Intervention de Alain Anziani

Réunion du 29 janvier 2015 à 9h00
Durée du mandat du président de la république — Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi constitutionnelle

Photo de Alain AnzianiAlain Anziani :

D’autres dénoncèrent l’institution d’un régime personnel, à la Salazar, d’autres encore parlèrent de plébiscite…

De son côté, le général de Gaulle considérait que « la nation [devait] avoir, désormais, le moyen de choisir elle-même son Président, à qui cette investiture directe [pourrait] donner la force et l’obligation d’être le guide de la France et le garant de l’État ».

Même si la Constitution de 1958 reconnaît le rôle des partis politiques, elle porte la marque d’une méfiance à leur égard, puisqu’elle place au-dessus d’eux un représentant des Français. L’article 5 de la Constitution consacre le rôle d’arbitre du Président de la République : « Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. »

Pour comprendre ces débats de 1962, il faut se souvenir que, en 1958, la France avait connu dix-huit gouvernements en douze ans…

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas seulement ce changement institutionnel qui a bousculé la vie politique française et a conduit à sa personnalisation extrême, pour ne pas dire excessive. Depuis 1965, les Français élisent directement leur président, mais ils le font sous l’œil de la télévision, qui leur montre les visages et les attitudes des candidats. Conjuguée au facteur télévisuel, l’élection au suffrage universel direct a institué un lien direct, personnel, humain entre l’électeur et le candidat. Le même phénomène s’est d’ailleurs produit lors de l’élection présidentielle américaine de 1960, qui a vu John Fitzgerald Kennedy l’emporter sur Richard Nixon.

Si, dans un premier temps, ce lien a sacralisé davantage la fonction présidentielle, il a, dans un second temps – le nôtre –, contribué à sa dégradation. En effet, le Président de la République, hier monarque républicain à l’abri des regards, est devenu un homme comme un autre, dont chacun peut commenter les qualités et les défauts.

Or j’estime, contrairement aux auteurs de la proposition de loi constitutionnelle, que cette personnalisation du pouvoir n’a que peu de rapport avec la durée du mandat. Ainsi, Angela Merkel, en Allemagne, est élue pour quatre ans, et David Cameron, au Royaume-Uni, l’est pour cinq : il serait pourtant difficile de prétendre que l’un ou l’autre souffre d’un manque de visibilité.

Le raccourcissement à cinq ans de la durée du mandat présidentiel a-t-il été influencé par l’air du temps, comme certains orateurs l’ont affirmé au mois de novembre dernier ? Oui, l’air du temps a pesé, comme M. le rapporteur l’a souligné au début de la discussion générale. J’oserai demander : et alors ? Ce que nous appelons l’air du temps consiste à soumettre chacun à l’opinion et au débat. En somme, je dirai, au risque de paraître un peu péremptoire, que l’air du temps est un air démocratique.

Les mandats de longue durée ont été abandonnés dans la plupart des démocraties. Certes, nous pouvons admirer, et même partager, les réflexions de Michel Debré, qui soutenait en 1945 l’idée d’un mandat d’une durée supérieure à sept ans, ou celles du général de Gaulle, qui expliquait en 1964 qu’il aurait préféré un mandat plus long, mais ces réflexions, aussi pertinentes qu’elles aient été à l’époque, sont-elles encore d’actualité ?

En vérité, elles datent d’une période qui ne connaissait pas la cohabitation entre deux pouvoirs aussi légitimes l’un que l’autre, d’un monde où l’information circulait plus lentement qu’aujourd’hui, voire ne circulait pas du tout, d’un univers institutionnel dont la démocratie participative était absente et dans lequel les sondages, plus rares qu’aujourd’hui, mettaient moins souvent à mal la légitimité des gouvernants.

La vérification de la légitimité est un souci constant. Celui-ci, comme le rapporteur l’a fait observer, a conduit le général de Gaulle à en appeler au peuple par la voie du référendum par trois fois, en 1961, en 1962 et en 1969. Dans le dernier cas, le chef de l’État a tiré les conséquences du résultat en abrégeant son septennat. Le même souci de la légitimité a provoqué des tensions à la veille de chacun des scrutins législatifs, qui ont débouché, il est vrai, sur trois cohabitations.

