Intervention de Michel Magras

Réunion du 29 janvier 2015 à 15h00
Collectivité de saint-barthélemy — Adoption d'une proposition de loi organique dans le texte de la commission modifié

Photo de Michel MagrasMichel Magras :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les dispositions de la présente proposition de loi organique avaient été préparées dans la perspective d’un projet de loi de « toilettage » des statuts des collectivités d’outre-mer. Elles sont issues d’une délibération du conseil territorial de la collectivité de Saint-Barthélemy.

Ainsi, sept ans après le passage de commune à collectivité d’outre-mer dotée de l’autonomie régie par l’article 74 de la Constitution en 2007, la pratique a mis en lumière les ajustements du statut et les élargissements nécessaires pour améliorer le fonctionnement de la collectivité et une meilleure adaptation à la réalité locale.

Ces dispositions procèdent donc d’une expérience éprouvée tout en s’inscrivant dans le principe même de l’article 74 de la Constitution, autrement dit un statut tenant compte des intérêts propres de la collectivité au sein de la République.

C’est dans cette optique qu’un élargissement des compétences de la collectivité s’avère nécessaire. Celui-ci s’articule autour de deux axes : d’un côté, le transfert de compétence, de l’autre, la participation à l’exercice des compétences conservées par l’État à Saint-Barthélemy.

Je souhaite à cet égard souligner que jamais l’État n’a été aussi présent à Saint-Barthélemy que depuis que l’île est devenue une collectivité. Aussi, en élargissant sa participation aux compétences, il s’agit ni plus ni moins que d’approfondir la coopération avec l’État, comme l’autorise le caractère de collectivité autonome. En dotant une collectivité de l’autonomie, l’État lui permet bien de participer à l’exercice de ses compétences lorsque cela favorise les intérêts propres de la collectivité.

Ces intérêts doivent s’entendre du point de vue du contexte économique, social et régional de chaque collectivité qui déroge au droit commun lorsque celle-ci peut de ce fait mieux s’adapter aux enjeux qu’ils posent. C’est le cas à Saint-Barthélemy.

Comme vous le savez, l’économie de l’île est monosectorielle et repose essentiellement sur le tourisme, directement ou indirectement. Elle est donc fragile.

Cette économie a par ailleurs pour autre particularité d’être tournée vers la zone dollar parce que s’y trouve l’essentiel de sa clientèle. Dès lors, cela implique que Saint-Barthélemy est placée en concurrence avec les pays de cette zone qui connaissent depuis ces dernières années un développement de leur secteur touristique particulièrement dynamique.

De ce point de vue, notre statut doit nous permettre d’offrir aux entreprises les conditions de leur compétitivité en s’adaptant aux évolutions.

Saint-Barthélemy doit aussi relever le défi de la gestion de l’espace et de la préservation de son environnement naturel. Sur un territoire de vingt-quatre kilomètres carrés, l’équilibre est une recherche constante. C’est l’une des raisons pour lesquelles, à Saint-Barthélemy, nous parlons non pas de développement économique mais de maîtrise du développement.

La préservation de la cohésion sociale se trouve au cœur de cette politique, notamment en matière de logement.

C’est l’objet de l’article 1er du présent texte relatif aux conditions d’exercice du droit de préemption de la collectivité.

En effet, compte tenu de son étroitesse, l’île connaît une pression foncière constante couplée à l’envolée des prix du foncier ces dernières années.

Le droit de préemption est donc un outil de régulation que nous souhaitons ajuster afin d’en faire un outil supplémentaire de la politique de préservation des espaces naturels. Je vous exposerai plus en détail ce dispositif lors de la discussion des articles, je tiens toutefois à préciser qu’il ne s’inscrit pas dans une hiérarchisation des finalités, comme cela a pu être objecté. Permettre à la collectivité d’exercer son droit de préemption même en cas de transfert entre résidents vise à éviter un mitage de l’île et à permettre la définition de zones naturelles cohérentes.

Cela montre bien que chaque disposition doit être vue comme adaptée à un contexte local particulier. Une fois rapporté au contexte local, on comprend mieux pourquoi ce qui paraît vu de l’extérieur devoir être mis en œuvre peut se révéler contre-productif.

Tel est le sens de l’article 2, dont la commission propose la suppression.

Si, sur la forme, je dois admettre que cette suppression se justifie, du fait d’une rédaction parfois insuffisante, sur le fond, la situation de Saint-Barthélemy justifie le rétablissement de ces dispositions, ce que je vous proposerai.

