Intervention de Yves Daudigny

Réunion du 9 décembre 2010 à 15h00
Compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements — Rejet d'une proposition de loi deux propositions de loi identiques étant jointes à la discussion

Photo de Yves DaudignyYves Daudigny :

En l’occurrence, il n’y a pas, d’un côté, les départements de gauche ou du centre qui s’opposent au Gouvernement et, de l’autre, les départements présidés par des élus de la majorité présidentielle qui soutiennent ce même gouvernement. L’enjeu transcende ici les clivages politiques traditionnels.

Depuis le début, nous nous sommes appuyés sur le travail collégial entrepris par l’Assemblée des départements de France, qui, sur ce dossier, a d’ailleurs fait elle-même le choix du pluralisme et de la responsabilité.

Je reviendrai dans quelques instants sur les principes énoncés par ce texte. Ceux-ci sont issus de la démarche lancée par les présidents de départements dans le cadre de leur association voilà plus d’un an.

En mars dernier, à l’unanimité, les présidents de conseils généraux membres du bureau de l’ADF soulignent l’urgence de la nécessité de conduire un travail sur le financement durable des allocations individuelles de solidarité, et de la nécessité de proposer des mesures législatives au Parlement.

À partir de cette date, plusieurs dizaines de départements, de gauche comme de droite, ont travaillé pendant plusieurs semaines, avec l’aide de spécialistes, à l’élaboration d’un texte législatif qui s’approche de celui dont nous débattons aujourd’hui. La première version de cette proposition de loi fut présentée aux présidents de conseils généraux à la fin du mois d’août. Ce jour-là, le bureau de l’ADF a donné mandat à son président, Claudy Lebreton, pour poursuivre le processus, notamment par la rencontre de l’ensemble des responsables de notre assemblée : présidence, groupes politiques, commission des finances et commission des affaires sociales.

Avec beaucoup de pédagogie, l’ADF a détaillé les tenants et les aboutissants de la démarche engagée. L’accueil et l’écoute qui lui furent réservés par chacun d’entre vous à cette occasion honorent le Sénat. Ces échanges de grande qualité ont incontestablement nourri la proposition de loi et le texte qui a été déposé sur le bureau de notre assemblée n’aurait pas été ce qu’il est sans ces échanges constructifs.

Convaincus de l’importance de ce texte, trois groupes ont donc décidé de s’en emparer afin qu’il puisse connaître un véritable débouché parlementaire.

En déposant cette proposition de loi en vue d’un examen par notre assemblée, nous avons fait écho à la demande unanime des cent deux présidents de départements réunis les 20 et 21 octobre dernier à Avignon pour le 80e congrès de l’Assemblée des départements de France.

Je cite la résolution unanime de ce dernier congrès : « Les présidentes et les présidents de conseils généraux sont satisfaits de l’accueil réservé à cette proposition et espèrent que les conditions seront réunies pour qu’elle aboutisse à la compensation quasi intégrale des trois allocations. »

Le texte que nous allons examiner aujourd’hui a donc une histoire et une légitimité, il a été mûrement réfléchi et permet enfin d’ouvrir, au sein de la représentation nationale, un débat très attendu par la France des départements, mais aussi, et surtout, par nos millions de concitoyens concernés par les prestations sociales universelles.

La notion de solidarité nationale est au cœur de notre démarche. Et il faut bien mesurer ici le rôle spécifique des départements en la matière. Les départements, par le biais de leurs conseils généraux, sont en effet les seules collectivités territoriales à verser, pour le compte de l’État, des allocations individuelles de solidarité.

Ces dernières, et je reprendrai ici l’exposé des motifs du présent texte, « constituent un droit voté par le Parlement et auquel peut accéder une personne âgée pour compenser la perte d’autonomie due à son âge – c’est l’allocation personnalisée d’autonomie –, une personne qui ne touche pas suffisamment de revenus pour vivre dignement – c’est le revenu de solidarité active, auparavant revenu minimum d’insertion –, une personne handicapée pour adapter son environnement de telle sorte qu’elle puisse vivre pleinement sa vie et ses projets – c’est la prestation de compensation du handicap ».

Toute personne « accède à ce droit sur la base d’un examen de sa situation individuelle qui donne lieu à un plan d’aide ou à un contrat régulièrement évalué au regard de l’évolution de la situation de chaque personne ».

« En résumé, une allocation individuelle de solidarité, c’est une somme d’argent attribuée à une personne sur la base à la fois d’un droit établi nationalement et d’une évaluation individuelle et régulière de la situation de chaque personne ».

L’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, la prestation de compensation du handicap, la PCH, et le revenu de solidarité active, le RSA, sont donc, par essence, des prestations universelles de même nature que les allocations familiales dont personne ne songerait ici à remettre en cause le paiement intégral par l’État.

