Intervention de Catherine Kapusta-Palmer

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 22 janvier 2015 : 1ère réunion
Santé — Audition de Mme Caroline Rebhi responsable de la commission « éducation à la sexualité » et Mme Catherine Kapusta-palmer membre du conseil national du sida responsable du programme « femmes et vih » du mouvement français pour le planning familial mfpf

Catherine Kapusta-Palmer, membre du Conseil national du sida, responsable du programme « Femmes et VIH » :

Dans son travail sur les comportements sexuels en France, Nathalie Bajos indique que « si les femmes sont plus touchées par le VIH et les IST, ce n'est pas parce que ce sont des femmes au sens biologique du terme, mais parce que leur sexualité s'exerce dans un contexte marqué par de nombreuses inégalités ».

Un cumul de facteurs explique que les femmes soient, de manière générale, plus vulnérables que les hommes au VIH et aux IST. Aujourd'hui dans le monde, elles représentent plus de la moitié des personnes séropositives. Pourtant, depuis le début de l'épidémie, les femmes sont restées invisibles. Les politiques publiques de lutte contre le VIH ont retenu pour base la notion de prévalence. Or, effectivement, la « photographie » de l'épidémie, dès ses débuts, a identifié parmi les populations à forte prévalence les hommes homosexuels, les usagers de drogues et, s'agissant des femmes, les prostituées puis les femmes originaires d'Afrique subsaharienne. Cette photographie initiale a eu et a toujours des conséquences en termes de prévention, de prise en charge et donc d'évolution de l'épidémie. Encore aujourd'hui, elle se répercute sur la visibilité des femmes séropositives. Elle a eu pour effet que, depuis le début de l'épidémie, les femmes sont « passées au travers » des messages de prévention, ceux-ci ne leur étant pas réellement adressés. Je rappelle que la première campagne de prévention destinée aux femmes ne date que de 1997. Les femmes ne se sont pas senties concernées par l'infection à VIH. En conséquence, nous constatons depuis plusieurs années une augmentation des contaminations chez les femmes de plus de 50 ans qui, après un divorce ou une rupture, retrouvent une vie sexuelle diversifiée. Nous recevons de plus en plus de femmes, mères ou grands-mères, qui découvrent aujourd'hui leur séropositivité.

Ce constat, qui vaut également pour les IST, appelle une grande vigilance. En effet, le corps médical ne pense pas à évoquer la prévention et le dépistage auprès des femmes de plus de 50 ans, supposant manifestement qu'elles n'ont plus de vie sexuelle.

Nous estimons essentiel d'adopter une approche globale de la santé sexuelle qui, au féminin, est trop souvent réduite à la santé reproductive. Il convient d'aborder la réduction des risques dans leur ensemble, qu'il s'agisse de l'infection à VIH, des IST ou encore des grossesses non prévues. Cette approche doit en outre tenir compte du contexte relationnel puisque, aujourd'hui encore, les inégalités entre les hommes et les femmes engendrent des difficultés supplémentaires dans la prévention et dans la prise en charge médicale. Dans un contexte de rapports violents, le risque de contamination des femmes est multiplié. Les violences se répercutent en effet sur l'estime que les femmes ont d'elles-mêmes : les femmes victimes de violences se protègent moins et sont moins en mesure, par exemple, d'imposer l'utilisation du préservatif à leur partenaire. La question des inégalités doit donc s'inscrire au coeur de cette approche globale de prévention et de prise en charge.

Les femmes séropositives que nous rencontrons se posent de nombreuses questions sur leur santé, leur vie affective et leur vie sexuelle. Or elles ne trouvent quasiment aucune réponse. Aujourd'hui encore, pour l'infection à VIH comme pour d'autres maladies, les études et les recherches ne sont pas réalisées de manière genrée ou ne le sont que très peu. Les femmes sont encore sous-représentées dans les cohortes. Alors qu'en France, environ 35 % des personnes contaminées sont des femmes, leur représentation dans les études est en baisse et ne dépasse pas 15 % aujourd'hui. Les femmes sont exclues des études sous prétexte qu'elles risqueraient de fausser les données ou de biaiser les résultats si elles devenaient enceintes pendant les essais. Encore une fois, elles sont réduites à leur statut de mères ! Dans ce contexte, les femmes testent les effets des traitements dans la vraie vie. Or l'argument même selon lequel l'inclusion de femmes dans les essais risquerait d'en fausser les résultats souligne bien que le virus et les traitements ne produisent pas les mêmes effets chez les hommes et chez les femmes.