Cet article 2 initial entre dans le champ de l’exercice de la participation de la collectivité à l’exercice des compétences de l’État. Il s’agit-là, j’y insiste, d’une possibilité induite par la qualité de collectivité dotée de l’autonomie. Autrement dit, ce qui ne peut se concevoir pour un département d’outre-mer est rendu possible pour une collectivité dotée de l’autonomie.

Le texte proposé au a de cet article porte sur la procédure de participation à l’exercice des compétences de l’État. Dans ce cadre, la collectivité est en effet entièrement sous son contrôle, qui se matérialise par un décret d’approbation totale ou partielle, ou de refus d’approbation, soit pour des motifs de légalité, soit pour des motifs d’opportunité.

Aujourd’hui, cette faculté de participation s’applique en matière pénale et en matière de police et de sécurité maritime. Elle se déroule en trois étapes. D’abord, la collectivité adopte un acte par une délibération qu’elle transmet au ministre chargé de l’outre-mer. Ensuite, celui-ci est chargé, avec le ministre de la justice, de proposer au Premier ministre un décret tendant soit à l’approbation totale ou partielle, soit au refus d’approbation. Enfin, une fois le décret publié, l’acte est soumis au Parlement pour ratification. Ce n’est qu’alors que les dispositions adoptées par le conseil territorial peuvent entrer en vigueur dans le corpus normatif de la collectivité.

Il s’agit donc en réalité d’un double contrôle.

Ce paragraphe a tendait initialement à un réaménagement de la procédure en raison de délais systématiquement anormalement longs pour la publication du décret : en moyenne, plus de deux ans s’écoulent entre la transmission de la délibération et l’entrée en vigueur.

En plus de cet aspect, il s’agit également de clarifier la possibilité pour le Parlement d’adopter directement des dispositions à caractère pénal au titre de la souveraineté du législateur, conformément à l’esprit de la loi statutaire.

Enfin, le dernier point, en lien avec le précédent, visait à permettre à la collectivité de participer aux compétences de l’État en matière de recherche et de constatation des infractions, dans le prolongement de la faculté de fixer les sanctions. Il faut en effet souligner que, faute d’équivalent local des fonctionnaires et des agents habilités en droit national à rechercher et à constater les infractions dans les matières transférées à la collectivité, l’application effective des sanctions pénales une fois entrées en vigueur peut rester lettre morte. Nous y avons été confrontés en matière d’environnement, par exemple.

J’en arrive maintenant à l’élargissement des domaines de compétences de l’État auxquels la collectivité a souhaité être habilitée à participer.

Le premier figure au paragraphe b de l’article 2. Le domaine de l’entrée et du séjour des étrangers touche, nous le savons, à des libertés publiques fondamentales. Toutefois, comme je vous le disais, il convient de le rapporter aux besoins des collectivités, en lien avec leurs intérêts. En l’occurrence, avec une économie fondée sur l’entrée des visiteurs, la collectivité doit pouvoir indiquer à l’État quelles sont les dispositions de nature à faciliter l’arrivée des visiteurs, dans son intérêt économique.

Nous devons également veiller, pour des motifs de cohésion sociale, à ce que les règles de séjour ne soient pas détournées, conduisant à la rupture de la cohésion sociale, dans l’intérêt de la population locale comme des populations d’immigration. Cela tient en premier lieu notamment aux possibilités de logement sur l’île.

Or il s’avère que, faute d’une coopération étroite avec l’État dans ce domaine, le contournement de la règle est récurrent. L’inadaptation des règles aboutit de même dans certains cas à l’impossibilité pour la collectivité d’exercer pleinement sa compétence en matière d’accès au travail des étrangers.

Elle souhaite donc une coopération plus étroite dans ce domaine, par le biais de la participation, dès lors que la portée de ses avis se révèle relativement faible dans le cadre de la consultation sur les projets de loi relatifs à l’entrée et au séjour des étrangers. Nous sommes en effet régulièrement consultés en urgence, et rendons parfois nos avis après la transmission du projet de loi au Conseil d’État. Enfin, il va sans dire que, dans ce domaine, les difficultés ne peuvent se régler à l’échelon administratif de la préfecture déléguée.

Madame la ministre, mes chers collègues, les collectivités autonomes d’outre-mer, à travers leur statut, leurs compétences, soulèvent parfois la question de l’unité de la République et de ses principes, et de la frontière entre l’unité et l’uniformité.

