Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avec la proposition de loi organique que notre collègue Michel Magras a déposée pour réformer le statut de Saint-Barthélemy, nous examinons un texte qui présente deux grandes vertus.
Tout d’abord, voilà sept ans et demi que Saint-Barthélemy, devenue en application de l’article 74 de notre Constitution une collectivité d’outre-mer, possède un statut qui résulte des lois du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer.
La collectivité s’est penchée sur la question et a tiré le bilan de cette situation. Elle a ainsi réfléchi aux aménagements qu’il lui semblait important d’adopter afin de rendre plus efficace sa gouvernance et, par la voix de son dynamique sénateur, proposé des dispositions pertinentes au service de l’intérêt des habitants de l’île.
Ensuite, je tenais à souligner le deuxième aspect très positif de ce texte, qui, au-delà de Saint-Barthélemy, ne manquera pas d’interpeller les représentants des collectivités locales que nous sommes – vous me permettrez, madame la ministre des outre-mer, de vous considérer aussi comme telle.
Je veux parler de cette méthode qui part de la base, c’est-à-dire du diagnostic des élus, définissant un mode de gouvernance bâti sur les réalités du terrain, dans le cadre des nouvelles libertés accordées par la République, et appuyant sa légitimité sur le soutien massif des citoyens concernés. Il s’agit là d’une démarche liant consensus et pragmatisme qui mériterait d’être méditée à l’heure où le Parlement examine une réforme des collectivités territoriales dont de nombreux aspects sont pour le moins marqués par la rigidité et l’uniformité. Le « sur-mesure » institutionnel dont nos collègues ultramarins sont désormais familiers et que la Constitution consacre depuis 2003 peut nous inspirer.
Comme je l’indiquais, notre collègue a donc traduit au sein de ce texte les propositions que le conseil territorial a émises dans son avis du 20 décembre 2013. À la suite de la saisine du président du Sénat, le conseil exécutif de la collectivité a, par un avis rendu le 24 décembre dernier, réaffirmé son soutien à cette proposition de loi organique.
Commune intégrée au département de la Guadeloupe en 1946, Saint-Barthélemy forme alors avec l’île de Saint-Martin un arrondissement de ce département d’outre-mer.
La collectivité de Saint-Barthélemy a saisi l’occasion offerte par les innovations introduites par la révision constitutionnelle de 2003 pour solliciter son autonomie, arguant notamment de son éloignement de la Guadeloupe, distante de près de 230 kilomètres.
La création d’une nouvelle collectivité d’outre-mer a été approuvée par 95, 51 % des suffrages exprimés lors de la consultation locale du 7 décembre 2013. La voie était ouverte à la création, par le législateur organique, de cette collectivité dans les conditions et limites fixées à l’article 74 de la Constitution.
En 2007, la collectivité de Saint-Barthélemy s’est donc substituée à la commune de Saint-Barthélemy, au département et à la région de Guadeloupe. Elle exerce leurs compétences, ainsi que celles spécifiquement attribuées par le législateur organique, notamment un pouvoir normatif autonome dans de nombreux domaines tels que l’environnement, l’urbanisme, la fiscalité, l’énergie et le tourisme.
En revanche, les lois et règlements édictés par l’État s’y appliquent de plein droit, à l’exception des règles en matière de droit d’asile et d’entrée et séjour des étrangers.
La réforme statutaire de 2007 a donc permis l’autonomisation de Saint-Barthélemy et, parallèlement, l’unification des institutions locales au sein d’une seule collectivité. En contrepartie, le fonctionnement des institutions repose sur des équilibres spécifiques à cette collectivité, afin notamment de contrebalancer le pouvoir de l’autorité exécutive par une association plus large qu’en métropole des élus locaux.
La collectivité dispose d’un conseil territorial qui est l’assemblée délibérante composée de 19 membres. Le conseil territorial élit en son sein un président qui est responsable devant lui.
Cependant, le président du conseil territorial partage l’autorité exécutive avec un conseil exécutif composé de sept membres : le président, quatre vice-présidents et deux membres. Ce conseil est l’organe exécutif et son fonctionnement est collégial.
S’y ajoute un conseil économique, social et culturel qui assiste « à titre consultatif » le conseil territorial.
Notre collègue nous a présenté à l’instant sa proposition de loi organique qui prévoit deux types de modifications statutaires : celles qui sont relatives au fonctionnement des institutions, avec l’idée de le faciliter, et celles qui sont en lien avec les compétences respectives de la collectivité et de l’État.
S’agissant des règles de fonctionnement des institutions locales, les dispositions proposées résultent d’un premier bilan de la pratique institutionnelle née du statut. Certaines ne sont que la transposition du droit commun des collectivités territoriales. Je pense à la représentation en justice de la collectivité à l’article 7 ; aux possibilités de délégation de fonctions à des membres de l’assemblée délibérante, au même article ; à la suppression d’un rapport spécial du président au conseil territorial, redondant avec les différents débats budgétaires, à l’article 10 ; ou encore aux règles de quorum, de délégation de vote et de majorité au sein du conseil exécutif, à l’article 9.