Ces différences dans les effets s'expliquent bien évidemment par des différences physiologiques. Les traitements du VIH perturbent le système hormonal. Ils induisent des problèmes cardiovasculaires et osseux, ainsi qu'une dystrophie, c'est-à-dire une transformation du corps. Il ne s'agit pas d'affirmer que les effets secondaires seraient plus difficiles pour les femmes que pour les hommes, mais simplement de reconnaître qu'ils sont différents. Pourtant, aujourd'hui encore, les femmes séropositives rencontrent des difficultés à le faire entendre. Seules des études genrées permettraient d'apporter des réponses aux questions des femmes sur les conséquences des traitements, qu'il s'agisse des aspects cardiovasculaires, de la transformation du corps ou encore des fluctuations hormonales, notamment au moment de la ménopause. L'absence de données scientifiques, mais également d'études en sciences sociales sur le vécu et l'isolement des femmes séropositives nous semble extrêmement problématique.

L'enquête VESPA (VIH-Enquête Sur les Personnes Atteintes) de l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) a notamment souligné la situation de précarité dans laquelle se trouvent souvent les femmes atteintes par le VIH. L'isolement, la précarité sociale - notamment des femmes originaires d'Afrique subsaharienne - ou encore la co-infection par une hépatite constituent autant de facteurs de vulnérabilité cumulés face à la maladie. Socialement, celle-ci est moins bien acceptée lorsqu'elle touche les femmes. A l'occasion de colloques que nous organisons avec des femmes séropositives, nous rencontrons souvent des interlocutrices restées dix, quinze ou vingt ans sans jamais parler de leur maladie, si ce n'est à leur médecin.

Pour apporter des réponses aux femmes, il convient de tenir compte de leurs spécificités physiologiques et sociales. Le travail que le Planning familial mène notamment auprès des jeunes s'inscrit bien dans cette perspective.

Aujourd'hui, les traitements permettent aux personnes séropositives de vivre plus longtemps. Le contrôle de la charge virale leur permet d'être « moins contaminantes ». En matière de sexualité, le préservatif n'est plus l'unique outil de prévention : il existe toute une palette de moyens permettant de prévenir la transmission de la maladie. Cependant, ces moyens sont très peu étudiés chez les femmes. Le préservatif féminin reste trop peu mis en avant, alors qu'il permettrait aux femmes de gérer elles-mêmes leur prévention. De la même manière, les microbicides font l'objet de très peu de recherches. Voilà deux ans, l'Organisation des Nations unies (ONU) a annoncé que l'utilisation du contraceptif injectable Depo-Provera, l'un des contraceptifs les plus utilisés dans les pays du Sud, était susceptible d'augmenter le risque d'infection à VIH pour les femmes. Or, à la suite de cette annonce, très peu d'études ont été menées. Aucun investissement n'a été réalisé pour poursuivre les recherches.

Pour terminer, je souhaite aborder la pénalisation de la transmission du VIH, un sujet souvent évoqué dans les colloques que le Planning familial organise avec d'autres associations. Bien qu'en France, les plaintes portées émanent souvent des femmes, j'insiste sur le fait que pour la majorité des femmes que nous rencontrons, la transmission du VIH ne peut s'appréhender en termes de « coupable » ou de « victime ». Il serait certes trop simpliste de parler d'une responsabilité partagée dans la prévention, en raison des inégalités évoquées plus tôt. Pour avancer sur cette question, plutôt que d'apporter une réponse d'ordre juridique, il convient de permettre aux femmes de gérer leur prévention.

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