Que les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle me permettent une observation : je crois qu’il y a une grande part d’idéal dans la croyance que le Président de la République, élu pour sept ans, se consacrerait sereinement à son action en oubliant les élections législatives ou locales intermédiaires. Il me paraît évident que, le septennat rétabli, le chef de l’État aurait les yeux fixés sur les scrutins du dimanche et ne pourrait ignorer le verdict des urnes, d’autant que les élections législatives seraient susceptibles de lui imposer une cohabitation. La longue durée d’un septennat n’exclut donc pas que l’action du chef de l’État soit influencée par des échéances plus rapprochées ; elle ne rendrait pas nos gouvernants plus vertueux.

Poussons la réflexion plus loin. Le jugement des Français est quotidien, et ne passe plus seulement par les élections. Cela n’est sans doute pas nouveau, mais ce jugement est désormais public, ce qui l’est davantage. Comment pourrions-nous ignorer la société dans laquelle nous vivons, sa rapidité, sa réactivité et même sa versatilité, qui est une nouvelle règle du jeu ?

Je comprends parfaitement l’argument selon lequel le temps de l’action publique n’est pas le même que celui de l’élection. De fait, aujourd’hui, le titulaire d’une fonction doit répondre de sa politique avant même qu’elle n’ait porté ses fruits. Seulement, cette règle est désormais générale : elle concerne le maire, élu pour six ans alors que les projets municipaux demandent davantage de temps, les acteurs économiques, tenus de rendre immédiatement des comptes à leurs actionnaires et à leurs salariés, et les nations elles-mêmes, qui, face à une crise, ne peuvent attendre aucun répit. Partout, le temps s’est accéléré. Il était donc normal que la démocratie adopte un rythme qui la rende plus réactive.

On ne construit pas une règle constitutionnelle contre le peuple, lequel a changé depuis l’époque du septennat : il veut davantage, plus rapidement et dans une plus grande transparence. Dans ces conditions, je vois mal comment nous pourrions lui expliquer que le Président de la République rendra désormais compte de son mandat non pas dans cinq ans, mais dans sept.

En dépit des propos que j’ai tenus, je partage largement les inquiétudes des auteurs de la proposition de loi constitutionnelle au sujet de la présidentialisation du régime au détriment du Parlement. Cependant, je considère, avec d’autres, que la cause principale de ce phénomène tient à l’incohérence de notre dispositif constitutionnel.

En effet, nous continuons à vivre dans la fiction d’un Président de la République arbitre, au-dessus des partis, tout en sachant très bien qu’aucun président n’a été élu sans le soutien d’un parti majoritaire et qu’un candidat n’a aucune chance d’accéder à la responsabilité suprême s’il ne s’appuie sur un parti fort. Au demeurant, les Français ne se déplacent pas en masse pour élire un arbitre, mais pour désigner un responsable politique auquel ils demanderont directement des comptes.

À la vérité, nous ne sommes pas allés au bout de la logique de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, qui conduit à la suppression de la fonction de Premier ministre. Nous avons préféré maintenir à la tête de l’État une dyarchie qui est source de discorde, non seulement en cas de cohabitation – songeons à ce spectacle étrange que nous donnons, sur la scène internationale, d’une double incarnation de l’État –, mais aussi en dehors des périodes de cohabitation, comme on a pu le voir avec les binômes composés de Georges Pompidou et de Jacques Chaban-Delmas, de Valéry Giscard d’Estaing et de Jacques Chirac ou de François Mitterrand et de Michel Rocard.

Aller au bout de cette logique suppose de supprimer le droit, pour le Président de la République, de dissoudre le Parlement et la possibilité, pour l’Assemblée nationale, d’adopter une motion de censure, afin d’instaurer une vraie séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif.

J’ajouterai, mes chers collègues, que la balle se trouve aussi dans notre camp. Si nous voulons un vrai régime parlementaire, il convient sans doute de revoir, outre la place du Président de la République, le rôle du Parlement. Nous devons privilégier l’élaboration de la loi et l’examen des grandes questions – comme celle que nous abordons ce matin –, nos débats se réduisant pour l’heure trop souvent à une longue suite de monologues à usage personnel et local… Mais c'est là un autre sujet, qui fait aujourd'hui, au sein de notre assemblée, l’objet de travaux dont j’espère qu’ils aboutiront. §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion