Intervention de Cyril Pellevat

Réunion du 3 février 2015 à 9h30
Questions orales — Travailleurs frontaliers et couverture maladie universelle

Photo de Cyril PellevatCyril Pellevat :

Madame la secrétaire d’État, sénateur de Haute-Savoie et frontalier, je souhaite évoquer les conséquences de l’affiliation obligatoire des travailleurs frontaliers à la couverture maladie universelle, la CMU.

Cette situation a été, une nouvelle fois, largement évoquée à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, et notamment de son article 65, lequel prévoit des sanctions à l’encontre des personnes qui ne seraient pas affiliées à un régime de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2015.

Le département de Haute-Savoie compte 100 000 travailleurs qui, chaque jour, traversent la frontière pour travailler en Suisse. Avec les accords bilatéraux entre l’Union européenne et la Suisse, signés dans les années deux mille, les frontaliers français actifs en Suisse avaient trois options pour être assurés : l’affiliation au régime d’assurance maladie suisse, régi par la loi fédérale sur l’assurance maladie, dite « LAMal », pour un minimum de 300 francs suisses par mois ; l’affiliation volontaire à la sécurité sociale ; le recours aux assurances privées.

Le droit d’option entre une assurance privée française et le régime général de l’assurance maladie française avait été introduit en 2002 pour une durée de sept ans, et prorogé en 2006 pour une durée supplémentaire de six ans. En effet, l’affiliation à une assurance privée était plébiscitée par 90 % des travailleurs frontaliers ; elle correspondait à un besoin.

Cette possibilité d’affiliation en France auprès d’une assurance privée a pris fin le 1er juin 2014 par décret ministériel n° 2014-516. L’affiliation en France se fait désormais uniquement auprès de l’assurance maladie.

À partir du 1er juin 2014, les quelque 163 000 frontaliers vivant dans les six départements limitrophes de la Confédération helvétique et ayant opté pour l’assurance privée basculent dans le système de sécurité sociale français à la date d’échéance de leur contrat annuel. Une circulaire ministérielle du 23 mai 2014 précise les modalités d’intégration des frontaliers dans le régime général de sécurité sociale.

Une période transitoire permettra aux personnes ayant souscrit une assurance privée avant le 1er juin 2014 de rejoindre l’assurance maladie française au terme de l’échéance annuelle de leur contrat d’assurance privée, au plus tard le 31 mai 2015.

Cette situation soulève plusieurs interrogations quant à l’organisation des services des caisses primaires d’assurance maladie, au réseau territorial des médecins traitants ou encore à la situation des frontaliers au regard de la loi.

L’afflux de ces nouveaux inscrits sature les caisses primaires d’assurance maladie et mobilise un nombre substantiel d’agents, qui doivent faire face à un surcroît important de travail.

Une personne m’a récemment indiqué par courrier que le délai de carence annoncé par les collaborateurs de la sécurité sociale d’Annemasse était de quatre mois. Les nouveaux assurés doivent avancer tous leurs frais de santé. Les services de la caisse primaire d’assurance maladie sont déjà sous pression et débordés. Ils manquent d’informations pour répondre aux attentes des frontaliers.

Je voudrais donc savoir les mesures et les garanties que le Gouvernement envisage pour assurer l’inscription des demandeurs frontaliers dans les temps et la délivrance de leur carte Vitale dans des délais raisonnables. Un nouveau sursis à la date butoir du 31 mai serait le bienvenu.

Je souhaiterais également connaître les études d’impact ou les mesures pérennes que le Gouvernement prévoit pour assurer l’accès aux soins de ces nouveaux assurés auprès des médecins traitants français, qui sont déjà extrêmement saturés - du moins quand il en existe encore, et je pense ici à certaines zones qualifiées de « désert médical ». C’est vers eux que les publics concernés vont se tourner.

Le Gouvernement a été alerté dans un récent courrier par ma collègue Sophie Dion, députée de Haute-Savoie, sur la situation du bassin de Cluses, dont la densité médicale est faible, avec 59, 6 médecins pour 100 000 habitants, contre une moyenne nationale de 109.

La situation dans le pays de Gex n’est guère meilleure, avec un gynécologue pour 36 182 habitants, contre un pour 11 377 en moyenne nationale. Il en est de même pour les dermatologues, les cardiologues ou les pédiatres.

D’ailleurs, j’ai lu aujourd'hui dans la presse que le nombre de lits en pédiatrie baissait dans l’hôpital de Saint-Julien-en-Genevois.

Dans notre département, le temps d’accès à certains centres hospitaliers est plus élevé que la moyenne : plus de cinquante-cinq minutes pour une maternité de niveau II à Annecy ou Annemasse ; plus d’une heure et demie pour une maternité de niveau III à Chambéry.

Les témoignages de frontaliers sont édifiants. Au mois d’octobre dernier, lorsque mon épouse a appelé un gynécologue de la région, on l’a invitée à rappeler en décembre pour obtenir un rendez-vous en mars, soit six mois de délai pour un simple rendez-vous !

Même si le patient peut choisir un médecin traitant en Suisse sans être pénalisé dans le remboursement des soins, le professionnel de santé suisse devra obtenir un conventionnement spécifique avec la CPAM comprenant des engagements minimaux. Autant de démarches administratives qui peuvent être dissuasives !

Enfin, l’article 65 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 envisageait des sanctions pour les personnes qui ne seraient pas affiliées à un régime de sécurité sociale au 1er janvier 2015. Quels aménagements le Gouvernement compte-t-il adopter pour que ces pénalités ne touchent pas les travailleurs frontaliers, qui avaient jusqu’au 31 mai 2015 pour assurer cette affiliation ?

Je vous remercie de l’attention que vous porterez à la situation de travailleurs qui assurent des revenus à leur famille en traversant des frontières et qui contribuent à la richesse de nos départements, tout en étant soumis à des règles en matière de temps de travail et de congés payés n’ayant rien à voir avec celles qui prévalent en France.

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