Sans vouloir faire offense au rapporteur de la commission des finances, nous ne nous plaçons pas ici dans un débat juridique pour savoir si ces allocations ont fait l’objet d’un « transfert de compétence » ou d’une « création de compétences à la charge des départements ».

Nous affirmons ici un principe général, celui du financement par la solidarité nationale d’allocations imaginées dans le droit fil du programme du Conseil national de la Résistance. Le préambule de la Constitution de 1946, intégré dans celui de notre Constitution actuelle, définit extrêmement bien ce principe. Il dispose ainsi que « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ». C’est bien ce fondement essentiel de notre pacte social républicain que nous souhaitons défendre à travers ce texte.

Néanmoins, monsieur le rapporteur, quand bien même seriez-vous insensible à ces arguments, nous sommes prêts à débattre avec vous de la question de la libre administration des collectivités territoriales.

Peut-être avez-vous raison juridiquement quant à l’absence d’obligation constitutionnelle de financement intégral par l’État de l’APA et du RSA, compte tenu des régimes législatifs sur lesquels ils ont été créés. C’est précisément la raison pour laquelle nous souhaitons revoir la législation qui s’applique et clarifier les choses aujourd’hui, afin de « remettre à plat » le financement de ces dispositifs, conçus à une époque où en effet la situation économique était plus stable et les finances publiques plus sereines.

N’est-ce pas notre rôle de parlementaires de revisiter les textes que nous avons adoptés pour les rendre cohérents avec l’évolution de notre société ?

Aujourd’hui, le gouffre qui existe entre les dépenses réalisées par les départements pour payer les trois allocations et les recettes transférées par le niveau national à ce titre est de plus en plus vertigineux.

Devons-nous partager ce constat et ne rien proposer ? Que dire de la responsabilité du Parlement si celui-ci n’est pas en mesure de construire une réponse collective à cette situation inédite ?

Aujourd’hui, devant un tel déficit de financement, ne peut-on pas parler d’atteinte à la libre administration des collectivités territoriales ? Je note que c’est d’ailleurs sur ce fondement qu’une soixantaine de départements s’apprêtent à saisir le Conseil constitutionnel, au travers du dispositif de la question prioritaire de constitutionnalité, ou QPC.

Mes chers collègues, nous sommes plongés depuis plusieurs semaines dans le débat budgétaire. Cette proposition de loi arrive donc au bon moment, car nous savons tous qu’à travers ce texte nous répondons à une question de société.

Il s’agit donc clairement d’un choix politique que le Parlement doit faire pour garantir à nos concitoyens qui en ont besoin une protection à la hauteur de notre histoire contemporaine.

C’est pourquoi nous préconisons – et j’en viens par conséquent à l’explication de la proposition de loi en elle-même – « la compensation quasi intégrale de trois allocations ». Le texte que nous vous soumettons prévoit que cette compensation sera assurée après consultation de la Commission consultative sur l’évaluation des charges, la CCEC, et sera déterminée par la loi de finances selon les modalités habituelles, c’est-à-dire en recourant à la fiscalité ou aux dotations budgétaires.

Les six articles de la présente proposition de loi viennent donc préciser les modalités de ce rééquilibrage du financement de ces trois allocations.

L’article 1er vise à modifier la loi du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion, de façon que, à compter de 2010, et pour l’exercice 2011, la compensation des charges résultant du transfert du RMI et de l’extension du RSA soit réajustée chaque année, après avis de la Commission consultative sur l’évaluation des charges.

Les articles 2 à 4 concernent l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA. Ils prévoient ainsi, d’une manière générale, que, à compter de 2010, les charges résultant pour les départements des prestations versées au titre de l’APA à domicile ou en établissement sont compensées sur la base des dépenses constatées aux derniers comptes administratifs des conseils généraux, après avis de la CCEC. Je n’entre pas dans les détails des différents calculs proposés à cet effet, mais il convient de préciser que le dispositif envisagé prend en compte ce que les départements finançaient avant la création de l’APA, c’est-à-dire la prestation spécifique dépendance, la PSD. Dans ces conditions, nous avons instauré un mécanisme qui déduit du droit à compensation le montant actualisé de cette PSD, et qui instaure ce que d’aucuns nomment un « ticket modérateur » à la charge des départements.

L’article 5 tend pour sa part à ce que les charges supportées par les départements au titre de la prestation de compensation du handicap, la PCH, soient compensées sur la base des dépenses constatées aux derniers comptes administratifs des conseils généraux.

Enfin, l’article 6 prévoit que le Gouvernement prendra par ordonnances les mesures nécessaires à l’application des dispositions envisagées par la présente loi aux départements et collectivités d’outre-mer.

Ces dispositions ont le mérite de la clarté, de la lisibilité…

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