Intervention de Alain Milon

Réunion du 29 janvier 2015 à 9h00
Débat sur le thème : « la france dispose-t-elle encore du meilleur système de santé au monde ? »

Photo de Alain MilonAlain Milon :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si la question que nous nous posons aujourd’hui est claire et directe, reconnaissons que la réponse à y apporter n’est pas aussi simple et facile qu’on pourrait le croire.

Nous partons d’un constat indéniable : la France a eu le meilleur système de santé au monde. L’a-t-elle toujours aujourd’hui ? Selon Roger Salomon, qui préside le Haut Conseil de la santé publique, « en matière de santé, la France est aujourd’hui un pays moyen, parfois meilleur que certains, mais pas toujours ».

De son côté, dans son édition 2013 du Panorama de la santé, l’OCDE conclut que le système de santé en France demeure globalement performant et efficace. Tout en ayant engagé des efforts de rationalisation, il continue d’assurer l’une des meilleures prises en charge des coûts de la santé parmi les pays de l’OCDE ; toutefois, il faut noter que la pérennité du système pourrait être menacée par un renouvellement insuffisant de la population médicale.

Pour répondre à la question à l’ordre du jour de notre séance, je pense que nous devons faire une analyse à la fois dans le temps et dans l’espace. La recherche de la qualité fait aujourd’hui partie de notre quotidien. Pour la mesurer, des normes et des référentiels ont été instaurés. Plus aucun domaine professionnel ne semble y échapper. Mais qu’en est-il de la qualité de notre système de santé ? Toutes les études concordent pour montrer que cette qualité laisse à désirer. Sans aller jusqu’à dire que le choix a sciemment été fait de ne pas dépister l’erreur, il faut s’interroger sur la raison de la persistance de telles insuffisances.

Le soin a toujours été en évolution constante. Cependant, il a connu ces dernières années des changements considérables sur les plans tant technico-économique que spirituel et anthropologique. Les progrès techniques et organisationnels récents l’ont rendu vraiment efficace. Initialement d’essence religieuse, le soin ne se réfère plus aujourd’hui à aucune transcendance. La personne bénéficiaire, pour des raisons médicales ou sociales, était considérée il y a peu comme passive et assistée ; elle est maintenant définie par ses droits et convoquée comme acteur principal du processus de soins.

L’hôpital et les établissements de santé doivent faire face aujourd’hui à de nombreuses mutations, avec des incidences incontournables sur les pratiques des professionnels. Si ce phénomène n’est pas nouveau, il s’est considérablement accéléré ces dernières années, suscitant au mieux des interrogations, au pis des inquiétudes et des blocages.

Les établissements de soins ont, pendant les Trente Glorieuses, Gilbert Barbier l’a rappelé tout à l’heure, bénéficié d’un développement continu, accentuant leur modernisation et déployant leur plateau technique sans forcément analyser et prendre en considération ce qui est souvent mis en avant par les patients : techniques de plus en plus sophistiquées et invasives, ressenti de déshumanisation, cloisonnement entre services, repli des établissements sur eux-mêmes, morcellement des tâches dû à l’hyperspécialisation.

Depuis quelques années, les pays européens, pour ne prendre que l’exemple de ce qui nous est proche, se trouvent confrontés à la même problématique : ils doivent garantir une offre de soins de qualité, adaptée aux besoins de la population et accessible à tous, dans un contexte de ressources publiques limitées.

L’Europe est à la croisée des chemins, tout au moins en ce qui concerne la politique de santé, que les gouvernements nationaux tiennent fermement dans leurs mains et souhaitent qu’il en reste ainsi. Cette volonté n’est pas surprenante si l’on sait que la santé absorbe désormais environ 10 % du PIB des pays les plus riches. D’ailleurs, de nombreux changements intervenus ces dix dernières années dans les systèmes de santé se sont concentrés sur le resserrement du contrôle économique plutôt que sur la promotion d’une bonne santé. Les ministères des finances ont une forte – oserai-je dire « trop forte » ? – influence sur la politique de santé.

Les différences d’espérance de vie en Europe montrent cependant l’ampleur des enjeux politiques. Nous avons la science et le savoir pour réduire radicalement ce fossé, mais cet effort exige une volonté politique, une organisation et un financement pour engager des actions décisives.

Ainsi, la philosophie du marché qui est au cœur de l’Union européenne aggrave la situation des pays les plus pauvres, au moins à court terme. Ils perdent leurs professionnels de santé qui migrent vers les pays les plus riches pour occuper des postes mieux payés.

Les interventions en santé les plus efficientes, telles que le changement de style de vie, requièrent des investissements de long terme dans d’autres secteurs économiques que ceux de la santé. L’OCDE attribue d’ailleurs la faible espérance de vie dans les pays les plus pauvres à une mortalité plus élevée due à l’appareil circulatoire ou aux cirrhoses, qui reflète des styles de vie caractérisés par l’abus de tabac et la consommation d’alcool. Il faut y ajouter un taux de suicide masculin très élevé.

Le dilemme politique tient à ce que les dépenses de santé ne baissent pas, quand bien même les investissements pour promouvoir de meilleurs modes de vie réussissent et que les citoyens vivent plus vieux. Il reste toujours d’autres années de vie en bonne santé à gagner et des progrès en qualité de vie que les citoyens en meilleure santé sont en droit d’attendre.

En France, comme dans de nombreux pays européens, dans le domaine de la santé, le marché opère de façon imparfaite. Il est généralement adapté pour assurer l’efficience des services de chirurgie programmée, mais beaucoup moins pour fournir des soins d’urgence ou des soins de longue durée pour des patients chroniques. Cet écart risque d’être encore plus marqué avec les transferts de services publics à des prestataires privés, à but lucratif ou non.

Les coûts à court terme et les gains d’efficience peuvent être équilibrés ou moindres, du fait des difficultés induites pour les hôpitaux du secteur public qui se retrouvent à devoir traiter les cas les plus complexes et les urgences.

Le coût des médicaments, que Jean-Marie Vanlerenberghe a évoqué, reste aussi un sujet clé de discussion, alors que la part des médicaments dans les dépenses de santé continue de croître. Si une réponse a consisté à persuader les prescripteurs de se tourner vers le générique, traditionnellement moins cher, l’industrie pharmaceutique affirme que ses coûts sont élevés du fait d’énormes investissements de développement.

En dépit du manque d’enthousiasme pour une politique de santé radicale, il faudra bien se montrer plus offensif en matière de santé publique, par la promotion de modes de vie plus respectueux de la santé, par la prévention et par la protection de la santé des citoyens.

Pour en revenir plus précisément au système de santé français et à son évolution, il me semble essentiel de noter que, si les Français bénéficient d’une des meilleures couvertures maladie au monde, le monde du soin doit, pour rester performant, s’adapter à la nouvelle donne démographique, technique, économique et même spirituelle. Il doit se situer à l’articulation entre le privé et le public, car il touche à l’intime, mais, en même temps, il est pris en charge par la société. Ce défi concerne ainsi les pouvoirs publics, les médias, les associations et les citoyens que nous sommes tous.

La qualité ne se décrète pas, …

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