Intervention de Dominique Gillot

Réunion du 29 janvier 2015 à 21h30
Université des antilles et de la guyane — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Dominique GillotDominique Gillot :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, à la suite des troubles survenus à la rentrée universitaire 2013-2014, Michel Magras et moi-même, rapporteurs de la mission d’information sur la situation et l’avenir du système universitaire aux Antilles et en Guyane, avons conclu à l’ardente nécessité de construire cet avenir à partir de trois clés : la territorialité, l’attractivité et la solidarité dans cette région de France stratégique pour le développement de la République, le rayonnement international de la francophonie et surtout l’attention et l’ambition que nous devons à notre jeunesse.

Depuis sa création, l’UAG est confrontée à un balancement permanent entre des logiques d’affirmation territoriale et une volonté partagée de coopération fonctionnelle dans le cadre d’un projet universitaire unitaire porteur d’ambition.

Lors de notre mission, nous avons constaté de graves dysfonctionnements sur fond de profond malaise identitaire, de rivalités et d’interprétations politiciennes qui traversent l’institution universitaire. Ces dysfonctionnements avaient déjà été signalés au cours de la dernière décennie par plusieurs rapports de la Cour des comptes et de l’IGAENR, l’Inspection de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche.

La focalisation systématique des enjeux universitaires sur des questions de postes et de moyens – notre rapporteur vient de nous en donner encore une illustration dont il a démontré l’inanité avec des arguments extrêmement précis –, quand ce n’était pas sur des questions de personnes, de contestation de leur origine, voire de leur parcours, a souvent entraîné l’incapacité des décideurs locaux et nationaux à soutenir des projets d’intérêt commun à même de défendre l’unité sur le plan universitaire.

Si l’on peut s’étonner de l’absence d’une prise de conscience plus précoce qui aurait dû conduire les pouvoirs publics à anticiper la gravité de la situation, nous sommes aujourd’hui satisfaits de constater que des procédures disciplinaires et judiciaires sont en cours, l’une d’entre elles, concernant les irrégularités de gestion au sein d’un laboratoire, étant dépaysée à Toulouse.

Dans l’intérêt des étudiants et des personnels, la scission du pôle guyanais est apparue inévitable – vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État – et s’est traduite rapidement dans l’ordonnance de juillet dernier. Il est maintenant indispensable de conforter l’université des Antilles, désormais indépendante de celle de la Guyane, et de faire émerger des politiques de formations mutualisées au bénéfice des deux régions, Martinique et Guadeloupe, concrétisant une stratégie universitaire délibérée au niveau du conseil d’administration, dans le cadre du plan régional des formations, et pilotée par chacun des pôles qui en assumeront toute la responsabilité de mise en œuvre.

Au début de la crise, à la rentrée de 2013, les revendications des étudiants et des syndicats étaient concrètes ; elles étaient relatives à l’offre de formation et aux conditions de vie étudiante. Les étudiants et syndicats dénonçaient aussi publiquement les malversations et coteries qui minaient le fonctionnement universitaire et créaient un climat délétère sur les campus.

Malgré les alertes antérieures, les mesures nécessaires n’ayant pas été prises, c’est dans la plus grande confusion, alimentée notamment par l’absence de perspectives globales et de nombreuses rivalités d’influence, que les tensions se sont exacerbées. Cette séquence douloureuse pour beaucoup d’acteurs locaux et déstabilisante pour les pouvoirs publics doit nous convaincre de porter une attention particulière aux raisonnements politiques, qui ne tiennent pas toujours compte, voire desservent, les exigences adaptées au développement de l’université. Il revient au sommet de l’État de privilégier des décisions conformes à l’intérêt général, à la cohérence stratégique de l’établissement et au droit commun de l’organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Au nom de l’exigence de proximité, il ne faudrait pas qu’un mouvement continu de duplication des formations des composantes, poursuivi sur chacun des territoires, mette à mal les spécialisations pédagogiques et fonctionnelles de l’université ou l’offre universitaire pluridisciplinaire de chaque territoire.

Les propositions du rapport d’information, adoptées à l’unanimité le 16 avril 2014, ont largement inspiré, cela a été souligné plusieurs fois, l’ordonnance qui crée une université de Guyane de plein droit et une université des Antilles indépendante.

Durant toute cette période, écoulée dans un climat de grande défiance, de harcèlement et de violences verbales, il a fallu la ténacité, tout à fait remarquable et plusieurs fois saluée de la présidente de l’université pour réussir à surmonter les tensions liées à la scission et à la partition des moyens entre Antilles et Guyane. Il en faudra aussi, désormais, pour éviter les désordres entre les deux pôles de Martinique et de Guadeloupe, qui ne sont pourtant pas frères ennemis !

Les amendements adoptés par la commission dans le cadre de ce projet de loi devraient mettre un terme aux déstabilisations de la gouvernance et de l’administration.

Comme l’a rappelé Jacques Grosperrin dans son rapport, la transformation de l’université des Antilles et de la Guyane en une université de plein droit en Guyane et une université des Antilles à part entière préserve la cohérence territoriale et permet une coopération fructueuse, en particulier en matière de pédagogie et de recherche, le tout dans le respect de l’autonomie des pôles universitaires régionaux et sous la coordination du conseil d’administration. La commission a d’ailleurs souhaité élargir la composition dudit conseil d’administration, afin d’y garantir la représentation la plus juste des personnels de chacun des pôles de l’université.

