Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin

Réunion du 29 janvier 2015 à 21h30
Université des antilles et de la guyane — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Brigitte Gonthier-MaurinBrigitte Gonthier-Maurin :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, chers collègues, la situation de l’université des Antilles et de la Guyane est un sujet de préoccupation depuis plusieurs années. C’est la raison pour laquelle la commission de la culture et la délégation sénatoriale à l’outre-mer ont eu à cœur de traiter ce sujet dans un rapport conjoint sur la situation et l’avenir du système universitaire aux Antilles et en Guyane.

L’UAG se trouve en effet dans une situation de blocage depuis plusieurs années. Cela nuit à la qualité du système universitaire dans la région, alors même que la situation économique et sociale des jeunes y est plus précaire qu’en métropole. Alors que le besoin de formation de haut niveau est encore plus indispensable, cette structure universitaire, qui regroupe trois zones distinctes et géographiquement éloignées – la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe –, a du mal à fonctionner en coopération harmonieuse. Ainsi, le rapport a fait état de « graves dysfonctionnements sur fond de profond malaise identitaire ». Cette structure unique, loin de fédérer, a laissé place à la concurrence entre les territoires, notamment pour l’attribution des postes et des moyens, au détriment de l’intérêt général et de la cohérence stratégique.

De notre point de vue, la globalisation du budget de l’université, conséquence directe de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi LRU », à laquelle nous sommes fermement opposés, a renforcé ces tensions. L’une des conséquences a été la dilution des moyens spécifiques de chaque institut universitaire, avec des transferts déséquilibrés de moyens et de postes. À titre d’exemple, entre 2008 et 2014, l’institut universitaire de technologie de Kourou a subi une baisse de 77 % de ses moyens, suscitant un sentiment d’injustice en Guyane.

Les attentes de la communauté universitaire du pôle guyanais ne sont pas prises en compte, en particulier s’agissant de la répartition des emplois, du fonctionnement des services communs et de la qualité des services étudiants, comme le sport ou la restauration universitaire. La direction centrale de l’université, qui se trouve en Guadeloupe, est accusée de « capter » ou de « détourner » une partie des postes de Guyane, de procéder à des affectations d’opportunité, non adaptées aux besoins pédagogiques du territoire. Ainsi, la structure UAG s’est révélée incapable de garantir l’unité autour d’objectifs partagés, sur la base d’orientations stratégiques fortes.

La crise s’est soldée à la rentrée de 2013 par une fracture de cet édifice universitaire, au point que le pôle guyanais s’en est retiré. Le Gouvernement a alors acté ce départ et créé par décret, le 30 juillet 2014, une université de la Guyane de plein exercice.

Tel est le contexte dans lequel intervient le présent projet de loi.

Initialement, le texte ne contenait que des ratifications d’ordonnances rénovant principalement la gouvernance de l’UAG, afin d’œuvrer à la résolution des conflits, en introduisant des mécanismes de coopération. Ces habilitations à légiférer par ordonnances font partie de la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche. Nous nous y étions alors opposés. Nous pensons que la pratique des ordonnances est un moyen de contournement du Parlement et d’amoindrissement de son pouvoir législatif. Cependant, pour éviter les abus ou excès, la pratique des ordonnances est encadrée dans la loi et réservée à des domaines précis : les ordonnances ne prévoyaient pas la possibilité de modifier le périmètre de l’UAG et ne pouvaient pas tenir compte de la nouvelle situation, à savoir la scission de l’université en deux pôles distincts. C’est pourquoi notre commission les a modifiées pour reconnaître une université des Antilles et une université de la Guyane bien distinctes dans la loi. L’université des Antilles succède donc à l’UAG.

Les modifications introduisent également des mécanismes pour permettre une meilleure collaboration entre les pôles. Chaque fois qu’une décision prise par la commission de la recherche d’un pôle concernera un laboratoire exerçant des activités sur les deux pôles, elle devra être approuvée par le conseil académique de l’université pour être effective.

Enfin, les modifications concernent la mise en place d’un « ticket » de trois candidats, avec un seul et même vote, à la présidence et aux deux vice-présidences de pôle, afin de garantir la cohérence stratégique et l’unité de l’établissement.

Si nous considérions la seule forme du projet de loi, nous voterions contre. Cependant, le texte se situe dans un environnement particulier que l’on ne peut pas ignorer.

Le contexte universitaire local demeure complexe et tendu. L’offre universitaire locale rencontre depuis de nombreuses années des difficultés de fonctionnement équilibré entre les différents pôles géographiques.

Si l’on peut juger l’éclatement de cette université regrettable, considérant la taille relative de chacune de ces entités et la faiblesse du nombre d’étudiants, les conditions réelles d’exercice et la distance géographique importante entre ces pôles rendent aujourd’hui peu crédible le maintien d’une seule université commune.

Le texte semble donc aménager une sortie de crise, répondant pour partie à l’affectation des moyens, notamment pour la Guyane. Pourtant, il est encore difficile de préjuger de sa réussite. En effet, la séparation pose des questions en termes de flux et de gestion du personnel entre la Guyane et les Antilles, avec l’apparition de demandes de mutation, la nécessité de création de nouveaux postes. En outre, il ne faut pas sous-estimer la tentation de séparation qui peut exister au sein de l’université des Antilles entre la Guadeloupe et la Martinique ; ce projet de loi pourrait la renforcer. Ainsi, en croyant résoudre une crise, ne risque-t-on pas d’en voir une autre survenir ?

Vous l’aurez compris, nous ne voterons pas contre ce texte, bien que la loi LRU porte à nos yeux une part de responsabilité dans l’aggravation de la crise, l’autonomie financière des universités et l’absence de fléchage de moyens ayant alimenté un affrontement sur la répartition des postes et moyens. Nous ferons sur ce texte le choix de l’abstention, en formant des vœux pour que ses effets soient positifs.

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