Un autre domaine pour lequel la collectivité sollicite l’élargissement de la participation aux compétences de l’État est celui de la protection sociale, y compris la fiscalité sociale.

Au moment de la définition de son statut en 2003, la question du transfert de la compétence sociale avait été posée. À ce moment-là, nous n’avions pas souhaité l’exercer, par prudence et avant d’être certains que la mise en place d’un système de protection sociale propre à Saint-Barthélemy correspondait à la volonté de la population. Par prudence, parce que nous avions estimé devoir nous assurer d’être en mesure de garantir qu’une organisation propre ne conduirait pas à une précarisation de la protection sociale.

C’est en réalité le Conseil économique, social, culturel et environnemental qui a rouvert ce débat, preuve qu’il s’agit d’une demande émanant non pas des élus de la collectivité mais bien des représentants des composantes de la société.

Ainsi, par délibération, la collectivité adopte le principe de la nécessité d’une organisation de la prise en charge de la protection sociale, faisant suite à une expression de la volonté de la population.

De plus, le rapport de l’Observatoire régional de la santé de Guadeloupe, l’ORSAG, sur la protection sanitaire et sociale à Saint-Barthélemy présenté en 2012 a constitué à la fois un point de départ et une base pour ce débat.

Dans ce rapport, il est constaté que « Saint-Barthélemy présente un contexte local compliquant la gestion du système de santé sur ce territoire », qui s’explique par « une culture d’auto administration » découlant du détachement historique de l’administration. De ce fait, « certains Saint-Barths sont donc réticents à s’adresser aux administrations » ; « par ailleurs, il n’y a pas de présence permanente de la sécurité sociale à Saint-Barthélemy ». Ce sont des faits.

Il faut dire que si le rattachement à la Guadeloupe a paru naturel en 2003, historiquement, l’administration n’a pas, si l’on peut dire, une « culture de Saint-Barthélemy », encore moins depuis que cette collectivité est détachée de la Guadeloupe. Cela se traduit dans la qualité du service rendu.

Madame la ministre, mes chers collègues, la demande de Saint-Barthélemy s’inscrit dans la problématique de l’accès au service public et de la qualité de ce dernier, en l’occurrence celui – ô combien fondamental – de la protection sociale.

Plus généralement, je rappelle que Saint-Barthélemy et Saint-Martin sont les deux seules collectivités d’outre-mer qui ne disposent pas d’une organisation propre de leur système de protection sociale. Avant la mise en place de ces deux collectivités, cette situation était considérée non comme une atteinte fondamentale à la solidarité nationale, mais comme une adaptation du principe de solidarité à leurs caractéristiques. De surcroît, à la différence de Saint-Martin, Saint-Barthélemy est devenue en 2012 un pays et territoire d’outre-mer du point de vue du droit européen. Ce double régime juridique justifie donc une adaptation.

De plus, l’intention de la collectivité est connue puisqu’elle fait l’objet d’une proposition de loi. Ainsi, déjà dans ce texte, elle apporte la garantie de la préservation d’un niveau de protection sociale conforme au modèle national.

La collectivité garantit également toute forme de dérive qui pourrait conduire à l’affaiblissement du niveau de protection dès lors qu’elle se place d’elle-même sous la tutelle de l’État.

Pas plus qu’en 2003, la collectivité de Saint-Barthélemy ne souhaite aujourd’hui exercer pleinement cette compétence.

La tutelle est d’ailleurs renforcée avec le dispositif que je vous proposerai. En plaçant l’adaptation du système de protection sociale dans le cadre de la participation aux compétences de l’État, ce système devra être issu d’une concertation étroite avec l’État qui, comme le Parlement, disposerait d’un pouvoir de veto, en légalité et en opportunité.

Au rang des grands principes, je vous invite, mes chers collègues, à ne pas considérer cette demande d’adaptation comme une volonté de nous soustraire à la participation à la solidarité nationale.

L’extension de la participation de la collectivité aux compétences de l’État en matière de protection sociale est assortie à l’élargissement au champ de la fiscalité sociale, c’est-à-dire les prélèvements obligatoires.

En effet, à Saint-Barthélemy comme ailleurs dans la République, se pose la problématique de la compétitivité des entreprises par les coûts, d’autant que cette collectivité présente la particularité d’avoir une économie reposant sur les services et d’être, pour cette raison, quasi exclusivement une économie de main-d’œuvre. Nos entreprises ne peuvent donc jouer sur le coût des produits ; elles peuvent seulement faire varier leurs charges, dans une optique de compétitivité des coûts. À cet égard, elles ne bénéficient pas du CICE, qui devrait atteindre 9 % dans les départements d’outre-mer.