Votre commission des lois les a adoptées sous réserve de plusieurs modifications que j’ai proposées dans le seul but de préserver les caractéristiques particulières des institutions locales.
Dans la même logique, la commission a précisé et clarifié les articles 11 et 12 qui visent à rendre plus fluides les relations entre le conseil territorial et le Conseil économique, social et culturel, le CESC.
En revanche, la commission a supprimé l’article 8 qui ôtait la possibilité pour le conseil exécutif de confier à l’un de ses membres le soin d’animer et de contrôler un secteur de l’administration. Elle a estimé que cette disposition était la traduction institutionnelle de la collégialité exécutive que le législateur organique avait voulue en 2007. Sur ce point, elle a renouvelé son attachement à un organe exécutif collégial, comme elle l’avait fait en 2009, à propos de la collectivité voisine de Saint-Martin.
J’en viens à la seconde catégorie des articles du texte : ceux qui concernent les compétences de la collectivité. En ce domaine, les dispositions inscrites dans la proposition de loi organique ont appelé davantage de réserves de la part de la commission, qui a fait le choix d’en supprimer deux.
À l’article 2, il était proposé de faire participer davantage la collectivité de Saint-Barthélemy à l’exercice des compétences de l’État, ce que permet effectivement l’article 74 de la Constitution. Étaient ainsi concernés le droit pénal, la procédure pénale et le droit des étrangers.
En matière pénale, notre collègue proposait que les sanctions édictées par la collectivité puissent être approuvées tacitement au terme d’un délai de quatre mois, à l’expiration duquel elles seraient devenues applicables. Actuellement, le Gouvernement, censé approuver ou rejeter par décret les projets d’actes qui lui sont soumis par la collectivité, ne se prononce jamais dans les délais fixés par la loi organique. Votre commission a déjà eu l’occasion de regretter cette inertie gouvernementale, au mépris des obligations que lui fixe la loi organique. Notre collègue Thani Mohamed Soilihi a largement développé cette question dans son avis budgétaire et notre collègue Catherine Tasca a permis qu’une solution ponctuelle aboutisse en 2013, s’agissant du droit pénal de l’environnement.
Si le problème est réel, la solution proposée soulevait de sérieuses questions de constitutionnalité, car elle aboutissait, pour l’État, à un dessaisissement de facto de sa compétence pénale. Nous aurions ainsi touché à ce que notre ancien collègue René Garrec avait qualifié, lors de la révision constitutionnelle de 2003, de « sanctuaire régalien », dont le transfert à une collectivité est interdit par l’article 74 de la Constitution. Votre commission, consciente du problème, a supprimé cet article. Je constate que l’auteur de la proposition de loi organique ne sollicite pas le rétablissement du dispositif en l’état.
S’agissant du droit des étrangers et de la procédure pénale, l’examen des amendements nous permettra de revenir sur la position de la commission.
L’article 4 prévoit, quant à lui, d’étendre la compétence de la collectivité à la réglementation économique des véhicules terrestres à moteur. Au regard de la situation particulière de l’île en la matière – je rappelle qu’on y dénombre près de 11 000 véhicules pour quelque 9 200 habitants –, votre commission a approuvé le transfert de cette compétence, au demeurant limitée dans son objet. Dans l’exercice de son pouvoir normatif, la collectivité devra évidemment respecter les principes constitutionnels, à commencer par la liberté d’entreprendre.
Le texte aborde également la question des pouvoirs de la collectivité en matière de droit de préemption, à l’article 1er, et du pouvoir de sanctions administratives, en son article 3, deux articles qui ont été adoptés par la commission après le vote d’amendements de clarification.
Enfin, l’article 5 traitait d’un sujet qui tient à cœur à l’auteur de la proposition de loi organique : la création d’une caisse de prévoyance sociale propre à Saint-Barthélemy, qui prendrait en charge l’ensemble des risques. La commission a fait le choix de retirer ce dispositif du texte, car les dispositions proposées ne relevaient pas du niveau de la loi organique. Par un amendement qu’il présentera tout à l’heure, notre collègue ouvrira ce débat.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, la commission des lois a souhaité réaffirmer les positions qu’elle a constamment défendues, notamment en veillant à la sécurité juridique du texte et à sa conformité à la Constitution. Je tiens encore une fois à saluer, en son nom, notre collègue Michel Magras, pour l’intérêt de son initiative, dont je souligne à nouveau la démarche salutaire et exemplaire, au bénéfice de la population insulaire en particulier et pour les représentants des collectivités territoriales en général.
J’espère, madame la ministre, que le Gouvernement appuiera, à l’Assemblée nationale, cette initiative sénatoriale, …