Afin d’éviter de retomber dans les travers de l’ancien schéma de gouvernance, des dispositions sont prises pour que l’autonomie des pôles soit reconnue et effectivement garantie par des compétences propres, tout en veillant à l’unicité stratégique de l’établissement. C’est cette volonté d’unicité qui nous a conduits, avec le rapporteur, à déposer un amendement, adopté à l’unanimité par la commission, dont le dispositif reprend la proposition n° 11 de notre rapport d’information ; il tend en effet à ce que la désignation du président de l’université et celle des deux présidents de pôle fassent l’objet d’un même vote par le conseil d’administration. Il reviendra alors à chaque candidat au poste de président de l’université de présenter au conseil d’administration deux personnalités susceptibles d’assurer les fonctions de président de pôle, choisies parmi les représentants élus des enseignants-chercheurs au titre de chacune des deux régions. Le conseil d’administration se prononcera ainsi par un seul vote sur ce « ticket » de trois candidats, qui auront démontré au préalable leur acceptation de la cohérence entre le projet global d’établissement, porté par la présidence de l’université au sein du conseil d’administration, et les stratégies de développement de pôle défendues par les présidents de pôle.

L’unanimité des commissaires en faveur de cet amendement traduit l’intérêt de la construction d’une gouvernance stable et sécurisante, objectif impossible à atteindre si chaque personne du trio peut se prévaloir d’une légitimité électorale distincte, comme ce fut le cas par le passé.

Alors que les tensions restent perceptibles entre les deux pôles de l’université des Antilles – les grèves de mars 2014 et de nombreux échanges haineux qui circulent toujours sur internet en témoignent –, cette disposition est fondamentale pour garantir aux étudiants issus de Martinique et de Guadeloupe, mais aussi d’ailleurs, je l’espère, un contexte serein, un enseignement supérieur de qualité, des services à l’étudiant performants, des offres de documentation physiques et numériques à la hauteur de leurs besoins et une carte de formation multipliant les passerelles d’orientation.

Dans des départements en proie à des difficultés économiques et sociales amplifiées, au regard de celles qui sévissent dans l’Hexagone – le chômage des jeunes y bat par exemple des records –, la nouvelle université des Antilles doit constituer l’armature d’un système d’éducation, de formation et de recherche qui prépare la réussite universitaire des étudiants et facilite leur insertion professionnelle.

L’enjeu majeur pour cette université, au-delà du seul nombre d’étudiants, qui est un critère déterminant – il doit à mon sens dépasser 10 000 pour que l’université puisse peser dans le monde de l’enseignement supérieur –, est bien celui de l’attractivité. Un quart seulement des bacheliers de ces territoires s’inscrit sur place. Il faut gagner d’autres étudiants. Nous le savons, les jeunes adhéreront mieux à une université au rayonnement international, avec des dispositifs d’échanges, une carte de formation commune et cohérente entre les deux pôles, des programmes de recherche reconnus, des enseignants-chercheurs intéressés par leur carrière au lieu d’être découragés par les bisbilles permanentes.

C’est forte du poids de l’histoire, dont j’espère que tous les enseignements ont été tirés, et consciente de la nécessité de saisir l’occasion de remise à plat qui se présente que l’université des Antilles est ainsi constituée. Elle est à même de garantir ce rayonnement ambitieux, dans une zone du globe où, seule université francophone face à l’université des Indes occidentales, située en Jamaïque, elle sera le fer de lance de la culture et de l’excellence universitaire francophone, tournée vers les Caraïbes.

Le bouleversement institutionnel en cours a été maîtrisé par les instances académiques – vous avez cité Christian Forestier, madame la secrétaire d’État, auquel j’ajouterai Jacqueline Abaul et Françoise Boutet-Waïss, qui ont été des soutiens précieux pour la présidente, notamment – et politiques ; je tiens d’ailleurs à saluer ici les sénateurs, notamment ultramarins, avec qui j’ai eu des contacts extrêmement fructueux. J’en profite pour saluer également vos collaborateurs, madame la secrétaire d’État, qui n’ont pas ménagé leur temps pour débroussailler les informations qui nous arrivaient de là-bas et qui auraient pu embrouiller notre perception des choses.

Ces instances sont soutenues par la grande majorité des usagers ; ce doit être l’occasion de redéfinir les contours d’un projet éducatif et scientifique solide, respectueux des identités territoriales et déterminant pour les étudiants, les enseignants-chercheurs et le monde économique. C’est une première étape, fondatrice, qui requiert l’attention et la bienveillance de tous.

Je remercie M. le rapporteur, Jacques Grosperrin, pour le soutien qu’il a apporté aux orientations préconisées par le rapport d’information et la sincérité de son plaidoyer pour une université des Antilles solide, cohérente et pleinement opérationnelle, au service des étudiants.

Comme beaucoup de responsables et d’acteurs de la communauté universitaire, j’espère qu’un regroupement entre l’université des Antilles et la jeune université de Guyane pourra, à terme, s’opérer. Ce regroupement permettra de créer, dans cette partie de la France qui nous est chère, une communauté d’universités et d’établissements apaisée, qui tirera profit des atouts et des particularités de ces territoires, notamment dans les domaines de l’écologie, du développement durable, de l’environnement, de l’épidémiologie et de la biologie – il doit y en avoir d’autres ! –, et contribuera à l’excellence universitaire et à la recherche de notre pays.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe socialiste votera ce projet de loi.

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