Or, s’agissant des coûts dans le secteur touristique, les îles qui sont en concurrence directe avec Saint-Barthélemy sont naturellement avantagées par une main-d’œuvre moins chère et par l’avantage monétaire que représente un euro plus fort que le dollar.

La compétence dans le domaine de la fiscalité sociale devra simplement permettre d’ajuster les taux afin d’aboutir au même effet que le CICE. Il n’y a donc pas lieu de craindre pour Saint-Barthélemy ce qui est mis en place en métropole.

En outre, le rapport de l’ORSAG, que j’ai cité voilà quelques instants, relevait un reste à recouvrer sur les cotisations de 27 %, qui s’expliquerait par une gestion distante et par l’impossibilité pour l’administration de connaître les entreprises ayant quitté l’île lorsqu’elles ne se sont pas signalées. C’est, là encore, un point qui pourrait être amélioré par une gestion de proximité, dès lors que les entreprises de l’île sont assujetties à la contribution forfaitaire annuelle des entreprises, la CFAE.

Je dois aussi à l’honnêteté de souligner, mes chers collègues, que le dispositif que je vous proposerai peut même être considéré comme en recul s’agissant des « marges de manœuvre » de la collectivité par rapport à la proposition de loi que j’ai déposée.

Sur la forme, enfin, j’admets, de même que pour l’article 2, que la rédaction proposée justifiait la suppression de l’article 5. Je vous en soumettrai les dispositions sous une autre forme.

Par ailleurs, pour ce qui est des transferts de compétence, la collectivité se heurte au développement du nombre de véhicules de location sur l’île, situation parfois motivée par l’opportunité de la défiscalisation et sans lien réel avec un véritable besoin commercial.

Dans tous les cas, il convient de doter Saint-Barthélemy des moyens d’une régulation, assortissant par exemple l’exercice de cette activité à de strictes conditions de stockage. Ce projet s’inscrit dans l’optique de la gestion de l’espace, que j’ai déjà évoquée.

Parallèlement, la loi statutaire permet à Saint-Barthélemy de procéder à l’immatriculation des navires. Des lettres d’immatriculation ont d’ores et déjà été attribuées, mais la mise en œuvre effective, dans le souci de simplification des démarches qui était un objectif de la loi statutaire, se heurte à l’impossibilité de pouvoir délivrer les cartes et titres de navigation. Il vous sera donc proposé de compléter cette compétence en ce sens.

Nous examinerons, en outre, des articles relatifs au fonctionnement des institutions de la collectivité.

L’article 7 prévoit de confier au président de la collectivité une habilitation à ester en justice en son nom pour la durée du mandat. Il étend aussi les possibilités de délégation aux membres du conseil territorial. Le rapporteur a souhaité préciser la priorité accordée aux membres du conseil exécutif, ce qui est conforme à l’esprit de collégialité qui règne dans cet organe.

L’article 9 vise, quant à lui, à clarifier les règles de majorité du conseil exécutif.

Et, pour finir sur les mesures d’allégement, l’article 10 prévoit la suppression du rapport spécial sur la situation de la collectivité et des organismes qui en dépendent. Cette mesure se justifie par la taille de la collectivité, qui permet à ses membres de connaître en temps réel l’état d’exécution des décisions et la situation de la collectivité et des organismes dépendants.

L’article 11, qui est relatif à l’information des conseillers, clarifie les règles de transmission.

L’article 12, qui concerne le Conseil économique, social, culturel et environnemental, vise à clarifier les délais de transmission de ses avis, en vue d’une plus étroite association de cette institution aux décisions de la collectivité.

Madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention a plus particulièrement porté sur les dispositions de la proposition de loi organique qui méritaient, me semble-t-il, un éclairage proportionnel aux enjeux qu’elle représente.

Ce texte se veut cohérent, transparent sur les intentions, et dans l’intérêt de Saint-Barthélemy ; il va dans le sens d’une coopération renforcée avec l’État.

Je souhaite sincèrement que l’examen des articles soit l’occasion d’un véritable échange sur ces points. Il va sans dire que j’espère parvenir à convaincre ceux de mes collègues que je sais réticents du bien-fondé de ma démarche.

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