, de poursuivre le même fait à la fois devant l'autorité de régulation dans le cadre d'une procédure disciplinaire et devant le juge dans le cadre d'une procédure pénale. Cependant, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a, dans un arrêt important du 4 mars 2014 (arrêt Grande Stevens), condamné l'Italie pour avoir engagé des poursuites pénales parallèlement à des poursuites disciplinaires pour un même délit boursier, en se fondant sur le principe du non bis in idem.
Cette évolution jurisprudentielle signifie-t-elle que nous devrons faire le choix entre les poursuites pénales et les poursuites administratives ? Sonne-t-elle le glas de l'AMF comme autorité de sanction ?
À cet égard, je souligne que la décision de la CEDH, qui est une décision de principe, a vocation à s'appliquer à l'ensemble des cas où un même délit fait l'objet d'une poursuite administrative et d'une sanction pénale - pas seulement en matière de régulation financière mais aussi, par exemple, en matière fiscale.
Il s'agit d'un problème bien identifié par l'ensemble des acteurs que j'ai rencontrés, qui s'y penchent d'ailleurs au sein de groupes de travail communs. Je n'ai pas de proposition concrète à ce stade, car le sujet mérite encore d'être approfondi, mais je pense qu'il doit être possible de concilier les deux poursuites, qui me semblent toutes deux légitimes, dès lors que leurs missions respectives seraient mieux définies.
S'agissant de la composition administrative, le bilan semble positif. Comme prévu, cette procédure permet de faire l'économie d'une longue procédure devant la commission des sanctions. Contrairement à ce que certains craignaient, les sommes versés par les auteurs de manquement en application d'un accord transactionnel sont d'un montant équivalent à celui des pénalités prononcées par la commission des sanctions de l'AMF pour des faits équivalents.
En l'état de la pratique, la composition administrative permet ainsi de gagner en rapidité et simplicité et ne fait pas perdre en sévérité.
Je rappelle en outre que les accords de composition administrative font obligatoirement l'objet d'une publication alors que la commission des sanctions peut décider de ne pas faire la publicité des sanctions qu'elle prononce, même si elle use rarement de cette faculté.
Compte tenu de ces éléments, se pose donc la question de l'élargissement du champ de la composition administrative.
La généralisation à l'ensemble des manquements professionnels ne semble pas poser de difficulté. En revanche, l'instauration d'une procédure équivalente pour les abus de marché soulève des questions de principe et est très controversée.
Il faut tout de même signaler que les sanctions record infligées par les autorités américaines et anglaises le sont dans le cadre d'une forme de « plaider coupable » et qui n'est pas dans ce cas le synonyme de laxisme et d'arrangements entre amis. Or c'est la menace de poursuites pénales contre les individus ou de retrait d'agrément qui fait plier les sociétés financières et les conduit à transiger rapidement.
L'élargissement de la composition administrative ne peut donc, à mon sens, se concevoir sans prendre en compte la question de l'articulation entre répression administrative et répression pénale et donc celle du non bis in idem.
La nécessité d'une meilleure coopération entre le régulateur et l'autorité judiciaire se fait également sentir pour ce qui concerne la lutte contre les réseaux organisés, parfois de type mafieux, qui flouent l'épargnant, que cela soit par des abus de marché - délit d'initié notamment - ou des escroqueries de type FOREX.
Enfin, j'estime, au terme de mon travail d'auditions et de réflexion sur le sujet, qu'un des principaux enjeux d'une réforme sera celui du plafond des sanctions.
Je vous rappelle que le plafond des sanctions est aujourd'hui fixé, pour les professionnels, à 100 millions d'euros ou au décuple des gains réalisés dans le cas de l'AMF, ou à 100 millions d'euros pour l'ACPR. Cependant, ce plafond doit selon moi être révisé, sous l'effet de deux évolutions que je laisse à votre appréciation.
Tout d'abord, les évolutions des règles européennes engagent un mouvement de plafond exprimé en pourcentage du chiffre d'affaires de l'établissement. Ainsi, le règlement européen CRD IV a d'ores et déjà imposé la fixation d'une amende maximale pour les banques, en matière prudentielle, dont le plafond est fixé à 10 % du chiffre d'affaires. Surtout, la directive et le règlement sur les abus de marché (MAD-MAR) permettent également la fixation de sanction proportionnelle au chiffre d'affaires de l'établissement.
Ensuite, les récentes décisions de l'ACPR condamnant des compagnies d'assurance pour leurs négligences à retrouver les bénéficiaires des contrats d'assurance vie en déshérence ont illustré la faiblesse du plafond actuel en comparaison des profits réalisés et de la surface financière des acteurs. Des sanctions de 40 millions d'euros et de 50 millions d'euros ont été prononcées, l'autorité de poursuite ayant préconisé à chaque fois la sanction maximale de 100 millions d'euros. À cet égard, je suis heureuse que nous puissions avoir l'éclairage de Rémi Bouchez sur les raisons qui ont conduit à fixer les sanctions à ce niveau.
Quant à moi, j'estime qu'un relèvement du plafond, soit sous la forme d'un relèvement du montant absolu soit sous la forme d'un pourcentage du chiffre d'affaires, peut sembler nécessaire pour rendre plus clair et plus juste le panel des sanctions.
En outre, si le choix est fait d'une sanction en fonction du chiffre d'affaires, il sera nécessaire de clarifier l'établissement pris en compte : doit-il s'agir seulement de la filiale en question, ou du groupe tout entier auquel elle appartient ? La première solution ouvrirait la porte à de possibles contournements dans le but de réduire le montant de la sanction.
On voit que sur l'ensemble de ces points, et sans doute sur d'autres, il y a matière à ce que le législateur travaille et prenne des initiatives. Je me réjouis que la commission des finances ait choisi de prolonger le travail entamé en confiant cette mission d'information à Albéric de Montgolfier et Claude Raynal.