Intervention de Yvon Collin

Réunion du 29 janvier 2015 à 9h00
Durée du mandat du président de la république — Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi constitutionnelle

Photo de Yvon CollinYvon Collin :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les événements tragiques de ce début d’année ont ouvert une parenthèse d’unité nationale qui devrait trouver un prolongement dans le débat sur la réforme et la modernisation de nos institutions, ou plus exactement sur l’équilibre des pouvoirs, qu’il devient urgent de revoir.

On en conviendra, il existe sinon une unité, du moins un consensus, au sein des forces politiques et citoyennes de notre pays, pour reconnaître qu’il est urgent de changer et de réformer notre système institutionnel.

Plutôt que d’entamer une grande et profonde révision de la Constitution en revoyant la plupart de ses articles, comme le souhaite Mme Benbassa, pourquoi ne pas réajuster sensiblement l’équilibre et le fonctionnement des institutions de la Ve République, en ne modifiant qu’à la marge, par quelques petites touches bien ciblées, notre texte fondamental ? C’est le choix que nous avons fait en proposant d’allonger de deux ans le mandat du Président de la République, d’une part, et de le rendre non renouvelable, d’autre part.

Nous sommes convaincus que l’entrée en vigueur de ces deux seules mesures serait de nature à changer considérablement le fonctionnement de nos institutions et la pratique même du pouvoir, que celui-ci soit exécutif ou législatif.

Aujourd’hui, à mi-chemin du quinquennat présidentiel, que constate-t-on ? L’échéance de 2017 et les stratégies électorales prennent le pas sur le débat de fond et la recherche de l’intérêt général. Le temps de l’action politique est de plus en plus réduit sous la pression du temps médiatique. Ne serait-ce pas une fausse modernité que de croire que tout doit aller vite à l’ère de la mondialisation, alors que les réformes structurelles imposent un temps long ?

Polarisé sur sa propre réélection, un président élu pour cinq ans doit remplir rapidement ses promesses, quitte à spéculer avec imprudence sur l’avenir. À peine élu, on veut inverser ou accélérer des courbes. Comme le disait très justement Flaubert, « l’avenir nous tourmente, le passé nous retient, c’est pour ça que le présent nous échappe.»

Dans ces conditions, un septennat non renouvelable permet finalement d’agir dans la durée et de ne pas être prisonnier de sa propre réélection. La focalisation permanente du titulaire, comme de son gouvernement, sur une probable nouvelle candidature s’efface, donnant plus de force à une vertu cardinale en politique, le courage de l’action. Le courage, cela signifie prendre des décisions impopulaires lorsqu’elles sont nécessaires au pays, à l’intérêt général et aux Français. D’une certaine façon, cela éviterait un quinquennat pour rien, quand ce n’est pas deux si le sortant n’est pas réélu, d’autant que les électeurs sont de plus en plus tentés par l’alternance systématique à l’issue de chaque quinquennat.

Comme l’a dit excellemment Jacques Mézard lors de son intervention à cette tribune pour présenter notre proposition de loi, le quinquennat nuit à la qualité du débat public lorsqu’il conduit le titulaire de la fonction présidentielle à se placer dans la position de candidat à sa propre succession.

Certes, on nous opposera, madame la secrétaire d’État, que, dans la plupart des régimes parlementaires, la durée des mandats n’excède pas cinq ans. Mais la comparaison a ses limites, lorsqu’elle n’est pas faite à l’aune d’un ensemble institutionnel. Le champ comparatif se rétrécit notamment si l’on se réfère au mode d’élection. Seuls quatre pays en Europe élisent leur président au suffrage universel direct. Je prendrai l’exemple de la Finlande, qui a fait le choix de l’élection du président au suffrage universel direct en 1994. Mais le mandat de ce dernier est de six ans et, surtout, la réforme s’est accompagnée d’un fort rééquilibrage des pouvoirs en faveur du Parlement.

Il s’agit en effet aussi de la question des rapports entre l’exécutif et le législatif, mes chers collègues ! Disons-le, le quinquennat a plutôt consacré l’affaiblissement du Parlement. En calant la durée du mandat présidentiel sur celle de la législature de l’Assemblée nationale, la réforme de 2000 a dénaturé la fonction arbitrale du Président de la République, pourtant affirmée avec force, je le rappelle, à l’article 5 de la Constitution.

Théoriquement responsable de tous les Français, le Président est devenu, de fait, le chef d’une majorité parlementaire, puisque celle-ci est élue dans le sillage de sa propre élection.

Le Président est ainsi lié à une majorité partisane et ne peut plus exercer, comme il le devrait, sa neutralité politique, en se plaçant « au-dessus des partis politiques », alors même que cela peut se révéler indispensable. Il gouverne plus qu’il ne préside. Dans ce cadre, on peut d’ailleurs s’interroger sur l’utilité du Premier ministre.

Aussi l’Assemblée nationale ressemble-t-elle de plus en plus à une « chambre d’enregistrement » des promesses présidentielles suivies, ici et là, de quelques aménagements, quand « les frondeurs » aboient un peu trop fort et que la majorité se rétrécit.

Au mois de novembre dernier, vous nous avez dit en substance, monsieur le rapporteur, que les radicaux avaient la nostalgie du régime parlementaire. Quel mal à cela ? C’est tout notre pays qui est nostalgique, exprimant seulement le souhait d’un véritable équilibre des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif, comme c’est le cas dans nombre de démocraties. Oui, nous voulons – et nous le revendiquons haut et fort – un président arbitre et un parlement plus indépendant.

Permettez-moi de croire, mes chers collègues, qu’on peut conforter nos institutions sans revenir à la dérive parlementariste de la IVe République et sans en rester à la dérive présidentialiste de la Ve République.

Enfin, il est indiqué à la page 5 du rapport de M. Hugues Portelli – les conclusions de la commission des lois – que la proposition de loi constitutionnelle examinée ce matin ferait réapparaître la cohabitation. Mais celle-ci n’était pas une si mauvaise chose ! D’ailleurs, l’Histoire commence à lui rendre les honneurs qu’elle mérite. Qui plus est, elle est toujours préférable à une cohabitation larvée qui ne dit pas son nom, mais cause bien des dégâts. De surcroît, il n’est point besoin de démontrer que le quinquennat n’a en rien écarté l’éventualité d’une cohabitation, puisque le Président peut toujours dissoudre l’Assemblée nationale, démissionner ou même décéder. Peut-être faut-il en effet rappeler que le titulaire de cette fonction est, lui aussi, mortel !

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