Je vous remercie de me donner la parole sur un sujet qui concerne l'une des principales activités de l'AMF.
Nous assistons, sur la scène internationale, à un durcissement de la répression des infractions financières. L'exigence sociale, exprimée par l'opinion publique, est forte. Ce durcissement se manifeste de façon très spectaculaire aux États-Unis et un petit peu en Grande Bretagne ; en France également, mais pour des montants moindres.
Les moyens mis en oeuvre pour réprimer les infractions financières sont très significatifs. Bien évidemment, je souhaiterais qu'ils soient plus importants pour pouvoir suivre la complexité croissante du sujet. Environ un tiers des moyens de l'AMF, soit environ 30 millions d'euros chaque année, sont consacrés à la répression : il s'agit des équipes de surveillance, d'enquête et de contrôle et les personnes qui travaillent auprès de la commission des sanctions ou dans les services juridiques ; ce sont des personnes de très haut niveau et qui continuent de se spécialiser. C'est l'une des raisons pour lesquelles je pense que le système, même s'il est perfectible, a réalisé de considérables progrès depuis dix ou quinze ans.
L'AMF est un des régulateurs d'Europe continentale les plus répressifs : c'est nous qui, sur le droit boursier, le droit des marchés financiers, imposons les sanctions pécuniaires les plus importantes. Sur des sujets nouveaux et très importants comme par exemple le trading à haute fréquence, très peu d'équipes dans le monde sont capables d'analyser les données techniques des carnets d'ordre permettant d'initier des procédures contre les manipulations de cours. À l'AMF, quelques personnes en sont capables - il y a d'ailleurs plusieurs procédures en cours et certaines ont abouti. Aussi, nous devons avoir recours à des personnes extrêmement qualifiées, capables de reconstituer des stratégies de transactions ou d'annulations d'ordre sur quelques microsecondes.
En 2014, environ 80 personnes ont été sanctionnées, pour un montant total de 38 millions d'euros, sans compter les compositions administratives, au nombre d'une dizaine, qui concernent des infractions plus techniques et représentent quelques centaines de milliers d'euros.
Voilà les éléments de contexte que je souhaitais vous présenter, avant d'aborder les sujets que la présidente a évoqués.
En ce qui concerne le principe du non bis in idem, beaucoup de choses ont été dites avec lesquelles je suis globalement en accord. J'ajouterais seulement que la coopération entre la filière pénale - renouvelée dans son organisation par la création du procureur national financier - et les équipes spécialisées de l'AMF n'a jamais été aussi étroite. Cette coopération, assez ancienne et plutôt efficace, s'est incontestablement intensifiée.
Plusieurs groupes de travail spécialisés essayent de trouver des solutions, et j'adhère personnellement au raisonnement de Marie-Anne Frison-Roche, mais en tant que technicien, je dois reconnaître que je ne parviens pas à faire des propositions dans ce sens.
Il est en effet très difficile de séparer les domaines, pour une raison historique : les trois infractions pénales qui existent en droit français sont issues des travaux de la commission des opérations de bourse (COB). Les magistrats, le Conseil d'État et la Banque de France, qui ont été les pionniers de la COB dans les années 1970, ont proposé des infractions. À une époque où la COB avait des pouvoirs d'enquête très importants mais aucun pouvoir de sanction. Après l'affaire Péchinet, à l'initiative de Pierre Bérégovoy, alors ministre des finances, des pouvoirs de sanction ont été confiés au régulateur sur deux champs : celui des infractions les plus importantes qui avaient été définies quelques années auparavant et, surtout, le champ de tous les autres manquements, notamment professionnels.
Il faudrait, pour aller au bout du raisonnement de Marie-Anne Frison-Roche, considérer qu'une infraction d'initié portant sur un montant moyen constitue un manquement ; tandis qu'il faudrait non seulement des conditions d'intentionnalité mais aussi de montants pour définir une infraction pénale. C'est extrêmement difficile à construire en pratique, mais je pense que c'est un dialogue que nous sommes amenés à poursuivre.
Pour conclure, nous avons encore des progrès à faire en matière d'articulation des enquêtes, de rassemblement des preuves, de constitution des dossiers - il y a souvent, dans les dossiers d'infraction qui aboutissent, duplication des diligences déjà effectuées, à un stade antérieur, par l'AMF.
En revanche, si on finit par considérer que l'arrêt Grande Stevens de la Cour européenne des droits de l'homme implique de choisir entre les deux procédures, et qu'il en résulte la primauté du droit pénal, alors le régulateur ne disposera plus de pouvoirs de répression dans certaines situations. Ce serait prendre un risque considérable car cela revient à créer une justice répressive en matière financière à deux vitesses. En effet, en pratique, les infractions d'importance moyenne (relativement graves mais pas majeures) seraient réprimées par des amendes assez lourdes prononcées par la commission des sanctions de l'AMF, alors que pour des cas médiatiques ou d'une importance particulière, la voie pénale serait privilégiée. Or aujourd'hui, l'expérience prouve - je ne mets personne en cause - que la procédure est particulièrement longue à cause des niveaux de preuves, des changements de juges d'instruction, des obstacles de procédures de toutes natures. Aussi, nous devrions faire un choix cornélien entre poursuivre quelqu'un pour lui infliger une amende au bout d'un an ou d'un an et demi, ou viser une sanction qui pourrait être plus lourde, pouvant même consister en une peine de prison, mais au bout de cinq, dix voire quinze ans - et je pense qu'il faut absolument éviter cela. Beaucoup de travail doit encore être réalisé et de nombreuses réflexions sont menées actuellement sur ce sujet.
Depuis la création de la procédure des compositions administratives, 27 accords de composition ont été publiés, les homologations des accords par la commission des sanctions sont rapides et quasi-systématiques. Je ne pense pas qu'il y ait véritablement de décote par rapport au quantum qui aurait été fixé en cas de sanction. En cette période où les moyens publics doivent être utilisés le plus efficacement possible, quand on peut gagner six mois ou un an de procédure et économiser des moyens, je pense, à titre personnel, qu'on pourrait prévoir une petite décote sur la sanction. Mais ce n'est pas ce que nous faisons aujourd'hui.
La publicité des compositions administratives est systématique. Formellement, en droit, il n'y a pas de reconnaissance de culpabilité mais les faits poursuivis par l'AMF sont expliqués en détail, donc c'est parfaitement transparent.
La composition administrative fonctionne bien, et je pense qu'on pourrait l'étendre très largement. Mais une telle évolution ne pourrait être que progressive dans la mesure où, historiquement, la culture française est intrinsèquement allergique aux procédures de transaction.
Nous pensons notamment que la composition administrative peut être étendue à tous les professionnels car certains en ont été exclus à sa création et aux infractions de marché qui n'entrent pas dans le cas des abus de marché - ce serait une petite extension de quelques affaires par an qui permettrait à la commission des sanctions de gagner du temps.
Je considère, à titre personnel et sans que cela ne constitue une position officielle de l'AMF, que la composition administrative pourrait parfaitement être utilisée dans les cas d'abus de marché et cela fonctionne bien dans les autres pays. L'idée selon laquelle ce serait une procédure plus indulgente, plus favorable aux personnes poursuivies, me paraît tout à fait inexacte - à mon avis, c'est plutôt l'inverse et d'ailleurs c'est aussi ce que pensent beaucoup d'entreprises dans le domaine financier. En mettant le marché entre les mains des entreprises, elles sont incitées à accepter des transactions dans des cas où leurs avocats les auraient peut-être sauvées devant la commission des sanctions.
Je pense qu'il faut également poursuivre notre pratique assez sage : nous avons recours à cette procédure sur des affaires qui paraissent juridiquement très claires, avec des précédents jugés en droit par la commission des sanctions. Il faut ensuite que les personnes acceptent, nous n'avons eu qu'un seul cas de refus sur une trentaine de compositions administratives.
La poursuite des infractions très graves constitue un souci très important pour nous ; il s'agit d'une question de capacité de poursuite plus que d'une question juridique. Nous savons que quelques groupes de personnes sont des professionnels de la fraude financière et dans ces cas, les preuves sont extrêmement difficiles à rassembler. Nous coopérons de manière très étroite avec le parquet national financier, car les moyens dont nous disposons peuvent être utilement complétés par des filatures, des écoutes téléphoniques, des perquisitions organisées à l'étranger.
Quant à l'effectivité de la répression, certaines améliorations pourraient être apportées, notamment concernant les lanceurs d'alerte qui pourraient être mieux protégés en France, la conservation des messageries électroniques professionnelles - nous souhaiterions un texte plus précis obligeant les professionnels à conserver certaines conversations, comme c'est déjà prévu pour les conversations téléphoniques liées à la préparation de transactions. Comme l'a dit Corinne Bouchoux, le plafond global des sanctions pécuniaires peut être relevé, mais c'est une décision politique et je n'y reviens pas ; toutefois, s'agissant des plafonds applicables aux professionnels, il existe des anomalies : pour certaines infractions professionnelles, les plafonds sont inférieurs aux plafonds généraux. Enfin, la durée de prescription a été créée avec l'AMF, elle est de trois ans, ce qui s'avère un peu court. On pourrait, si le législateur l'acceptait, la porter à cinq ans. La durée de trois ans a été calquée sur celle du délit correspondant - on retrouve le défaut de raisonnement critiqué par Marie-Anne Frison-Roche.
Il s'agit d'adaptations marginales et l'essentiel, si l'on veut un véritable pouvoir de sanction, c'est la question de l'organisation des poursuites et d'articulation des moyens juridiques et de police. Il faut à la fois une spécialisation technique de certains de nos agents et l'ensemble des moyens publics pour essayer de recueillir des preuves, notamment pour des poursuites pénales.